une location, dans l’idéal, mais, de façon réa-
liste, c’est très, très, très improbable. Il est
plus raisonnable, vous savez, d’envisager des
études dans Londres, un endroit tout près
pour que je puisse m’y rendre à vélo ou en
train (Ahmed ; Crieghton Community School).
Ces extraits ne font qu’effleurer la surface des
complexités inhérentes au choix. Ils ne représen-
tent que des critères-clés parmi beaucoup
d’autres que l’on peut citer. Il est toutefois pos-
sible de voir la manière dont les contextes, les
opportunités et les valeurs jouent un rôle très
différent. Ces extraits montrent aussi l’interaction
de l’action rationnelle stratégique avec des buts
non-rationnels ou non utilitaires. Comme le dit
Hatcher (1998, p. 16) : « ‘le choix rationnel’ … est
un élément très important dans beaucoup de
décisions transitoires, mais il n’est ni nécessaire,
ni suffisant ». Anthony, qui ailleurs dans l’entre-
tien parlait « d’aller à l’université comme étant la
suite de la lignée familiale », fait l’amalgame
des statuts institutionnels et des opportunités
sociales et du milieu pour forger son choix. Il
n’existe pas de contraintes externes explicites qui
agissent sur son choix. Des contraintes d’ordre
financier s’exercent directement sur Ahmed et
d’autres critères viennent fermement occuper la
seconde place. Shaun, qui vivait en autonomie et
qui faisait de bonnes journées de travail à temps
partiel, a subi l’influence du lieu et s’est forgé son
opinion sur les universités par ses propres
recherches. Sarah, qui vient d’Afrique Occidentale
et qui s’inscrit fortement dans les attentes de sa
famille relatives aux études à l’université, se pré-
occupe de la mixité ethnique des institutions en
question. Et Khalid choisit la matière et l’institu-
tion au petit bonheur la chance. Son opinion sur
le statut institutionnel se fonde sur un seul élé-
ment de « savoir de toute dernière minute » (Ball
et Vincent, 1998). Pour des étudiants comme
Anthony et Sarah, le choix est essentiellement lié
à des facteurs internes aux universités elles-
mêmes. Ce sont des lieux réels qui ont des qua-
lités et des caractéristiques différentes. Pour ceux
qui sont comme Ahmed et Khalid, l’université est
un lieu « irréel » (Bourdieu et Passeron, 1964,
p. 78). Même avec ces simples exemples, il est
possible d’entrevoir comment, de façon très
directe, l’habitus en tant que « maîtrise pra-
tique dont disposent les gens sur leurs situa-
tions » (Robbins, 1991, p. 1), et le capital culturel,
« des modalités subtiles dans la relation à la
culture et à la langue » (Bourdieu, 1977, p. 82),
jouent dans les « décisions immanentes que les
gens prennent en fait … » (Robbins, 1991, p. 1).
Les jeunes gens comme Anthony vivent ce que
Du Bois-Reymond (1998) appelle une « biographie
normale ». Les biographies normales sont liné-
aires, prévues et prévisibles, ce sont des transi-
tions mécaniques, souvent spécifiques au sexe et
à la classe sociale, enracinées dans des milieux
ambiants bien établis. Elles se déroulent souvent
sans qu’il y ait de prise de décision. De tels
jeunes parlaient du passage à l’université comme
étant « automatique », « allant de soi ». La déci-
sion d’aller à l’université est rationnelle tout en ne
l’étant pas. C’est le fruit de la « sagesse de
classe » (Lauder et al., 1999) ; « l’intentionnalité
sans intention » (Bourdieu, 1987, p. 22). La prise
de décision rentre en scène lorsqu’on se pose la
question : « quelle université ? ». Les récits de
ces étudiants sont relatés dans des « formes de
récit fermés » qui s’inscrivent de façon typique
dans des scripts familiaux transgénérationnels ou
des « codes d’héritage ». Ils décrivent une « trame
d’événements biographiques continue » (Cohen,
2000, p. 4). Tout ceci s’oppose aux doutes, ambi-
valences et prises de décision mûries de beau-
coup de jeunes issus de la classe ouvrière ou de
minorités ethniques de notre échantillon comme
Shaun, Ahmed et Khalid, qui étaient les premiers
de leur famille à envisager des études supé-
rieures. Ils correspondent bien plus à ce que Du
Bois-Reymond appelle une « biographie de
choix ». « En aucun cas les biographies de choix
ne se fondent simplement sur la liberté et les
choix personnels … Les jeunes doivent réfléchir
sur leurs options et justifier leurs décisions …
c’est la tension entre choix possible / liberté et
justification / contrainte qui indique de façon
caractéristique les biographies de choix » (p. 65).
Des récits comme ceux-ci sont relatés dans des
formes narratives ouvertes et sont plus fragmen-
taires et discontinus. Le choix d’études supé-
rieures n’est que faiblement raccroché à une
trame narrative continue. Le futur n’est pas
esquissé ou alors sous la forme très globale
d’« un bon métier ».
Au sens le plus simple, comme indiqué précé-
demment, le statut de l’université choisie est for-
tement lié à la classe et à l’origine ethnique de
ceux qui choisissent et donc aussi à « l’école »
fréquentée (voir tableaux II et III).
Décisions, différenciations et distinctions : vers une sociologie du choix des études supérieures 69