18 | La Lettre du Cardiologue • n° 461-462 - janvier-février 2013
DOSSIER THÉMATIQUE
Cœur et anesthésie Quel risque hémorragique et quelle prise en charge périopératoire
aveclesnouveaux anticoagulants-antiplaquettaires ?
tique le soir suivant l’intervention, jusqu’à ce que
l’hémostase chirurgicale soit stabilisée et/ou que
le cathéter d’anesthésie locorégionale (ALR) soit
enlevé, pour reprendre ensuite à dose plus impor-
tante, étant entendu que les patients valvulaires
ne sont pas traités, du moins en théorie, par les
nouveaux anticoagulants.
De nombreuses questions demeurent, dont celle
de l’arrivée en urgence d’un patient traité à dose
efficace (dose thérapeutique) avec un nouvel anti-
coagulant oral :
➤
Le dabigatran est éventuellement dialysable ;
ce n’est pas le cas du rivaroxaban et, pour l’instant,
aucun antidote n’est disponible. Les concentrés de
complexe prothrombinique non activés (PCC ou PPSB,
50 U/kg) ou activés (Feiba
®
, 30 U/kg) pourraient avoir
une utilité, surtout pour les anti-Xa (rivaroxaban,
apixaban), mais sans preuve formelle. Dans tous les
cas, l’ALR neuraxiale sera évitée, si possible. La réalisa-
tion de dosages biologiques (Haemoclot
®
ou anti-Xa
spécifique), quand elle est possible, pourrait aider à
décider de l’attitude à suivre. À défaut, les dosages
du taux de prothrombine et du temps de céphaline +
activateur sont possibles. Les propositions actualisées
du GIHP sont à consulter sur le site www.eurekapro.fr.
Nouveaux antiplaquettaires
Deux nouveaux agents antiplaquettaires sont à
présent disponibles.
Le prasugrel est un nouvel inhibiteur du récepteur
plaquettaire à l’ADP P2Y12 (10). Contrairement au
clopidogrel, il développe une inhibition de l’agréga-
tion plaquettaire de plus de 80 % (pour moins de
40 % en moyenne pour le clopidogrel). La variabi-
lité interindividuelle à la réponse est extrêmement
faible. Ce médicament a été comparé favorablement
au clopidogrel pour la prévention des événements
coronariens, au prix toutefois d’une majoration du
risque hémorragique (11). Dans cette étude pivot
Triton TIMI 38, chez les quelques patients qui ont dû
être opérés pour un pontage coronaire, les hémor-
ragies majeures ont été beaucoup plus nombreuses
avec le prasugrel qu’avec le clopidogrel, et la durée
du saignement a été beaucoup plus prolongée. La
durée minimale d’interruption du prasugrel avant
une intervention chirurgicale est de 7 jours.
Le ticagrélor agit également sur le récepteur P212, mais
il n’appartient pas à la famille des thiénopyridines (10).
Il est réversible. Sa demi-vie est de 6 à 12 heures. Il
agit directement, sans passer par une métabolisation
hépatique. Dans l’étude PLATO, il a montré une meil-
leure efficacité que le clopidogrel, sans majoration
nette du risque hémorragique (12). Il a pu aussi réduire
la mortalité. Toutefois, l’analyse en sous-groupes a
montré une incidence d’hémorragies intracrâniennes
fatales plus importante avec le ticagrélor qu’avec le
clopidogrel (11 versus 1), confirmant ainsi indirecte-
ment la puissance de cette molécule. En dépit de sa
réversibilité, le ticagrélor se redistribue après s’être fixé
sur des fibres musculaires lisses, et la durée d’inter-
ruption minimale consensuelle pour ce médicament
est de 5 jours. L’autorisation de mise sur le marché
recommande d’ailleurs 7 jours d’interruption. Un travail
récent d’Eisenberg a colligé des thromboses de stents
tardives et très tardives (13). Il a pu montrer que l’inter-
ruption de la bithérapie antiplaquettaire clopidogrel +
aspirine était responsable d’une thrombose de stent
rapide survenant en moyenne au 7 jour pour 75 %
des patients, alors que chez les patients chez qui l’on
interrompait le clopidogrel mais chez qui l’on poursui-
vait l’aspirine, la fréquence de thrombose de stent ne
dépassait pas 6 % pour un délai moyen de survenue
de 122 jours. La conclusion des auteurs est donc qu’il
faut, dans la mesure du possible, poursuivre l’aspirine si
l’on doit interrompre le clopidogrel. Ce raisonnement
pourrait tout aussi bien s’appliquer pour le prasugrel
et le ticagrélor. En corollaire, on comprendra égale-
ment que la reprise postprocédurale du prasugrel et du
ticagrélor n’est pas une urgence absolue si l’aspirine a
été poursuivie. Une dose de charge n’est pas non plus
nécessaire. La reprise le lendemain de la chirurgie avec
une dose unitaire des médicaments semble suffisante.
Pour l’ALR, les recommandations 2010 de l’ESA sont
extrêmement claires : il n’est pas question de réaliser
une ALR neuraxiale chez un patient encore traité par
prasugrel ou ticagrélor (1). Il faudra donc interrompre
ces produits pendant respectivement 7 et 5 jours. Ils
seront ensuite repris 6 heures après l’ablation du
cathéter (1).
En cas d’urgence, la transfusion prophylactique de
plaquettes n’est pas recommandée. Elle ne sera
prescrite qu’en cas d’hémorragie per- ou postopé-
ratoire mettant en jeu le pronostic fonctionnel de
l’intervention, ou, au pire, le pronostic vital.
Conclusion
Que ce soit pour les nouveaux anticoagulants oraux
ou les nouveaux antiplaquettaires, les équipes anes-
thésiques vont devoir apprendre à gérer ces médica-
ments en périopératoire, et les propositions avancées
ici (logiques et de bon sens) doivent maintenant
subir l’épreuve du feu. ■
Liens d’intérêts. L’auteur déclare
avoir des liens d’intérêts avec Sanofi,
BMS, Pfizer, Bayer, Boehringer-
Ingelheim, Leo Pharma, Lilly, Daiichi-
Sankyo, Astra-Zeneca.
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