
Le Courrier des addictions (12) – n ° 3 – juillet-août-septembre 2010
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LE CONTEXTE ET LA MéTHODE
Lors de la réunion trimestrielle du 1er février
2010 et dans le cadre du Plan de gestion des
risques (PGR) accompagnant la mise sur le
marché des gélules de méthadone, il a été dé-
cidé entre les différents participants (Afssaps,
CRPV, CAPTV, CEIP de Marseille et les la-
boratoires Bouchara-Recordati) de procéder
à une enquête auprès de pharmaciens d’offi-
cine, délivrant des gélules de méthadone. Les
résultats de cette enquête ont alimenté les
discussions lors du processus de réévaluation
des conditions de prescription des gélules de
méthadone par les commissions en charge du
dossier (notamment commission d’AMM et
Commission nationale des stupéfiants et psy-
chotropes) au premier semestre 2010.
En qualité de pharmacien d’officine, membre
de la Commission nationale des stupéfiants et
psychotropes (CNSP) et du groupe Traitements
de substitution aux opiacés (TSO) de la Com-
mission nationale addiction, j’ai été sollicité par
le laboratoire Bouchara-Recordati pour éla-
borer un questionnaire. Le 2 février 2010, une
proposition de questionnaire a été adressée aux
services de l’Afssaps en charge du PGR. Dans
un premier temps, il a été adressé par mail aux
membres de Pharm’Addict, association de phar-
maciens d’officine impliqués dans le domaine
des pathologies de l’addiction. Dans un second
temps, il a été administré, par les attachés scien-
tifiques régionaux (ASR) du laboratoire Bou-
chara-Recordati, à d’autres pharmaciens, dans
le but d’élargir le panel. Quarante-trois pharma-
ciens d’officine ont donc rempli le questionnaire
dans la période du 2 au 9 février 2010.
* Sociologue, CEMEA, réseau national "Jeunes en errance".
L'auteur déclare : aucun conflit d’intérêt avec la firme qui com-
mercialise les gélules de méthadone (aucune rémunération).
Gélules de méthadone : une délégation
permanente de prescription
serait préférable
Stéphane Robinet*
LES RéSULTATS
Les 43 pharmaciens ayant répondu au ques-
tionnaire assurent la délivrance de méthadone
(sirop et gélule) à 832 patients, dont 314 re-
çoivent un traitement par gélule. Soit, près de
38 % de patients qui bénéficiaient d’une déli-
vrance de gélule, (pourcentage supérieur à la
moyenne nationale de ± 23 %). Cet écart est lié
au fait que ce questionnaire a été adressé aux
pharmaciens qui délivrent des gélules de mé-
thadone (et pour lesquels répondre au ques-
tionnaire présente un intérêt). Les pharmacies
ne délivrant que du sirop de méthadone ont,
en effet, été exclues de l’enquête.
Sur les 314 patients recevant un traitement
par gélule de méthadone, moins de la moitié
(46 %) ont une délégation ("population DEL")
émanant d’un médecin de service spécialisé
(Centres de soins spécialisés en toxicomanie/
Centres de soins d'accompagnement et de
prévention en addictologie ou service hospita-
lier) vers un médecin généraliste. Les autres,
la majorité, sont suivis directement par des
médecins de service spécialisé (PPM), donc
sans délégation de prescription puisqu’il s’agit
de primo-prescripteurs autorisés. Notons éga-
lement que certains médecins de Centres de
soins spécialisés en toxicomanie/Centres de
soins d'accompagnement et de prévention en
addictologie (CSST/CSAPA) sont également
médecins généralistes et font des délégations
de prescription vers eux-mêmes. Ils ont alors
été comptabilisés dans le groupe DEL. Cela
confirme les observations déjà faites antérieu-
rement dans le cadre du PGR : une grande ma-
jorité de patients sous gélules de méthadone
est directement suivie par des médecins des
services spécialisés. Une partie d’entre eux a
une délivrance en pharmacie d’officine (ceux
de cette enquête). Une autre partie se voit dé-
Présentation du résultat de l’enquête menée auprès de quarante-trois pharmaciens
d’officine délivrant des gélules de méthadone au cours de la première semaine de février
2010. But : évaluer le niveau d’application du cadre de prescription et de délivrance.
Avec la question sous-jacente : le cadre actuel, concernant notamment le renouvelle-
ment de la délégation (semestriel ou annuel, en discussion) est-il pertinent du point de
vue du pharmacien d’officine et surtout, est-il applicable ? Résultat : l’enquête semble
plaider, au moins du point de vue des pharmaciens d’officine, en faveur de l’évolution du
cadre de prescription des gélules de méthadone, dans le sens d’une délégation perma-
nente de la prescription spécialisée aux médecins de ville.
livrer les gélules de méthadone directement à
partir de la dotation du centre ou de l’hôpital.
Dans cette enquête, seuls 3 patients ont une
prescription hors-cadre, émanant d’un mé-
decin généraliste et qui fait l’objet d’une déli-
vrance.
Sur les 145 patients bénéficiant d’une délé-
gation de prescription ("population DEL"),
devant en théorie faire l’objet d’un renouvel-
lement semestriel, près des deux tiers (soit
94) ont une délégation qui remonte à plus de
6 mois. Malgré cela, la délivrance est toujours
effectuée. Pour le tiers restant (49 patients),
soit la délégation date de moins de 6 mois, soit
elle a fait l’objet d’un renouvellement. Pour 28
patients pour lesquels la délégation a été re-
nouvelée, c’est à l’initiative du pharmacien, ce-
lui-ci ayant remarqué que la durée de validité
avait expiré. Cette nécessité d’intervention
a fait l’objet de nombreux commentaires qui
sont développés ci-après.
Pour la partie de l’enquête portant sur l’appré-
ciation qu’ont les pharmaciens concernant le
cadre de prescription et de délivrance, nous
avons traité uniquement les réponses de ceux
qui ont des patients du groupe DEL : soit 27
pharmaciens, qu’ils aient ou non des patients
avec une délégation dont la durée de validité
a expiré (supérieure à 6 mois). À la question:
"L’application du renouvellement semestriel de
la délégation vous pose-t-elle un problème ?",
19 ont répondu par l’affirmative. Pour ceux
qui on répondu "oui" à cette question (ou qui
"ne savent pas" si cela leur pose problème), un
peu moins des trois quarts (soit14) ont déclaré
que "la délégation annuelle" n’améliorerait pas
les choses. Ils sont 17 à dire qu’une délégation
permanente améliorerait les choses (comme
pour le sirop) et seulement 3 à dire que celle-
ci ne changerait rien.
DISCUSSION
Malgré un échantillon relativement peu im-
portant, les résultats de cette enquête confir-
ment les informations recueillies auprès des
pharmaciens d’officine depuis la mise à dis-
position des gélules de méthadone par les
remontées d’informations recueillies dans le
cadre du PGR.
Les pharmaciens d’officine, ceux notamment
impliqués dans la délivrance de gélules de
méthadone prescrites par des médecins gé-
néralistes qui ont obtenu au préalable une
délégation de prescription d’un médecin de
service spécialisé, rencontrent des difficultés à
appliquer un cadre de prescription et de déli-
vrance exigeant un renouvellement semestriel
de cette délégation.
La grande majorité d’entre eux souhaiterait
que la délégation de prescription soit perma-
nente comme pour le sirop de méthadone.
Le fait que près de 2 patients sur 3 dans cette