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Dépression et tabagisme :
l’effet de la nicotine
P. Guichenez*
Madame F., 60 ans, sans antécédents anxieux et/ou dépressifs, a présenté un épisode dépressif majeur (EDM) à chaque tentative de sevrage. Une prise en charge
optimale par inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS), thérapie comportementale et cognitive (TCC) de sa dépression associée à une substitution nicotinique
à posologies adaptées n’a pas permis le sevrage tabagique.
HISTOIRE D’UN ÉCHEC
Mme F., 60 ans, consulte pour un sevrage
tabagique. Le test de Fagerström est à 4, le
Hospital anxiety depression scale (HAD) à
5/2 avant le sevrage. Le monoxyde de carbone
(CO) dans l’air expiré est de 23 ppm. Elle est
au “stade de décision” selon la théorie des
stades de Prochaska et Di Clemente. Sa seule
crainte concerne l’apparition d’un syndrome
dépressif. En effet, elle a déjà fait 4 tentatives
de sevrage : elle a noté, lors de chacune d’elles,
l’apparition d’un épisode dépressif majeur
(EDM), selon les critères du DSM-IV, apparaissant très rapidement au bout de 10 jours
environ et s’amendant en quelques jours à la
reprise du tabagisme.
À 2 reprises, des inhibiteurs de la recapture
de la sérotonine (IRS) ont été prescrits, sans
efficacité, et seule la reprise du tabagisme a
permis de rétablir l’humeur. La prescription
d’un IRS à la posologie de 20 puis de 40 mg
(paroxétine [Deroxat®, GSK]) et d’une substitution nicotinique n’a pas permis de sevrage,
en raison de la persistance de troubles de
l’humeur. Parallèlement, on a commencé une
prise en charge de sa dépression par thérapie
comportementale et cognitive. Même en augmentant la posologie d’IRS à 60 mg par jour,
et avec la prise en charge par thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et une substitution nicotinique adaptée, on n’a pas obtenu
d’amélioration au bout de 15 semaines : la
patiente a repris son tabagisme. Et elle a recouvré de façon spectaculaire son humeur en
quelques jours !
Discussion
Tabagisme et dépression
Il existe une littérature abondante sur les liens
entre tabagisme et dépression. Glassman,
dans une enquête épidémiologique portant
* Centre de tabacologie, centre hospitalier Béziers.
sur plus de 3 000 sujets, a démontré que la dépression est plus fréquente chez les fumeurs
que chez les non-fumeurs (6,6 % versus 2,9 %),
et que les fumeurs ayant des antécédents de
dépression (prévalence sur la vie entière), ont
significativement moins de chances de s’arrêter de fumer que les sujets sans antécédents
dépressifs (14 % versus 28 %). La corrélation
entre tabagisme et dépression majeure, au
sens du DSM, est plus forte s’il existe une dépendance à la nicotine que si elle est absente
(1). Un trouble bipolaire doit être systématiquement recherché. La nicotine a-t-elle une
action antidépressive ? Les propriétés neurobiologiques de la nicotine, qui se fixent sur les
récepteurs nicotiniques cérébraux, agissant
sur les neurones dopaminergiques et indirectement sur les systèmes noradrénergiques et
sérotoninergiques, sont à l’origine des effets
psychoactifs du tabac. Un effet antidépresseur
sur l’étude d’un traitement transdermique à la
nicotine sur des déprimés non fumeurs a mis
en évidence des améliorations des anomalies
polygraphiques avec augmentation du sommeil paradoxal et amélioration des scores du
test HAD (2). L’expérience de Lagrue et al.
est en faveur d’une amélioration rapide d’un
état dépressif important avec des gommes à
la nicotine (2).
Comment le tabacologue évalue
l’anxiété et la dépression
La recherche de troubles anxio-dépressifs
doit être systématique, surtout chez les sujets
fortement dépendants. Elle associe les tests
L’arrêt du tabac est-il plus difficile
chez les femmes ?
Les difficultés à l’arrêt du tabac chez les
femmes s’expliquent par plusieurs facteurs :
l’existence d’un trouble anxieux, notamment
le trouble anxieux généralisé ou la phobie
sociale et/ou des états dépressifs, la prise
de poids, l’aggravation prémenstruelle des
troubles dépressifs… (4).
Apport des TCC dans la gestion
des troubles anxieux ou dépressifs
dans le cadre d’un sevrage tabagique
Nous avons rapporté un cas de phobie sociale
traité par TCC avec arrêt du tabagisme dans
intervention tabacologique après plusieurs
tentatives infructueuses (5). Un autre cas a
Tableau I. Résultats du centre de tabacologie de Créteil.
Sur 517 consultants ayant eu au moins 2 consultations
117 fumeurs avec une dépendance physique faible
Dépendance physique faible sans trouble psychiatrique
81
Dépendance physique faible avec trouble psychiatrique traité
36
400 fumeurs avec dépendance physique forte
Dépendance physique sans trouble psychiatrique
265
Dépendance physique forte avec trouble anxiodépressif défini
nécessitant un traitement antidépresseur (IRS), soit 34 %
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Le Courrier des addictions (14) ­– n ° 2 – avril-mai-juin 2012
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de dépistage (HAD) à l’anamnèse. Dans certains cas, on réalise le questionnaire de Beck
en 13 items, et on peut le compléter par le
“mini-interview structuré” (3). Pour Lagrue,
on peut, de façon schématique, rencontrer
3 situations cliniques (3) :
4 Des fumeurs avec troubles de l’humeur
connus et traités : dans ce cas, l’avis du psychiatre traitant doit être pris pour renforcer
le traitement antidépresseur.
4 Des fumeurs avec troubles de l’humeur latents et non traités (tableaux I et II), qui ont
fait des tentatives d’arrêt, accompagnées d’un
syndrome de sevrage intense avec humeur
dépressive. Un traitement antidépresseur
par IRS est souvent nécessaire d’emblée ou
secondairement. On retrouve fréquemment
des antécédents dépressifs personnels et les
troubles anxieux sont souvent associés aux
troubles dépressifs. On met souvent en évidence également un trouble anxieux généralisé ou une phobie sociale. L’arrêt du tabac est
plus difficile chez les femmes.
4 L’apparition d’un état dépressif grave apparaissant 3 à 6 semaines après le sevrage ou à la
fin du traitement de substitution nicotinique,
en l’absence de tout antécédent de troubles
thymiques et/ou d’anomalies au test HAD.
On peut observer une amélioration rapide par
un apport de nicotine sous forme de gommes,
complété par un traitement antidépresseur.
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Tableau II. Résultats obtenus chez 90 fumeurs
dépendants présentant des troubles de l’humeur
et ayant eu le “mini-interview” (64 femmes,
26 hommes).
Antécédents d’épisode dépressif
54 (soit 60 %)
Épisodes dépressifs majeurs actuels
3
Dysthymies
30
Formes bipolaires
3
Troubles anxieux
Anxiété généralisée
54
Phobie sociale
46
Troubles paniques
12
Agoraphobie
8
TOC
3
Troubles dépressifs isolés
12
Troubles anxieux isolés
16
Troubles anxieux et dépressifs
2
été rapporté d’un trouble anxieux généralisé
(TAG) traité par TCC ayant permis l’arrêt
secondaire du tabac, alors que les tentatives
précédentes avec les moyens tabacologiques
validées avaient été infructueuses (6).
Les TCC sont un apport dans la prise en
charge d’une dépression, le plus souvent associées à un IRS (7).
Dans notre observation plusieurs
faits paraissent inhabituels
Parmi eux : l’apparition aussi rapide d’un état
dépressif ; l’absence d’antécédents de dépression, en dehors des périodes de sevrage ; l’absence d’anomalies au HAD ; une dépendance
physique moyenne, alors que classiquement
le risque de dépression est plus élevé à l’arrêt
du tabac en cas de forte dépendance physique ; l’inefficacité des IRS couplée à une
prise en charge TCC de la dépression, alors
que la reprise du tabac restaure l’humeur de
façon rapide et spectaculaire.
En revanche, l’amélioration rapide de l’humeur en quelques jours à la reprise de la cigarette est classique.
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Références bibliographiques
1. Glassman AH, Helzer JE, Covery LS et al. Smoking ,
smoking cessation and major depression. JAMA 1990;
264:1546-19.
2. Lagrue G. La nicotine est-elle un antidépresseur ?
Le Courrier des Addictions 1999;3:100-3.
3. Lagrue G, Dupont P, Fakhfakh R. Troubles anxieux
et dépressifs dans la dépendance tabagique. L’encéphale 2002;XXVIII,343:374-7.
4. Lagrue G. Pourquoi l’arrêt du tabac est-il plus
difficile chez la femme ? Le Courrier des Addictions
2004;6:51.
5. Guichenez P, Clauzel I, Germaini G, Cungi C, Olivier F, Clauzel AM. Phobie sociale et dépendance : apport des TCC. Journal de thérapie comportementale
et cognitive 2005;15:44-9.
6. Guichenez P, Clauzel I, Clauzel AM, Lagrue G.
Traitement d’un TAG par TCC chez une tabagique.
Le Courrier des Addictions 2005;7:75-6.
7. Cottraux J. Les thérapies comportementales et cognitives. Masson 2001:283.
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Tabac : du repérage au maintien
de l’abstinence
rentabilité de la cocaïne serait un facteur explicatif de la reconversion
de certains réseaux de trafiquants de cannabis sur le territoire.
Un gramme se vend aujourd’hui autour de 60 €, contre 80 € en 2000.
Quatre cent mille personnes en auraient consommé dans l’année, et
on estime à 1,5 million le nombre des expérimentateurs (l’Europe
compte 4 millions d’usagers dans l’année et 14,5 millions d’expérimentateurs. La France se classe à un niveau intermédiaire, l’Espagne et
le Royaume-Uni figurant parmi les pays de tête). C’est le deuxième
produit illicite le plus consommé en France, après le cannabis, très
loin devant.
Dans les centres de soins d’accompagnement et de prévention en
addictologie, 17 % des personnes ont consommé de la cocaïne dans
le mois (40 % dans les centres d’accueil et de réduction des risques
pour les usagers de drogues). La plupart étant avant tout des usagers
d’opiacés, seuls 4,3 % citent la cocaïne comme produit leur posant le
plus de problèmes.
Les usagers les plus précaires sont souvent des crackers surtout présents en région parisienne et aux Antilles. En métropole, leur nombre
est estimé autour de 15 000 personnes.
Les interpellations pour usage de cocaïne et de crack (4 679 personnes en 2010) ont quadruplé depuis 1995 et représentent 3,5 % du
total des procédures pour usage simple (90 % pour le cannabis). Pour
les catégories usage-revente et trafic, les interpellations cocaïne/crack
(2 786) représentent 12,7 % de l’ensemble.
La place de la cocaïne en France, sous sa forme poudre ou sous celle
du crack et du free base, est donc bien devenue incontournable dans le
paysage des substances illicites et son observation, absolument indispensable. L’OFDT analyse ces différents points dans Cocaïne, données
essentielles, une monographie collective, réalisée sous la direction de
Maud Pousset par des spécialistes de diverses disciplines : épidémiologie, statistique, démographie, sociologie, médecine et économie. Il
est diffusé gracieusement et peut aussi être téléchargé depuis son site
Internet : www.ofdt.fr
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À la demande de la Direction générale de la Santé, la Haute Autorité de santé (HAS) vient de présenter une note de cadrage,
projet de recommandations de bonne pratique sur l’“Arrêt de
la consommation de tabac : du repérage au maintien de l’abstinence”,
afin d’actualiser les recommandations publiées par l’Afssaps en 2003.
Ces recommandations s’adresseront en priorité aux médecins de premier recours, les généralistes, gynécologues et chirurgiens dentistes,
ainsi qu’aux sages-femmes, psychiatres, pneumologues, cancérologues,
cardiologues, infectiologues, médecins du travail, infirmiers, médecins
et infirmiers scolaires, pharmaciens et psychologues, pouvant être impliqués dans le repérage et l’aide à l’arrêt de l’usage de tabac. Les réunions du groupe de travail se tiendront de juin 2012 à décembre 2012, le
document sera validé par les instances de la HAS au cours du premier
trimestre 2013, et sa publication est prévue au cours du deuxième trimestre 2013.
Lire “Arrêt de la consommation de tabac – Note de cadrage” sur http://www.hassante.fr/portail/jcms/c_1240462/arret-de-la-consommation-de-tabac-du-reperageau-maintien-de-labstinence-note-de-cadrage <http://www.has-sante.fr/portail/
jcms/c_1240462/arret-de-la-consommation-de-tabac-du-reperage-au-maintien-delabstinence-note-de-cadrage>
La cocaïne, devenue incontournable
dans le paysage de la drogue
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Neuf cents millions d’euros sont générés chaque année par le
trafic de cocaïne en France, selon un rapport de l’Observatoire
des drogues et des toxicomanies (OFDT), publié le 29 mars
dernier. Soit un volume de 15 tonnes d’une poudre dosée à 30 % (entre
l’importation et la revente finale, près de 9 tonnes de produits de
coupe seraient ajoutés, ramenant le niveau de pureté de 70 % à 30 %).
Le montant du chiffre d’affaires de la cocaïne est proche de celui du
cannabis estimé en 2007. Mais les volumes sont très différents, ceux
du cannabis s’établissant à 200 tonnes, soit environ 13 fois plus. La
Cocaïne, données essentielles, mars 2012 (232 pages).
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