P Nouveautés dans la prise en charge des cancers œsogastriques

78 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XVI - n° 2 - mars avril 2013
DOSSIER THÉMATIQUE
Journée FFCD-PRODIGE
Christophe Mariette
Nouveautés
dans la prise en charge
des cancers œsogastriques
News in esogastric cancers treatment
Mathieu Messager, Christophe Mariette*
* Service de chirurgie digestive
et générale, CHRU, Lille.
P
armi les nombreux articles publiés en 2012
en cancérologie œsogastrique est présentée
ici une sélection arbitraire de 5 articles scien-
tifiques incontournables.
Utilisation des taxanes
dans la radiochimiothérapie
néoadjuvante des cancers
de l’œsophage
La radiochimiothérapie néoadjuvante pour les
cancers de l’œsophage et de la jonction œsogas-
trique localement avancés a montré un bénéfice en
termes de survie dans plusieurs essais randomisés,
via un downstaging tumoral et une amélioration
du taux de résection R0 (1). Les schémas les plus
fréquemment utilisés sont à base de 5 fluoro-uracile
(5FU). Dans l'étude de phase II, les taxanes ont
montré un taux de résection R0 de 100 % avec une
faible toxicité (2).
Léquipe hollandaise de P. Van Hagen et al. (3) a
publié en 2012 les résultats de l’essai CROSS, essai
randomisé multicentrique comparant la chirurgie
seule à une stratégie de radiochimiothérapie (RCT)
néoadjuvante combinant 5 cycles de paclitaxel-
carboplatine à une radiothérapie de 41,4 Grays, pour
cancer de l’œsophage ou de la jonction œsogas-
trique. Parmi les 366 patients inclus, 75 % présen-
taient un adénocarcinome.
Les toxicités sont comparables aux taux habituel-
lement rapportés avec 13 % de complications de
grade 3-4, sans modification de la mortalité post-
opératoire (4 % dans les 2 bras). Dans le bras RCT,
le taux de résection R0 était amélioré (92 versus
69 % ; p < 0,001), avec 29 % de patients en réponse
complète (ypT0N0), et un pourcentage de ganglions
envahis plus faible dans le bras RCT (31 versus 75 % ;
p < 0,001).
Cet essai de supériorité était construit pour mettre
en évidence une différence de 6 mois sur la survie
globale (objectif principal). Les résultats après un
délai médian de suivi de 45,4 mois montrent un gain
de survie globale de 24 mois dans le bras chirurgie
seule à 49,4 mois dans le bras RCT (p = 0,003). À
noter que le bénéfice de survie était nettement plus
marqué pour les carcinomes épidermoïdes que pour
les adénocarcinomes.
Même si l’essai a inclus une majorité d’adénocarcinomes
et de patients OMS 0 ou 1, cet essai est fortement
positif, avec des perspectives tout à fait intéressantes
quant à l’intérêt des taxanes en néoadjuvant.
Comparaison d’un schéma
néoadjuvant à un schéma
adjuvant de chimiothérapie
dans les carcinomes
épidermoïdes de l’œsophage
Deux essais récents ont comparé pour les carcinomes
épidermoïdes (CE) de l’œsophage une stratégie de
chirurgie seule à une stratégie de chirurgie associée
à une chimiothérapie. L’un, japonais, (4) montrant
un bénéfice à la chimiothérapie délivrée en adjuvant
à la chirurgie pour un sous-groupe de patients pN+ ;
l’autre anglais (5) montrant une supériorité de la
CT néoadjuvante.
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XVI - n° 2 - mars avril 2013 | 79
Résumé
Léquipe japonaise de N. Ando et al. (6) a donc mis en
place un essai randomisé multicentrique comparant
2 cures de 5FU-ciplatine délivrées en néoadjuvant
versus en adjuvant pour les carcinomes épidermoïdes
de stade II-III. Cet essai était construit dans l’hypo-
thèse d’une amélioration de 13 % de la survie sans
progression à 5 ans en faveur du groupe néoadjuvant.
Parmi les 330 patients inclus, seuls 75 % ont reçu la
séquence complète dans le bras adjuvant et 85,4 %
dans le bras néoadjuvant. Après analyse intermé-
diaire, la survie sans progression était en faveur du
groupe néoadjuvant mais de manière non significa-
tive. En revanche, la différence sur la survie globale
à 5 ans (qui était un critère de jugement secondaire)
était en faveur du bras néoadjuvant (55 % versus
43 % ; p = 0,04). On peut noter aussi qu’aucun des
patients pN+ du bras adjuvant qui n’avait pu recevoir
de chimiothérapie nétait vivant à 5 ans.
Même si cet essai est négatif sur le critère de
jugement principal, les résultats de cette analyse
intermédiaire ont fait interrompre les inclusions et
conclure que la stratégie néoadjuvante est mieux
tolérée, plus complète et donc plus efficace.
Radiochimiothérapie adjuvante
dans les cancers gastriques
avec curage D2
Les stratégies de traitement du cancer gastrique
varient selon les continents. En Europe, la référence
est la chimiothérapie périopératoire ; aux États-Unis,
la radiochimiothérapie adjuvant et en Asie la CT
adjuvante. La critique principale de l’essai INT-0116
américain était que la majorité des curages étaient
de type D0 et D1, alors que le curage de référence
est le curage D2 (7).
Léquipe coréenne de J. Lee et al. (8) a donc testé
dans l’essai ARTIST (Adjuvant Chemoradiation
Therapy in Stomach Cancer) 6 cures de capéci-
tabine + cisplatine + 45 Grays versus 6 cures de
chimiothérapie seule selon le même protocole en
adjuvant dans les cancers gastriques avec curage
D2. L’hypothèse était celle d'une supériorité de la
chimiothérapie comparée à la radiochimiothérapie.
Lobjectif principal était la survie sans récidive (SSR),
le suivi médian était de 53,2 mois.
Sur les 458 patients de l’étude, les toxicités étaient
similaires dans les 2 bras. Lessai est négatif sur l’ob-
jectif principal avec une survie sans récidive à 3 ans
de 74,2 % dans le bras chimiothérapie versus 78,2 %
dans le bras radiochimiothérapie (p = 0,862), proba-
blement dû à un manque d’événements (127 versus
227 prévus). Par contre, dans le sous-groupe des
patients N+, la survie sans récidive était meilleure
dans le bras radiochimiothérapie 77,5 % versus
72,3 % (p = 0,0365). Il n’y avait pas de différence
sur le site de première récidive entre les 2 bras. Cet
essai est poursuivi par l’essai ARTIST II selon la même
méthodologie, mais chez les patients N+.
Chirurgie mini-invasive
du cancer de l’œsophage
Alors que les complications pulmonaires sont au
premier rang de la morbidité post-œsophagectomie,
plusieurs travaux ont suggéré un bénéfice de l’abord
totalement mini-invasif (sans thoracotomie ni lapa-
rotomie) sur la réduction des taux de complications
pulmonaires et sur la durée de séjour (9).
Léquipe hollandaise de S.S. Biere et al. (10) a
publié en 2012 les résultats d’un essai randomisé
multicentrique comparant une stratégie ouverte
(thoracotomie droite + laparotomie) à une stra-
tégie totalement mini-invasive (thoracoscopie +
cœlioscopie). Cet essai était construit sur l’hypo-
thèse d’une diminution de 28 % du taux d’infections
pulmonaires à 15 jours par l’abord mini-invasif.
Avec 115 patients, il a été mis en évidence une dimi-
nution des infections pulmonaires dans le bras mini-
invasif, à la fois durant les 15 jours postopératoires
(9 % versus 29 % ; p = 0,005) et pendant la période
intra-hospitalière (12 % versus 34 % ; p = 0,005),
ainsi qu’une diminution de la durée d’hospitalisa-
tion (11 j versus 14 j ; p = 0,044). Il n’y avait pas
de différence sur le taux de résection R0, le stade
pTNM, ni sur la mortalité postopératoire. Il s’agit
du premier essai randomisé évaluant l’intérêt de
l’approche mini-invasive sur la morbidité postopé-
ratoire. Néanmoins, un certain nombre de critiques
ont été rapportées (11) : la différence de position au
bloc opératoire (décubitus ventral versus latéral), la
ventilation (universus bipulmonaire), l’absence de
La littérature sur les cancers œsogastriques en 2012 permet de retenir qu’une radiochimiothérapie néo-
adjuvante à base de taxane est une stratégie efficace et validée dans les cancers de l’œsophage et de
la jonction œsogastrique localement avancé, que la chimiothérapie est plus efficace et mieux tolérée en
néoadjuvant plutôt qu’en adjuvant dans les carcinomes épidermoïdes de l’œsophage, que la radiochimio-
thérapie adjuvante n’apporte pas de bénéfice de survie après un curage D2 dans les cancers gastriques, que
l’approche mini-invasive semble prometteuse dans les cancers de l’œsophage en diminuant la morbidité
postopératoire, notamment pulmonaire, et que la gastrostomie percutanée radiologique est une technique
faisable, sûre et efficace pour pallier la dénutrition avant un traitement néoadjuvant suivi de chirurgie
dans le cancer de l’œsophage.
Mots-clés
Œsophage
Estomac
Cancer
Chimiothérapie
Chirurgie
Radiothérapie
Abstract
The most important articles
on oeso-gastric treatment
published in 2012 reported
that taxane based neoad-
juvant chemoradiation is
safe and efficient in locally
advanced esophageal and
junctional carcinomas, neoad-
juvant chemotherapy offers
best tolerance and efficiency
when compared to adjuvant
administration in esophageal
squamous cell carcinomas,
adjuvant chemoradiation does
not offer any survival benefit in
gastric cancer having benefited
from a D2 lymphadenectomy,
mini-invasive esophagectomy
seems to decrease postop-
erative pulmonary complica-
tions compared to the open
approach and percutaneous
radiological gastrostomy is safe
and efficient for treatment of
malnutrition in the prethera-
peutic phase even for patients
that will benefit from esopha-
gectomy and gastric pull-up.
Keywords
Œsophagus
Stomach
Cancer
Chemotherapy
Surgery
Radiotherapy
80 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue Vol. XVI - n° 2 - mars avril 2013
Nouveautés dans la prise en charge des cancers œsogastriques
DOSSIER THÉMATIQUE
Journée FFCD-PRODIGE
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after neoadjuvant chemotherapy or chemoradiotherapy
for resectable oesophageal carcinoma: an updated meta-
analysis. Lancet Oncol 2011;12:681-92.
2. van Meerten E, Muller K, Tilanus HW et al. Neoadjuvant
concurrent chemoradiation with weekly paclitaxel and
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3. van Hagen P, Hulshof MC, van Lanschot JJ et al ; CROSS
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or junctional cancer. N Engl J Med 2012;366:2074-84.
4. Ando N, Iizuka T, Ide H et al. Surgery plus chemotherapy
compared with surgery alone for localized squamous cell
carcinoma of the thoracic esophagus: a Japan Clinical Onco-
logy Group Study-JCOG 9204. J Clin Oncol 2003;21:4592-6.
5. Allum WH, Stenning SP, Bancewicz J et al. Long-term
results of a randomized trial of surgery with or without
preoperative chemotherapy in esophageal cancer. J Clin
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6. Ando N, Kato H, Igaki H et al. A randomized trial compa-
ring postoperative adjuvant chemotherapy with cisplatin
and 5-fluorouracil versus preoperative chemotherapy for
localized advanced squamous cell carcinoma of the thoracic
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7. Macdonald JS, Smalley SR, Benedetti J et al. Chemo-
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for adenocarcinoma of the stomach or gastroesophageal
junction. N Engl J Med 2001;345:725-30.
8. Lee J, Lim do H, Kim S et al. Phase III trial comparing
capecitabine plus cisplatin versus capecitabine plus cisplatin
with concurrent capecitabine radiotherapy in completely
resected gastric cancer with D2 lymph node dissection: the
ARTIST trial. J Clin Oncol 2012;30:268-73.
9. Mariette C, Robb WB. Open or minimally invasive resec-
tion for oesophageal cancer? Recent Results Cancer Res
2012;196:155-67.
10. Biere SS, van Berge Henegouwen MI, Maas KW et al Mini-
mally invasive versus open oesophagectomy for patients with
oesophageal cancer: a multicentre, open-label, randomised
controlled trial. Lancet 2012;379:1887-92.
11. Mariette C, Robb WB. Minimally invasive versus
open oesophagectomy for oesophageal cancer. Lancet
2012;380:883.
12. Briez N, Piessen G, Torres F et al. Effects of hybrid mini-
mally invasive oesophagectomy on major postoperative
pulmonary complications. Br J Surg 2012;99:1547-53.
13. Tessier W, Piessen G, Briez N et al. Percutaneous radiolo-
gical gastrostomy in esophageal cancer patients: a feasible
and safe access for nutritional support during multimodal
therapy. Surg Endosc 2012 Sept 7. [Epub ahead of print].
Références bibliographiques
prise en compte de facteurs confondants connus
tels que le tabagisme, la dénutrition, les antécé-
dents pulmonaires, l’existence d’un programme de
réhabilitation précoce.
Enfin, cet essai ne permet pas de savoir si le béné-
fice de l’abord mini-invasif est apporté par la thora-
coscopie ou la cœlioscopie. Lessai MIRO (temps
abdominal de l’œsophagectomie par voie cœlio-
scopique versus laparotomie, NCT00937456, essai
clos) apportera un élément de réponse, sachant que
l’étude rétrospective sur laquelle sont basées les
hypothèses de cet essai mettait en évidence une
diminution du taux de complications pulmonaires
majeures dans le bras laparoscopie (15,7 % versus
42,9 % ; p < 0,001) [12].
Faisabilité et impact
de la gastrostomie percutanée
comme support nutritionnel
avant œsophagectomie
pour cancer
Près de 80 % des patients atteints d’un cancer de
l’œsophage sont dénutris. Le support nutritionnel
entéral le plus utilisé est la jéjunostomie d’alimenta-
tion, mais ce geste nécessite une anesthésie générale
et peut être grevé de complications liées à la procé-
dure ou à la sonde. La pose d’une sonde par voie
endoscopique n’est souvent pas réalisée du fait de
tumeurs non franchissables et/ou du risque d’ense-
mencement tumoral. Une technique alternative est
la pose d’une gastrostomie percutanée (GPC) par
voie radiologique. Il existe peu de données dans la
littérature sur cette procédure, souvent sous-utilisée
du fait du risque supposé de lésion de l’artère gastro-
épiploïque, essentielle à la gastroplastie chirurgicale.
Létude de W. Tessier et al. (13) a évalué de manière
rétrospective i) la faisabilité de cette GPC sur
259 patients, et ii) les suites post-œsophagectomie
(après gastroplastie) chez 78 patients avec une GPC
appariés en 1:2 à 156 patients sans GPC.
Le taux de succès de pose de GPC était de 96,3 %.
Pour les 78 patients opérés, tous les estomacs
étaient utilisables sans aucune lésion de l’arcade
vasculaire de la grande courbure. Dans l’étude
cas-témoins, les variables patients et tumeurs des
2 groupes étaient distribuées de manière homo-
gène sauf pour la dénutrition plus fréquente dans le
groupe GPC (56,4 % versus 12,8 % ; p < 0,001). Alors
même que les patients du groupe GPC étaient plus
dénutris, il n’y avait aucune différence significative
entre les 2 groupes en termes de morbi-mortalité
postopératoire, témoignant de l’efficacité de la GPC
à contrôler la dénutrition et de la sécurité de la voie
d’abord.
Les auteurs concluent que la GPC est une technique
fiable et faisable en routine pour les patients dénutris
atteints d’un cancer de l’œsophage.
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