E N Q U Ê T E E N L I G N E La question Après un infarctus cérébral, en prévention secondaire, chez un patient hypertendu bien équilibré par une double association d’antihypertenseur, ou chez un patient normotendu (inférieur à 140/90 mmHG) : 1 2 3 4 5 J’applique systématiquement les résultats de PROGRESS ; J’applique occasionnellement les résultats de PROGRESS ; Je n’arrive pas à appliquer les résultats de PROGRESS ; Je ne suis pas convaincu par les résultats de PROGRESS ; Je ne connais pas les résultats de PROGRESS. La réponse des neurologues 100 38,33 % 80 Nombre de réponses : 227 (sur 560 interrogés : 495 neurologues, 45 cardiologues, 20 internistes/gériatres) 24,23 % 60 18,5 % 40 Systématiquement : 42 ● Occasionnellement : 87 ● N’y arrive pas : 26 ● N’y croit pas : 17 ● Ne connaît pas : 5 11,5 % ● 7,5 % 20 0 1 2 3 4 5 Le commentaire On est d’emblée frappé par la faible proportion (moins de 20 %) de praticiens qui déclarent appliquer systématiquement le résultat de l’étude PROGRESS, c’est-à-dire prescrire Coversyl® ± Fludex® chez leurs patients. Au contraire, une grande majorité (près de 60 %) ne prescrit ce traitement qu’occasionnellement ou n’y arrive pas ou n’y croit pas. Ce “sondage” illustre bien la difficulté qu’ont les praticiens à intégrer dans leur pratique les résultats de cette étude, dont le message scientifique est majeur. Ainsi, lorsque l’on met en place un essai thérapeutique, il faut non seulement vouloir répondre à une vraie question scientifique mais aussi se préoccuper de sa mise en application. 74 ● Pour ceux qui ont répondu “Je ne connais pas PROGRESS” : PROGRESS est une étude de prévention secondaire après un AVC ischémique ou hémorragique qui s’est produit dans les cinq ans précédant l’étude et dont l’objectif était de voir si baisser la pression artérielle de 10/5 mmHg – que le patient soit hypertendu ou non – permettait de réduire le risque de récidive. Le traitement périndopril ± indapamide était donné en plus du traitement habituel du patient, c’est-à-dire en plus de son traitement antihypertenseur, s’il était préalablement hypertendu traité. Après 4 ans, les patients sous traitement avaient une réduction du risque de récidive de 28 % (1). Comme le résultat global La Lettre du Neurologue - n° 2 - vol. VI - février 2002 était positif, on a pu regarder dans les sous-groupes, dont l’analyse était planifiée avant l’étude, et l’on s’est aperçu que le groupe périndopril seul n’avait aucune réduction de risque et que le groupe qui recevait périndopril + indapamide (Coversyl® + Fludex®) avait une réduction de risque de 40 % à 4 ans. ● Pour ceux qui ont répondu “Oui, systématiquement” : bravo ! Politiquement correct. Continuez... ● Pour ceux qui ont répondu “Occasionnellement” ou “Je n’y arrive pas” ou certains encore avec réalisme “Occasionnellement, car je n’y arrive pas” : je suis dans leur cas, bien que j’eusse préféré pouvoir répondre “Oui, systématiquement”. Cette étude a été pensée et conduite d’un point de vue épidémiologique et, par conséquent, on a une réponse épidémiologique : faites baisser la pression artérielle de vos malades. Mais, comment ? À partir de quel seuil ? Tous les malades ?… Réponses de l’essai : débrouillez-vous ! Je vais donc faire une réponse certainement non politiquement correcte. Voici ma “recette” en consultation. Partons des recommandations actuelles qui sont de mettre les patients audessous de 140/90 mmHg (2, 3) : – demandez à vos patients de faire une auto-mesure tensionnelle matin et soir (de nombreux dispositifs automatiques sont maintenant disponibles et fiables) et de la noter dans un carnet ; – expliquez-leur que l’étude PROGRESS a montré qu’avec une baisse de 10/05 mmHg, leur risque de récidive diminuerait de 40 % ; – dites-leur qu’ils doivent faire diminuer leurs chiffres tensionnels de 10/5 mmHg sur une période de 3 mois en prenant mieux leur traitement, en mangeant moins salé, en perdant du poids, en faisant de l’exercice physique, etc. Vous leur dites que s’ils n’arrivent pas à baisser leurs chiffres tensionnels de 10/05 mmHg dans 3 mois, vous devrez ajouter les deux médicaments de PROGRESS ; – trois mois plus tard, ils reviennent à la consultation, avec leur carnet montrant des chiffres tensionnels habituellement inchangés et disent d’eux-mêmes : “Docteur, je crois que vous allez devoir me prescrire les deux médicaments dont vous m’avez parlé.” Cette phase de 3 mois est donc utile pour sensibiliser les patients à la baisse des chiffres tensionnels, à la difficulté de l’obtenir et à “s’approprier” leur futur traitement. Elle est aussi utile pour informer les médecins généralistes et obtenir leur adhésion ; – revoyez le patient après 1 mois pour vérifier la tolérance, car il ne faut pas oublier que seuls les patients tolérant le traitement après une phase de 1 mois dite de run-in ont été inclus dans l’étude PROGRESS. Mon objectif personnel (non politiquement correct) est d’essayer de les mettre au moins au-dessous de 130/85 mmHg (soit 10/5 mmHg de moins que les recommandations actuelles). La Lettre du Neurologue - n° 2 - vol. VI - février 2002 ● Pour ceux qui ont répondu “Je n’y crois pas” : je pense qu’ils veulent surtout dire qu’ils ne croient pas que cela soit réalisable en pratique, et cela se réfère à l’absence de message clair laissé pour le praticien par l’étude PROGRESS. Comme écrit plus haut, je suis assez d’accord avec cela et je pense qu’il y a la place pour une nouvelle étude randomisée contre placebo, en fixant cette fois un objectif cliniquement perceptible, tenant compte de la diminution de 10/5 mmHg de PROGRESS et de ses effets sur les événements, des recommandations actuelles (< 140/90) et des résultats récents de l’étude de Framingham (4) sur le risque des sujets à pression artérielle “normale” en fonction de leurs chiffres tensionnels (figure). Framingham heart study : 6 859 participants de 35 à 65 ans Incidence d'AVC à 10 ans 12 10,1 [8,1-12,1] 10 8 7,6 [6,0-9,1] 5,8 [4,2-7,4] 6 4,4 [3,2-5,5] 4 2,8 [1,9-3,8] 1,9 [1,1-2,7] 2 0 < 120/80 120-129/80-84 Optimal Normal 130-139/85-89 Normal haut Hommes Femmes R Vasan et al. N Engl J Med 2001 ; 345 : 1291-7 É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. PROGRESS Collaborative Group. Randomised trial of a perindopril-based blood-pressure-lowering regimen among 6 105 individuals with previous stroke or transient ischaemic attack. Lancet 2001 ; 358 : 1033-41. 2. Gorelick PB, Sacco RL, Smith DB et al. Prevention of a first stroke. A review of guidelines and a multidisciplinaire consensus statement from the National Stroke Association. JAMA 1999 ; 281 : 1112-20. 3. Bogousslavsky J, Kaste M, Olsen TS et al for the EUSI Executive Committee. Recommandations for stroke management. Risk factors and stroke prevention. Cerebrovasc Dis 2000 ; 10 (suppl. 3) : 12-21. 4. Vasan RS, Larson MG, Leip EP et al. Impact of high-normal blood pressure on the risk of cardiovascular disease. N Engl J Med 2001 ; 345 : 1291-7. Pr P. Amarenco, Service de neurologie et centre d’accueil et de traitement de l’attaque cérébrale, hôpital Bichat, Paris. 75