D o s s i e r t h é m a t i q u e Chirurgie rectale d’exérèse Coordination : E. Rullier (Bordeaux), Y. Panis (Paris) Conséquences fonctionnelles après proctectomie pour cancer : le prix à payer pour un traitement efficace ? ● Y. Panis* L a chirurgie du cancer du rectum a bénéficié dans ces vingt dernières années de deux progrès majeurs : tout d’abord, le développement des techniques d’anastomoses basses (anastomoses colo-anales et colorectales basses) qui permettent aujourd’hui de conserver la fonction sphinctérienne chez plus de 80 % des patients avec cancer du rectum (1) ; ● enfin, et surtout, la meilleure connaissance du mode de dissémination du cancer rectal – principalement dans le mésorectum, à distance de la tumeur – a permis de définir le principe de l’exérèse totale du mésorectum pour toute tumeur sous-péritonéale (c’est-à-dire du moyen et du bas rectum), technique qui a réduit aujourd’hui le taux de récidives locales à 5 ans à moins de 10% (2). Pour le patient, si la conservation sphinctérienne est très largement préférée à la réalisation d’une amputation abdominopérinéale avec colostomie définitive, le résultat fonctionnel observé est parfois mauvais, au point, dans certains cas, d’altérer considérablement la qualité de vie des patients. Il est donc important de connaître précisément les conséquences fonctionnelles des proctectomies pour cancer afin de pouvoir, quand c’est possible, proposer des moyens corrigeant les troubles observés. C’est l’objectif de ce dossier thématique ● * Service de chirurgie générale et digestive, hôpital Lariboisière, Paris. Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 2 - juin 2002 du Courrier de colo-proctologie, qui reprend les thèmes abordés dans le symposium des dernières journées de la SNFCP. Comme le rappellent G. Portier et F. Lazorthes dans ce dossier, la réalisation d’une proctectomie entraîne ce que l’on appelle “ le syndrome de résection antérieure ”. Celui-ci est essentiellement observé dans les anastomoses basses situées à moins de 5 cm de l’anus (3). Il comprend trois composantes : une diminution de la pression rectale de repos, une disparition du réflexe recto-anal inhibiteur et, surtout, une réduction de la capacité rectale due à la proctectomie, qui se manifeste par une diminution constante du volume maximum tolérable et de la compliance. Ces anomalies s’améliorent avec le temps. Les conséquences cliniques possibles sont une augmentation du nombre des selles par 24 heures et, surtout, leur fractionnement, c’est-à-dire l’émission répétée de plusieurs selles en quelques heures (par exemple, 4 à 5 fois en 2 heures de temps). C’est le symptôme le plus gênant. À cela s’ajoutent des troubles de la continence avec, le plus souvent, des fuites de gaz ou des souillures minimes, mais parfois une incontinence aux selles très invalidante. Enfin, une impériosité, c’est-à-dire l’impossibilité de se retenir plus de 15 minutes quand survient la sensation de besoin, est souvent observée. L’appréciation du résultat fonctionnel d’une anastomose colo-anale ou colorec- 45 tale basse est essentiellement clinique. En effet, il existe une mauvaise corrélation entre les données manométriques et le résultat clinique. Les critères cliniques les plus fiables sont le nombre de selles diurnes et nocturnes, l’existence de fuites fécales diurnes et nocturnes, la nécessité ou non de porter une garniture de protection, l’existence ou non d’une impériosité, la qualité de la discrimination entre les gaz et les selles, et enfin, l’utilisation ou non de ralentisseurs du transit. Plusieurs facteurs peuvent influencer les résultats fonctionnels des proctectomies. Il s’agit, tout d’abord, du délai par rapport à l’intervention. Il est important d’avoir en tête (afin de rassurer le patient) que ce résultat fonctionnel demande du temps. En effet, de manière constante, on observe une amélioration progressive de la fonction pendant au moins la première année postopératoire. Ainsi, dans la période postopératoire immédiate, il n’est pas rare, même en l’absence de complications, d’avoir un mauvais résultat fonctionnel, avec selles nombreuses, incontinence et impériosité. Le deuxième facteur important est la longueur de rectum restant. La fonction est quasi normale chez 92 à 100 % des patients s’il reste plus de 5 cm de rectum au-dessus de l’anastomose. Mais, s’il reste moins de 5 cm de rectum, le résultat fonctionnel est dépendant de la longueur de rectum restant. L’âge du patient influence aussi ce résultat fonctionnel, du fait d’une altération physiologique de la fonction sphinctérienne avec le vieillissement. C’est la raison pour C h i r u r g i e laquelle il est préférable de ne pas faire d’anastomoses basses chez des sujets très âgés ou ayant des troubles de la continence en préopératoire. La meilleure évaluation préopératoire est faite par un toucher rectal. En cas de doute, une manométrie peut être proposée. Mais, aujourd’hui, l’âge seul ne doit pas être un critère d’indication pour une anastomose colo-anale ; il est fréquent de proposer cette intervention à des gens de plus de 70 ans. En cas d’anastomose basse, une fistule anastomotique et/ou un abcès pelvien sont observés chez environ 10 % des patients. Ce sepsis pelvien risque d’entraîner une sclérose non seulement du réservoir (diminuant sa capacité) mais aussi et surtout, une sténose de l’anastomose qui peut considérablement altérer le résultat fonctionnel (avec augmentation du nombre de selles, incontinence). Ainsi, devant toute altération du résultat fonctionnel, un toucher rectal doit rechercher une sténose anastomotique afin de la traiter (dilatation par bougie, voire sphinctéroplastie) (4). Comme le montre bien J.F. Gravié, la radiothérapie (préopératoire ou, surtout, postopératoire) aggrave aussi ce résultat fonctionnel, ce qui souligne l’importance d’une sélection rigoureuse des patients devant seuls bénéficier de ce traitement adjuvant (5). Enfin, comme le rappellent G. Portier et F. Lazorthes, il a été clairement démontré par plusieurs essais contrôlés que l’adjonction d’un réservoir colique en J audessus de l’anastomose basse améliorait le résultat fonctionnel, notamment en diminuant le fractionnement des selles, et en améliorant la continence. C’est la raison pour laquelle ce réservoir est actuellement r e c t a l e recommandé en cas d’anastomose basse colo-anale ou colorectale très basse (6). Enfin, parallèlement à ses conséquences sur la fonction de défécation, l’exérèse du rectum peut altérer les fonctions sexuelle et urinaire. E. Tiret nous rappelle que la technique d’exérèse totale du mésorectum utilise un plan passant en dedans du plan nerveux, qui doit normalement limiter au maximum le risque de conséquences génito-urinaires, sauf en cas de lésions volumineuses, imposant un sacrifice nerveux dont le patient aura été prévenu en préopératoire. Très peu d’études ont évalué spécifiquement et avec des scores validés la qualité de vie des patients ayant eu une proctectomie pour cancer (7). E. Rullier souligne l’importance aujourd’hui de cette évaluation, grâce à des scores spécifiques qui seuls peuvent nous permettre de déterminer objectivement le retentissement réel de ces interventions, au résultat fonctionnel jugé parfois un peu trop rapidement comme bon (pour ne pas dire parfait) par les chirurgiens… En conclusion, s’il y a environ 30 ans, la chirurgie du cancer du rectum signifiait le plus souvent une amputation abdominopérinéale avec colostomie définitive, une impuissance sexuelle, et une récidive locale très fréquente, on voit comment les progrès de cette spécialité et des traitements adjuvants ont considérablement modifié notre vision des choses. Aujourd’hui, le résultat carcinologique est bon (moins de 10 % de récidives locales). Il est donc temps de s’occuper des séquelles fonctionnelles entraînées par les proctectomies, de les prévenir (parfois), de les expliquer au patient (toujours), et de conti- 46 d ’ e x é r è s e nuer à chercher des procédés permettant d’en limiter les conséquences, comme cela a été récemment le cas avec le réservoir colique en J ou la technique d’exérèse totale du mésorectum. En effet, des progrès sont encore à faire, car près de 20 % des patients souffrent d’un mauvais résultat fonctionnel qui altère parfois de manière ■ très importante leur qualité de vie. Mots clés. Cancer du rectum - Proctectomie Incontinence - Anastomose iléo-anale. R É F É R E N C E S 1. Benoist S, Panis Y, Boleslawski E et al. Functional outcome after coloanal versus low colorectal anastomosis for rectal carcinoma. J Am Coll Surg 1997 ; 185 : 114-9. 2. Heald RJ, Husband EM, Ryall RDH. The mesorectum in rectal cancer surgery – the clue for pelvic recurrence ? Br J Surg 1982 ; 69 : 613-6. 3. Miller AS, Lewis WG, Williamson ME et al. Factors that influence functional outcome after coloanal anastomosis for carcinoma of the rectum. Br J Surg 1995 ; 82 : 1327-30. 4. Benoist S, Panis Y, Berdah S et al. A new treatment for ileal pouch-anal or coloanal anastomotic stenosis. Dis Colon Rectum 1998 ; 41 : 935-7. 5. Kapiteijn E, Marijnen CAM, Nagtegaal ID et al. Preoperative radiotherapy combined with total mesorectal excision for resectable rectal cancer. N Engl J Med 2001 ; 345 : 638-46. 6. Lazorthes F, Gamagami R, Chiotasso P et al. Prospective, randomized study comparing clinical results between small and large colonic J-pouch following coloanal anastomosis. Dis Colon rectum 1997 ; 40 : 1409-13. 7. Grumann MM, Noack EM, Hoffmann IA, Schlag PM. Comparison of quality of life in patients underground abdominoperineal extirpation or anterior resection for rectal cancer. Ann Surg 2001; 233: 149-56. Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 2 - juin 2002