Sommaire Vol. VIII - N° 2 - mars-avril 2012 ÉDITORIAL 47 Addiction : pour un autre regard ÉDITORIAL Addiction: for a further look P. Nuss ACTUALITÉS SCIENCES 50 Revue critique de la littérature Coordonné par E. Bacon P. Nuss Pour une stratégie holistique du traitement des addictions : de la pensée unique à la pluralité de modèles For an holistic strategy of the treatment of drug addicts: from a single way of thinking to the plurality of models D. Touzeau, G. Lagrue Neurobiologie du cannabis Cannabis: neurobiological aspects J. Costentin Service de psychiatrie, hôpital Saint-Antoine, Paris. MISES AU POINT 54 VIE PROFESSIONNELLE 68 Enquête auprès des internes de psychiatrie sur la formation aux psychothérapies M. Azoulay, A. Van Effenterre Le développement professionnel continu : la révolution de velours E. Senbel abonnez-vous… page 74 Les articles publiés dans La Lettre du Psychiatre le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. © mars 2005 - EDIMARK SAS - Dépôt légal : à parution. Imprimé en France - Axiom Graphic SAS - 95830 Cormeilles-en-Vexin Le supplément “Compte-rendu d’après le 11th International Forum on Mood and Anxiety Disorders (IFMAD)” [12 p.] est routé avec ce numéro. Illustration de couverture : © Olly Addiction : pour un autre regard Addiction: for a further look “ L e regard que le profane porte sur le toxicomane, effrayé qu’il est par son comportement agressif, son manque de maîtrise, ou sa violence, lui fait concevoir – dans une sorte d’évidence immédiate – la radicalité de la différence de comportement entre toxicomanes et population saine. Notre observateur, conforté dans son analyse par la répétition de cette observation, identifie ainsi les caractéristiques du toxicomane : l’outrance, la prise continue de risque, la diversité comportementale – forme de survie face aux situations extrêmes qu’il rencontre. Toutes ces manifestations composent à ses yeux l’archétype du toxicomane. Dès lors, tout laisse accroire que le toxicomane accède dans ses errements comportementaux à des territoires affectifs et intellectuels inconnus du banal voyageur terrestre. Autrement dit, le toxicomane tutoierait sans cesse, avec une liberté renouvelée à chaque prise, les rives et les sommets La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 2 - mars-avril 2012 | 47 ÉDITORIAL Addiction : pour un autre regard Addiction: for a further look P. Nuss Service de psychiatrie, hôpital Saint-Antoine, Paris. d’expériences personnelles multiples et éloignées de celles que vit le commun des mortels. La fréquentation réelle des personnes dépendantes de substances psychoactives modifierait néanmoins profondément l’aveuglante évidence initiale de notre observateur. Là où il ne voyait que transgression, inventivité, radicalité vis-à-vis de l’expérience commune, il distinguerait soudain l’expression d’une dictature neurobiologique et sociologique, l’étroitesse du champ vital, la répétition et la prévisibilité du périmètre expérimental. L’observation des contraintes associées à la consommation du produit et au manque ainsi que le constat de la pauvreté du réseau relationnel contredirait l’impression initiale de liberté et d’aventure. Après la prise de la substance désirée, la déception est en effet plus souvent au rendez-vous que la traversée du miroir ou l’accès à des territoires chatoyants et indicibles. Souvent réduit au néant, l’éprouvé n’est, s’il a lieu, autre que la réplique de celui occasionné par la prise précédente. Ainsi, là où il opposait initialement l’extravagance du toxicomane à la répétition normée du bien-portant, notre observateur, maintenant averti, renverse les rôles et perçoit désormais l’inventivité du non-consommateur et la restriction pathologique du toxicomane. La réflexion incite néanmoins à nuancer ces revirements et ces oppositions radicales. À vouloir opposer en repoussoir l’une de l’autre la consommation pathologique et celle dite “normale”, on induit une division binaire qui, implicitement, conduit à ne proposer au patient que l’abstinence dans le souci de restaurer une normalité définie ainsi par ce à quoi elle s’oppose. La pratique clinique attentive n’observe pas cette radicalité d’opposition. Par exemple, là où patients et familles semblent s’opposer dans une dialectique désordre/ordre, inaction/action, perte de contrôle/maîtrise, un regard exercé perçoit souvent plus de similitudes que de différences chez les protagonistes. Là où les familles se décrivent comme actives, déterminées et organisées, et le patient apparaît comme passif, influençable, sans but, on observe la communauté d’un trait psychologique : l’intolérance à l’ennui. On s’interroge. Et si les différences apparentes de nos protagonistes n’étaient en réalité qu’une modalité différente de gestion d’une même difficulté : la peur de l’ennui ? Si les familles tentent d’y échapper par un emploi du temps excessivement rempli, auquel s’ajoute le souci causé par le malade, celui-ci met en place la ritualisation de la consommation et l’usage de substances adultérant sa conscience du présent. Excès d’activité et immobilité auraient ainsi en commun la même finalité : éviter d’être confronté à l’ennui. Référence bibliographique 1. Grimaldi N. L’effervescence du vide. Paris : Grasset, 2012. Mais quel est-il donc cet ennui qu’il faut à tout prix éviter ? La définition que nous propose le philosophe Nicolas Grimaldi peut éclairer notre pratique : l’ennui serait “une indigence de la satiété qui consiste à sentir qu’il ne suffit pas de tout avoir pour ne manquer de rien” (1). S’imposer un craving reviendrait alors – autant pour l’autotortionnaire à l’emploi du temps surchargé que pour le sujet mettant son cerveau en manque – à éviter de faire ce constat : et s’il continuait à manquer quelque chose une fois qu’on disposerait de tout ? En allant plus avant dans la réflexion, en passant de la sphère familiale au groupe social, on pourrait concevoir que notre modernité propose l’urgence comme modalité 48 | La Lettre du Psychiatre • Vol. VIII - no 2 - mars-avril 2012 ÉDITORIAL d’aménagement du vécu d’incomplétude inhérent à l’expérience humaine et dont l’ennui est une des formes d’expression. L’action, l’urgence, la performance, socles de notre modernité, auraient ainsi généré 2 formes différentes pour un même enjeu – formes apparemment opposées – : l’homme pressé et le toxicomane. Digne représentant de notre société qui confond nouveauté et changement, le toxicomane en incarne une sorte de quintessence. La scène agitée de la drogue, les nouvelles substances, les nouveaux usages loin de la créativité manifestent la dictature pathologique de l’addiction. Tout se passe donc comme si ces 2 blocs apparemment opposés avaient radicalisé l’incontournable et consubstantielle dualité de l’être humain. Changement et inertie, désir d’identité et désir de différence, ces mouvements permanents et opposés de la conscience humaine ne s’inscriraient plus dans la pathologie addictive comme des modalités dialectiques, mais séparées. Il est intéressant de constater que la sensation est ce qui permet au bien-portant, à chaque instant, de combiner dans un tout signifiant la dualité dont nous venons de parler. La sensation est ainsi matérialité, puisqu’elle fonde notre présence et nos actions ; elle est aussi subjectivité et évanescence. Personnelle et commune tout à la fois, elle constitue une possibilité de conscience et de réalité en dépit de l’incomplétude fondamentale de notre humanité. On peut ainsi s’interroger : la toxicomanie serait-elle une pathologie de la sensation ? Dès lors, comme nous le montrent Didier Touzeau et Gilbert Lagrue dans ce numéro, le sevrage dans sa radicalité n’est plus forcément l’option thérapeutique préférable. La consommation “sensible”, qui porte néanmoins encore le nom de “contrôlée”, devient une véritable possibilité thérapeutique. Concevoir l’addiction comme une pathologie de la sensation ouvre de nombreuses pistes fondamentales et thérapeutiques. Si, sur le plan neurophysiologique, la sensation se rapproche de la notion de salience dopaminergique, la sensation et ses représentations intéressent aussi les psychothérapeutes dans la mesure où la perception de toute sensation se conçoit dans un questionnement dialectique. C’est souvent ce questionnement qui est en difficulté chez l’usager de drogues. ” Pied de nez à l’ennui et à la répétition, tentons ainsi de promouvoir le sensible dans notre rencontre avec les toxicomanes. AVIS AUX LECTEURS Les revues Edimark sont publiées en toute indépendance et sous l’unique et entière responsabilité du directeur de la publication et du rédacteur en chef. Le comité de rédaction est composé d’une dizaine de praticiens (chercheurs, hospitaliers, universitaires et libéraux), installés partout en France, qui représentent,dans leur diversité (lieu et mode d’exercice, domaine de prédilection, âge, etc.), la pluralité de la discipline. 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