ue r En p a tiq q p i r En a t ue i La prise en charge des usagers de cannabis G. Fontan* Elle s’inscrit dans une double démarche, l’une préventive et l’autre curative. Les deux, bien que distinctes, ont des interfaces communes et sont à la base des consultations cannabis des hôpitaux et des centres spécialisés. Aujourd’hui, de nombreuses personnes, jeunes ou moins jeunes, consultent et demandent une aide au sevrage. C’est le premier motif de la consultation cannabis de l’hôpital JosephDucuing à Toulouse. La démarche préventive a pour objectif de prévenir l’initialisation de la consommation de cannabis, d’évaluer et d’aider à une autoévaluation pour apprendre à gérer son usage à moindre risque, et d’empêcher l’évolution vers une dépendance et les dommages qui en découlent. Ces objectifs sont pris en compte dans les consultations cannabis avec comme outils l’évaluation, l’information et l’orientation. Nous ne développerons pas cet aspect de la prise en charge. Des patients dépendants en grandes difficultés La démarche curative que nous souhaitons aborder se situe plutôt en aval de la consommation. Elle vise des patients dans une situation de dépendance, de souffrance ou de dommages liés à un usage abusif. La tranche d’âge des patients qui viennent consulter et demander une aide au sevrage, va de 15 à 45 ans. Ce sont plutôt des hommes, bien que la proportion de femmes demandant un soutien soit plus élevée que la proportion connue de femmes consommatrices de cannabis. La dépendance est souvent importante et ancienne : de quelques années à plus de 10, voire 15 à 20 ans pour certains. La consommation de joints est quotidienne, et peut aller de 4 à 5 joints jusqu’à 25-30. Un nombre important d’entre eux consomme des “douilles”, des “bangs” (parfois 15 à 20 par jour), un mode de “défonce” au caractère violent qui peut difficilement durer longtemps. Aussi, en général, les consommateurs reviennent-ils aux joints. * Hôpital Joseph-Ducuing, Toulouse. La situation sociale varie beaucoup en fonction de l’intensité de la consommation, de l’ancienneté de la dépendance et de l’âge de début. Plus la consommation et la dépendance sont importantes, plus la désocialisation est avérée avec perte de travail ou grande difficulté à le conserver ou incapacité à avoir un projet professionnel. Lorsque la dépendance est récente, avec une consommation relativement contrôlée (4 à 5 joints par jour), on a affaire à des patients insérés, conciliants, malgré les difficultés (vie professionnelle, relationnelle et usage). Si la dépendance est précoce, le jeune est souvent en échec scolaire et, par la suite, n’a pas de projet professionnel. Conjointement à la dépendance, les premiers dommages dont se plaignent les patients sont les troubles de la mémoire, assez vite ressentis et pouvant être très gênants. Ils accusent également un ralentissement général, avec manque d’entrain, diminution des réflexes et difficultés à élaborer un projet. On observe un décalage par rapport à la réalité, un isolement, une rupture sociale. La consommation devient solitaire et les seules personnes rencontrées ne sont que des consommateurs. L’essentiel du temps est passé à consommer et à dormir quand la dépendance et la consommation sont importantes. Les troubles de la mémoire, la dépendance et les difficultés professionnelles ou scolaires sont les premières raisons amenant les patients à consulter, ainsi que l’échec répété des tentatives d’arrêt. Il est utile bien sûr de resituer tous ces éléments dans un contexte plus général. La plupart des consommateurs de cannabis, comme ceux d’alcool contrôlent leur consommation et ne sont pas des usagers 105 abusifs. Seuls 10 à 20 % d’entre eux évoluent vers une dépendance (comme les consommateurs d’alcool). Aussi, dans les “consultations cannabis”, avons-nous à faire à des patients en grandes difficultés, ce qui n’est évidemment pas le cas de la plupart des fumeurs de cannabis. Ces patients dépendants savent, depuis des années, qu’ils sont “accros” et éprouvent de grandes difficultés à arrêter. D’abord évaluer la dépendance et les dommages induits La première étape est une évaluation de la consommation, de la dépendance, des dommages et des pathologies associées, somatiques et psychiatriques. L’approche est importante et va permettre de poser un cadre. La prise en charge va être longue et souvent difficile. Plusieurs partenaires sont nécessaires et une préparation au sevrage est indispensable. On considère en matière de cannabis une dépendance psychologique, comportementale et pharmacologique. L’absence de dépendance physique au cannabis est souvent mise en avant car il n’existe pas de signes physiques du manque, comme on peut les observer dans les dépendances avérées à l’alcool. Encore que beaucoup d’alcoolodépendants ne présentent pas non plus ces signes qui n’apparaissent que dans les formes évoluées. Pour le tabac, on parle plus de dépendance pharmacologique, nicotinique que de dépendance physique, le syndrome de manque au tabac ne ne manifeste pas par les signes physiques de la dépendance à l’alcool alors que la dépendance est majeure. Le syndrome de manque cannabique est assez proche de celui du tabac avec parfois des troubles du comportement qui peuvent être importants (agitation...). La prise en charge s’appuie sur un accompagnement psychothérapique et comportemental et agit sur l’aspect pharmacologique de la double dépendance tabac-cannabis. La place du soutien psychologique et médicamenteux Le soutien psychothérapique est un pilier essentiel. Comme dans toutes les addictions, le produit est un élément qui ne doit pas masquer la personnalité de l’individu. Chez les ue r En p a tiq q p i r En a t ue plus jeunes pour lesquels la dépendance n’est pas encore avérée, le produit fait souvent écran. Il n’est souvent qu’un symptôme, et un travail psychothérapique est nécessaire. Dans tous les cas, un suivi doit être instauré et, même si le travail est long, il est une des clés du sevrage. Un intervenant spécialisé, psychologue, psychiatre, est de ce fait un acteur indispensable de cette prise en charge. Un traitement médicamenteux a aussi sa place dans le sevrage. La double dépendance tabaccannabis et le syndrome de manque (irritabilité, anxiété, agressivité, impossibilité à ne pas consommer) le rendent nécessaire. On prescrit en général un traitement anxiolytique ponctuel pour la durée du sevrage, c’est-à-dire quelques semaines. Il est rapidement dégressif. On évite les produits pouvant induire une dépendance. Quand un patient a déjà présenté des symptômes paranoïaques ou psychotiques, lors de la consommation ou d’un sevrage (crises d’angoisse, bad-trips, agitations pathologiques...), les neuroleptiques à petites doses sont intéressants. Les antidépresseurs n’ont pas une grande utilité, sauf bien sûr si l’on diagnostique une dépression. Il faut également évaluer la dépendance nicotinique qui est souvent importante et sous-estimée par les usagers. Ceux ayant déjà essayé d’arrêter le cannabis ont souvent découvert d’eux-mêmes qu’ils devaient augmenter considérablement le nombre de cigarettes au-delà de ce que leur demande la compensation psychologique ou comportementale. C’est la compensation pharmacologique nicotinique qui est à la base du mécanisme. Lors du sevrage, si la dépendance est trop importante, le patient pourra s’aider pendant quelques temps d’un patch nicotinique tout en continuant à fumer, pour éviter d’avoir à fumer plus de deux paquets. Et celle du suivi comportemental Le versant comportemental est le troisième axe de travail. Le conditionnement puissant dans lequel se sont installés les gros consommateurs depuis des années est un élément clé de leur dépendance : l’environnement, les rituels et la répétition sont déterminants et opérants lors de la consommation quotidienne de cannabis. Le suivi comportemental comportera classiquement le travail en amont du sevrage, le travail motivationnel, l’aide au changement, la préparation du sevrage, l’analyse des comportements, des circonstances des moments, des lieux et des émotions associées à la consommation. Le sevrage s’appuie sur un contrôle des stimuli comportementaux et environnementaux et sur l’élaboration de réponses adaptées. Le soutien et l’accompagnement, rapprochés au début, sont nécessaires. L’accompagnement, qui inclue un travail sur la prévention des rechutes, durera plusieurs mois. Les bénéfices du sevrage Passées les premières semaines du sevrage, avec la disparition du manque, les patients disent qu’ils ont l’impression de s’éveiller, d’avoir les idées plus claires, plus d’entrain et de facilité à élaborer un projet. Les troubles de la mémoire s’estompent généralement assez rapidement, sauf lorsque la dépendance et les troubles sont trop anciens. Le contexte est déterminant. Si le sevrage Brèv Brèv e e Les généralistes bien placés pour repérer les consommations d’alcool i Parfois certains font le sevrage des deux produits : dans ce cas, la compensation et la substitution nicotinique sont encore plus indispensables s è v r e B s èv es r B s l’alcool (“usage nocif ”). Plusieurs essais cliniques ont évalué l’utilité d’interventions médicales auprès de ces personnes par entretiens brefs, généralement uniques, sans prescriptions de médicaments, avec une information sur les risques liés à l’alcool et le conseil d’en ramener la consommation à des valeurs réputées non dangereuses. Même s’il peut être parfois délicat d’aborder la question de l’alcool avec des personnes qui ne consultent pas pour ce motif, les médecins généralistes sont les mieux placés pour une pratique systématique de cette stratégie de repérage et, le cas échéant, d’intervention brève. Selon l’OMS, une consommation d’alcool est dangereuse lorsqu’elle est régulière (au moins 5 jours par semaine) et au-dessus de 3 “verres standard” par jour pour les hommes et 2 pour les femmes ; ou en usage ponctuel, quel que soit le sexe, à partir de 40 g d’alcool pur, soit 4 “verres standard”. Dans son numéro de juin, Prescrire attire l’attention sur l’intérêt de repérer en médecine générale les sujets non dépendants de l’alcool, mais pour lesquels une consommation prolongée d’alcool risque d’avoir ultérieurement des conséquences néfastes (“usage à risque”), ou qui présentent déjà des dommages induits par Le Courrier des addictions (7), n° 1, janvier-février-mars 2005 s’inscrit dans un projet élaboré, dans une démarche positive, avec une maturation et une motivation importantes, il est assez aisé. La dynamique globale est un moteur. C’est parfois dans ce contexte qu’on voit des patients faire un double sevrage tabac-cannabis. Si, au contraire, le contexte est délétère, que la demande de sevrage est “assise” uniquement sur des aspects négatifs liés aux dommages (mémoire, désocialisation), à la dépendance, à des problèmes avec l’entourage, la famille, l’école, la justice… il est plus délicat à mettre en place. Il demande alors une préparation plus longue et l’élaboration plus aboutie d’un projet. Dans tous les cas, un sevrage est une expérience intéressante. Même s’il n’aboutit pas, il est une étape positive d’un processus de maturation. C’est l’occasion d’un travail motivationnel et d’une information qui sera bénéfique pour un sevrage ultérieur. Parler d’accompagnement des consommateurs de cannabis n’est pas une chose très facile actuellement : l’espace entre la diabolisation et la banalisation est étroit et le contexte est toujours très polémique. L’objectif des consultations cannabis est avant tout de répondre à une demande de soin. De plus, les usagers de cannabis sont souvent des jeunes, des adolescents pour qui les espaces d’accueil et de parole ne sont pas très nombreux. Les médecins et les centres de soins spécialisés aux toxicomanes sont souvent confrontés à la difficulté d’accès au soin des adolescents qui, dans une société qu’ils estiment gérontocrate, se sentent mis un peu sur la touche. Tout le monde est d’accord sur un objectif : faire coïncider nos idées et notre action pour améliorer et l’action et l’aide apportée aux jeunes, surtout lorsqu’ils les sollicitent. In: Prescrire n° 262, juin 2005. www.prescrire.org. F.A.R. 106 e Brèv s