DOSSIER
DSM-5
48 | La Lettre du Psychiatre • Vol. X - no 2 - mars-avril 2014
Le DSM-5 prend en compte lesconduites suicidaires
tionnement de circuits neuronaux (notamment au
niveau de l’insula et des cortex cingulaire antérieur
et orbitofrontal). Il en résulte des traits (tels que
l’impulsivité, l’agressivité, le désespoir, la prise de
décision, la sensibilité au rejet, la perception de la
douleur psychologique) conférant une vulnérabilité
qui s’exprimera en présence d’un trouble psychia-
trique et d’une adversité environnementale (14).
Un certain nombre de ces traits de vulnérabilité
peuvent être considérés comme des biomarqueurs
potentiels, et pourquoi pas comme des endophéno-
types, ou des phénotypes intermédiaires. L’intérêt
de ces endophénotypes est de faciliter l’identi-
fication des facteurs étiologiques, de construire
des modèles animaux pour mieux appréhender le
développement de la physiopathologie suicidaire
et, aussi, pour déterminer des cibles thérapeutiques
innovantes.
Propositions du DSM-5
Au cours des travaux préalables à la réalisation
du DSM-5, il a été proposé d’adopter une échelle
d’évaluation du risque suicidaire et de cotation de sa
sévérité. Cet instrument aurait fait partie des outils
de caractérisation de l’intensité et de la sévérité
des troubles. L’idée a été abandonnée, notamment
parce qu’aucune donnée fiable n’apportait d’assu-
rance sur la validité prédictive d’un tel outil. Aussi,
il n’était pas imaginable de fournir une telle échelle
aux cliniciens dans la mesure où certains patients
qui auraient présenté un risque modéré selon cette
échelle risquaient de se suicider. On imagine sans
mal les difficultés médicolégales dans lesquelles
les cliniciens auraient été placés, qui n’auraient pas
tardé à abandonner l’évaluation du risque suicidaire,
la considérant comme inutile et dangereuse pour les
patients et eux-mêmes.
Le “trouble conduite suicidaire” a finalement fait son
apparition dans les catégories à l’étude. Il s’agit d’un
premier pas vers la reconnaissance d’une spécificité
des CS. Ce trouble est défini par l’existence d’une
tentative de suicide dans les 2 ans. Il est distingué
des idées de suicide, des automutilations réalisées
dans le seul but de soulager des émotions négatives
et sans intention de mourir, et des actes se déroulant
dans un contexte de confusion ou pour des motifs
politiques ou religieux.
On le voit, la définition de ce trouble correspond,
selon ce que nous avons observé précédemment, à la
nécessité de considérer les sujets qui ont réalisé une
tentative de suicide dans les 2 ans comme étant à
très haut risque de récidiver et de se suicider. De tels
patients devraient donc bénéficier d’une évaluation
et d’interventions spécifiques de prévention.
Intérêt d’une catégorie
spécifique
L’existence d’un trouble conduite suicidaire favo-
risera l’évaluation du risque suicidaire. La littéra-
ture, quel que soit le type d’études, est unanime :
les patients qui se suicident ou qui sont à risque
(déprimés, suicidants, etc.) ne reçoivent pas d’éva-
luation appropriée ; les idées de suicide ne sont
pas recherchées. Aussi, l’on ne sera pas surpris de
constater que moins de la moitié des individus
présentant des idées de suicide ou un antécédent
suicidaire bénéficient de soins médicaux. Il est
par ailleurs paradoxal de former les médecins à la
nécessité d’évaluer les patients alors que les clas-
sifications des troubles psychiatriques ne considé-
raient pas jusqu’alors les CS. Rappelons que, dans le
DSM-IV, le terme de suicide était retrouvé parmi les
critères diagnostiques de dépression ou de trouble
borderline. N’y a-t-il pas lieu d’évaluer le risque
suicidaire en dehors de ces troubles ? Le plaidoyer
en faveur de l’intégration du “suicide” dans les clas-
sifications repose avant tout sur l’effet bénéfique
que cela devrait avoir pour son évaluation (6). En
outre, l’existence d’une catégorie spécifique doit
permettre d’éviter l’attitude habituelle, qui consiste
à privilégier le “diagnostic principal”. En effet, il est
évident que, après une semaine d’hospitalisation,
l’équipe soignante aura en tête que tel patient
souffre de schizophrénie, alors même qu’il aura
été hospitalisé dans les suites d’une tentative de
suicide grave... Enfin, il était important de ne pas
limiter l’évaluation du risque suicidaire aux seuls
cas de patients présentant un risque aigu. Insistons
sur le fait que les sujets qui ont des antécédents
suicidaires présentent un risque élevé de CS, alors
même que les idées de suicide connaissent une
évaluation fluctuante et donc moins fiable.
Dans la mesure où les CS bénéficient d’une
physiopathologie spécifique, il est envisageable
de proposer des traitements spécifiques aux
sujets porteurs d’une vulnérabilité spécifique,
c’est-à-dire présentant un trouble conduite suici-
daire (15). Ainsi, rappelons qu’il a été démontré
dans des études contrôlées (versus placebo) que
les antidépresseurs sérotoninergiques (ISRS) ont
un effet sur l’impulsivité agressive et sur la préven-
tion des récidives suicidaires, indépendamment
1. While D, Bickley H, Roscoe A
et al. Implementation of mental
health service recommendations
in England and Wales and suicide
rates, 1997-2006: a cross-
sectional and before-and-after
observational study. Lancet 2012;
379(9820):1005-12.
2. Courtet P. Les stratégies de
prévention du suicide qui ont
montré leur efficacité. In: Courtet P,
ed. Suicide et tentatives de suicide.
Paris : Flammarion, 2010:234-8.
3. Courtet P, Franc N. Un modèle
développemental pour les
conduites suicidaires ? In: Courtet P,
ed. Suicide et environnement
social. Paris : Dunod, 2013:47-56.
4. Robins E, Guze SB. Establish-
ment of diagnostic validity in
psychiatric illness: its application
to schizophrenia. Am J Psychiatry
1970;126(7):983-7.
5. Leboyer M, Slama F, Siever L,
Bellivier F. Suicidal disorders: a
nosological entity per se? Am J
Med Genet C Semin Med Genet
2005;133C(1):3-7.
6. Oquendo MA, Baca-Garcia E,
Mann JJ, Giner J. Issues for DSM-V:
suicidal behavior as a separate
diagnosis on a separate axis. Am J
Psychiatry 2008;165(11):1383-4.
7. Posner K, Oquendo MA, Gould
M, Stanley B, Davies M. Columbia
Classification Algorithm of Suicide
Assessment (C-CASA): classifica-
tion of suicidal events in the FDA’s
pediatric suicidal risk analysis of
antidepressants. Am J Psychiatry
2007;164(7):1035-43.
8. Mann JJ. Neurobiology of suicidal
behaviour. Nat Rev Neurosci 2003;
4(10):819-28.
9. Serafini G, Pompili M, Elena
Seretti M et al. The role of inflamma-
tory cytokines in suicidal behavior: a
systematic review. Eur Neuropsycho-
pharmacol 2013; 23(12):1672-86.
10. Courtet P, Jollant F, Castelnau D,
Buresi C, Malafosse A. Suicidal
behavior: relationship between
phenotype and serotonergic geno-
type. Am J Med Genet C Semin Med
Genet 2005;133C(1):25-33.
11. Jollant F, Lawrence NL, Olié E,
Guillaume S, Courtet P. The suicidal
mind and brain: a review of neuro-
psychological and neuroimaging
studies. World J Biol Psychiatry
2011;12(5):319-39.
12. Oquendo MA, Currier D,
Mann JJ. Prospective studies of
suicidal behavior in major depres-
sive and bipolar disorders: what
is the evidence for predictive risk
factors? Acta Psychiatr Scand
2006;114(3):151-8.
Références
bibliographiques
LPSY 02-2014_mars-avril.indd 48 29/04/14 10:35