mise au point Mise au point Hypothèses biologiques de la schizophrénie F. Bonnet-Brilhault*, F. Thibaut** noyau caudé chez des non traités par epuis les années 1950 et l’avènement des neuro- patients rapport à des témoins (2). leptiques, les recherches sur les données biologiques Cependant, ce résultat n’a L’hypothèse dopaminer- de la schizophrénie se sont multipliées. Nous reprendrons pas été confirmé par des gique de la schizophrénie ainsi les principales hypothèses sur l’implication des diffé- études ultérieures, que ce a tout d’abord été fondée rents neurotransmetteurs dans la schizophrénie pour abor- soit avec ce même radioligand ou avec le [11C] sur l’observation de l’efraclopride. La variabilité ficacité clinique des neuro- der ensuite certaines voies de recherche plus récentes. de ces résultats peut en leptiques, avec la démonspartie être expliquée par tration par Carlsson Hyperdopaminergie d’origine les limites de la technique utilisée. En (prix Nobel de médecine 2000) et postsynaptique effet, ces différents marqueurs ont une Lindquist, en 1963, que l’injection de L’évaluation de la densité des récepteurs affinité pour d’autres récepteurs D2 ; le chlorpromazine entraînait chez des anidopaminergiques a tout d’abord été NMSP se fixe également sur les récepmaux une augmentation puis une dimieffectuée par des études post-mortem et, teurs D4 et 5-HT2 et le raclopride sur les nution des métabolites de la dopamine du plus récemment, par des études utilisant récepteurs D3. Par ailleurs, la faible résocerveau. L’étape suivante fut la découverla tomographie par émission de positions lution spatiale de cette méthode d’imagete par Seeman et al., en 1976, du méca(TEP). Les premières études postrie – ne permettant pas de différencier au nisme d’action des neuroleptiques en tant mortem effectuées sur des cerveaux de sein du striatum les différentes structures qu’antagonistes des récepteurs de type patients schizophrènes ont semblé architecturales en fonction de leurs D2, qui conduisit à l’hypothèse d’une confirmer l’hypothèse d’une hyperdopaconnexions avec le système limbique ou hyperdopaminergie dans la schizophréminergie d’origine postsynaptique, en les aires corticales – ainsi que la diminunie. Les travaux se sont alors orientés, mettant en évidence, pour certaines, une tion des sites de fixation disponibles en d’une part, vers la recherche d’une densité élevée de récepteurs D2 au présence d’un taux de dopamine endogène hyperdopaminergie dont l’origine serait niveau des ganglions de la base. Les élevé sont autant de facteurs limitant l’inun dysfonctionnement postsynaptique, résultats de ces travaux demeurent terprétation des résultats. en étudiant principalement la densité des cependant sujet à caution, compte tenu récepteurs dopaminergiques et, d’autre Malgré ces difficultés liées à la méthododu rôle démontré des neuroleptiques part, vers l’analyse de marqueurs périlogie et pour tenter de résumer ces dondans l’augmentation de la densité des phériques reflétant l’origine possiblement nées, certains auteurs ont émis l’hypothèse récepteurs D2. Des études plus isolées présynaptique de l’hyperactivité dopamique la disparité des résultats reflétait l’hétésur la densité des récepteurs D3 et D1 ont nergique. Cependant, les résultats diverrogénéité clinique de la schizophrénie et donné des résultats variables (1). gents des travaux élaborés pour confirque l’augmentation des récepteurs D2 ne Le recours à la tomographie par émission mer cette hypothèse ont fait apparaître devrait se retrouver que dans un sous-groupe de positions, produisant une image quandes limites au concept d’hyperdopamide patients pour lesquels la théorie d’une titative et in vivo de la densité du récepnergie pour tendre de plus en plus vers hyperdopaminergie postsynaptique serait teur étudié en fonction du radioligand uticelui de dysrégulation du système dopaconfirmée (3). L’interprétation des résultats lisé, a fourni également des résultats minergique. devrait par conséquent tenir compte de la contradictoires. Les premières études 11 nature du radiotraceur et des formes cliC] NMSP (C-N-méthyl-spipéavec le [ * CHU, Tours. niques de la maladie, mais également des rone) comme marqueur des récepteurs D2 ** Service hospitalo-universitaire traitements neuroleptiques reçus et du ont en effet retrouvé une augmentation de de psychiatrie, CHU Charles-Nicolle, modèle pharmacocinétique utilisé. la densité de ce récepteur au niveau du Inserm EMI 9906, UFR de médecine, Rouen. L’hypothèse dopaminergique D Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 8, octobre 2001 247 mise au point Mise au point L’étude du mécanisme d’action des neuroleptiques a également permis de nuancer cette théorie d’une simple et exclusive hyperdopaminergie d’origine postsynaptique. L’existence d’un délai entre le blocage des récepteurs D2 par les neuroleptiques, qui est effectif dès les premiers jours de traitement, et l’apparition d’une amélioration clinique, le plus souvent après plusieurs semaines, laisse supposer que cette action antagoniste ne corrige pas à elle seule le déséquilibre physiopathologique. Ce délai semble en effet correspondre à l’apparition d’un état de “blocage par dépolarisation” (depolarization block) qui rend silencieux les neurones dopaminergiques, excepté les neurones dopaminergiques mésocorticaux. Le fait que les patients résistants au traitement neuroleptique présentent un taux d’occupation des récepteurs D2 identique à celui des patients répondeurs limite également l’hypothèse d’une simple hyperdopaminergie. Par ailleurs, l’observation courante d’une moindre efficacité des neuroleptiques sur la symptomatologie négative laisse supposer que d’autres perturbations sous-tendent cette symptomatologie. Enfin, l’avènement depuis les années 1980 de nouvelles molécules a mis l’accent sur l’implication d’autres récepteurs dopaminergiques mais également sérotoninergiques comme cibles potentielles de l’action antipsychotique. L’antagonisme des récepteurs D1 (clopenthixol, flupenthixol), D3 présynaptiques (sulpiride, amisulpride) ou D4 (clopazine) pourrait intervenir dans l’efficacité clinique de ces molécules. Sans remettre en cause la théorie d’une hyperdopaminergie, ces observations permettent d’évoquer l’implication d’autres récepteurs dopaminergiques que les récepteurs D2. Hyperdopaminergie d’origine présynaptique Les dosages de l’acide homovanillique (HVA), catabolite principal de la dopa- Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 8, octobre 2001 mine, les mesures de l’activité de la monoamine-oxydase et de la capture plaquettaire de dopamine sont actuellement utilisés comme indicateurs de l’activité dopaminergique présynaptique centrale. Par ailleurs, les données pharmacologiques concernant les agents dopaminostimulants ont permis d’étayer l’hypothèse d’une implication dopaminergique d’origine présynaptique dans la schizophrénie. Les mesures du taux d’HVA, quel que soit le compartiment biologique étudié, nécessitent de prendre en compte de nombreux facteurs, tels le régime alimentaire, l’exercice physique, la clairance rénale, les variations circadiennes de l’HVA et l’exposition préalable à un traitement neuroleptique. Ces différents facteurs sont probablement en cause dans le manque d’homogénéité des résultats publiés, que ce soit dans les études, peu nombreuses, concernant le liquide céphalo-rachidien (4) ou dans le plasma (5). Certaines observations peuvent cependant être faites. Chez les patients non traités, les taux d’HVA plasmatiques élevés seraient corrélés avec la symptomatologie positive de la maladie, alors que, dans un sous-groupe de patients ayant des symptômes négatifs prédominants, les taux d’HVA de base seraient comparativement plus bas. Ces observations furent un des arguments pour envisager qu’une hyper- mais également une hypodopaminergie pouvaient intervenir dans la schizophrénie. Par ailleurs, les patients ayant un taux de base élevé avant tout traitement présenteraient une meilleure réponse au traitement neuroleptique, comparativement aux patients ayant un taux de base plus bas. Les données sur l’activité enzymatique de la monoamine-oxydase (MAO) – enzyme intracellulaire impliquée dans la dégradation des monoamines – dans la schizophrénie sont quant à elles plus contradictoires. La plupart des études mesurent et utilisent l’activité MAO au 248 niveau plaquettaire (MAOp) comme reflet de l’activité MAO cérébrale. Plusieurs études sont en faveur d’une diminution de l’activité MAOp dans la schizophrénie avec, pour certaines, une association au sous-type paranoïde ; mais cette diminution n’est pas retrouvée dans d’autres études tout aussi nombreuses (6). La mesure de cette activité enzymatique peut être influencée par de nombreux facteurs, tels le régime alimentaire, le tabagisme, le sexe, l’origine ethnique ainsi que les traitements neuroleptiques associés, ce qui peut expliquer, en partie, la variabilité des résultats. La mesure de la capture plaquettaire de dopamine comme modèle d’étude de la capture neuronale de dopamine n’a pas apporté de résultats plus probants, avec une diminution ou une augmentation, selon les études, chez les patients schizophrènes par rapport à une population témoin. Là encore, le modèle utilisé, qui semble approximatif par rapport à la capture neuronale, et les facteurs de variation, comme le sexe ou la notion d’un traitement neuroleptique, sont à mettre en parallèle avec ces données. Enfin, l’apparition de novo de véritables épisodes délirants chez les sujets indemnes d’antécédents psychotiques personnels ou même familiaux, après la prise d’agents dopaminostimulants, tels que les amphétamines et la cocaïne, apporte un argument supplémentaire pour supposer que le système dopaminergique est impliqué dans la physiopathologie de la schizophrénie. L’absence de symptômes négatifs dans ces tableaux réduit cependant leur validité en tant que modèles pharmacologiques de cette maladie. Ces agents accroissent la transmission dopaminergique en inhibant de façon compétitive la recapture neuronale de la dopamine et, pour les amphétamines, en augmentant la libération synaptique de dopamine nouvellement synthétisée. Les modifications de la concentration synaptique de dopamine mise au point Mise au point ne sont cependant pas à elles seules responsables de l’apparition de la symptomatologie, puisqu’il existe un décalage dans le temps entre la concentration des métabolites de la dopamine dans le plasma et les troubles psychotiques. C’est particulièrement vrai pour l’administration chronique d’amphétamines, où l’hypothèse actuelle est de considérer qu’il existe, secondairement à la déplétion présynaptique, une hypersensibilité des récepteurs pré- et postsynaptiques aboutissant à une altération des mécanismes de régulation sur les deux versants de la synapse. Par ailleurs, une faible proportion de patients schizophrènes ne seraient pas sensibles à ces effets, certains ayant même une diminution de leurs hallucinations, ce qui est en faveur d’une hétérogénéité physiopathologique de la schizophrénie. Modélisations du déséquilibre dopaminergique Ces différents travaux ont amené à formuler des hypothèses sur les perturbations de la transmission dopaminergique dans la schizophrénie. À la suite des travaux de Pycock et al., ayant observé chez le rat une hyperdopaminergie souscorticale après destruction des afférences dopaminergiques corticales, Weinberger (7) avança le concept d’une modification d’équilibre dopaminergique dans la schizophrénie. Selon cet auteur, les symptômes négatifs sont liés à une hypodopaminergie corticale, alors que les symptômes positifs sont liés à une hyperdopaminergie sous-corticale. Grace proposa également une nouvelle formulation de l’hypothèse dopaminergique reliant la symptomatologie positive à une hypofrontalité responsable d’une baisse de la libération d’acide glutamique dans les structures sous-corticales, rendant ainsi les neurones dopaminergiques mésolimbiques hyperréactifs aux stimuli environnementaux. La symptomatologie négative, quant à elle, proviendrait d’une Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 8, octobre 2001 baisse de libération tonique de dopamine sous-corticale, au-dessous d’un seuil critique. Les neurones dopaminergiques mésolimbiques deviendraient alors insensibles aux stimuli extérieurs. L’hypothèse sérotoninergique Certaines propriétés des neuroleptiques atypiques ainsi que la meilleure connaissance des interactions entre les systèmes dopaminergique et sérotoninergique ont donné un nouvel essor à la recherche de perturbations de la transmission sérotoninergique dans la schizophrénie. Là encore, les travaux se sont orientés, d’une part, sur le versant postsynaptique par l’analyse de la densité des récepteurs sérotoninergiques et, d’autre part, sur le versant présynaptique avec l’analyse de marqueurs périphériques. Densité des récepteurs sérotoninergiques De nombreux facteurs peuvent influencer les résultats des études post-mortem sur la densité des récepteurs sérotoninergiques. Parmi ceux-ci, nous citerons l’influence du traitement antérieur, la prise de toxiques, le choix de la technique, le manque de spécificité du ligand utilisé et enfin le décès par suicide ou non. Ces facteurs expliquent sans doute en partie la variabilité des résultats publiés. Dans une revue de la littérature portant sur onze études post-mortem comparant la densité des récepteurs 5-HT2A et 5-HT2C chez des patients et des témoins, sept retrouvaient une densité diminuée au niveau du cortex frontal chez les patients par rapport aux témoins et quatre des résultats variables, avec soit une augmentation, soit une absence de différence (8). Une augmentation de la densité des récepteurs 5-HT1A au niveau du cortex préfrontal et temporal a également été rapportée. Comme pour l’hypothèse dopaminergique, ces résultats peuvent 249 s’intégrer dans le schéma d’un déséquilibre de la transmission sérotoninergique avec un hypofonctionnement sérotoninergique préfrontal associé à un hyperfonctionnement sérotoninergique souscortical ; Les études d’imagerie in vivo en TEP ne semblent pas, pour l’instant, confirmer les données obtenues par des études post-mortem. Études périphériques La plupart des études portant sur les marqueurs dits périphériques avec les dosages de sérotonine plasmatique ou plaquettaire de son principal métabolite, le 5 hydroxy-indol-acetic-acid (5HIAA), dans le plasma ou le LCR et de sa capture plaquettaire apportent des résultats contradictoires (9). Cependant, certains résultats peuvent être en faveur d’un déséquilibre cortico-sous-cortical de la transmission sérotoninergique dans la schizophrénie. Les observations portant sur l’association entre un taux faible de 5 HIAA dans le LCR et une atrophie corticale ainsi que la réduction des sites de recapture de la sérotonine au niveau du cortex frontal pourraient ainsi s’intégrer dans l’hypothèse d’un hypofonctionnement sérotoninergique préfrontal (9). En conclusion, peu d’éléments résultant d’études spécifiques étayent l’hypothèse d’un déséquilibre cortico-sous-cortical sérotoninergique dans la schizophrénie. Cependant, l’effet psychomimétique des agonistes dopaminergiques (LSD) et l’action antipsychotique de certains neuroleptiques ayant in vitro des propriétés antagonistes sérotoninergiques (en particulier sur le récepteur 5-HT2) (clozapine, rispéridone, olanzapine, chlorpromazine et thiodazine) seraient en faveur d’un hyperfonctionnement sérotoninergique sous-cortical, qui, mis en parallèle avec les résultats des études périphériques, permettrait d’argumenter cette hypothèse d’un déséquilibre de la transmission. Les interactions étroites entre les systèmes dopaminergique et sérotoninergique ne mise au point Mise au point permettent cependant pas de dire si les perturbations constatées au niveau de ce dernier neurotransmetteur sont une cause ou une conséquence du dysfonctionnement dopaminergique dans la schizophrénie. Perturbations glutamatergiques dans la schizophrénie L’apparition de tableaux schizophréniformes après la prise de PCP (phencyclidine), qui agit comme antagoniste non compétitif des récepteurs glumatergiques de type N-méthyl-D-aspartate (NMDA), a permis d’avancer l’hypothèse d’une implication des acides aminés excitateurs dans la physiopathologie de la schizophrénie. Une meilleure connaissance du rôle du glutamate dans le développement et le fonctionnement cérébral avec, en particulier, son action sur la plasticité neuronale (potentialisation à long terme et synaptogenèse développementale) et sur l’apoptose, ainsi que, parallèlement, une meilleure appréhension des interactions entre les fibres glutamatergiques cortico-souscorticales et la transmission dopaminergique expliquent la place de celui-ci dans les modèles étiopathogéniques récents de la schizophrénie. Sans apporter des résultats entièrement concordants, certaines études post-mortem portant sur la densité des récepteurs glutamatergiques chez les patients schizophrènes sont en faveur d’une diminution de la densité de ceux-ci dans certaines régions ; au niveau des ganglions de la base pour les récepteurs NMDA et au niveau de l’hippocampe pour les récepteurs non NMDA. Il faut noter que d’autres études ont retrouvé une densité augmentée de ces récepteurs au niveau du cortex et plus particulièrement du cortex orbitofrontal. Pour la majorité des auteurs, ces résultats traduisent l’existence d’un hypofonctionnement de la transmission gluta- Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 8, octobre 2001 matergique avec une hypersensibilité compensatrice des récepteurs. Depuis la publication d’une étude rapportant une diminution de la concentration du glutamate dans le LCR chez des patients schizophrènes, qui serait alors en faveur d’un hypofonctionnement glutamatergique, les études ultérieures portant sur ce compartiment biologique ou dans le sang ont donné des résultats contradictoires. Les mécanismes d’action présumés des neuroleptiques peuvent également apporter des arguments en faveur de l’intervention de la transmission glutamatergique dans la schizophrénie tout en mettant l’accent sur les interactions entre les systèmes glutamatergique et dopaminergique. L’administration chronique d’halopéridol entraîne une augmentation des concentrations extracellulaires de glutamate au niveau du cortex préfrontal sans modifier les concentrations au niveau du striatum. Ainsi, l’hyperdopaminergie, proposée comme mécanisme causal des schizophrénies, engendrerait, par une inhibition excessive, une hypoglutaminergie qui serait corrigée par le blocage des récepteurs dopaminergiques par les neuroleptiques via une désinhibition de la sortie de glutamate, rétablissant ainsi un flux glutamatergique correct. Par ailleurs, l’hyperactivité locomotrice et les stéréotypies induites chez l’animal par l’administration d’antagonistes des récepteurs NMDA répondent à un traitement par halopéridol via l’antagonisme des récepteurs D2. Enfin, l’administration chronique d’un traitement neuroleptique interviendrait sur l’expression préférentielle de certaines sous-unités protéiques des récepteurs glutamatergiques de type NMDA ou AMPA. Que ce soit par une altération primaire des récepteurs NMDA liée à un mécanisme excitotoxique lors du développement cérébral, comme le proposent Olney et Farber (10), ou par des interactions avec le système dopaminergique (11), l’implication d’un dysfonctionnement glutamatergique dans la schizophrénie suscite un intérêt croissant. 250 L’hypothèse noradrénergique Compte tenu de la place de la dopamine dans la voie de synthèse de la noradrénaline et des interactions entre ces deux systèmes de neurotransmission, l’hypothèse d’un dysfonctionnement noradrénergique dans la schizophrénie a été évoquée relativement précocement. Certains résultats portant sur le dosage des taux de noradrénaline ou de son métabolite principal, le 3-méthoxy-4-hydroxy-phénylglycol (MHPG), seraient en faveur d’une hypernoradrénergie, parfois corrélée avec une symptomatologie de type négatif. Les arguments d’ordre pharmacologique sont actuellement encore peu nombreux pour confirmer cette hypothèse. La mesure du taux de MHPG après le test à la clonidine (agoniste des récepteurs alpha 2 présynaptiques) serait en faveur d’une hyposensibilité de ces récepteurs associée à un hyperfonctionnement relatif des neurones noradrénergiques centraux. Les variations de ce taux lors d’un traitement neuroleptique seraient plus contradictoires. La modélisation des interactions entre les systèmes noradrénergique et dopaminergique dans la schizophrénie semble encore difficile. Selon Van Kammen et al. (12), un dysfonctionnement des systèmes noradrénergiques induirait une phase prépsychotique, démasquant secondairement une perturbation dopaminergique lorsque la noradrénaline est activée au-delà de la capacité du système par une stimulation environnementale telle qu’un stress. L’hyperéveil, lié à une hyperactivité noradrénergique du locus cœruleus (à partir duquel sont issus principalement les neurones noradrénergiques) stimulé par le stress, participerait ainsi à l’apparition des symptômes positifs de la schizophrénie. mise au point Mise au point L’hypothèse GABAergique À partir de certains résultats d’études post-mortem retrouvant une diminution de la densité des récepteurs GABAA et des sites de capture du GABA, l’hypot h è s e d ’ u n hy p o f o n c t i o n n e m e n t GABAergique dans la schizophrénie fut avancée. Compte tenu du rôle inhibiteur de ce neurotransmetteur, un déficit de l’inhibition de la transmission dopaminergique par le GABA pourrait être en cause. L’évaluation in vivo de la densité de ces récepteurs n’a cependant pas confirmé ces résultats. Par ailleurs, les résultats contradictoires des dosages du GABA dans le LCR ne permettent pas de renforcer cette hypothèse. Autres voies de recherche Plus récemment, des travaux se sont orientés vers la recherche d’une implication des neuropeptides dans la schizophrénie. La neurotensine, la chlolécystokinine, la somatostatine sont actuellement ceux qui ont fait l’objet de publications, que ce soit à l’occasion de l’étude de leur taux à l’état de base ou lors d’un traitement neuroleptique. Ces résultats restent cependant isolés, sans qu’il soit actuellement possible de modéliser d’éventuelles perturbations de ces systèmes neuropeptidergiques dans la schizophrénie. La mesure des taux de neurotrophines et de la densité de leurs récepteurs semble également être une voie intéressante, compte tenu de leur rôle en tant que facteur de régulation de la différenciation neuronale et de la plasticité synaptique. Par ailleurs, les arguments en faveur d’un déficit immunitaire ou d’une infec- Act. Méd. Int. - Psychiatrie (18) n° 8, octobre 2001 tion virale chez les patients schizophrènes demandent à être confirmés (13). Enfin, comparativement aux études réalisées dans les troubles affectifs, les travaux concernant la neuroendocrinologie dans la schizophrénie sont moins nombreux (4). Conclusion Depuis l’hypothèse initiale, qui postulait qu’une hyperactivité dopaminergique d’origine postsynaptique soustendait la physiopathologie de la schizophrénie, de nombreux travaux sont venus nuancer ce propos. Sans remettre en cause cette hypothèse initiale, celle-ci s’intègre maintenant dans différents modèles dans lesquels interviennent d’autres neurotransmetteurs, permettant ainsi de mieux rendre compte de la richesse sémiologique de cette pathologie (14). Mots clés. Schizophrénie – Dopamine – Sérotonine – Glutamate. Références 1. Gurevich EV, Bordelon Y, Shapiro RM et al. Mesolimbic dopamine D3 receptors and use of antipsychotics in patients with schizophrenia. Arch Gen Psychiatry 1997 ; 54 : 225-32. 2. Wong DF, Wagner HN, Tune LE et al. Positron emission tomography reveals elevated D2-dopamine receptors in drugnaive schizophrenics. Science 1986 ; 234 : 1558-63. 251 3. Zakzanis KK, Hansen KT. Dopamine D2 densities and the schizophrenic brain. Schizophrenia Res 1998 ; 32 : 201-6. 4. Lieberman JA, Koreen AR. Neurochemistry and neuroendocrinology of schizophrenia : a selective review. Schizophrenia Bull 1993 ; 19(2) : 371429. 5. Friedhoff AJ, Amin F. Plasma homovanillic acid in schizophrenia. Implications for presynaptic dopamine dysfunction. Washington DC : American Psychiatric Press, 1997. 6. Marcolin MA, Davis JM. Platelet monoamine oxydase in schizophrénia : a metaanalysis. Schizophrenia Res 1992 ; 7 : 24967. 7. Weinberger DR. Implications of normal brain development for the pathogenesis of schizophrenia. Arch Gen Psychiatry 1987 ; 44(7) : 660-9. 8. Soares JC, Innis RB. Neurochemical brain imaging investigations of schizophrenia. Biol psychiatry 1999 ; 46 : 600-15. 9. Breier A. Serotonin, schizophrenia and antipsychotic drug action. Schizophrenia Res 1995 ; 14 : 187-202. 10. Olney JW, Farber NB. Glutamate receptor dysfonction and schizophrenia. Arch Gen Psychiatry 1995 ; 52 : 998-107. 11. Carlsson M, Carlsson A. Schizophrenia : a subortical neurotransmitter imbalance syndrome ? Schizophrenia Bull 1990 ; 16(3) : 425-32. 12. Van Kammen DP, Kelley M. Dopamine and norepinephrine activity in schizophren i a . A n i n t eg ra t i v e p e rs p e c t i v e. Schizophrenia Res 1991 ; 4 : 173-91. 13. De Lisi LE. Is there a viral or immune dysfunction etiology to schizophrenia ? Re-evaluation a decade later. Schizophrenia Res 1996 ; 22 : 1-4. 14. Bonnet-Brilhault F, Thibaut F, Petit M. Données biologiques de la schizophrénie. In : Encyclopédie médico-chirurgicale. Traité de psychiatrie. À paraître.