sevrage ventilatoire du patient neuro-chirurgical

Sevrage de la ventilation 481
SEVRAGE VENTILATOIRE DU PATIENT
NEURO-CHIRURGICAL
N. Engrand, P-E. Leblanc. Département d’Anesthésie-Réanimation, CHU de Bicêtre,
78 rue du Général Leclerc, 94275 Le Kremlin Bicêtre Cedex.
INTRODUCTION
Le sevrage de la ventilation mécanique constitue une phase essentielle et délicate
dans la prise en charge d’un patient de réanimation. Une conférence de consensus fran-
çaise et des recommandations américaines ont récemment fait le point sur les éléments à
retenir de la littérature extensive sur ce sujet [1, 2]. Néanmoins la vocation de celles-ci
était d’établir un consensus sur les données acquises concernant le cas général du
patient intubé et ventilé. Or le patient relevant de soins neuro-chirurgicaux pose un
certain nombre de problèmes spécifiques comme l’altération du contrôle de la com-
mande ventilatoire, de la toux ou encore du carrefour pharyngo-laryngé. Peu d’études
se sont intéressées aux particularités du sevrage de la ventilation mécanique en neuro-
chirurgie. Toutefois, une bonne compréhension de la physiologie du système respiratoire
et de la physiopathologie des atteintes neuro-chirurgicales doit permettre de raisonner
logiquement, et ainsi de proposer un protocole de sevrage spécifique aux services de
réanimation neuro-chirurgicale comme le recommandent les conférences de consen-
sus. Nous limiterons notre propos au cas des patients de réanimation, à l’exclusion du
débat
portant sur l’indication d’une sédation avec ventilation en postopératoire d’une
chirurgie
programmée non compliquée.
1. PHYSIOLOGIE DU CONTROLE NEURO-MUSCULAIRE DE LA
RESPIRATION ET DES VOIES AERIENNES
1.1. CONTROLE DE LA COMMANDE VENTILATOIRE
L’expansion pulmonaire peut être réalisée de deux manières : soit par un mouve-
ment inféro-supérieur du diaphragme qui allonge ou raccourcit la cavité thoracique,
soit par un mouvement d’expansion-dépression des côtes qui augmente ou diminue le
diamètre du thorax [3]. En situation de repos physiologique, l’inspiration est quasi-
exclusivement assurée par le diaphragme, l’expiration se faisant de façon passive par
l’élasticité thoraco-pulmonaire et la contre-pression abdominale. La mise en jeu des
muscles respiratoires accessoires permet soit une inspiration (muscles intercostaux
externes, sterno-cléïdo-mastoïdien, scalènes, qui provoquent une élévation des côtes et
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du sternum), soit une expiration active (muscles intercostaux internes, droit abdominal,
qui abaissent les côtes et le sternum, et compriment le contenu abdominal contre le
diaphragme). Le diaphragme est innervé par le nerf phrénique, qui est constitué princi-
palement de rameaux issus des 3e et 4e racines cervicales. Les muscles respiratoires du
cou sont innervés par les branches motrices des nerfs mixtes et des premières racines
cervicales, les muscles intercostaux sont innervés par les nerfs intercostaux issus des
racines dorsales correspondantes, et les muscles de l’abdomen sont innervés par les
cinq derniers nerfs intercostaux.
Les centres neurologiques contrôlant la ventilation se composent essentiellement
de trois groupes de neurones situés dans la portion dorsale de la medulla oblongata
dans le bulbe rachidien, dans la portion ventro-latérale de la medulla oblongata, ainsi
que dans le pont (centre pneumotaxique) [3]. Le mécanisme de contrôle le plus impor-
tant est celui impliquant le groupe respiratoire dorsal, qui est responsable de l’inspiration.
Il émet des influx stimulant la contraction du diaphragme de façon périodique et pro-
gressive, mais il peut aussi stimuler les muscles intercostaux externes. Ce centre
respiratoire est en outre stimulé par les variations de PaCO2 et de PaO2. C’est la PaCO2
qui joue le rôle le plus déterminant dans le contrôle physiologique de la respiration. Le
CO2 sanguin diffuse à travers la barrière hémato-encéphalique et dans le LCR, où il
produit des ions H+ par la réaction CO2 + H2OH+ + HCO3-. Il existe une zone «ché-
mosensible» à l’ion H+ juste sous la surface ventrale de la medulla, qui se projette
directement sur le groupe respiratoire dorsal. Il faut noter que l’effet stimulant d’une
hypercapnie ne perdure que 24 à 48 heures, en raison de la compensation rénale, mais
surtout de la diffusion de l’ion HCO3- dans le tissu neuronal, qui se combine avec l’ion
H+. Le groupe respiratoire dorsal reçoit de plus des afférences sensitives provenant des
chémorécepteurs périphériques sensibles à la PaCO2 et à la PaO2. La stimulation des
récepteurs sensibles à la PaCO2 induit un effet nettement moindre, mais plus rapide que
celle de l’aire chémosensible. Leur fonction pourrait donc être d’augmenter la rapidité
de réponse de la respiration à la capnie, lors d’un exercice par exemple. Les récepteurs
sensibles à la PaO2 sont quant à eux constitués des corps carotidiens, qui stimulent les
afférences sensitives du nerf vague, ainsi que des corps aortiques, qui stimulent le nerf
glossopharyngien. Ces récepteurs ne sont, en fait, pas stimulés physiologiquement par
la PaO2 elle-même, mais plutôt en circonstance pathologique par l’hypoxémie
(PaO2 < 60 mmHg) ou la désaturation de l’hémoglobine artérielle.
Le centre pneumotaxique est situé dans la portion dorsale supérieure du pont. Il
émet des projections sur le groupe respiratoire dorsal dont l’effet est d’interrompre la
stimulation progressive du diaphragme. Son activation a donc pour conséquence de
limiter le volume inspiré, et indirectement d’accélérer la fréquence respiratoire. Enfin,
le groupe respiratoire ventral est situé en avant du groupe dorsal dans le bulbe rachi-
dien. Son activation n’interviendrait qu’en cas d’hyperventilation, où d’une part il
participerait à l’accélération de la fréquence respiratoire, et d’autre part il entraînerait
une contraction des muscles expiratoires.
Il faut noter que ce système reçoit en outre des afférences des réticulées activatrice
et inhibitrice qui rendent compte de l’influence de l’état de vigilance sur la ventilation.
Le contrôle volontaire de la respiration est quant à lui exercé par une communication
directe entre les centres corticaux et les neurones périphériques commandant les mus-
cles respiratoires.
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1.2. CONTROLE DE L’ACTIVITE RESPIRATOIRE SOUS VENTILATION
MECANIQUE
Lors de la ventilation mécanique, il a été mis en évidence, outre l’inhibition humo-
rale de la commande ventilatoire (PaCO2 et PaO2), une inhibition extra-humorale de la
ventilation [4]. Il a été montré en effet que l’hyperventilation mécanique en elle-même
diminuait l’activité inspiratoire à capnie constante [5]. Cet effet est attribué à une dimi-
nution de stimulation de mécano-recepteurs musculaires et bronchiques qui émettent
des afférences vers les centres bulbaires. Il a été confirmé par d’autres études sous
ventilation mécanique en mode contrôlé ou assisté, en particulier en ventilation spontanée
avec aide inspiratoire (VSAI) [6], où il s’associe à une hypocapnie (inhibition humo-
rale) [4]. Il persiste en cas de désafférentation intercostale par lésion médullaire C4-C5.
1.3. CONTROLE DU CARREFOUR PHARYNGO-LARYNGE
Le contrôle du carrefour pharyngo-laryngé ou de la déglutition est sous la dépen-
dance de la partie basse du tronc cérébral ainsi que de la partie haute de la moelle [7].
La déglutition est un mécanisme complexe qui doit permettre le passage du bolus
alimentaire tout en s’intercalant entre deux cycles respiratoires et en préservant les
voies aériennes supérieures (VAS). A la phase initiale, volontaire, lors de laquelle le
bolus alimentaire est pressé par la partie postérieure de la langue contre le palais afin de
pénétrer dans l’oropharynx, succède une phase automatique contrôlant la progression
du bolus à travers la filière pharyngo-œsophagienne. La mise en contact du bolus avec
des «zones de récepteurs sensibles à la déglutition», situées sur la partie postérieure de
la bouche et sur l’ouverture pharyngée (en particulier sur les piliers amygdaliens) dé-
clenche des influx nerveux transmis par les composantes sensitives des Ve et IXe paires
crâniennes au tractus solitarius, à proximité de la medulla oblongata. Une boucle ré-
flexe impliquant la substance réticulée de la moelle et de la portion inférieure du pont
(qui sont considérés comme les centres de contrôle de la déglutition) est mise en jeu,
via les composantes motrices des Ve, IXe, Xe et XIIe paires crâniennes, ainsi que les
premières racines cervicales. La contraction des muscles pharyngés qui en découle abou-
tit à un mouvement complexe associant, entre autres, une rétraction des replis
palato-pharyngés fermant la filière pharyngée afin de ne laisser passer que les objets de
petite taille, ainsi qu’une attraction du larynx en haut en avant, refoulant l’épiglotte en
arrière. Ce mécanisme permet au larynx de se dévier du passage de l’aliment, et à
l’épiglotte d’obstruer l’ouverture laryngée, mais il ne suffit pas à lui seul à assurer la
protection efficace des voies aériennes. Celle-ci nécessite en outre une coaptation par-
faite des cordes vocale, assurée par les muscles abducteurs innervés par les nerfs
récurrents (branches du X). En pratique, une incontinence laryngée peut être source de
fausse route, alors que l’exérèse de l’épiglotte n’induit généralement pas de consé-
quence délétère. Enfin, les centres de contrôle de la déglutition inhibent brièvement les
centres respiratoires médullaires, permettant l’interruption de tout cycle respiratoire
quel que soit son stade pendant la phase pharyngée de la déglutition.
1.4. CONTROLE DE LA TOUX
Les zones sensitives à l’origine du réflexe de toux sont situées sur les voies aérien-
nes supérieures, principalement sur le larynx et la carène, mais les bronchioles terminales
et les alvéoles sont aussi sensibles aux stimuli chimiques [3]. Les afférences sensitives
sont principalement véhiculées par le nerf vague jusqu’à un centre médullaire. La réac-
tion motrice qui s’ensuit se décompose en une inspiration profonde, puis la fermeture du
larynx et de l’épiglotte, et enfin une contraction brutale des muscles abdominaux et
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respiratoires accessoires permettant l’ouverture forcée de la glotte et l’expulsion brutale
de l’air accumulé dans les poumons. De plus, il existe un collapsus des parties non
cartilagineuses des bronches et de la trachée, responsable d’une majoration de la pres-
sion du flux aérien, permettant ainsi d’augmenter l’expulsion des corps étrangers.
2. PHYSIOPATHOLOGIE DE LA DETRESSE RESPIRATOIRE EN NEURO-
CHIRURGIE
On comprend au vu de la physiologie, que la nécessité de ventilation mécanique, et
donc l’aptitude au sevrage dépendra entre autre du niveau de l’atteinte neurologique.
En cas de lésion cérébrale avec hypertension intracrânienne (HTIC), il est fondamental
de contrôler la capnie, et donc la ventilation-minute. Toutefois, le contrôle de la com-
mande ventilatoire étant essentiellement assuré par des structures situées dans le bulbe,
les patients, ayant une atteinte cérébrale ou mésencéphalique quelle qu’elle soit, récu-
pèrent généralement une mécanique ventilatoire satisfaisante, dès lors que la phase de
coma aigu avec HTIC est passée. De même, une lésion de la fosse postérieure qui ne
comprime pas ou plus le bulbe ne constituera généralement pas non plus un obstacle au
sevrage ventilatoire. En revanche, une atteinte bulbaire ou médullaire haute peut rendre
impossible le sevrage ventilatoire. Or si les lésions bulbaires sont rares et peu souvent
chirurgicales, les traumatismes médullaires cervicaux posent fréquemment un réel pro-
blème de sevrage. Dans ce cas, le tableau clinique est fonction du niveau de l’atteinte
médullaire et de son caractère complet ou non : si elle se situe au-dessus de C4, la
commande phrénique est affectée, et le sevrage ventilatoire est inenvisageable en
dehors d’une récupération neurologique au moins partielle (atteinte incomplète). En
revanche, lorsque l’atteinte se situe en dessous de C4, la préservation de la commande
phrénique permet le plus souvent un sevrage ventilatoire, moyennant une contention
abdominale afin de compenser l’hypotonie des muscles abdominaux, et une trachéo-
tomie en cas d’encombrement bronchique dû à une toux inefficace (paralysie des muscles
respiratoires expirateurs).
Enfin les affections radiculaires ou musculaires systémiques peuvent générer une
dépendance ventilatoire prolongée, voire définitive, mais elles constituent un cadre
nosologique en elle-même, ne faisant pas l’objet de cet exposé.
Plus que la ventilation, ce sont les atteintes de la toux et du contrôle du carrefour
pharyngo-laryngé qui risquent de constituer un obstacle à l’extubation trachéale en neuro-
chirurgie. En effet, un trouble de conscience persistant dû à une affection cérébrale
supprime toute participation active à la toux, et risque donc de se compliquer d’un
encombrement bronchique nécessitant un accès aux voies aériennes supérieures pour
des aspirations régulières. De même, une affection du tronc cérébral directe ou indirec-
te (compression par une tumeur de la fosse postérieure ou de l’angle ponto-cérebelleux)
peut compromettre le contrôle du carrefour par les nerfs mixtes, et donc entraîner des
fausses-routes, interdisant là encore le sevrage de la prothèse trachéale. Dans ces deux
situations, le sevrage ventilatoire doit être dissocié du sevrage de l’intubation, et une
trachéotomie devra être réalisée.
Enfin il faut noter la fréquence des intubations pré-hospitalières «en catastrophe»
chez ces patients neuro-chirurgicaux, dans un contexte de coma brutal avec dyspnée
majeure et inhalation. De ces circonstances résultent probablement des traumatismes
laryngés, à l’origine de dyspnées laryngées fréquentes lors de l’extubation, même s’il
n’a jamais été démontré à ce jour que celles-ci étaient plus fréquentes en neuro-chirur-
gie que dans les autres spécialités médico-chirurgicales.
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3. LE SEVRAGE VENTILATOIRE. CE QUI EST APPLICABLE AU PATIENT
NEURO-CHIRURGICAL DANS LES CONFERENCES DE CONSENSUS
L’objectif d’une stratégie de sevrage est de réduire au minimum la durée de ventila-
tion et d’intubation trachéale, et donc leur complications respectives, tout en en limitant
les risques d’échec c’est à dire de réintubation, en sachant que celle-ci est correlée avec
d’une majoration de 8 fois du risque de pneumopathie nosocomiale et de 6 à 12 fois de
la mortalité [2]. Il est important de distinguer les critères pré-requis au sevrage, la con-
duite du sevrage proprement dit, et les critères prédictifs de succès ou d’échec de
l’extubation.
Le mode de ventilation optimal à utiliser pendant la période de sevrage a fait l’objet
de débats. Ont été proposées : la VSAI avec diminution progressive de l’AI, la ventila-
tion assistée contrôlée (VAC) avec épreuves de ventilation spontanée (VS) sur pièce en
T, dont la fréquence et la durée sont à augmenter quotidiennement, ou encore la venti-
lation assistée contrôlée intermittente (VACI) avec diminution progressive de la
proportion des cycles contrôlés. L’intérêt des modes de ventilation assistée plus com-
plexes n’est pas encore précisé [8]. Il est actuellement admis que VSAI et VAC plus
épreuves de VS sont supérieures à VACI chez le patient «tout venant» [9, 10]. La rai-
son invoquée de l’échec de la VACI est l’absence de mise au repos effective des muscles
respiratoires pendant les cycles ventilés [8].
Fin 2001, deux conférences de consensus ont été publiées, l’une nord-américaine [2]
et l’autre française [1]. La vocation des consensus étant d’être utilisable le plus large-
ment possible, les conclusions de ces recommandations sont dans l’ensemble applicables
au patient neuro-chirurgical. Toutefois, les données de la littérature concernant ce cas
spécifique sont si éparses que les recommandations nord-américaines n’y consacrent
aucun chapitre, et que la conférence française n’y consacre que quelques lignes. Il reste
que certains points méritent d’être discutés, soit qu’ils sont particulièrement pertinents
chez ces patients, soit au contraire qu’ils n’apparaissent pas indiqués.
Le bénéfice de la recherche quotidienne de critères pré-requis au sevrage, dès la
mise en place de la ventilation mécanique est bien établi depuis l’étude de Ely [11].
Dans ce travail portant sur 300 patients de réanimation médicale, les auteurs ont mon-
tré que l’évaluation quotidienne des critères de pré-requis, suivie en cas de positivité
d’une épreuve de VS sur pièce en T, permettait de réduire significativement la durée de
ventilation, la durée d’intubation, la fréquence des complications, ainsi que le coût de
l’hospitalisation en réanimation. Les critères de pré-requis retenus sont mentionnés
dans le Tableau I. La conférence de consensus française n’a pas retenu les critères de
toux et de FR/VT, mais recommande en revanche la réponse aux ordres simples. Plus
récemment, une autre étude prospective a même montré l’intérêt de réaliser tous les
jours une épreuve d’interruption de la sédation sur la durée totale de ventilation méca-
nique [12]. Celle-ci diminuait de 7,3 à 4,9 jours, de même que la durée d’hospitalisation
en réanimation, dans une population de patients «médicaux». De ces différents travaux
découle la recommandation de l’établissement d’un protocole de sevrage écrit dans
chaque service de réanimation, qui doit impliquer au maximum les équipes
soignantes, en particulier les kinésithérapeutes [13].
Les critères prédictifs de sevrage difficile retenus par la conférence de consensus
relèvent essentiellement de la gravité de la pathologie et du terrain sous-jacent, et ne
présentent donc pas de particularité chez le patient neuro-chirurgical. En revanche, les
critères prédictifs d’échec d’extubation insistent sur l’existence d’une pathologie
neurologique centrale, ainsi que sur l’encombrement bronchique et l’inefficacité de la
toux, circonstances éminemment fréquentes en neuro-chirurgie.
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