MISE AU POINT
La Lettre du Cardiologue - n° 355 - mai 2002
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atteinte cardiaque est fréquente dans les myopathies
génétiques (1). Elle associe, d’une myopathie à
l’autre, une dysfonction ventriculaire et des troubles
du rythme et de la conduction qui peuvent conduire à la mort
subite (2). La cardiopathie peut être au premier plan, et il revient
alors au cardiologue de penser à une maladie musculaire si celle-
ci était méconnue. La démarche dandinante, la difficulté à se lever
de l’accroupissement, du siège ou du lit d’examen, le décolle-
ment des omoplates sont autant de signes témoignant de la fai-
blesse de certains muscles. L’attention du praticien sera égale-
ment retenue par un visage atone (déficit de la musculature
faciale), la chute de paupière, la voix nasonnée, la main qui reste
crispée (signant la myotonie). La modification du volume des
muscles (atrophie et/ou hypertrophie), la présence de rétractions
tendineuses des coudes et des chevilles seront recherchées. Il
existe également des cardiomyopathies primitives isolées, sans
atteinte du muscle squelettique, qui peuvent être liées à des ano-
malies génétiques habituellement responsables de maladies mus-
culaires diffuses, mais leur expression est alors exclusivement
cardiaque.
PRINCIPALES DYSTROPHIES ASSOCIANT ATTEINTE
SQUELETTIQUE ET CARDIAQUE
Dystrophie myotonique de Steinert (DM)
La DM est la plus fréquente des dystrophies musculaires de
l’adulte, avec une prévalence de 2,1 à 14,3 pour 100 000 ; sa trans-
mission est autosomique dominante. Le début survient habituel-
lement autour de 20 à 30 ans, mais des formes précoces (néona-
tales et infantiles avec retard intellectuel) et tardives (au-delà de
40 ans) ne sont pas rares.
Cette affection, qui combine une atteinte musculaire et plurisys-
témique, se caractérise par les éléments suivants : myotonie des
mains, faciès évocateur (ptosis, diplégie faciale, atrophie massé-
térine et temporale, calvitie chez l’homme), déficit atrophiant du
cou et des muscles distaux (mains et pieds), atteinte plurisysté-
mique : cataracte, diabète, somnolence et atteinte cardiaque (3).
L’atteinte cardiaque, non corrélée aux autres symptômes (en
particulier à la sévérité de la faiblesse musculaire), affecte
une majorité de patients. Les troubles conductifs sont les plus
fréquents (90 % dans la série de Church). Ils portent sur la conduc-
tion et l’automaticité (dysfonction sinusale, BAV de tous les
degrés, blocs de branche, complets ou incomplets), et s’aggra-
vent progressivement de 3 à 5,5 % par an pour le PR et de 5 à
11 % par an pour QRS (2). Les troubles du rythme viennent en
seconde position (15 %, série de Church). Il s’agit principalement
de flutter ou de fibrillation auriculaire, plus rarement de troubles
du rythme ventriculaire. La dysfonction ventriculaire gauche dans
un contexte de cardiopathie dilatée est plus rare. La mort subite
est un risque majeur de la DM, y compris chez le sujet jeune,
affectant selon les séries de 2 % à plus de 30 % des patients (4).
Les troubles conductifs et rythmiques, ces derniers non prévenus
par le pacemaker simple, sont généralement impliqués. Néan-
moins, en l’absence habituelle d’enregistrement cardiaque au
moment du décès, il est difficile d’en définir la cause, qui peut
ne pas être cardiaque (embolie pulmonaire). L’atteinte cardiaque,
souvent peu symptomatique, doit être dépistée et contrôlée par
un ECG biannuel et un holter ECG annuel. Une exploration du
faisceau de His comportant une étape de stimulation pour détec-
Atteinte cardiaque dans les myopathies
D. Duboc, J. Varin, A. Lazarus, B. Eymard, Z. Ounnoughene, H.M. Bécane*
* Service de cardiologie, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques,
75679 Paris Cedex 14.
L’atteinte cardiaque est fréquente au cours des maladies
neuromusculaires.
Cette atteinte peut être dissociée de l’évolution de la
maladie musculaire périphérique, et parfois même être
au premier plan de la scène clinique.
Certaines myopathies exposent à la mort subite, par un
mécanisme rythmique. Le développement d’outils de
caractérisation phénotypique cardiaque comme l’IRM
aide à la décision de prise de mesures préventives, telles
que la stimulation ou l’implantation de défibrillateur.
Dans quelques myopathies peu évoluées et peu évolu-
tives, la transplantation cardiaque peut être proposée en
cas d’insuffisance cardiaque réfractaire.
Mots-clés : Myopathie - Mort subite - Trouble du rythme
et de la conduction - Insuffisance cardiaque.
Points forts
L
ter un trouble latent de l’excitabilité sera effectuée dans les cir-
constances suivantes :
1. anomalies franches (conduction, rythme) à l’ECG ou au holter ;
2.
présence de signes fonctionnels (palpitations, malaises, pré-
cordialgies), même si l’exploration électrocardiographique est
normale ;
3.
en cas d’intervention chirurgicale sous anesthésie générale.
Lazarus et al. (5) ont, sur ces critères, effectué un enregistrement
endocavitaire chez 83 patients. Un allongement du HV était
trouvé chez 75 % des patients, supérieur à 70 ms, dans 41 % des
cas. Onze patients sur 20 avaient des anomalies de conduction
infrahissienne, alors que l’ECG de surface était normal. Dans
41 % des cas, une arythmie auriculaire était induite. Le pour-
centage était de 18 % pour les arythmies ventriculaires, avec un
âge moyen de survenue de 31 ans, très significativement plus bas
que chez les patients sans arythmie.
Le déclenchement d’une arythmie ventriculaire comme des tachy-
cardies ventriculaires polymorphes ou des fibrillations ventricu-
laires était associé à l’existence d’anomalies morphologiques et
métaboliques cardiaque en IRM (6). L’existence d’un substrat
anatomique détectable pour ces arythmies induites, habituelle-
ment jugées comme non spécifiques, témoigne probablement de
leur signification pronostique particulière dans cette affection
génétique à haut risque de mort subite (6).
Dans notre expérience, en cas d’allongement du HV supérieur
à 70 ms, la mise en place d’un pacemaker est fortement recom-
mandée, même chez des patients asymptomatiques. Il faut
impérativement recourir à un matériel possédant des mémoires
holter, qui permettent d’enregistrer les événements conductifs et
rythmiques. L’amiodarone est le traitement de choix des troubles
du rythme, qu’ils soient supraventriculaires ou ventriculaires. Les
antiarythmiques de classe IC sont formellement contre-indiqués.
À côté de l’atteinte cardiaque, les autres facteurs de gravité sont
l’intensité de la faiblesse, qui peut conduire au fauteuil roulant,
l’insuffisance respiratoire (par dysfonctionnement diaphragma-
tique), les troubles de déglutition. Ces facteurs, qui peuvent s’as-
socier, rendent compte du mauvais pronostic de la DM avec une
diminution franche de la durée de vie, en moyenne autour de 50-
55 ans (4).
La mutation responsable de la maladie est une expansion d’un
triplet nucléotidique CTG situé dans la région 3’non traduite
d’un gène localisé sur le chromosome 19, codant pour une
protéine-kinase . Le nombre de triplets CTG, grossièrement cor-
rélé à la gravité de la DM, dépasse toujours 50 chez le patient
DM (sujet normal : entre 5 et 35). La taille du triplet augmente
de génération en génération, ce qui explique une tendance à l’ag-
gravation de la maladie d’une génération à l’autre (phénomène
d’anticipation). Les corrélations entre la longueur de la mutation
et la sévérité des troubles de conduction et des troubles ryth-
miques sont discutées (5, 7). La fonction et les cibles de la myo-
tonine-kinase codée par le gène DM restent mal connues.
Le diagnostic de DM s’appuie sur la formule clinique, les anté-
cédents familiaux (myopathie, cataracte, faiblesse musculaire,
mort subite inexpliquée), et trouve une confirmation définitive
par la détection de la mutation sur échantillon sanguin. Cette
détection est systématique pour confirmer le diagnostic, y compris
chez des sujets asymptomatiques qui sont susceptibles de transmettre
la maladie et de développer des complications de la maladie.
Emery-Dreifuss
La myopathie d’Emery-Dreifuss est une dystrophie beaucoup
plus rare que le Steinert et que les myopathies de Duchenne et de
Becker, débutant habituellement dans l’enfance. Cette dystro-
phie est aisément reconnaissable par sa formule clinique asso-
ciant une cardiopathie et une atteinte musculaire peu déficitaire
avant tout marquée par des rétractions des coudes (bloqués en
flexion), du cou et des chevilles.
L’atteinte cardiaque associe une cardiopathie dilatée avec
dysfonction ventriculaire, des troubles de la conduction auri-
culo-ventriculaire et intraventriculaire, ainsi que des troubles
rythmiques avec une fréquence particulièrement élevée de la
fibrillation auriculaire. Le risque de mort subite est très élevé,
y compris chez des patients porteurs de pacemaker, du fait de
troubles du rythme ventriculaire (8, 9). Comme pour la dystro-
phie myotonique, aucune corrélation n’est retrouvée entre
l’atteinte musculaire squelettique et les troubles cardiaques. L’at-
teinte cardiaque peut être isolée dans des familles où d’autres
sujets présentent l’atteinte musculaire (8).
La transmission est variable, soit de type récessif lié à l’X, soit
de type autosomique dominant. Cette hétérogénéité génétique
s’explique par le fait que deux gènes sont en cause, le premier
situé sur le chromosome X (Xp28), codant pour l’émerine, le
second situé sur le chromosome 1 (locus 1q11-23), codant pour
la lamine, qui est déficiente dans la forme dominante d’Emery-
Dreifuss. Les mutations sont très variées pour les deux gènes.
Dans les formes dues à une anomalie de la lamine (laminopa-
thies), la survenue de néomutations est fréquente, rendant compte
de cas sporadiques. Lamine et émerine sont deux protéines voi-
sines, situées dans la membrane nucléaire. D’autres mutations du
gène de la lamine ont été rapportées dans des tableaux différents
de l’Emery-Dreifuss :
1.
cardiomyopathie dilatée isolée particulière par la transmission
dominante et l’association à des troubles rythmiques et conduc-
tifs (8, 9) ;
2.
une forme de myopathie des ceintures de transmission domi-
nante sans rétractions tendineuses et avec cardiopathie dilatée
avec troubles conductifs et rythmiques (Van der Kooy).
Le diagnostic de l’Emery-Dreifuss repose sur le phénotype
clinique musculaire rétractile, la cardiomyopathie dilatée avec
troubles conductifs et rythmiques et le mode de transmission.
S’il s’agit d’une forme liée à l’X, la recherche de l’anomalie pro-
téique sera effectuée : mise en évidence d’une absence d’éme-
rine sur le muscle (absence d’immunomarquage des noyaux et
Western-Blot) et/ou lignées lymphoblastoïdes (Western-Blot),
puis détection de la mutation sur le gène de l’émerine. S’il s’agit
d’une forme dominante, le déficit protéique n’étant pas actuelle-
ment identifiable, c’est l’étude directe des mutations du gène de
la lamine qui sera réalisée. S’il s’agit d’une forme sporadique,
la détection tissulaire de l’émerine sera effectuée ; si elle est nor-
male, la recherche de mutation de la lamine sera pratiquée. La
même démarche sera proposée devant une cardiopathie dilatée
avec troubles conductifs et /ou rythmiques.
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MISE AU POINT
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MISE AU POINT
La prise en charge de la cardiopathie est essentielle, y com-
pris chez des patients asymptomatiques sur le plan cardiaque
et musculaire, imposant une enquête familiale rigoureuse.
Une surveillance stricte régulière, notamment à la recherche
d’arythmie, devra être instituée. En cas de trouble du rythme ven-
triculaire spontané ou déclenché, la pose d’un défibrillateur
implantable sera le plus souvent indiquée. De la même façon, des
troubles de conduction justifiant d’un stimulateur cardiaque feront
indiquer un appareillage à fonction défibrillante, étant donné le
risque d’arythmie ventriculaire grave. La greffe cardiaque est
envisageable chez ces malades, à un stade avancé de dysfonction
ventriculaire.
Myopathies de Duchenne et de Becker
La dystrophie musculaire de Duchenne (DMD), dont l’incidence
est d’environ 1/3 000 chez le garçon, débute avant 5 ans et conduit,
entre 10 et 12 ans, à une perte de la marche. Les progrès théra-
peutiques (chirurgie de la scoliose et des rétractions, mise en route
d’une ventilation assistée, traitement de la cardiopathie) ont amé-
lioré le confort des patients et allongé la survie, mais l’évolution
reste létale autour de l’âge de 20-25 ans du fait de l’atteinte car-
diorespiratoire (10). La myopathie de Becker (DMB) se distingue
de la DMD par une fréquence dix fois plus faible, une survenue
plus tardive (y compris à l’âge adulte), et surtout une sévérité
moindre, avec une possibilité de marche conservée au-delà de
20 ans, parfois beaucoup plus. Dans les deux cas, on retrouve une
atteinte à prédominance pelvi-fémorale, peu sélective, une hyper-
trophie des mollets, une cardiomyopathie dilatée et une franche
élévation des CPK. La DMD et la DMB sont deux formes allé-
liques liées au même gène situé en Xp21 et codant pour la dys-
trophine, dont la déficience est à l’origine de la myopathie. Les
deux affections sont dues à une déficience de la dystrophine, fra-
gilisant la membrane musculaire.
La cardiopathie est constante dans la DMD, très fréquente
dans la DMB, marquée avant tout par une cardiomyopathie
dilatée. L’ECG dans la DMD est précocement caractérisé par de
grandes ondes Q dans les dérivations précordiales droites et de
grandes ondes R en précordiale droit avec rapport R/S > 1 en V1.
La tachycardie sinusale est très fréquente, dès l’âge de 5 ans ; en
revanche, les troubles du rythme tant auriculaires que ventricu-
laires sont plus rares (10). Les troubles conductifs surviennent
dans la moitié des cas. Il s’agit en majorité d’anomalies atriales,
plus qu’infranodales. L’échocardiographie détecte une hypoki-
nésie ventriculaire postérobasale et l’étude de la fraction d’éjec-
tion isotopique permet de quantifier précisément la dysfonction
ventriculaire. Dix à 40 % des patients décèdent de défaillance
cardiaque, qui peut être précipitée par l’insuffisance respiratoire
et l’hypertension pulmonaire (11).
Dans le Becker, les anomalies cardiaques sont du même type que
dans le Duchenne. La sévérité de la cardiopathie n’est pas corré-
lée à l’atteinte musculaire d’un patient à l’autre, y compris au sein
d’une même fratrie. Les femmes porteuses de la mutation (hété-
rozygote Duchenne ou Becker), habituellement asymptoma-
tiques, peuvent développer la cardiopathie. Enfin, dans certains
cas, la cardiopathie est complètement isolée, sans atteinte du
muscle squelettique. Il s’agit d’un tableau de cardiopathie dila-
tée, affectant l’homme, particulière par une transmission liée à
l’X. La mutation, dans ces cas, peut porter sur le promoteur mus-
culaire du gène de la dystrophine (12). Dans le muscle squelet-
tique, mais pas dans le muscle cardiaque, il existe une compen-
sation de l’absence de l’isoforme musculaire par les isoformes
cérébrales et cérebelleuses de la dystrophine (Muntoni). D’autres
mutations à l’origine d’une cardiomyopathie isolée surviennent
dans le domaine central du gène de la dystrophine. La physiopa-
thologie de la cardiopathie isolée n’est pas connue dans ces der-
niers cas.
Le diagnostic de DMD et de DMB repose sur le mode de trans-
mission (garçon touché et mère transmettrice) et le phéno-
type (valeur de l’hypertrophie des mollets et de l’atteinte des
quadriceps). Il doit toujours être confirmé par le déficit muscu-
laire en dystrophine sur la biopsie. Dans la DMD, la protéine n’est
pas détectable tant par la technique d’immunomarquage sur coupe
qu’en immunoprécipitation sur muscle solubilisé. Dans la DMB,
l’expression de la dystrophine est réduite mais détectable en
immunomarquage, sous forme d’un marquage sarcolemmique
irrégulier ou discontinu. En Western-Blot, la quantité de dystro-
phine est diminuée et la taille de la protéine réduite. Une délé-
tion du gène de la dystrophine est détectée par les techniques de
PCR multiplex et de Southern-Blot dans environ deux tiers des
cas de DMD et de Becker ; les autres mutations sont ponctuelles,
beaucoup plus difficiles à détecter. Si la biopsie musculaire est
difficile (myopathie avancée) ou refusée, l’enquête débutera par
la détection d’une délétion. Si celle-ci est absente (ce qui n’éli-
mine pas le diagnostic), seule la biopsie musculaire permettra de
trancher.
Le traitement de la cardiopathie fait appel, en cas de dys-
fonction ventriculaire, aux inhibiteurs de l’enzyme de conver-
sion et aux bêtabloquants. La greffe cardiaque, indiquée lorsque
la défaillance myocardique est majeure, n’est réalisable que
lorsque l’atteinte musculaire et respiratoire est modérée (formes
ambulatoires de Becker, cardiomyopathie isolée). Les résultats
sont encourageants, avec parfois un recours à une assistance cir-
culatoire préalable. La transplantation n’est pas envisageable dans
la myopathie de Duchenne (déficit musculaire et insuffisance res-
piratoire majeurs).
Myopathie facio-scapulo-humérale
Cette myopathie, fréquente chez l’adulte, de transmission domi-
nante, se caractérise par une atteinte faciale, scapulaire et bra-
chiale, asymétrique.
L’atteinte cardiaque est rare, se caractérisant par des troubles du
rythme (13).
Le diagnostic est confirmé par la mise en évidence sur prélè-
vement sanguin d’un marqueur génétique spécifique de
l’affection, situé sur le chromosome 4.
Myopathies métaboliques
Si les myopathies mitochondriales constituent la principale cause
de myopathie métabolique associée à une atteinte cardiaque,
d’autres affections métaboliques plus rares s’accompagnent éga-
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