congrès RÉUNION ESH 2011 17-20 juin 2011 Milan Dénervation rénale par radiofréquence dans l’HTA résistante (d’après les communications de M.P. Schlaich, M.D. Esler, F. Mahfoud, C. Ott, C. Ukena) M. Azizi* L’ * Unité d’hypertension artérielle et Inserm CIC9201, hôpital européen Georges-Pompidou et université Paris-Descartes, Paris. hypertension artérielle (HTA) est l’un des principaux facteurs de risque cardiovasculaire (CV). C’est un facteur de risque fréquent : plus du quart de la population adulte de plus de 20 ans est hypertendue. Malgré les recommandations concernant la prise en charge de l’HTA, le contrôle chez les hypertendus traités reste très insuffisant. Dans les pays occidentaux, ce dernier, défini par une pression artérielle (PA) cible inférieure à 140 et 90 mmHg chez les patients traités, est compris entre 31 et 66 %. Cette proportion ne tient pas compte du score de traitements (nombre de traitements anti­ hypertenseurs pris) ni de leur nature. L’HTA résistante (HTAR) est définie dans les recommandations 2007 de l’ESH par une pression artérielle clinique supérieure ou égale à 140 et/ou 90 mmHg (supérieure ou égale à 130 et/ou 80 mmHg chez le diabétique ou l’insuffisant rénal) chez un patient traité par une trithérapie antihypertensive comprenant un diurétique. Sa prévalence représenterait entre 5 et 25 % du recrutement des centres spécialisés. Les patients ayant une HTAR sont à haut risque CV. Les recommandations de l’ESH préconisent la prise en charge par un centre spécialisé, un renforcement de l’intensité des traitements (notamment diurétiques, ainsi que l’ajout d’un antagoniste des récepteurs minéralocorticoïdes comme la spironolactone et celui d’antihypertenseurs centraux, etc.), l’utilisation des combinaisons d’antihypertenseurs en un seul comprimé et un suivi renforcé, en particulier par l’automesure tensionnelle (AMT). De nouvelles options thérapeutiques médicamenteuses ou non médicamenteuses sont recherchées pour les HTAR. On voit ainsi apparaître, pour les cas d’HTAR les plus sévères, des traitements fondés sur la stimulation baroréflexe ou la dénervation rénale (DR). L’efficacité en prévention et la sécurité à long terme de ces techniques restent encore à démontrer. Le développement d’un cathéter spécifique, dans le but de permettre une ablation des fibres sympathiques rénales afférentes et efférentes par un 12 | La Lettre du Cardiologue • n° 447 - septembre 2011 courant de radiofréquence (RF) de faible intensité après un cathétérisme artériel sélectif de chacune des artères rénales, a relancé la DR, approche thérapeutique réalisée par voie chirurgicale de 1950 à 1970, puis abandonnée en raison de son taux élevé de complications et de l’avènement des médicaments antihypertenseurs. Le courant de RF est délivré consécutivement dans les 2 artères rénales par une électrode de dispersion située à l’extrémité d’un cathéter spécifique à usage unique, introduit par voie transfémorale. Testée dans une étude de faisabilité non contrôlée chez des hypertendus résistants à une trithérapie antihypertensive, la DR a entraîné une baisse importante de la PA clinique, avec un risque faible de complications locales au point de ponction artériel et une dissection artérielle rénale traitée par endoprothèse. L’efficacité antihypertensive et la sécurité de la DR ont été évaluées dans un essai international multicentrique contrôlé, randomisé, ouvert (Symplicity HTN-2). Les patients ayant une HTAR avec une PA systolique (PAS) supérieure ou égale à 160 mmHg malgré une trithérapie antihypertensive, un débit de filtration glomérulaire estimé à plus de 45 ml/­mn et une anatomie artérielle rénale favorable (1 seule artère rénale principale pour chacun des 2 reins de diamètre supérieur à 4 mm et de longueur supérieure à 20 mm) ont été sélectionnés, inclus, puis randomisés soit dans un bras DR, soit dans un bras traitement médical seul non standardisé. Le traitement médical devait être poursuivi à l’identique pendant 6 mois dans les 2 bras. Cent quatre-vingt-dix patients ont été inclus dans l’étude, dont 106, soit 56 %, randomisés dans les 2 bras de l’étude (52 patients dans le groupe DR, dont 49 [94 %] évaluables à 6 mois, et 54 patients dans le groupe contrôle, dont 51 [94 %] évaluables à 6 mois). La baisse de PAS/ PAD clinique à 6 mois (critère d’évaluation primaire) dans le groupe DR a été de 32 ± 23/12 ± 11 mmHg, contre 1 ± 21/0 ± 10 mmHg dans le groupe contrôle. À 6 mois, 34 % des patients du groupe DR ont CoNgRèS RÉUNIoN affiché une PAS inférieure à 140 mmHg avec un traitement inchangé ou légèrement allégé, et 84 % d’entre eux ont affiché une baisse de PAS supérieure à 10 mmHg, contre 35 % dans le groupe contrôle. Les résultats de la mesure ambulatoire de la pression artérielle et de l’AMT ne sont disponibles respectivement que pour 45 patients (n = 20 patients du groupe DR, n = 25 patients du groupe contrôle) et 72 patients inclus (n = 32 patients du groupe DR et n = 40 patients du groupe contrôle). L’amplitude de la baisse de PA est nettement moindre en AMT (DR : − 20 ± 17/− 12 ± 11 versus contrôle : + 2 ± 13/0 ± 7 mmHg) et en MAPA (DR : − 11 ± 15/− 7 ± 11 versus contrôle : − 3 ± 19/− 1 ± 12 mmHg) entre les 2 groupes de patients. La différence de variation de PA en MAPA entre les 2 groupes est de 8 mmHg en PA systolique. Aucun événement indésirable grave en relation avec la DR n’est survenu au cours des 6 mois de l’essai. Quarante-trois des 49 patients ont eu une imagerie artérielle rénale non invasive à 6 mois, qui ne montrait pas d’anomalie anatomique secondaire au geste de DR. Les complications rapportées sont des complications locales, situées au point de ponction artériel fémoral. La fonction rénale est restée stable 6 mois après la DR. Chez 153 patients de la cohorte initiale traités en ouvert, 4 complications artérielles (1 dissection artérielle rénale et 3 faux anévrismes de l’artère fémorale) ont été observées. Deux patients de cette cohorte sont décédés (1 infarctus du myocarde et 1 mort subite) au cours du suivi. Ces décès n’ont pas été attribués à la procédure de DR par un comité de suivi des événements indésirables indépendant. Compte tenu du faible nombre de patients ayant eu la DR (n = 205 au total), on ne peut tirer aucune conclusion fiable sur la fréquence réelle des complications attendues ou non attendues liées à la procédure, en particulier celles inférieures à 5 %. À l'avenir, le risque dépendra aussi de l’entraînement à la technique du radiologue/cardiologue interventionnel et de la sélection rigoureuse des cas. Le devenir tensionnel à long terme demeure mal connu. L’expérience de la DR chirurgicale a montré que la diminution de la pression artérielle pouvait se maintenir dans le temps, mais l’extrapolation à la DR par radiofréquence est discutable. En effet, la conservation des rapports anatomiques rend possible une réinnervation sympathique, phénomène bien documenté après une transplantation rénale. Cependant, un maintien de la réduction de PA clinique a été rapporté dans un petit sous-groupe de patients suivis à plus long terme : − 23 mmHg pour la systolique et − 11 mmHg pour la diastolique à 12 mois (64 patients), − 32/− 14 mmHg à 24 mois (18 patients). Ces données, qui ne tiennent compte ni du nombre ni des classes de traitements antihypertenseurs utilisés, sont sujettes aux biais inhérents aux mesures cliniques réalisées en ouvert. Chez les 153 patients de la cohorte traités par dénervation en ouvert, une PA basale plus élevée et l’utilisation d’antihypertenseurs centraux étaient significativement associées à une meilleure réponse tensionnelle clinique en analyse multivariée. Enfin, la réponse cardiorespiratoire à l’exercice est aussi modifiée après une DR. Trente-sept patients ont eu une DR bilatérale et 9 ont été assimilés au groupe contrôle. La réponse à l’exercice a été évaluée avant et après 3 mois de suivi. Dans le groupe DR, la PA au repos et la pression maximale à l’exercice après 3 mois sont significativement réduites de respectivement 31/9 mmHg et de 22/5 mmHg. La charge à l’effort a augmenté de 4 watts alors que la VO2max restait inchangée (+ 0,2 l/mn/kg). La PA après 2 minutes d’exercice était réduite de 29/8 mmHg par rapport à la valeur de base. La fréquence cardiaque au repos diminuait après la DR, mais la fréquence cardiaque maximale à l’effort et l’augmentation de la fréquence cardiaque n’étaient pas différentes. En revanche, la récupération était améliorée de 4 bpm après la dénervation. Dans le groupe contrôle, il n’y avait aucune variation significative de l’ensemble des paramètres (pression, fréquence, charge ou ventilation). La DR réduit la PA au repos, mais aussi à l’effort, et permet une meilleure récupération sans compromettre la compétence chronotrope chez les patients ayant une hypertension résistante. La fréquence cardiaque au repos et la récupération sont améliorées après la procédure. Effet de la DR sur l’activité du système nerveux sympathique, le système rénine-angiotensine, la perfusion rénale et l’insulinorésistance L’activité sympathique rénale a été quantifiée par mesure de la clairance tissulaire de la noradrénaline au niveau rénal (évaluation du relargage tissulaire de la noradrénaline, ou spillover, quantifié par dilution isotopique) chez 10 patients de l’étude pilote. Les résultats témoignent d’une diminution de 50 % de l’activité sympathique 15 à 30 jours après la procédure. La DR module également l’activité Annoncez vous ! Contactez Valérie Glatin au 01 46 67 62 77 ou faites parvenir votre annonce par mail à [email protected] La Lettre du Cardiologue • n° 447 - septembre 2011 | 13 congrès RÉUNION sympathique globale de l’organisme. Cet effet est probablement expliqué par la destruction des fibres afférentes d’origine rénale, qui cessent de stimuler les centres végétatifs. La mesure de l’activité sympathique au niveau musculaire par microneurographie du nerf sciatique poplité externe chez un unique patient ayant une HTA résistante à une heptathérapie a objectivé la diminution, puis une normalisation de celle-ci après 1 an de suivi. Une réduction de la fraction rénale et totale du spillover de la noradrénaline et une normalisation progressive de l’activité sympathique musculaire au cours du temps ont aussi été observées chez un patient en insuffisance rénale terminale. Ces modifications étaient accompagnées d’une baisse de la PA de 155/95 mmHg à 131/80 mmHg après 33 mois de suivi, malgré une réduction du nombre de médicaments antihypertenseurs (de 5 à 1). Dans une étude pilote ayant inclus 8 patients qui présentaient une hypertension résistante au traitement et qui avaient bénéficié d’une DR, aucune modification du débit plasmatique rénal n’a été observée immédiatement et après 3 mois de suivi. Il n’y avait pas non plus de modification de l’activité rénine plasmatique ou de la concentration d’angiotensine II. En revanche, une réduction immédiate et significative de la concentration d’aldostérone, associée à une augmentation du rapport sodium/ potassium urinaire, a été constatée. Après 3 mois, ces modifications n’étaient plus observées. L’excrétion urinaire d’angiotensinogène, considérée comme un paramètre d’activité rénale du système rénine-angiotensine, était très fortement réduite après 3 mois. Enfin, des résultats très préliminaires laissent penser que la DR peut avoir un effet bénéfique sur l’insulinorésistance. Commentaires Les résultats de l’étude Symplicity HTN-2 suggèrent un très probable effet antihypertenseur de la DR dans une population de patients ayant une HTAR 14 | La Lettre du Cardiologue • n° 447 - septembre 2011 hautement sélectionnée pour l’essai. Toutefois, compte tenu des limitations méthodologiques (traitement médical non standardisé) et de la possibilité non écartée de biais dans l’interprétation des résultats (essai ouvert, critère clinique de réponse tensionnelle), il est vraisemblable que, d'une part, cet effet est plus modeste que celui rapporté, en particulier en situation de “vie réelle”, et surtout, d'autre part, que l’innocuité à court et à moyen terme de la procédure et de la DR reste à évaluer sur un plus grand nombre de patients. Enfin, une limite inhérente à la technique est l’impossibilité de conclure, sur des paramètres cliniques ou paracliniques, au succès technique primaire de la DR au cours et au décours immédiat de la procédure et à moyen terme. Considérant enfin qu’aucun résultat de morbimortalité n’est disponible, les études publiées à ce jour doivent encore être considérées comme préliminaires, en particulier dans le cas d'un traitement invasif. Dans l’état actuel des connaissances, et en dehors d’un contexte de recherche clinique, il apparaît injustifié de proposer la procédure de DR à un patient hypertendu sans s’être préalablement assuré : ➤➤ de la vraie résistance à une trithérapie antihypertensive synergique incluant un diurétique par une AMT ou une MAPA ; ➤➤ de l’absence d’HTA secondaire après enquête étiologique complète ; ➤➤ d’une réponse tensionnelle insuffisante après addition de spironolactone, qui a montré un effet du même ordre de grandeur que la DR dans l’HTA résistante ; ➤➤ de la présence d’une anatomie artérielle rénale favorable ; ➤➤ d’une consultation préanesthésique ; ➤➤ et, enfin, d’une consultation avec un cardiologue/ radiologue interventionnel ayant une solide expérience dans le cathétérisme des artères rénales. De nouveaux essais cliniques sont encore nécessaires afin de situer la place de la DR dans l’arsenal thérapeutique et d’en évaluer le rapport coût/­ efficacité. ■