vers une sociologie du choix des études supérieures

Revue Française de Pédagogie, n° 136, juillet-août-septembre 2001, 65-75 65
D’un point de vue sociologique, le choix est un
concept hautement problématique. Il soulève
toutes sortes de difficultés théoriques et ontolo-
giques et doit être manié avec beaucoup de
soins. À beaucoup d’égards, il vaudrait mieux
désigner ce que nous abordons ici comme un
processus de prise de décision. Moogan, Baron et
Harris (1999) suggèrent que le choix des études
supérieures est une forme de « résolution de pro-
blème à grande échelle ». Néanmoins, dans cet
article, nous commençons à esquisser une socio-
logie du choix relative aux études supérieures au
Royaume-Uni. Trois sources théoriques alimen-
tent principalement cette esquisse. Tout d’abord,
il y a les travaux de Bourdieu et plus précisément
La Distinction (1979) et Le sens pratique (1980).
Comme beaucoup d’autres nous avons trouvé
Bourdieu « extrêmement stimulant » (Jenkins,
1992, p. 11). Nous avançons que les représenta-
tions, les distinctions et les choix des études
supérieures, opérés ou utilisés par les étudiants,
jouent un rôle dans la reconstitution et la repro-
duction des divisions sociales et des hiérarchies
dans les études supérieures. C’est de cette façon
qu’ils « construisent » les structures sociales. En
effet, il s’agit de classe sociale « en pensée ».
Le problème de la subordination des schémas d’orientation vers l’enseignement supérieur aux conditions
sociales est actuellement fortement débattu au Royaume-Uni mais on n’aborde généralement qu’un
aspect de ce problème : celui de la sélection, de l’élitisme et l’on néglige la dimension sociale. Dans cet
article, basé sur une étude de l’ESRC, l’accès à l’enseignement supérieur est examiné en se fondant sur
les concepts de « classification » et de « jugement » mis en relief par Bourdieu. L’enseignement supé-
rieur est considéré en termes de différenciations des statuts internes. Les choix positifs ou négatifs des
étudiants sont également examinés. Les auteurs soutiennent que les choix sont imprégnés de l’influence
sociale et ethnique et que les décisions influent sur la reproduction des différences et sur les hiérarchies
à l’intérieur de l’enseignement supérieur mais aussi que l’idée même de choix donne une impression
d’égalité formelle qui masque « les effets de l’inégalité de fait ». Les choix d’études supérieures s’intè-
grent dans différentes sortes de biographies, d’habitus institutionnels et sont également fonction des
schémas d’opportunités.
Décisions, différenciations
et distinctions :
vers une sociologie du choix
des études supérieures
Stephen J. Ball, Jackie Davies
Miriam David, Diane Reay
Mots-clés :supérieur premier cycle, orientation, étudiant, inégalité, sociologie du choix, Royaume-Uni.
Comme l’explique Bourdieu :
La division en classes qu’opère la science
conduit à la racine commune des pratiques clas-
sables que produisent les agents et des juge-
ments classificatoires qu’ils portent sur les pra-
tiques des autres ou leurs pratiques propres […].
C’est dans la relation entre les deux capacités qui
définissent l’habitus, capacité de produire des
pratiques et des œuvres classables, capacité de
différencier et d’apprécier ces pratiques et ces
produits (goût), que se constitue le monde social
représenté, c’est-à-dire l’espace des styles de vie
(1979, p. 190).
Dans la même lignée, nous nous sommes aussi
inspirés de la théorie de la « carrière » de
Hodkinson et Sparkes (1997) et de leur notion de
« prise de décision pragmatiquement ration-
nelle ». En second lieu, nous avons quelque peu
utilisé les travaux de Beck sur les biographies
auto-réflexives et l’idée que, dans le contexte
d’un haut modernisme, « la biographie imposée
se transforme en une biographie construite par
elle-même et qui continue à être produite » (Beck,
1992 ; p. 135). Dans cette lignée, nous nous
sommes inspirés de l’utilisation par Du Bois-
Reymond (1998) des idées de « choix » et de bio-
graphies « normales ». En troisième lieu, notre
approche des avantages de classe s’inspire géné-
ralement des concepts et des idées des théori-
ciens du conflit social. Nous rattachons le choix à
la peur de la déchéance qui est celle des classes
moyennes (1) et aux stratégies de clôture et d’ob-
tention de titres universitaires qui l’accompa-
gnent.
Les données de cet article proviennent de deux
cohortes de lycéens « ayant à opérer des choix »,
de leurs parents et d’intermédiaires divers (ensei-
gnants chargés d’orientation, professeurs princi-
paux, etc.) dans 6 établissements scolaires : un
collège-lycée mixte accueillant des élèves de 11
à 18 ans dont un fort pourcentage est issu de
minorités ethniques et de la classe moyenne
(Crieghton Community School – CCS) ; un regrou-
pement de lycées au service d’une communauté
d’origines sociales diverses (Maitland Union –
MU) ; un lycée technologique tertiaire possédant
un grand nombre d’élèves de terminale (Riverway
College – RC) ; un lycée préparant des BTS et
disposant d’une formation pour l’entrée en études
supérieures (Fennister FE College – FFEC) ; et
deux lycées privés (2) de prestige : un lycée de
garçons (Cosmopolitan Boys – CB), un lycée de
filles (Hemsley Girls – HG). Tous ces établisse-
ments sont situés à Londres ou à sa proximité.
Nous avons ciblé le choix des établissements de
cette façon afin de pouvoir étudier en profondeur
les effets des influences individuelles, familiales,
institutionnelles, et les processus d’opération de
choix. Nous avons fait passer le questionnaire à
502 élèves de 12 et 13 ans et à des étudiants de
FE (3) ; nous avons opéré des entretiens de
groupe avec des échantillons d’étudiants de
chaque établissement (120 entretiens en tout) ;
nous avons mené des entretiens auprès de divers
intermédiaires de ces établissements et d’un
échantillon de parents d’élèves.
DISTINCTIONS ET JUGEMENTS
Le choix des études supérieures se situe au
sein de deux registres de sens et d’action. L’un
est cognitif / performatif et a trait à l’adéquation
entre les résultats et la sélection dans les institu-
tions et les formations. L’autre est social / cultu-
rel et a trait aux classifications sociales de soi et
des institutions. Cet article porte principalement
sur ce dernier registre. C’est en examinant de
façon empirique les relations entre des pratiques
que l’on peut classer et des jugements de classe-
ment dans certains « domaines » que l’habitus –
une formule générique – « se manifeste » de façon
fugitive. Le choix des études supérieures est un
de ces domaines et de ces « moments ». La sug-
gestion que nous faisons alors est qu’à beaucoup
d’égards, le choix de l’université est un choix de
mode de vie et une affaire de « goût » ; de plus
l’appartenance sociale oriente les choix en fili-
grane. En d’autres termes, le choix est considéré
comme « un appariement social » et donc aussi
comme une forme de « clôture sociale » (Parkins,
1974). Robbins (1991, p. 6) suggère que les étu-
diants « d’études supérieures se sont homogénéi-
sés par leurs propres choix » et que « les cultures
sociales des étudiants et des institutions se sont
réciproquement renforcées » (voir aussi Paterson,
1997). Cependant, tandis que notre réflexion s’or-
ganise ici autour de structures de différences de
classe, nous ne devons pas laisser croire que
chaque étudiant de classe ouvrière finit dans une
« nouvelle » université (ancien « Polytechnic » (4)).
Il ne s’agit pas non plus de dire que le choix
d’une université nouvelle est toujours une forme
de second choix ou qu’il est opéré par défaut.
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Les représentations et les choix des futurs étu-
diants se construisent à l’intérieur d’une interac-
tion complexe de facteurs sociaux qui s’étayent
sur des différences de classe et d’appartenance
ethnique fondamentales. Par ailleurs, de façon
générale, l’université reste pour beaucoup un
« concept attaché aux classes » (voir tableau I).
Archer et Hutchings (2000, p. 25) dans leurs
études sur les lycéens issus de la classe ouvrière
qui ne poursuivront pas d’études décrivent ces
jeunes des classes ouvrières comme se position-
nant « eux-mêmes ‘en dehors’ des études supé-
rieures (par exemple en se représentant l’univer-
sité comme un lieu pour les Blancs et/ou pour la
classe moyenne), se plaçant eux-mêmes comme
potentiellement aptes à en retirer les avantages
bénéfiques qu’elle offre, mais non comme pou-
vant se l’approprier pleinement ». Il est donc
important de garder à l’esprit que lorsque nous
parlons des différences de classe, des différences
entre les étudiants des classes moyennes et de la
classe ouvrière, ces derniers sont de toute évi-
dence atypiques par rapport à leurs pairs. Ils
représentent, comme Bourdieu (1988) les appelle,
les « heureux survivants » de catégories sociales
pour lesquelles il était « improbable » qu’ils accè-
dent à la position qu’ils occupent. Pour la majo-
rité des jeunes de la classe ouvrière, ne pas aller
à l’université est un « non-choix ». Bourdieu et
Passeron (1964, p. 42), dans leur travail sur les
études supérieures en France, remarquent que,
parmi les étudiants, ceux « issus des couches
défavorisées diffèrent profondément [au moins
sous ce rapport] des autres individus de leur
catégorie ». Comparativement à ceux qui ont été
précédemment éliminés du système scolaire, il
était beaucoup plus probable qu’un membre de
leur famille au sens large soit allé à l’université. Ils
représentent, comme Bourdieu et Passeron l’écri-
vent : « les moins défavorisés parmi les plus défa-
vorisés ».
Durant les 20 dernières années, le taux global
de poursuite d’études supérieures au Royaume-
Uni a augmenté énormément passant de 12 à
34 %. Cela étant, comme plusieurs études sur
l’augmentation de la poursuite d’études l’ont sug-
géré, tandis que l’accès se démocratise, les diffé-
renciations internes et les taux différenciés de
réussite s’avèrent être plus significatifs en regard
de la différenciation sociale. Comme il affecte les
différentes fractions de la classe ouvrière, c’est
un processus que Duru-Bellat (2000, p. 36)
appelle « exclusion de l’intérieur ». Le marché des
études supérieures du Royaume-Uni est varié et
se différencie fortement selon le statut général, la
réputation, les activités de recherche, les reve-
nus, etc. des institutions. Parallèlement à la
sélection académique et sociale qu’opèrent les
Décisions, différenciations et distinctions : vers une sociologie du choix des études supérieures 67
Tableau I. – Pourcentage d’étudiants de chaque catégorie sociale faisant des études supérieures
% 1993/4 1994/5 1995/6 1996/7 1997/8
Cadres supérieurs, professions libérales 73 78 79 82 80
(Professionnal (1))
Professions intermédiaires 42 45 45 47 49
(Intermediate)
Techniciens, employés 29 31 31 31 32
(Skilled/non manual)
Ouvriers qualifiés 17 18 18 18 19
Skilled manual
Ouvriers partiellement qualifiés 16 17 17 17 18
(Partly skilled)
Ouvriers non qualifiés 11 11 12 13 14
(Unskilled)
Toutes classes sociales confondues 30 32 32 33 34
(Adaptation du tableau 3.13 de Social Trends 29, 1999).
(1) Les termes anglais originaux sont restitués entre parenthèses, car les nomenclatures française et britannique ne sont pas iden-
tiques.
institutions d’études supérieures elles-mêmes, le
statut relatif et le caractère fermé des universités,
leur poids sur le « choix » des étudiants et l’opé-
ration du choix constituent des facteurs-clés dans
la création et la reproduction de structures de
différenciation internes aux institutions d’études
supérieures. Le capital social et culturel, les
contraintes matérielles, les représentations so-
ciales, les critères de jugements sociaux et les
formes d’auto-exclusion sont tous à l’œuvre dans
les processus de choix.
Effectuer un choix représente bien plus qu’un
ajustement entre les diplômes et la réussite per-
sonnelle d’une part et les possibilités offertes
d’autre part. C’est un processus complexe de
prise de décision. « Les individus ne sont ni des
idiots, ni des pions, cependant les limites de leurs
décisions se vérifient concrètement » (Hodkinson
et Sparkes, 1997, p. 32). Les choix s’effectuent
dans des « horizons d’action » délimités. L’im-
portance de ces horizons et leurs différences sur
le plan social, temporel et spatial dans notre
échantillon de candidats à l’université relèvent à la
fois de la réalité objective et de la représentation.
… les décisions étaient pragmatiques plutôt
que systématiques. Elles se fondaient sur des
informations potentielles en provenance de la
famille ou sur ce qu’ils connaissaient. La prise
de décision était étroitement liée au contexte
et ne pouvait pas être détachée de la trajec-
toire familiale, de la culture et des histoires de
vie (des jeunes). Les décisions étaient opportu-
nistes, se fondant sur des contacts fortuits et
des expériences (…). Les décisions n’étaient
qu’en partie rationnelles, subissant aussi l’in-
fluence des sentiments et des émotions. En fin
de compte, elles consistaient souvent plus à se
déterminer devant une alternative qu’à choisir
parmi une multitude d’options. (Hodkinson et
Sparkes, 1997, p. 33).
Au sein de notre échantillon, on observe diffé-
rents types d’effets contextuels, d’opportunisme
et de non-rationalité à l’œuvre, c’est-à-dire, pour
parler crûment, différents « cadres de références
selon les classes » (Lauder, Hughes et al., 1999
p. 27). Il serait utile maintenant d’entrevoir briè-
vement un ou deux aspects parmi ces diffé-
rences. Ces exemples ne sont ni représentatifs de
nos ensembles de données, ni n’épuisent toutes
les différences évidentes dans l’opération des
choix des étudiants ; ce sont des illustrations.
Je pensais que la chose la plus importante
était de savoir jusqu’à quel point le diplôme
était reconnu chez les architectes… Et ensuite,
en fait, je suis allé à quelques journées portes
ouvertes et je me suis rendu compte que la
chose la plus importante était l’université elle-
même, de savoir si j’avais envie d’y aller. Et je
me suis fixé sur Sheffield, principalement à
cause des équipements, et l’atmosphère sem-
blait parfaite, de sorte que j’aimerais vraiment
y passer trois ans, pour le diplôme… Je devais
être sûr que je m’y sentirais bien et que je l’ai-
merais (Anthony ; City Boys School).
Je ne connais personne qui ait terminé ses
études à l’université, vous savez, je ne connais
vraiment personne qui ait terminé ses études à
l’université … Aussi je pense que c’est peut-
être pourquoi je ne savais rien des réputations
des universités ou des choses dans ce genre.
À part ce que j’avais lu dans les prospectus,
les brochures, sur les ordinateurs, ce que mes
professeurs m’avaient dit, en quelque sorte je
me suis débrouillé vraiment au fur et à mesure,
comme ça venait. Peut-être que si j’avais
connu des gens qui étaient allés à l’université
mes choix auraient été différents, ou peut-être
pas, je ne sais pas vraiment (Shaun ; Crieghton
Community School).
J’ai vraiment lu beaucoup sur les communau-
tés Afro-antillaises et les communautés asia-
tiques et toutes les différentes choses qu’ils
font, et je sais qu’il y a pas mal de monde, de
Noirs et d’Asiatiques qui vont vraiment dans le
Sussex ou le Metropolitan de Manchester et
des choses comme ça et que c’était important
qu’il y ait des types de communautés comme
ça là-bas. Ça veut dire que vous savez que
vous n’allez pas être le seul noir là-bas … Je
préfère vivre quelque part où il y a différentes
cultures (Sarah ; Crieghton Community School).
Je connais bien quelqu’un qui travaille avec
moi, et pour résumer, il vient juste d’arriver du
Bangladesh, il veut faire une maîtrise de rela-
tions internationales, et il a entendu parler de
Westminster lorsqu’il était au Bangladesh, aussi
je me suis dit que c’était parce que l’université
était bonne dans ce domaine et j’ai décidé d’y
aller (Khalid ; Crieghton Community School).
Je pense que la décision était plus écono-
mique qu’autre chose, parce que dans l’idéal,
j’aimerais voyager à l’extérieur de Londres et
vivre loin de la maison, probablement trouver
68 Revue Française de Pédagogie, n° 136, juillet-août-septembre 2001
une location, dans l’idéal, mais, de façon réa-
liste, c’est très, très, très improbable. Il est
plus raisonnable, vous savez, d’envisager des
études dans Londres, un endroit tout près
pour que je puisse m’y rendre à vélo ou en
train (Ahmed ; Crieghton Community School).
Ces extraits ne font qu’effleurer la surface des
complexités inhérentes au choix. Ils ne représen-
tent que des critères-clés parmi beaucoup
d’autres que l’on peut citer. Il est toutefois pos-
sible de voir la manière dont les contextes, les
opportunités et les valeurs jouent un rôle très
différent. Ces extraits montrent aussi l’interaction
de l’action rationnelle stratégique avec des buts
non-rationnels ou non utilitaires. Comme le dit
Hatcher (1998, p. 16) : « ‘le choix rationnel’ … est
un élément très important dans beaucoup de
décisions transitoires, mais il n’est ni nécessaire,
ni suffisant ». Anthony, qui ailleurs dans l’entre-
tien parlait « d’aller à l’université comme étant la
suite de la lignée familiale », fait l’amalgame
des statuts institutionnels et des opportunités
sociales et du milieu pour forger son choix. Il
n’existe pas de contraintes externes explicites qui
agissent sur son choix. Des contraintes d’ordre
financier s’exercent directement sur Ahmed et
d’autres critères viennent fermement occuper la
seconde place. Shaun, qui vivait en autonomie et
qui faisait de bonnes journées de travail à temps
partiel, a subi l’influence du lieu et s’est forgé son
opinion sur les universités par ses propres
recherches. Sarah, qui vient d’Afrique Occidentale
et qui s’inscrit fortement dans les attentes de sa
famille relatives aux études à l’université, se pré-
occupe de la mixité ethnique des institutions en
question. Et Khalid choisit la matière et l’institu-
tion au petit bonheur la chance. Son opinion sur
le statut institutionnel se fonde sur un seul élé-
ment de « savoir de toute dernière minute » (Ball
et Vincent, 1998). Pour des étudiants comme
Anthony et Sarah, le choix est essentiellement lié
à des facteurs internes aux universités elles-
mêmes. Ce sont des lieux réels qui ont des qua-
lités et des caractéristiques différentes. Pour ceux
qui sont comme Ahmed et Khalid, l’université est
un lieu « irréel » (Bourdieu et Passeron, 1964,
p. 78). Même avec ces simples exemples, il est
possible d’entrevoir comment, de façon très
directe, l’habitus en tant que « maîtrise pra-
tique dont disposent les gens sur leurs situa-
tions » (Robbins, 1991, p. 1), et le capital culturel,
« des modalités subtiles dans la relation à la
culture et à la langue » (Bourdieu, 1977, p. 82),
jouent dans les « décisions immanentes que les
gens prennent en fait … » (Robbins, 1991, p. 1).
Les jeunes gens comme Anthony vivent ce que
Du Bois-Reymond (1998) appelle une « biographie
normale ». Les biographies normales sont liné-
aires, prévues et prévisibles, ce sont des transi-
tions mécaniques, souvent spécifiques au sexe et
à la classe sociale, enracinées dans des milieux
ambiants bien établis. Elles se déroulent souvent
sans qu’il y ait de prise de décision. De tels
jeunes parlaient du passage à l’université comme
étant « automatique », « allant de soi ». La déci-
sion d’aller à l’université est rationnelle tout en ne
l’étant pas. C’est le fruit de la « sagesse de
classe » (Lauder et al., 1999) ; « l’intentionnalité
sans intention » (Bourdieu, 1987, p. 22). La prise
de décision rentre en scène lorsqu’on se pose la
question : « quelle université ? ». Les récits de
ces étudiants sont relatés dans des « formes de
récit fermés » qui s’inscrivent de façon typique
dans des scripts familiaux transgénérationnels ou
des « codes d’héritage ». Ils décrivent une « trame
d’événements biographiques continue » (Cohen,
2000, p. 4). Tout ceci s’oppose aux doutes, ambi-
valences et prises de décision mûries de beau-
coup de jeunes issus de la classe ouvrière ou de
minorités ethniques de notre échantillon comme
Shaun, Ahmed et Khalid, qui étaient les premiers
de leur famille à envisager des études supé-
rieures. Ils correspondent bien plus à ce que Du
Bois-Reymond appelle une « biographie de
choix ». « En aucun cas les biographies de choix
ne se fondent simplement sur la liberté et les
choix personnels … Les jeunes doivent réfléchir
sur leurs options et justifier leurs décisions
c’est la tension entre choix possible / liberté et
justification / contrainte qui indique de façon
caractéristique les biographies de choix » (p. 65).
Des récits comme ceux-ci sont relatés dans des
formes narratives ouvertes et sont plus fragmen-
taires et discontinus. Le choix d’études supé-
rieures n’est que faiblement raccroché à une
trame narrative continue. Le futur n’est pas
esquissé ou alors sous la forme très globale
d’« un bon métier ».
Au sens le plus simple, comme indiqué précé-
demment, le statut de l’université choisie est for-
tement lié à la classe et à l’origine ethnique de
ceux qui choisissent et donc aussi à « l’école »
fréquentée (voir tableaux II et III).
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