LETTRE SCIENTIFIQUE
Biologie à Grande Échelle!3
La formation de biofilms bactériens résulte de l’intégration de signaux émanant de l’environnement par les bacté-
ries qui acquièrent la capacité de s’agglomérer pour former une communauté sessile, protégée de l’extérieur par
la sécrétion de macromolécules biologiques, typiquement!: des exopolysaccharides, des protéines d’adhésion et de
l’ADN extracellulaire. Ces biofilms posent des problèmes de santé publique dès lors qu’on les retrouve sur des
instruments médicaux (implants, cathéters, sondes,…) ou qu’ils permettent à la bactérie d’échapper aux défenses
immunitaires de l’hôte et aux traitements antibiotiques. Ils constituent également un réservoir de bactéries favori-
sant l’apparition de mutants plus virulents ou résistants aux antibiotiques.
La bactérie Pseudomonas aeruginosa présente une
capacité singulière de transition entre un mode de
vie «!planctonique !» (mobile et virulent) et un
mode «!biofilm!» (sessile et moins virulent). Très
sensible à la phagocytose des polynucléaires neu-
trophiles, elle n’est pas pathogène pour les indivi-
dus sains, mais peut causer des infections mortel-
les chez les patients présentant un déficit de l’im-
munité cellulaire (personnes traitées par une chi-
mio-thérapie, en réanimation ou greffées,…). P.
aeruginosa est également une des premières causes
d’infections broncho-pulmonaires chez les patients
atteints de mucoviscidose.
La compréhension des mécanismes de régulation
bactériens contrôlant la formation de biofilms peut
ouvrir la voie vers de nouvelles approches théra-
peutiques. À l’heure actuelle, l’essentiel de la re-
cherche sur les biofilms bactériens se fait in vitro et
fait donc abstraction de la réponse immunitaire de
l’hôte. L’équipe Génétique & Chemogénomique du
laboratoire Biologie à Grande Échelle a utilisé la
mouche du vinaigre, Drosophila melanogaster, qui
possède une immunité cellulaire efficace, pour
mimer des infections chroniques à P. aeruginosa.
Dans ce modèle, les mouches sont infectées par
voie orale avec de la nourriture contaminée. La
virulence des bactéries est mesurée par leur capaci-
té à tuer les mouches infectées tandis que leur
capacité à coloniser le tractus intestinal est obser-
vée par microscopie confocale (Figure). La souche
de laboratoire Pseudomonas PAO1 est ainsi capable
de tuer les drosophiles en moins d’une semaine!;
elle est retrouvée sous forme de micro-colonies
extrêmement denses, caractéristiques de biofilms,
dans les zones antérieures du tractus intestinal!:
gésier, et proventricule (Figure). Ce système a été
utilisé dans le cadre d’une étude extensive d’une
souche Pseudomonas PAO1::PprBK menée par
l’équipe du Dr Sophie de Bentzmann de l’Univer-
sité Aix-Marseille. In vitro, cette souche forme très
facilement des biofilms. En cohérence avec les
observations faites in vitro, cette souche présente
une capacité accrue à former des biofilms chez la
mouche !; ainsi se maintient-elle non seulement
dans la zone antérieure du tractus intestinal, mais
également dans l’intestin moyen où la formation
de biofilms est mise en évidence par la détection
d’ADN extracellulaire autour des micro-colonies
(Figure). Chez la mouche, Pseudomonas
PAO1::PprBK se révèle moins virulente que la sou-
che parentale!: un phénotype lié d’une part à une
capacité réduite de traverser la barrière épithéliale
intestinale, et donc de disséminer dans l’hémo-
lymphe, et d’autre part, à l’absence de sécrétion de
toxines de système de sécrétion de type III (résul-
tats obtenus par l’équipe Pathogenèse Bactérienne et
Réponses Cellulaires du laboratoire Biologie du
Cancer et de l’Infection).
Ces résultats serviront de fondement pour lancer
de nouvelles recherches visant à identifier les
facteurs microbiens contrôlant les infections
chroniques ou aiguës dues à P. aeruginosa ainsi
que les facteurs génétiques ou physiologiques
qui, chez l’hôte, interfèrent avec la formation de
biofilms ou la dissémination des bactéries.
Des biofilms in vivo
Contact : Marie-Odile Fauvarque
BGE
Laboratoire Biologie à Grande Échelle
UMR_S 1038 - CEA - Inserm - UJF
Référence
de Bentzmann S, Giraud C, Bernard CS,
Calderon V, Ewald F, Plesiat P, Nguyen C,
Grunwald D, Attree I, Jeannot K, Fauvarque
MO and Bordi C. Unique biofilm signature,
drug susceptibility and decreased virulence in
Drosophila through the Pseudomonas aeruginosa
two-component system PprAB. PLoS Pathogens,
2012, 8(11): e1003052
PAO1::PprBK PAO1::PprBKPAO1
Figure. Le tractus intestinal des mouches est disséqué,
fixé et marqué après 1 jour d’infection par voie orale.
En rouge!: le marquage de l’actine permet de visualiser
les tissus de la mouche.
En bleu!: le marquage DAPI colore l’ADN et permet
de repérer les noyaux des cellules de l’épithélium intes-
tinal ou l’ADN bactérien extracellulaire.
En vert!: on observe les bactéries qui expriment une
protéine fluorescente (GFP).
Les deux souches PAO1 et PAO1::PprBK colonisent
très fortement le proventricule (indiqué PV), une
structure complexe située à l’extrémité antérieure de
l’intestin. La souche PAO1::PprBK est également
capable de s’ancrer fréquemment dans les parties
médianes de l’intestin (midgut indiqué MG) et de
sécréter massivement de l’ADN extracellulaire (Poin-
tes de flèches blanches, images de droite).
Les images du bas correspondent au grossissement de
la zone indiquée par un carré blanc, images du haut.
Images confocales : plate-forme d’imagerie de l’iRTSV.
Toxines de type III : certaines bactéries fabriquent des
toxines qu’elles injectent directement dans le cytoplasme
d’une cellule cible par le biais d'une nano-machinerie en
forme d'aiguille (système de sécrétion de type III). Pseu-
domonas aeruginosa est l’une de ces bactéries. Cf Lettres
scientifiques de l’iRTSV n° 16 et 29.