Traitement des troubles anxieux : contraste entre la réalité
d’aujourd’hui et les perspectives de demain
Treatment of anxiety disorders: contrast between today’s reality and tomorrow’s perspectives
●
J.P. Boulenger*
A
vec la généralisation de l’utilisation des antidépres-
seurs (AD) et la diffusion croissante des thérapies
cognitivo-comportementales (TCC) au cours des
quinze dernières années, le traitement des troubles anxieux
aurait-il atteint son niveau optimal en ce début de XXIesiècle ? Il
serait probablement fort prétentieux de le croire, et la réalité cli-
nique quotidienne nous ramène heureusement à plus de modes-
tie. Invité récemment à Paris par l’Association française des
troubles anxieux (AFTA), D. Barlow rappelait, fort opportuné-
ment, que les TCC sont efficaces, mais que leur mise en œuvre
appelle certaines améliorations et se heurte notamment à un excès
de protocoles lié, entre autres, à la multiplicité nosographique de
leurs indications. Alors que le DSM-V pourrait évoluer vers une
classification des troubles anxieux plus dimensionnelle que caté-
gorielle, il préconise une simplification des techniques employées
et leur recentrage sur un nombre limité de mécanismes communs
à la plupart de ces troubles, notamment l’évitement. Évoquant les
progrès récents dans la compréhension des mécanismes de régu-
lation des émotions, il prône dans cette optique un “dialogue avec
l’amygdale” qui tienne compte du rôle fondamental joué par cette
structure cérébrale dans les conditionnements de peur, ainsi
qu’une approche thérapeutique soucieuse du respect des émo-
tions et de leur rôle adaptatif. Ce type d’approche “neurophysio-
logique” est également susceptible d’amener des progrès dans
notre prise en charge pharmacologique des troubles anxieux, car
les mécanismes synaptiques modulant l’activité de l’amygdale
ont aussi fait l’objet de nombreuses études expérimentales : à côté
des systèmes sérotoninergique, noradrénergique et GABAer-
gique, le rôle du système glutamatergique commence à être
mieux connu, et plusieurs substances susceptibles de le moduler
ont fait l’objet d’essais cliniques prometteurs. Parmi celles-ci, on
trouve notamment le riluzole, qui pourrait posséder des proprié-
tés thérapeutiques dans l’anxiété généralisée, et la cyclosérine,
qui semble susceptible de potentialiser les effets de l’exposition
dans le traitement de certaines phobies. D’autres systèmes inter-
venant dans cette régulation sont la cible de molécules nouvelles
qui, telle la prégabaline, ont une efficacité maintenant bien
démontrée dans l’anxiété généralisée, mais doivent encore
démontrer leur originalité par rapport aux molécules existantes.
L’intérêt porté aux émotions, à leur rôle adaptatif et aux méca-
nismes qui les sous-tendent amène également à reconsidérer le
mécanisme d’action de médicaments largement utilisés dans le
traitement des troubles anxieux, comme les AD. En démontrant
que ces médicaments sont susceptibles de modifier l’impact émo-
tionnel de stimuli aversifs variés, des travaux récents offrent une
explication possible à leur large spectre thérapeutique (dépression,
anxiété, douleur), mais ouvrent également une voie de recherche
potentielle dans le domaine de la pharmacologie des émotions. Les
neuroleptiques de seconde génération participent également à ce
mouvement de diffusion des indications en dehors de leurs limites
initiales : après la démonstration de l’efficacité de la quétiapine
dans les états dépressifs majeurs, des essais cliniques ne manque-
ront certainement pas d’être entrepris avec ce type de substances
dans les principales indications relevant de la pathologie anxieuse.
Ces avancées potentielles ne doivent cependant pas nous faire
ignorer les nombreux problèmes thérapeutiques qui restent à
résoudre, problèmes qui seront abordés dans certaines des contri-
butions de ce numéro. Le problème de la chronicité de la plupart
des troubles anxieux et de la durée optimale de leur traitement
reste en grande partie inexploré, les essais du type “prévention de
rechute” étant peu adaptés à des troubles qui – contrairement aux
états dépressifs majeurs – n’évoluent pas en fonction d’épisodes
bien délimités dans le temps mais sur un continuum d’intensité
symptomatique. D’autre part, l’absence de potentialisation des
effets thérapeutiques, à court et moyen terme, de l’association
TCC + AD (sauf peut-être dans le trouble panique) par rapport à
l’utilisation isolée d’une de ces approches mériterait d’être rééva-
luée dans le cadre d’essais contrôlés “pragmatiques” plus proches
de la réalité clinique quotidienne. En effet, la plupart des études
réalisées, tant dans le domaine de la pharmacologie que dans
celui des psychothérapies, suggèrent l’importance des facteurs
non spécifiques dans les résultats thérapeutiques observés, qu’il
s’agisse de l’attitude du thérapeute, des conseils d’hygiène de vie,
du temps passé ou d’éléments de psycho-éducation et de biblio-
thérapie dispensés au patient. Considérant que la plupart des
patients qui souffrent de troubles anxieux consultent avant tout
en médecine générale et y sont fréquemment suivis au long cours,
l’importance relative de ces facteurs mériterait certainement
d’être mieux connue si l’on souhaite limiter le poids des troubles
anxieux sur notre système de santé, poids que certaines études
mettent au premier rang, devant ceux imposés par les troubles de
l’humeur ou la schizophrénie. ■
* Service universitaire de psychiatrie adulte, CHU de Montpellier.
La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 1 - janvier-février 2006 3
ÉDITORIAL