DOSSIER THÉMATIQUE Journée FFCD-PRODIGE Nouveautés dans la prise en charge des cancers œsogastriques News in esogastric cancers treatment Mathieu Messager, Christophe Mariette* Christophe Mariette P armi les nombreux articles publiés en 2012 en cancérologie œsogastrique est présentée ici une sélection arbitraire de 5 articles scientifiques incontournables. Utilisation des taxanes dans la radiochimiothérapie néoadjuvante des cancers de l’œsophage * Service de chirurgie digestive et générale, CHRU, Lille. La radiochimiothérapie néoadjuvante pour les cancers de l’œsophage et de la jonction œsogastrique localement avancés a montré un bénéfice en termes de survie dans plusieurs essais randomisés, via un downstaging tumoral et une amélioration du taux de résection R0 (1). Les schémas les plus fréquemment utilisés sont à base de 5 fluoro-uracile (5FU). Dans l'étude de phase II, les taxanes ont montré un taux de résection R0 de 100 % avec une faible toxicité (2). L’équipe hollandaise de P. Van Hagen et al. (3) a publié en 2012 les résultats de l’essai CROSS, essai randomisé multicentrique comparant la chirurgie seule à une stratégie de radiochimiothérapie (RCT) néoadjuvante combinant 5 cycles de paclitaxelcarboplatine à une radiothérapie de 41,4 Grays, pour cancer de l’œsophage ou de la jonction œsogastrique. Parmi les 366 patients inclus, 75 % présentaient un adénocarcinome. Les toxicités sont comparables aux taux habituellement rapportés avec 13 % de complications de grade 3-4, sans modification de la mortalité postopératoire (4 % dans les 2 bras). Dans le bras RCT, 78 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVI - n° 2 - mars avril 2013 le taux de résection R0 était amélioré (92 versus 69 % ; p < 0,001), avec 29 % de patients en réponse complète (ypT0N0), et un pourcentage de ganglions envahis plus faible dans le bras RCT (31 versus 75 % ; p < 0,001). Cet essai de supériorité était construit pour mettre en évidence une différence de 6 mois sur la survie globale (objectif principal). Les résultats après un délai médian de suivi de 45,4 mois montrent un gain de survie globale de 24 mois dans le bras chirurgie seule à 49,4 mois dans le bras RCT (p = 0,003). À noter que le bénéfice de survie était nettement plus marqué pour les carcinomes épidermoïdes que pour les adénocarcinomes. Même si l’essai a inclus une majorité d’adénocarcinomes et de patients OMS 0 ou 1, cet essai est fortement positif, avec des perspectives tout à fait intéressantes quant à l’intérêt des taxanes en néoadjuvant. Comparaison d’un schéma néoadjuvant à un schéma adjuvant de chimiothérapie dans les carcinomes épidermoïdes de l’œsophage Deux essais récents ont comparé pour les carcinomes épidermoïdes (CE) de l’œsophage une stratégie de chirurgie seule à une stratégie de chirurgie associée à une chimiothérapie. L’un, japonais, (4) montrant un bénéfice à la chimiothérapie délivrée en adjuvant à la chirurgie pour un sous-groupe de patients pN+ ; l’autre anglais (5) montrant une supériorité de la CT néoadjuvante. Résumé La littérature sur les cancers œsogastriques en 2012 permet de retenir qu’une radiochimiothérapie néoadjuvante à base de taxane est une stratégie efficace et validée dans les cancers de l’œsophage et de la jonction œsogastrique localement avancé, que la chimiothérapie est plus efficace et mieux tolérée en néoadjuvant plutôt qu’en adjuvant dans les carcinomes épidermoïdes de l’œsophage, que la radiochimiothérapie adjuvante n’apporte pas de bénéfice de survie après un curage D2 dans les cancers gastriques, que l’approche mini-invasive semble prometteuse dans les cancers de l’œsophage en diminuant la morbidité postopératoire, notamment pulmonaire, et que la gastrostomie percutanée radiologique est une technique faisable, sûre et efficace pour pallier la dénutrition avant un traitement néoadjuvant suivi de chirurgie dans le cancer de l’œsophage. L’équipe japonaise de N. Ando et al. (6) a donc mis en place un essai randomisé multicentrique comparant 2 cures de 5FU-ciplatine délivrées en néoadjuvant versus en adjuvant pour les carcinomes épidermoïdes de stade II-III. Cet essai était construit dans l’hypothèse d’une amélioration de 13 % de la survie sans progression à 5 ans en faveur du groupe néoadjuvant. Parmi les 330 patients inclus, seuls 75 % ont reçu la séquence complète dans le bras adjuvant et 85,4 % dans le bras néoadjuvant. Après analyse intermédiaire, la survie sans progression était en faveur du groupe néoadjuvant mais de manière non significative. En revanche, la différence sur la survie globale à 5 ans (qui était un critère de jugement secondaire) était en faveur du bras néoadjuvant (55 % versus 43 % ; p = 0,04). On peut noter aussi qu’aucun des patients pN+ du bras adjuvant qui n’avait pu recevoir de chimiothérapie n’était vivant à 5 ans. Même si cet essai est négatif sur le critère de jugement principal, les résultats de cette analyse intermédiaire ont fait interrompre les inclusions et conclure que la stratégie néoadjuvante est mieux tolérée, plus complète et donc plus efficace. Radiochimiothérapie adjuvante dans les cancers gastriques avec curage D2 Les stratégies de traitement du cancer gastrique varient selon les continents. En Europe, la référence est la chimiothérapie périopératoire ; aux États-Unis, la radiochimiothérapie adjuvant et en Asie la CT adjuvante. La critique principale de l’essai INT-0116 américain était que la majorité des curages étaient de type D0 et D1, alors que le curage de référence est le curage D2 (7). L’équipe coréenne de J. Lee et al. (8) a donc testé dans l’essai ARTIST (Adjuvant Chemoradiation Therapy in Stomach Cancer) 6 cures de capécitabine + cisplatine + 45 Grays versus 6 cures de chimiothérapie seule selon le même protocole en adjuvant dans les cancers gastriques avec curage D2. L’hypothèse était celle d'une supériorité de la chimiothérapie comparée à la radiochimiothérapie. L’objectif principal était la survie sans récidive (SSR), le suivi médian était de 53,2 mois. Sur les 458 patients de l’étude, les toxicités étaient similaires dans les 2 bras. L’essai est négatif sur l’objectif principal avec une survie sans récidive à 3 ans de 74,2 % dans le bras chimiothérapie versus 78,2 % dans le bras radiochimiothérapie (p = 0,862), probablement dû à un manque d’événements (127 versus 227 prévus). Par contre, dans le sous-groupe des patients N+, la survie sans récidive était meilleure dans le bras radiochimiothérapie 77,5 % versus 72,3 % (p = 0,0365). Il n’y avait pas de différence sur le site de première récidive entre les 2 bras. Cet essai est poursuivi par l’essai ARTIST II selon la même méthodologie, mais chez les patients N+. Chirurgie mini-invasive du cancer de l’œsophage Alors que les complications pulmonaires sont au premier rang de la morbidité post-œsophagectomie, plusieurs travaux ont suggéré un bénéfice de l’abord totalement mini-invasif (sans thoracotomie ni laparotomie) sur la réduction des taux de complications pulmonaires et sur la durée de séjour (9). L’équipe hollandaise de S.S. Biere et al. (10) a publié en 2012 les résultats d’un essai randomisé multicentrique comparant une stratégie ouverte (thoracotomie droite + laparotomie) à une stratégie totalement mini-invasive (thoracoscopie + cœlioscopie). Cet essai était construit sur l’hypothèse d’une diminution de 28 % du taux d’infections pulmonaires à 15 jours par l’abord mini-invasif. Avec 115 patients, il a été mis en évidence une diminution des infections pulmonaires dans le bras miniinvasif, à la fois durant les 15 jours postopératoires (9 % versus 29 % ; p = 0,005) et pendant la période intra-hospitalière (12 % versus 34 % ; p = 0,005), ainsi qu’une diminution de la durée d’hospitalisation (11 j versus 14 j ; p = 0,044). Il n’y avait pas de différence sur le taux de résection R0, le stade pTNM, ni sur la mortalité postopératoire. Il s’agit du premier essai randomisé évaluant l’intérêt de l’approche mini-invasive sur la morbidité postopératoire. Néanmoins, un certain nombre de critiques ont été rapportées (11) : la différence de position au bloc opératoire (décubitus ventral versus latéral), la ventilation (universus bipulmonaire), l’absence de Mots-clés Œsophage Estomac Cancer Chimiothérapie Chirurgie Radiothérapie Abstract The most important articles on oeso-gastric treatment published in 2012 reported that taxane based neoadjuvant chemoradiation is safe and efficient in locally advanced esophageal and junctional carcinomas, neoadjuvant chemotherapy offers best tolerance and efficiency when compared to adjuvant administration in esophageal squamous cell carcinomas, adjuvant chemoradiation does not offer any survival benefit in gastric cancer having benefited from a D2 lymphadenectomy, mini-invasive esophagectomy seems to decrease postoperative pulmonary complications compared to the open approach and percutaneous radiological gastrostomy is safe and efficient for treatment of malnutrition in the pretherapeutic phase even for patients that will benefit from esophagectomy and gastric pull-up. Keywords Œsophagus Stomach Cancer Chemotherapy Surgery Radiotherapy La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVI - n° 2 - mars avril 2013 | 79 DOSSIER THÉMATIQUE Journée FFCD-PRODIGE Nouveautés dans la prise en charge des cancers œsogastriques prise en compte de facteurs confondants connus tels que le tabagisme, la dénutrition, les antécédents pulmonaires, l’existence d’un programme de réhabilitation précoce. Enfin, cet essai ne permet pas de savoir si le bénéfice de l’abord mini-invasif est apporté par la thoracoscopie ou la cœlioscopie. L’essai MIRO (temps abdominal de l’œsophagectomie par voie cœlioscopique versus laparotomie, NCT00937456, essai clos) apportera un élément de réponse, sachant que l’étude rétrospective sur laquelle sont basées les hypothèses de cet essai mettait en évidence une diminution du taux de complications pulmonaires majeures dans le bras laparoscopie (15,7 % versus 42,9 % ; p < 0,001) [12]. Faisabilité et impact de la gastrostomie percutanée comme support nutritionnel avant œsophagectomie pour cancer Près de 80 % des patients atteints d’un cancer de l’œsophage sont dénutris. Le support nutritionnel entéral le plus utilisé est la jéjunostomie d’alimentation, mais ce geste nécessite une anesthésie générale et peut être grevé de complications liées à la procédure ou à la sonde. La pose d’une sonde par voie endoscopique n’est souvent pas réalisée du fait de tumeurs non franchissables et/ou du risque d’ensemencement tumoral. Une technique alternative est la pose d’une gastrostomie percutanée (GPC) par voie radiologique. Il existe peu de données dans la littérature sur cette procédure, souvent sous-utilisée du fait du risque supposé de lésion de l’artère gastroépiploïque, essentielle à la gastroplastie chirurgicale. L’étude de W. Tessier et al. (13) a évalué de manière rétrospective i) la faisabilité de cette GPC sur 259 patients, et ii) les suites post-œsophagectomie (après gastroplastie) chez 78 patients avec une GPC appariés en 1:2 à 156 patients sans GPC. Le taux de succès de pose de GPC était de 96,3 %. Pour les 78 patients opérés, tous les estomacs étaient utilisables sans aucune lésion de l’arcade vasculaire de la grande courbure. Dans l’étude cas-témoins, les variables patients et tumeurs des 2 groupes étaient distribuées de manière homogène sauf pour la dénutrition plus fréquente dans le groupe GPC (56,4 % versus 12,8 % ; p < 0,001). Alors même que les patients du groupe GPC étaient plus dénutris, il n’y avait aucune différence significative entre les 2 groupes en termes de morbi-mortalité postopératoire, témoignant de l’efficacité de la GPC à contrôler la dénutrition et de la sécurité de la voie d’abord. Les auteurs concluent que la GPC est une technique fiable et faisable en routine pour les patients dénutris atteints d’un cancer de l’œsophage. ■ Références bibliographiques 1. Sjoquist KM, Burmeister BH, Smithers BM et al. Survival after neoadjuvant chemotherapy or chemoradiotherapy for resectable oesophageal carcinoma: an updated metaanalysis. Lancet Oncol 2011;12:681-92. 2. van Meerten E, Muller K, Tilanus HW et al. Neoadjuvant concurrent chemoradiation with weekly paclitaxel and carboplatin for patients with oesophageal cancer: a phase II study. Br J Cancer 2006;94:1389-94. 3. van Hagen P, Hulshof MC, van Lanschot JJ et al ; CROSS Group. Preoperative chemoradiotherapy for esophageal or junctional cancer. N Engl J Med 2012;366:2074-84. 4. Ando N, Iizuka T, Ide H et al. Surgery plus chemotherapy compared with surgery alone for localized squamous cell carcinoma of the thoracic esophagus: a Japan Clinical Oncology Group Study-JCOG 9204. J Clin Oncol 2003;21:4592-6. 5. Allum WH, Stenning SP, Bancewicz J et al. Long-term results of a randomized trial of surgery with or without preoperative chemotherapy in esophageal cancer. J Clin Oncol 2009;27:5062-7. 6. Ando N, Kato H, Igaki H et al. A randomized trial comparing postoperative adjuvant chemotherapy with cisplatin and 5-fluorouracil versus preoperative chemotherapy for localized advanced squamous cell carcinoma of the thoracic esophagus (JCOG9907). Ann Surg Oncol 2012;19:68-74. 7. Macdonald JS, Smalley SR, Benedetti J et al. Chemoradiotherapy after surgery compared with surgery alone for adenocarcinoma of the stomach or gastroesophageal junction. N Engl J Med 2001;345:725-30. 8. Lee J, Lim do H, Kim S et al. Phase III trial comparing capecitabine plus cisplatin versus capecitabine plus cisplatin with concurrent capecitabine radiotherapy in completely resected gastric cancer with D2 lymph node dissection: the ARTIST trial. J Clin Oncol 2012;30:268-73. 80 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVI - n° 2 - mars avril 2013 9. Mariette C, Robb WB. Open or minimally invasive resection for oesophageal cancer? Recent Results Cancer Res 2012;196:155-67. 10. Biere SS, van Berge Henegouwen MI, Maas KW et al Minimally invasive versus open oesophagectomy for patients with oesophageal cancer: a multicentre, open-label, randomised controlled trial. Lancet 2012;379:1887-92. 11. Mariette C, Robb WB. Minimally invasive versus open oesophagectomy for oesophageal cancer. Lancet 2012;380:883. 12. Briez N, Piessen G, Torres F et al. Effects of hybrid minimally invasive oesophagectomy on major postoperative pulmonary complications. Br J Surg 2012;99:1547-53. 13. Tessier W, Piessen G, Briez N et al. Percutaneous radiological gastrostomy in esophageal cancer patients: a feasible and safe access for nutritional support during multimodal therapy. Surg Endosc 2012 Sept 7. [Epub ahead of print].