LE THÉORÈME DE FINITUDE DE WIESEND par Jean

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LE THÉORÈME DE FINITUDE DE WIESEND
par
Jean-Baptiste Teyssier
Cette note détaille la preuve du théorème de finitude de Wiesend suivant [Ker11].
Théorème. — Soit X un schéma arithmétique régulier et soit U un sous-groupe
normal ouvert du groupe de classe C(X) de X. Alors U est d’indice fini dans C(X)(1) .
Ce résultat a fait l’objet de l’exposé de Giulia Battiston au séminaire "Théorie du
corps de classe en dimension supérieure et ramification" organisé par Hélène Esnault.
1. Preuve du théorème de finitude
On commence par faire quelques remarques générales. On utilisera librement les
notations de [Ker11]. Soit x ∈ |X|. On note Nx l’ordre de la classe de x dans C(X)/U .
Par théorème d’existence faible [Ker11, 7.3], il suffit de borner cet ordre pour x
variant dans |X|.
1.1. Interprétation galoisienne de Nx . Stratégie d’attaque. — On se donne
x ∈ |X| et on note κ(x) le corps résiduel de OX,x . Si U provient d’un sous-groupe
ouvert V de π1ab (X), la commutativité du diagramme
(1) C’est
Zx
/ Gκ(x)
C(X)
/ π1ab (X)

C(X)/U / π1ab (X)/V := G
nécessaire si l’on veut bien croire que U provient d’un sous-groupe ouvert de π1ab (X).
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J.-B. TEYSSIER
assure que Nx s’interprète comme l’ordre de l’image de Frobx dans le groupe de Galois
G du revêtement de X associé à V . Donc
(1.1.1)
HomCont (π1ab (X), G) ' H 1 (X, G)
donne l’inégalité
Nx ≤ ord(π1ab (X) −→ G) ≤ ]H 1 (X, G)
Le point est que l’on dispose toujours du membre de droite de (1.1.1).
Si i : C ,→ X est une courbe arithmétique tracée sur X dont x est un point régulier,
on peut appliquer la théorie du corps de classe au sous-groupe ouvert i−1
∗ (U ) de C(C).
Le caractère injectif de
C(C)/i−1
∗ (U ) −→ C(X)/U
montre que l’ordre de x dans C(C)/i−1
∗ (U ) est Nx . Si G est le groupe de Galois du
revêtement de C associé à i−1
(U
),
alors
Nx est l’ordre de Frobx dans G(2) et on a
∗
Nx ≤ ]H 1 (C, G)
Il est néanmoins illusoire de pouvoir borner les ]H 1 (C, G) car
(1) C varie sur toutes les courbes sur X.
(2) On a pas vraiment de contrôle sur G.
Une façon de minimiser le problème (1) est de diminuer la liberté du choix de C en
feuilletant X suivant des courbes. C’est possible grâce aux bons voisinages d’Artin
[Gro73, XI 3.1]. Le prix à payer pour cela est la nécessité de travailler localement sur
Xét . Cette réduction sera faite en 1.2.
Pour contrôler G dans une certaine mesure, on peut exploiter l’observation que
C(X)/U est un groupe abélien de torsion en écrivant sa décomposition `-primaire
M
C(X)/U '
C(X)/U`
avec U ⊂ U` qui est tel que les ordres des éléments de C(X)/U` sont des puissances
de `. Si on s’est ramené à démontrer le théorème de finitude pour U` , c’est un progrès vis-à-vis du problème (2) car alors G peut être supposé de la forme Z/`n . Cette
réduction sera traitée en 1.4.
On peut même considérer tous les Z/`n d’un coup en considérant Q` /Z` ' limZ/`n .
−→
Pour C courbe courant sur l’ensemble des fibres de la fibration d’Artin envisagée, on
aspire à montrer que la collection des entiers
H 1 (C, Q` /Z` ) ' lim H 1 (C, Z/`n )
−→
est majorée, où l’identification provient de [Gro72, VII 3.3]. On sera à même de
mener ceci à bien seulement sur un sous-ensemble assez gros de |X|. Ce sera l’objet
de 1.6. Une subtile application du théorème de Chebotarev permettra néanmoins de
conclure.
(2) En
particulier, Nx est fini et ainsi le groupe C(X)/U est de torsion.
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LE THÉORÈME DE FINITUDE DE WIESEND
1.2. Réduction au cas d’une fibration d’Artin. — Par définition, le morphisme
X −→ Spec Z est de type fini avec X régulier. En particulier, XQ est lisse de type
fini sur Q. Alors [Gro73, XI 3.3] prédit l’existence d’un ouvert Y ,→ XQ et d’un
diagramme commutatif
/Y o
j
Y
(1.2.1)
i
Z
p
p
# {
W
pZ
Spec Q
avec
(a) p projectif lisse à fibres géométriques irréductibles de dimension 1.
(b) W lisse(3) de dimension dim X − 1.
(c) pZ étale.
Puisque tous les schémas intervenant dans (1.2.1) s’écrivent à l’aide d’un nombre fini
d’équations, on peut supposer que (1.2.1) est défini sur un corps de nombre K.
Par le même argument de finitude, on peut supposer que (1.2.1) est défini sur un
ouvert de Spec OK . Mais attention ! Ce faisant, on y perd éventuellement la lissité
des schémas en jeu ainsi que (c) et la lissité de p dans (a). Ceci peut néanmoins se
réparer en rétrécissant cet ouvert convenablement. On note S le schéma ainsi obtenu,
qu’on peut toujours supposer étale sur Spec Z.
j
Y
p
/Y o
i
Z
p
$ {
W
Spec K
j
Y
p
pZ
/
/Y o
i
Z
p
% z
W
Spec OK
j
Y
p
pZ
o
/Y o
p
~
W
i
Z
pZ
S
Alors, Y est un ouvert de XS comme cherché(4) , avec XS −→ X étale.
1.3. Comportement par morphisme étale. — Ainsi, pour pouvoir se ramener
au cas d’une fibration d’Artin, on doit démontrer que si f : X 0 −→ X est un morphisme étale induisant un revêtement galoisien de son image, alors le théorème de
finitude vaut pour U dès qu’il vaut pour le sous-groupe ouvert f∗−1 (U ) de C(X 0 ).
(3) W
est de plus construit comme ouvert d’un certain espace projectif sur Q. En particulier, W
provient par extension des scalaires d’un schéma lisse sur un corps de nombre.
(4) Idest avec (a), (b), (c) satisfaits (Ok pour (b) et (c), mais comment voir dans (a) que les fibres
géométriques de p sont encore irréductibles?)
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J.-B. TEYSSIER
Pour le voir, on part de la suite exacte courte
(1.3.1)
/ C(X 0 )/f∗−1 (U )
/ C(X)/U
/ C(X)/(f∗ (C(X 0 )) + U )
0
/0
et on suppose que le membre de gauche de (1.3.1) est fini. Par théorème d’existence
faible, il suffit de montrer que C(X)/U est d’exposant fini. Par exactitude, il suffit
pour cela de montrer que le membre de droite de (1.3.1) est d’exposant fini.
Or par définition du morphisme f∗ : C(X 0 ) −→ C(X), pour tout point x ∈ X 0 , on
a f∗ (x) = [κ(f (x)) : κ(x)]f (x). Puisque l’entier [κ(f (x)) : κ(x)] divise le degré d du
morphisme étale f , on en déduit que le morphisme
d· : C(X)/(f∗ (C(X 0 )) + U ) −→ C(X)/(f∗ (C(X 0 )) + U )
s’annule sur le sous-groupe
H := Im ⊕y∈f (X 0 ) Zy −→ C(X)/(f∗ (C(X 0 )) + U )
de C(X)/(f∗ (C(X 0 )) + U ). Or par régularité de X, on sait d’après [Ker11, 4.5] que
H est dense dans C(X)/(f∗ (C(X 0 )) + U ). On en déduit(5) que C(X)/(f∗ (C(X 0 )) + U )
est d’exposant d.
1.4. Réduction au cas U = U` . — D’après 1.3 et 1.2, on peut supposer que X
est fibré en courbes. Avec les notations de 1.2, on peut alors raisonner par récurrence
et supposer que le théorème de finitude est acquis pour W .
Commençons par une observation d’ordre général. Par théorème de Katz-Lang(6)
[KL81], le terme de gauche de la suite exacte(7)
0
/ Ker
/ π1ab (X)
/ π1ab (W )
/0
est fini. Quitte à effectuer un changement de base de la situation via un morphisme
étale W 0 −→ W idoine (ce que l’on peut toujours faire par 1.3), on peut toujours
supposer d’après [GD67, 17.16.3] que le morphisme p : X −→ W admet une section
s. On en déduit une identification
π1ab (X) ' Ker ×s∗ (π1ab (W ))
(5) Ce n’est pas totalement immédiat car C(X) n’est même pas séparé, donc il n’est par exemple
pas vrai que deux applications f, g : C(X) −→ C(X) coïncidant sur un sous-ensemble dense sont
égales. Par contre, pour tout sous-groupe ouvert U de C(X), le quotient C(X)/U est séparé. Pour
le voir, notons π : I(X) −→ C(X) le morphisme canonique. On a C(X)/U ' I(X)/π −1 (U ). Or
I(X) est séparé, et puisque π −1 (U ) est un sous-groupe ouvert de I(X), cela en est aussi un sousgroupe fermé. On conclut alors avec le fait que le quotient d’un groupe topologique séparé par un
sous-groupe topologique fermé est séparé.
Dans le cas qui nous occupe, f∗ (C(X 0 )) + U est ouvert dans C(X) car U l’est.
(6) Toutes les conditions sont réunies: quitte à rétrécir W (c’est loisible par 1.3), on peut supposer
p surjectif, W est connexe et normal par propriété de permanence des morphismes lisses [Gro71, I
3.1], etc.
(7) L’exactitude à droite n’est pas totalement triviale. Voir [KL81, Lemme 2].
LE THÉORÈME DE FINITUDE DE WIESEND
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En particulier, si U provient d’un sous-groupe ouvert V de π1ab (X), on a
? _ C(X)/U
/ / π ab (X)/V o
Ker ' π ab (X)/s (π ab (W ))
1
dès que V contient
∗
1
1
s∗ (π1ab (W )).
Par commutativité du diagramme
C(X)
>
/ π1ab (X)
`
C(W )
/ π1ab (W )
s∗
s∗
et par U = ρ−1 (V ), c’est équivalent à dire que U contient s∗ (C(W )). En terme galoisien, c’est juste dire que la restriction à W du revêtement étale de X associé à V est
triviale.
On observe que l’inclusion s∗ (π1ab (W )) ⊂ V peut toujours être obtenue après chanab
gement de base étale sur W associé au sous-groupe s−1
∗ (V ) de π1 (W ), qui est aussi
−1
le groupe associé à s∗ (U ) par la théorie du corps du classe pour les schémas arithmétiques de dimension < dim X.
On en déduit que si on écrit la décomposition `-primaire
M
C(X)/U '
C(X)/U` , U ⊂ U`
de C(X)/U et si on suppose que le théorème de finitude vaut pour les ouverts U` ,
alors C(X)/U` est fini pour tout ` et trivial pour presque tout ` dès que l’inclusion
s∗ (C(W )) ⊂ U vaut. Cela donne exactement la finitude de C(X)/U .
Il ne reste qu’à se ramener au cas où U contient s∗ (C(W )). Il faut pour cela
trouver le bon revêtement étale de W . Etant donnée la discussion précédente, il est
maintenant aisé à deviner: par récurrence, on sait que s−1
∗ (U ) est d’indice fini dans
C(W ) donc par théorème d’existence faible, s−1
∗ (U ) provient d’un sous-groupe ouvert
V de C(W ). Notons fW : W 0 −→ W le revêtement étale de W associé à V , et
considérons le diagramme cartésien
0
;X
s0
W0
fX
fW
/Xd
/W
s
−1
D’après 1.3, il suffit de montrer le théorème de finitude pour fX∗
(U ). En contemplant
les diagrammes commutatifs
C(X 0 )
O
s0∗
C(W 0 )
/ C(X)
O
C(W 0 )
/ π1ab (W 0 )
C(W )
/ π1ab (W )
s∗
/ C(W )
on a la chaine d’égalités
−1
−1 −1
−1 −1
−1 −1
−1
ab
0
0
s∗0−1 fX∗
(U ) = fW
∗ s∗ (U ) = fW ∗ ρW (V ) = ρW 0 fW 0 ∗ (V ) = ρW 0 (π1 (W )) = C(W )
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J.-B. TEYSSIER
ce qui permet de conclure.
1.5. Réduction à l’étude de H 1 (Cw , Q` /Z` ). Finitude.— On fixe dans la suite
un nombre premier ` et on souhaite démontrer le théorème de finitude avec l’hypothèse
supplémentaire que tout élément de C(X)/U est de `n -torsion, pour n assez grand.
D’après 1.3, on peut toujours se placer après changement de base Spec Z[`−1 ] −→
Spec Z et supposer ainsi que ` est inversible sur W .
Notons iw : Cw ,→ X la fibre de p : X −→ W au-dessus d’un point w ∈ |W |,
et soit w un point géométrique de W au-dessus de w. On a vu en 1.1 que si V est
le sous-groupe de π1ab (Cw ) associé(8) à i−1
w∗ (U ) par la théorie du corps de classe en
dimension 1, et si on pose G := π1ab (Cw )/V , alors on a pour tout x ∈ |Cw |
(1.5.1)
Nx ≤ ]H 1 (Cw , G)
Or par définition, on a une identification
(1.5.2)
C(Cw )/i−1
w∗ (U ) ' G
Le membre de gauche de (1.5.2) est annulé par une certaine puissance de `, car c’est
un sous-groupe fini de C(X)/U . Le groupe G est donc un produit de Z/`ni pour
n1 ≤ · · · ≤ nk . Comme on a pas de contrôle a priori sur le nombre de facteurs
intervenant dans G, il faut raffiner l’inégalité (1.5.1) en exploitant le fait que pour un
`-groupe fini G, la torsion(9) tor(G) est en général bien inférieure à son ordre. On a
en fait
Nx ≤ tor(H 1 (Cw , G))
Or on a une inclusion canonique Z/`ni ,→ Z/`nk qui induit une injection
H 1 (Cw , Z/`ni ) ,→ H 1 (Cw , Z/`nk )
dont on déduit tor(H 1 (Cw , G)) ≤ tor(H 1 (Cw , Z/`nk )). D’où
Nx ≤ ]H 1 (Cw , Z/`nk )
On en déduit
(1.5.3)
Nx ≤ ]H 1 (Cw , Q` /Z` )
Le membre de droite de (1.5.3) est fini par 2.2.2.
1.6. Comparaison des ]H 1 (Cw , Z/`n ).— Pour borner la taille de H 1 (Cw , Q` /Z` ),
on est naturellement amené à s’intéresser au faisceau R1 p∗ Q` /Z` . On utilisera librement le
Lemme 1.6.1. — Pour tout entier m inversible sur W , le faisceau R1 p∗ Z/m est un
système local sur W , et le morphisme de changement de base
(R1 p∗ Z/m)w −→ H 1 (Cw , Z/m)
est un isomorphisme.
(8) C n’est pas une courbe arithmétique mais une courbe sur un corps fini. Il y a donc un argument
w
supplémentaire pour justifier l’existence de V . Voir [Rio12, p43].
(9) C’est-à-dire le plus petit des entiers n tel que g n = e
G pour tout g ∈ G.
LE THÉORÈME DE FINITUDE DE WIESEND
7
D’après ce lemme, pour n fixé, le faisceau Rp∗ Z/`n est trivialisable par un revêtement étale galoisien W 0 −→ W . D’après la discussion de 2.1, le faisceau Rp∗ Z/`n est
équivalent à la donnée d’un groupe En muni d’une action de Gal(W 0 /W ). On a
H 1 (Cw , Z/`n ) ' (Rp∗ Z/`n )w ' En
et à travers ces identifications, l’action de Gal(κ(w)/κ(w)) sur H 1 (Cw , Z/`n ) se fait
sur En via la chaîne de morphismes
Gal(κ(w)/κ(w)) −→ π1 (W, w) −→ Gal(W 0 /W ) −→ 0
Notons Dw le sous-groupe de Gal(W 0 /W ) engendré par l’image de Frobw . Il vient(10)
H 1 (Cw , Z/`n ) ' EnDw
En fait, comme le foncteur défini sur la catégorie des groupes abéliens par G −→
HomCont (π1ab (X), G) = H 1 (X, G) est exact à gauche, on en déduit que pour i ≤ n, le
groupe Ei est un sous π1ab (X)-espace de En . On a donc plus précisément
H 1 (Cw , Z/`i ) ' EiDw
i = 1, . . . , n
En particulier si w0 , w ∈ |W | sont tels que Dw0 ⊂ Dw à conjugaison près, on a
]H 1 (Cw , Z/`i ) ≤ ]H 1 (Cw0 , Z/`i )
i = 1, . . . , n
Si on prend pour w0 un point de Bloch comme en 2.4.2, il vient en particulier que
pour tout w ∈ |W | tel que Dw0 ⊂ Dw à conjugaison près, on a
(1.6.2)
]H 1 (Cw , Z/`i ) = ]H 1 (Cw0 , Z/`i )
i = 1, . . . , n
A partir de là, on est a priori coincé car on aura beau raffiner le revêtement W 0
pour trivialiser toujours plus de Rp∗ Z/`n , l’égalité (1.6.2) ne sera valable que pour
un nombre fini de coefficients.
L’idée totalement diabolique de Kerz est d’exploiter l’exactitude à gauche (donc
la commutation au noyau) de G −→ H 1 (X, G) pour remarquer que H 1 (Cw , Z/`i )
est le groupe de `i -torsion de H 1 (Cw , Q` /Z` ). Or un groupe `-primaire est de `n torsion dès que ses groupes de `n+1 -torsion et de `n -torsion coïncident! Si dans (1.6.2)
on prend donc pour n l’entier n0 + 1 ou n0 est un entier à partir duquel la suite
i −→ ]H 1 (Cw0 , Z/`i ) stationne, alors (1.6.2) force l’égalité
H 1 (Cw , Z/`n0 ) = H 1 (Cw , Z/`n0 +1 )
autrement dit, dans H 1 (Cw , Q` /Z` ), la `n0 +1 -torsion et de `n0 -torsion coïncident.
Donc H 1 (Cw , Q` /Z` ) est de `n0 -torsion. Il s’agit donc de H 1 (Cw , Z/`n0 ), et on en
déduit
(1.6.3)
(10) On
]H 1 (Cw0 , Q` /Z` ) = ]H 1 (Cw , Q` /Z` )
voit bien là l’intérêt de la locale constance de Rp∗ Z/`n : elle permet de voir tous les
H 1 (Cw , Z/`n ) dans un espace commun, et donc de les comparer.
8
J.-B. TEYSSIER
1.7. Borne sur Nx . — Notons X 0 := W 0 ×W X. D’après 2.3.1, c’est un revêtement
galoisien de groupe Gal(W 0 /W ). Notons d son degré. On pose x0 = s(w0 ). Alors si
x ∈ |X| est tel que Dx est conjugé à Dx0 , on a que Dp(x) ⊂ Dw0 à conjugaison près,
d’où par 1.5.3 et (1.6.3)
Nx ≤ ]H 1 (Cw , Q` /Z` ) = ]H 1 (Cw0 , Q` /Z` )
Autrement dit, par théorème de Chebotarev [Ser63], la fonction x −→ Nx est bornée
par B := ]H 1 (Cw0 , Q` /Z` ) sur un sous-ensemble de densité ≥ 1/d.
Si on savait qu’à U correspond un revêtement galoisien de groupe G, alors on
déduirait de ce qui précède que l’ensemble
AX := {x ∈ |X|/Nx ≤ B} = {x ∈ |X|/ Frobx ∈ G[B]}
a une densité et que du fait de l’inclusion
A0X := {x ∈ |X|/Dx conjugué à Dx0 } ⊂ AX
cette densité est au moins 1/d. En appliquant de nouveau Chebotarev (mais cette fois
au revêtement associé à U !), on obtient que d borne l’ordre de G/G[B]. On est donc
naturellement amené à chercher à borner la fonction x −→ Nx par Bd.
Comme d’habitude, on peut tenter de se ramener au cas d’une courbe arithmétique
régulière. Le problème qui se pose alors est que A0C ne fait plus sens a priori car le
changement de base C 0 := C ×C X 0 n’est pas nécessairement galoisien. Néanmoins,
une courbe C telle que C 0 /C est galoisien existe par lemme d’approximation de Bloch
[Ker11, 2.2].
Fixons une telle courbe i : C −→ X passant par x et x0 . Par théorie du corps de
classe en dimension 1, le sous-groupe i−1
∗ (U ) correspond à un sous-groupe ouvert V
de π1ab (C). On note G le groupe de Galois du revêtement associé. De nouveau, AC a
une densité.
Soit y ∈ C. Par commutativité de
π1 (y, y)
/ Gal(C 0 /C)
_
& Gal(X 0 /X)
0
0
si y est tel que DyC = DxC0 à conjugaison près, alors on a Di(y) = Dx0 à conjugaison
près, et donc Ny = Ni(y) ≤ B. On en déduit l’inclusion
0
0
{y ∈ |C|/DyC conjugué à DxC0 } ⊂ AC 0
de sorte que AC 0 est de densité ≥ 1/d, et donc G/G[B] est d’ordre ≤ d. On en déduit
que l’image de Frobx dans G est d’ordre ≤ Bd. Donc Nx ≤ Bd.
2. Sorites
2.1. Action de Galois sur la fibre d’un faisceau localement constant. —
Soit X un schéma connexe localement noethérien et soit F un faisceau constructible
9
LE THÉORÈME DE FINITUDE DE WIESEND
lisse sur Xét . En particulier, si on fixe x ∈ X et x un point géométrique de X audessus de x, le faisceau F est équivalent à la donnée d’une action continue de π1 (X, x)
sur un groupe E.
Pour le voir, on dispose par définition d’un revêtement étale fini X 0 −→ X trivialisant F. On pose E = F(X 0 ). Il s’agit d’un Gal(X 0 /X)-ensemble. L’action de π1 (X, x)
sur E se fait via la surjection canonique
π1 (X, x)
/ Gal(X 0 /X)
/0
En particulier, l’action de Gal(κ(x)/κ(x)) sur Fx ' E se fait à travers la chaine de
morphismes
Gal(κ(x)/κ(x)) −→ π1 (X, x) −→ Gal(X 0 /X) −→ 0
2.2. Un lemme de finitude. —
Lemme 2.2.1. — Soit C une courbe lisse sur une corps fini k de caractéristique
p 6= `. Alors le groupe H 1 (C, Q` /Z` ) est fini.
Démonstration. — On se donne une clôture algébrique k de k. On a une identification
H 1 (C, Q` /Z` ) ' H 1 (Ck , Q` /Z` )Gal(k/k)
Or à travers l’identification
H 1 (Ck , Q` /Z` ) ' HomCont (π1ab (Ck ), Q` /Z` )
l’action de Gal(k/k) ne peut être donnée(11) que par la précomposition par l’action
de Gal(k/k) sur π1ab (Ck ) héritée(12) de la suite exacte fondamentale [Gro71, IX 6.1]
0
/ π1 (C , w)
k
/ π1 (C, w)
/ Gal(k/k)
/0
On a donc
H 1 (C, Q` /Z` ) ' HomCont (π1ab (Ck )Gal(k/k) , Q` /Z` )
La théorie de Kümmer fournit d’autre part une identification
π1ab (Ck ) ' (limJ(k)[n]) × (un pro-p groupe)
←−
p.n
où J désigne la jacobienne généralisée de Ck . Puisque p 6= `, on a donc
H 1 (C, Q` /Z` ) ' HomCont ((limJ(k)[n])Gal(k/k) , Q` /Z` )
(2.2.2)
←−
p.n
Or, la preuve du théorème de Katz-Lang [KL81] met en évidence que le groupe
(limJ(k)[n])Gal(k/k) est fini. On peut donc trouver un N assez grand pour lequel tout
←−
p.n
morphisme (limJ(k)[n])Gal(k/k) −→ Q` /Z` tombe systématiquement dans l’unique
←−
p.n
N
copie de Z/`
(11) Ca
présente dans Q` /Z` . D’où le lemme 2.2.1.
serait quand même à vérifier...
σ ∈ Gal(k/k), on choisit un relèvement s ∈ π1 (C, w), et la restriction à π1 (Ck , w) conjugaison
par s induit une action de σ sur π1ab (Ck ) indépendante du choix de s.
(12) Pour
10
J.-B. TEYSSIER
2.3. Changement de base par un revêtement galoisien. — Soit p : X −→ W
un morphisme lisse de type fini entre schémas localement noethériens avec W normal
intègre. On suppose que la fibre générique géométrique de X est irréductible, et on
se donne un revêtement galoisien W 0 −→ W . On note X 0 := W 0 ×W X.
Lemme 2.3.1. — X 0 est un revêtement galoisien de X de groupe Gal(W 0 /W ).
Démonstration. — Soit ηW 0 −→ ηW le morphisme étale fini induit par W 0 −→ W , et
soit η un point géométrique de W 0 localisé en ηW 0 . Alors (Xη0 W 0 )η = Xη est connexe.
En particulier, Xη0 W 0 est connexe. Donc si U est un ouvert non-vide de X 0 , le fait que
p soit ouvert assure que p(U ) contient ηW 0 , d’où on déduit que U ∩Xη0 W 0 est un ouvert
non vide de Xη0 W 0 donc contient le point générique de Xη0 W 0 . Ainsi, deux ouverts non
vides de X 0 ont toujours un point commun. Donc X 0 est connexe. Ainsi, X 0 −→ X
est un revêtement galoisien.
La suite exacte fondamentale [Gro71, IX 6.1] donne d’autre part la surjectivité de
la flèche supérieure de
(2.3.2)
π1 (XηW , x)
/ π1 (ηW , η W )
π1 (X, x)
/ π1 (W, η W )
Or par normalité de W , la flèche verticale droite de (2.3.2) est aussi surjective. On
en déduit que π1 (X, x) −→ π1 (W, η W ) est surjective. Donc le morphisme canonique
Gal(X 0 /X) −→ Gal(W 0 /W ) est surjectif. Comme ces groupes ont même cardinal (le
degré des revêtements X 0 /X et W 0 /W , qui sont les mêmes), on obtient la seconde
partie de 2.3.1.
2.4. Point de Bloch. —
2.4.1. Sorites. — Soit X un schéma localement noethérien et soit F un faisceau
constructible lisse en Z/`n -modules sur X, où ` inversible sur X. On sait que F est
équivalent à la donnée d’un Z/`n -module de type fini E muni d’une action continue
du π1 (X, x). Le morphisme de restriction canonique
/ Fx
H 0 (X, F)
correspond dans le langage galoisien à
E π1 (X,x) 
/E
En particulier, on a une injection
H 0 (X, F) 
/ F Gκ(x)
x
Or
(2.4.1)
G
lim H 0 (U, F) ' Fx κ(x)
−→
C(x)
LE THÉORÈME DE FINITUDE DE WIESEND
11
où C(x) désigne la catégorie des diagrammes commutatifs de la forme
?U
étale
/X
x
avec κ(x) = κ(u) et où u désigne l’image de x dans U .
Puisque le membre de droite de (2.4.1) est fini, on peut se donner U0 −→ X tel
qu’on ait
(2.4.2)
H 0 (U0 , F)
∼
/ F Gκ(x) = F Gκ(u0 )
x
u0
Pour (u00 , U00 ) ∈ C(u0 ) étale, la commutativité du diagramme
H 0 (U0 , F)
_
∼
/ F Gκ(u0 )
u0

H 0 (U00 , F)
/F
|
Gκ(u0 )
0
u00
assure aussi que l’identification (2.4.2) reste valable après raffinement de la situation
par un objet de C(u0 ).
2.4.2. Cas de la fibration p : X −→ W . — On fixe en entier n et un point w0 ∈ |W |.
Puisque R1 p∗ Z/`n est localement constant, on peut toujours quitte à procéder à un
changement de base étale(13) W 0 −→ W (dépendant à la fois de n et w0 ) supposer
que le morphisme de restriction
(2.4.3)
H 0 (W, R1 p∗ Z/`n )
∼
/ H 1 (Cw0 , Z/`n )
est un isomorphisme. Puisqu’il s’agit par ailleurs d’une injection pour tous les points
de W , on en déduit que pour tout w ∈ |W |, on a
]H 1 (Cw0 , Z/`n ) ≤ ]H 1 (Cw , Z/`n )
On peut néanmoins faire beaucoup mieux. Quitte à construire de proche en proche
un changement de base étale de W qui permet de réaliser (2.4.3) pour les coefficients
Z/`1 , . . . , Z/`n , on peut supposer qu’on a en fait
(2.4.4)
]H 1 (Cw0 , Z/`i ) ≤ ]H 1 (Cw , Z/`i )
i = 1, . . . , n
Si on choisit pour n un entier à partir duquel la suite i −→ ]H 1 (Cw0 , Z/`i ) stationne
(un tel entier existe d’après 2.2.1), on a pour tout i ≥ n
]H 0 (W, R1 p∗ Z/`n ) ≤ ]H 0 (W, R1 p∗ Z/`i ) ≤ ]H 1 (Cw0 , Z/`i ) = ]H 1 (Cw0 , Z/`n )
donc finalement, l’identification (2.4.3) vaut pour tous les coefficients Z/`i et alors
l’inégalité (2.4.4) vaut en fait pour tout i entier. On dira que w0 est un point de Bloch.
(13) Innocent
pour la preuve du théorème de finitude, en vertu de 1.3.
12
J.-B. TEYSSIER
Références
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Publications Mathématiques de l’IHES, 1967.
[Gro71] A. Grothendieck, Revêtements étales et groupe fondamental, Lecture Notes in Mathematics, vol. 263, Springer-Verlag, 1971.
[Gro72]
, Théorie des Topos et Cohomologie Etale des Schémas. Tome 2, SpringerVerlag, 1972.
[Gro73]
, Théorie des Topos et Cohomologie Etale des Schémas. Tome 3, Lecture
Notes in Mathematics, vol. 305, Springer-Verlag, 1973.
[Ker11] M. Kerz, Higher class field theory and the connected component, Manuscripta Math.
135 (2011).
[KL81] N. Katz and S. Lang, Finiteness theorems in geometric class field theory,
L’Enseignement Math. 27 (1981).
[Rio12] J. Riou, Introduction à la théorie du corps de classe en dimension supérieure, Notes
de Cours. Orsay, Juin 2012.
[Ser63] J.-P. Serre, Zeta and L-functions, Proc. Conf. Purdue Univ., 1963.
J.-B. Teyssier, Freie Universität Berlin, Mathematisches Institut, Arnimallee 3, 14195 Berlin,
Germany • E-mail : [email protected]
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