D ●●● O S S I E R T H É M A T I Q U E Séquelles fonctionnelles de l’anastomose iléo-anale Functional disorders after ileal pouch-anal anastomosis ● Y. Panis, A. Alves* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ L’anastomose iléo-anale avec réservoir en J est l’intervention de référence dans la rectocolite hémorragique (RCH) et la polypose adénomateuse familiale, car elle permet d’arriver au double objectif de guérison de la maladie et de conservation de la fonction sphinctérienne. Pour cette raison, elle est faite auprès de 80 à 90 % des patients opérés. ■ L’anastomose iléorectale peut être proposée en cas de rectum conservable chez les patients âgés à mauvaise fonction sphinctérienne, en cas de doute diagnostique avec une maladie de Crohn, et chez les femmes jeunes désireuses d’une grossesse. ■ L’anastomose iléo-anale donne un résultat fonctionnel bon ou acceptable chez environ 80 % des patients. Des “petits moyens” (régime, ralentisseurs du transit) sont utiles pour améliorer la fonction, et ce surtout dans les premiers mois postopératoires. ■ La qualité de vie est bonne à long terme chez plus de 85 % des patients avec anastomose iléo-anale. ■ Il est important de rechercher une sténose anastomotique par un toucher rectal en cas d’altération, même tardive, du résultat fonctionnel. ■ La laparoscopie pourrait limiter la lourdeur de l’intervention et, peut-être, le risque à distance d’occlusion sur bride et de diminution de la fertilité dues aux adhérences tubaires. ingt ans après son apparition, la coloproctectomie totale suivie d’anastomose iléo-anale (AIA) avec réservoir en J (figure 1) est aujourd’hui le traitement chirurgical de référence de la rectocolite hémorragique (RCH) et de la polypose adénomateuse familiale (PAF) [1, 2]. L’AIA permet, V * Service de chirurgie colorectale, hôpital Beaujon, Clichy. 270 Figure 1. Anastomose iléo-anale avec stomie de protection. Figure 2. Réservoir en J. en effet, d’atteindre dans ces maladies le double objectif de guérison de la maladie par ablation de l’ensemble de la muqueuse colorectale malade (ou susceptible de le devenir) et de conservation de la fonction sphinctérienne (figure 2). Enfin, l’AIA est indiquée pour certaines équipes dans des cas sélectionnés de colite inclassable et de maladie de Crohn (3). Bien qu’ayant clairement démontré son efficacité, l’AIA est jugée (à raison plus souvent qu’à tort) comme une intervention complexe à la morbidité élevée (1) et aux séquelles fonctionnelles importantes. Pour certaines équipes, sa morbidité et ses séquelles fonctionnelles peuvent remettre en cause son indication dans certaines situations “limites” (rectocolite avec rectum peu malade, polypose atténuée) et rediscuter la place de l’anastomose iléorectale. Globalement, l’anastomose iléo-anale va néanmoins être le mode de rétablissement de la continuité digestive et ce chez plus de 80 % des patients avec RCH ou PAF. Il est cependant non seulement possible, mais aussi licite de proposer à la place d’une anastomose iléo-anale une anastomose iléorectale, en cas de rectum conservable (sans microrectie sur la rectographie aux hydrosolubles de profil, ni rectite active sévère à l’endoscopie) dans certaine situations : – chez les sujets ayant fonction sphinctérienne altérée, notamment chez les patients âgés de plus de 70 ans (4) ; La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 6 - vol. VIII - novembre-décembre 2005 D O S S I E R T – en cas de doute diagnostique avec une maladie de Crohn (5) ; – chez les femmes jeunes désireuses d’une grossesse. RÉSULTATS OPÉRATOIRES ET COMPLICATIONS PRÉCOCES DE L’ANASTOMOSE ILÉO-ANALE Mortalité opératoire S’il s’agit d’une intervention dont la mortalité est actuellement proche de zéro dans les centres spécialisés (0,2 % sur 1 310 AIA), le patient avec AIA reste exposé à plusieurs complications postopératoires (principalement septiques et mécaniques) et à long terme (pochite surtout) qui peuvent grever le résultat fonctionnel et conduire, dans de rares cas (5 à 10 % des patients), à la perte du réservoir et à l’iléostomie définitive (1, 2). – Le sepsis pelvien et la fistule anastomotique Ce sont là deux complications postopératoires redoutables, non pas tant par le risque vital qui est faible, que par leur répercussion sur le résultat fonctionnel à distance. Leur traitement est surtout préventif, par réalisation d’une iléostomie de protection temporaire. Le taux de sepsis pelvien varie suivant les études (et l’expérience de l’équipe). Il était de 23 % dans une série récente (6) où une analyse multivariée retrouvait comme seul facteur indépendant prédictif de sepsis une corticothérapie préopératoire supérieure à 40 mg/j (RR = 3,8). En cas de survenue d’un sepsis pelvien, une réintervention précoce est rarement nécessaire (grâce à l’iléostomie) et le plus souvent un drainage sous scanner ou par voie transanale et une antibiothérapie suffisent à traiter le sepsis. Le plus souvent, ce sepsis est la conséquence d’une fistule anastomotique qui va retarder la fermeture de l’iléostomie jusqu’à cicatrisation complète de l’AIA, soit une durée d’iléostomie d’au moins 3 à 4 mois. RÉSULTATS FONCTIONNELS ET COMPLICATIONS À DISTANCE Le résultat fonctionnel Le patient doit être prévenu qu’après fermeture de l’iléostomie temporaire, le résultat fonctionnel (nombre de selles/24 heures, continence diurne et nocturne, impériosité, etc.) va s’améliorer très progressivement au cours de la première année postopératoire. Au début, il n’est pas rare d’observer un nombre de selles de 8 à 10 par 24 heures, avec quelques épisodes de fuites nocturnes, une impériosité, et enfin une mauvaise discrimination gaz-selles. Ni le patient ni le médecin ne doivent s’inquiéter. Après avoir vérifié par un toucher anal que l’anastomose n’est pas sténosée, il est licite : – de conseiller au patient un régime sans résidus, en évitant notamment les légumes verts ou les tomates, qui accélèrent de manière importante le transit intestinal ; – de prescrire si besoin un ralentisseur du transit (lopéramide, Imodium®) et un mucilage (ispaghule, Spagulax®) augmentant le volume du bol fécal ; – enfin, en cas d’irritation anale, de faire appliquer localement un mélange de type Biafine® + Questran®. H É M A T I Q U E Chez certains patients, le lopéramide est sans effet. Seuls le régime (en évitant si possible les légumes verts et les fruits) et la patience permettront d’obtenir un résultat fonctionnel “normal”. Dans une série portant sur plus de 1 300 patients, le résultat fonctionnel était de 6,5 selles en moyenne par 24 heures (dont une la nuit), avec une continence jugée parfaite chez 54 % des patients et avec quelques petites fuites dans 39 % des cas. Enfin, 7 % de patients se plaignaient d’une véritable incontinence (1). Globalement, dans 10 à 20 % des cas, malgré un résultat opératoire satisfaisant, le résultat fonctionnel définitif reste médiocre, soit du fait d’un nombre trop élevé de selles, soit du fait d’épisodes d’incontinence nocturnes et diurnes, soit en raison d’une impériosité invalidante. Les sténoses anastomotiques et les sepsis pelviens chroniques Elles apparaissent chez 5 à 10 % des patients dans les premiers mois postopératoires et sont source de détérioration du résultat fonctionnel, avec une augmentation du nombre des selles et incontinence. Une simple dilatation au doigt en consultation peut suffire si la sténose est relative (ou s’il s’agit d’un “diaphragme” postopératoire). Quand tel n’est pas le cas, des dilatations à la bougie sous anesthésie générale sont parfois Figure 3. Mauvaise fonction après nécessaires. Cette sténose est sou- anastomose iléo-anale. Sphinctérovent liée à un problème septique plastie pour sténose anastomotique. postopératoire et, en premier lieu, à une sclérose après fistule anastomotique. Lorsque la sténose n’est pas dilatable, ou si elle récidive rapidement après dilatation, il est possible de réaliser des sphinctéroplasties de l’AIA, efficaces chez environ deux patients sur trois (figure 3) [7]. Dans les cas les plus complexes, qui font suite à un sepsis postopératoire, avec fistule iléo-périnéale ou iléo-vaginale, il est possible de réintervenir, soit par voie transanale pour “redescendre” le réservoir en J en faisant une nouvelle AIA, soit au maximum par voie abdominale, notamment en cas de réservoir en J enfermé dans une gaine scléreuse pelvienne, responsable d’un résultat fonctionnel catastrophique. Entre des mains entraînées, ces réinterventions permettent d’éviter la perte définitive du réservoir, et l’obtention d’un résultat fonctionnel acceptable chez environ deux tiers des malades. Les troubles sexuels Le problème en fait le plus important aujourd’hui est celui de la diminution de la fertilité observée après AIA. Un désir de grossesse chez une femme jeune doit donc aujourd’hui faire reconsidérer la réalisation d’une AIA. Une enquête de population récente (8) a en effet montré que les femmes ayant une AIA avaient une diminution très importante de la fertilité (figure 4) par rapport aux femmes non opérées ou avec une anastomose iléo-rectale. Cela s’explique probablement par les adhérences tubaires dues à la dissection pel- La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 6 - vol. VIII - novembre-décembre 2005 271 D O S S I E R T Incidence cumulée de grossesses 1,0 0,8 Contrôles RCH non opérés 0,6 0,4 Anastomose iléo-anale 0,2 É M A T I Q U E biopsies, car cette pochite peut correspondre à une maladie de Crohn (MC) méconnue. Le traitement médical repose sur le métronidazole (Flagyl®), dont l’efficacité est remarquable en moins de 48 heures. On peut également proposer d’autres antibiotiques comme la ciprofloxacine (Ciflox®) et, en cas de pochite rebelle, des dérivés salicylés, des corticoïdes, des lavements d’acides gras à chaîne courte, voire des immunosuppresseurs. En effet, la moitié des pochites récidivent, et 15 à 20 % deviennent chroniques. Après élimination d’une MC méconnue, ces lésions pourraient être pour certains l’expression de l’extension de la RCH au grêle “colonisé”. L’occlusion du grêle sur bride 0 0 12 24 36 48 Délai pour une grossesse 60 D’après Olsen et al. Gastroenterology 2002;122:15-9. Figure 4. Anastomose iléo-anale, grossesse et accouchement. vienne. C’est pourquoi chez une femme jeune désirant une grossesse, la réalisation d’une anastomose iléorectale, même temporaire (quelques années), si bien sûr le rectum est conservable, mérite d’être discutée. Dans ce cadre, la réalisation dans les centres experts de l’AIA par voie laparoscopique (dont on peut penser qu’elle diminue les adhérences postopératoires) constitue une piste intéressante (9). Concernant les troubles sexuels proprement dits, ils sont rares chez l’homme après AIA et variables suivant les séries (de 2 à 3 % habituellement, mais pouvant aller jusqu’à 25 %). Leur traitement est préventif et s’effectue par une dissection soigneuse du rectum lors de l’AIA évitant de blesser les plexus nerveux périrectaux. Le risque, certes faible, d’impuissance ou d’éjaculation rétrograde chez l’homme souligne le besoin de prévenir le patient des possibles complications sexuelles (avec éventuellement chez l’homme jeune la solution de la congélation du sperme avant l’AIA). Enfin, en cas d’impuissance, le sildenafil (Viagra®) permet chez 79 % des patients d’améliorer la fonction sexuelle (10). En ce qui concerne la grossesse et l’accouchement pour une patiente ayant une AIA fonctionnelle, une étude récente (11) a montré que tant la grossesse (à partir du 5e mois) que l’accouchement (par voie basse ou par césarienne aussi bien) entraînaient une altération transitoire du résultat fonctionnel (avec surtout une augmentation du nombre de selles par 24 h). En revanche, la grande majorité des patientes retrouvaient en seulement quelques semaines une fonction identique à celle observée avant la grossesse. Ainsi, il n’est pas licite d’imposer une césarienne à une patiente ayant une anastomose iléo-anale. Cependant, afin de protéger au mieux la fonction sphinctérienne, il est probablement préférable d’éviter une voie basse s’il y a un risque élevé d’épisiotomie, ou de forceps. La “pochite” La pochite est caractérisée par une inflammation non spécifique du réservoir observée chez environ 20 % et 48 % des patients respectivement à un et 10 ans. Avant traitement, le diagnostic de pochite, suspectée sur la clinique (douleur hypogastrique, diarrhée, fièvre) doit être confirmé par une endoscopie du réservoir avec 272 H Il s’agit d’une complication fréquente après AIA, dont le risque de survenue augmente avec le temps. Dix ans après l’AIA, 30 % des patients auront présenté au moins un épisode d’occlusion sur bride, le plus souvent résolutif sous aspiration gastrique, mais nécessitant une laparotomie chez un quart d’entre eux. Du fait de la fréquence de cette complication (probablement liée à l’étendue de la dissection lors de l’AIA), de l’absence de traitement préventif, et enfin de sa gravité potentielle (nécrose du grêle et ses conséquences), le patient doit être prévenu des symptômes d’alarme (principalement les douleurs abdominales, les vomissements et l’arrêt ou le ralentissement du transit) et de la nécessité de consulter rapidement un chirurgien connaissant les antécédents du patient (auquel a été remis son compte-rendu opératoire). Qualité de vie après anastomose iléo-anale Plusieurs études ont évalué la qualité de vie après anastomose iléoanale. La plus grande série publiée à ce jour (12) portant sur plus de 1 800 patients a montré que cette qualité de vie était bonne chez plus de 85 % des patients, 12 à 14 % d’entre eux ayant des restrictions soit sociales, soit sexuelles, soit profesionnelles. Enfin, 96 % des opérés sont satisfaits de l’intervention. La perte du réservoir avec iléostomie définitive À long terme, le risque d’échec de l’intervention avec perte du réservoir et iléostomie définitive varie entre 5 et 9 % à 10 ans suivant les séries. Les raisons principales de la perte du réservoir sont, en premier lieu, un sepsis pelvien chronique (avec ou sans fistule), puis un mauvais résultat fonctionnel avec incontinence majeure, et enfin, plus rarement, une pochite réfractaire ou une MC méconnue. CONCLUSION L’iléo-anale permet dans la RCH et la PAF la guérison de la maladie, avec un résultat fonctionnel bon ou acceptable chez environ 80 % des patients (13). Néanmoins, dans certaines situations représentant environ 10 à 20 % des patients opérés pour RCH et pour PAF (sujets âgés à mauvaise fonction sphinctérienne, doute diagnostique avec une maladie de Crohn, et chez les femmes jeunes désireuses d’une grossesse), il faut aujourd’hui rediscuter la possibilité d’une conservation (même seulement pour quelques années) du rectum, si celui-ci est conservable, afin d’éviter des séquelles fonctionnelles parfois définitives de l’AIA pouvant être lourdes à supporter (stérilité, incontinence, stomie définitive). ■ La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 6 - vol. VIII - novembre-décembre 2005 D O S S I E R T Mots-clés : Rectocolite hémorragique - Polypose adénomateuse familiale - Anastomose iléo-anale. Keywords: Ulcerative colitis - Familial adenomatous polyposis - Ileal pouch-anal anastomosis. R 1. É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S Meagher AP, Farouk R, Dozois RR et al. J ileal pouch-anal anastomosis for chronic ulcerative colitis: complications and long-term outcome in 1 310 patients. Br J Surg 1998;85:800-3. 2. Kartheuser AH, Parc R, Penna C et al. Ileal pouch-anal anastomosis as the first choice operation in patients with familial adenomatous polyposis: a tenyear experience. Surgery 1996;119:615-23. 3. Panis Y, Poupard B, Nemeth J et al. Ileal pouch-anal anastomosis for Crohn’s disease. Lancet 1996;347:854-7. 4. Hahnloser D, Pemberton JH, Wolff BG et al. The effect of ageing on function and quality of life in ileal pouch patients. A single cohort experience of 409 patients with chronic ulcerative colitis. Ann Surg 2004;240:615-23. 5. Panis Y. Prise en charge chirurgicale des maladies inflammatoires de l’intestin : les consensus et les controverses. Gastroenterol Clin Biol 2003;27(suppl. 3):92-7. H É M A T I Q U E 6. Heuschen UA, Hinz U, Allemeyer EH et al. 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