L E T T R E S C I E N T I F I Q U E iRTSV Institut de Recherches en Technologies et Sciences pour le Vivant Fonctions intégrées des protéines - Du vivant aux nanotechnologies Direction des Sciences du Vivant Résultats scientifiques Lettre n° 33 - Février 2013 Système biomimétique Jean-Louis Martiel Page 1 Nano-machine moléculaire Maria-Guillermina Casabona Page 2 Biofilms in vivo Marie-Odile Fauvarque Page 3 Système biomimétique Les cellules se déplacent et se déforment en utilisant la force développée par leur cytosquelette d’actine. Ce cytosquelette est fait d’un grand nombre de filaments, formant un réseau dont la composition et la dynamique sont très complexes et en perpétuel réarrangement. Pour comprendre cette dynamique, les chercheurs de l’équipe Physique du cytosquelette et de la morphogenèse du laboratoire Physiologie Cellulaire & Végétale, en collaboration avec Cécile Sykes de l’Institut Curie (Paris) utilisent un système biomimétique permettant de reconstituer in vitro un tel réseau d'actine. Ce système est composé de monomères d’actine, d’un complexe qui initie et réti- A cule des filaments d'actine (Arp2/3), d’un activateur de ce complexe qui recouvre la surface de billes de polystyrène, et d’une protéine qui interrompt l’élongation de ces polymères d’actine (la protéine de coiffe CP). Dans ce système biomimétique, le réseau d’actine qui se développe à la surface des billes est capable de les propulser. Cette nouvelle étude vise à caractériser la produc- tion de forces générées par les réseaux de filaments d’actine afin de mieux en comprendre la complexité en combinant la reconstitution du mouvement de ces billes et des modèles biophysiques. Tout d’abord, ces chercheurs ont modélisé la cinétique de croissance de réseaux de filaments à partir de filaments d’actine isolés positionnés à la surface d’une bille (Figure A). Chaque filament isolé est à l’origine d’un réseau réticulé qui se développe grâce i) à l’élongaContact de filaments d’actine isolés et activation Branchement par Arp2/3 et extension des sous-réseaux tion des filaments par polymérisation des monomères d’actine et ii) par leur branchement donnant lieu à une structure arborescente. temps temps Ceci est rendu possible par le complexe Arp2/3 qui initie et réticule des filaments d'actine et par l’activateur de ce complexe fixé à la surface des billes (Figure B). Néanmoins l'élongation de ces filaments est limitée par l’action Enchevêtrement des sous-réseaux Brisure de symétrie et rupture du réseau de la protéine de coiffe conduisant à la densification des réseaux. Pour une combinaison favorable des concentrations de Arp2/3 et de CP, il a formation temps d’un gel d’actine. Ces étapes (initiation, réticulation et élongation) sont simples à simuler par un modèle peu coûteux en temps de calcul et ceci pour un nombre réaliste d’environ 10 000 filaments Figure. Différentes étapes de la croissance du réseau d’actine à la surface d’une bille fonctionnalisée. par bille. A. Génération de sous-réseaux en différents points sur la bille. B. Extension, branchement et enchevêtrement des sous-réseaux. Suite en dernière page C. Lorsque l’enchevêtrement est complet, les interactions entre sous-réseaux sont modélisées par des ressorts. D. La force due à la polymérisation de monomères dans le réseau parvient à rompre l’un des ressorts. B C Physiologie Cellulaire & Végétale D 1 L E T T R E S C I E N T I F I Q U E Guerre civile bactérienne Les microbes vivent dans presque tous les environnements, formant des communautés poly-microbiennes appelées biofilms. Pendant la colonisation et l'infection des tissus, les agents pathogènes et commensaux cohabitent, interagissent, communiquent et combattent pour les éléments nutritifs. Dans la plupart des cas, un contact direct de cellule à cellule est nécessaire pour ce phénomène. L’équipe Pathogenèse Bactérienne et Réponses Cellulaires du laboratoire Biologie du Cancer et de l’Infection cherche à élucider les mécanismes moléculaires de la pathogénicité bactérienne et à décrypter les réponses cellulaires de l'hôte à l'infection. Une nouvelle nano-machinerie moléculaire capable de pourvoir « la bonne santé » de bactéries en leur permettant de mener une guerre intra- et inter- espèces a été récemment identifiée dans l'enveloppe bactérienne (Figure 1). Cette structure ressemble au bactériophage ; appelée système de sécrétion de type VI (SST6), elle se présente sous la forme d’un appendice retrouvé à la surface de la bactérie et composé de plus de 15 protéines qui agissent en tant que dispositifs d'injection de toxines ou d’autres effecteurs. Dans une étude bio-informatique précédente [1], SST6 avait été caractérisé comme étant un complexe de 13 protéines retrouvées à la fois chez les bactéries pathogènes et les non pathogènes. De plus, cette étude avait mis en évidence que certaines bactéries, tel le pathogène opportuniste humain Pseudomonas aeruginosa, présentaient un certain nombre de gènes accessoires spécifiques localisés dans le même opéron que celui qui code pour des protéines connues comme étant impliquées dans la régulation de l’activation de SST6. Une nouvelle étude a été réalisée en collaboration avec le groupe du Dr Joseph Mougous de l'Université de Washington [2] dans le but de caractériser les produits de ces gènes accessoires, souvent associés aux besoins spécifiques de la bactérie, afin de mieux comprendre le rôle de SST6 dans les interactions intra- et inter- bactériennes. Dans ce but, les chercheurs ont construit des mutants de P. aeruginosa délétés des gènes accessoires tagS, tagT, tagR et tagQ (Figure 2). Les systèmes de sécrétion dans ces bactéries mutantes se sont avérés être correctement assemblés mais incapables de sécréter leur toxines, suggérant que ces protéines ont un rôle dans la régulation de l’activation du SST6. Avec l’aide de la plate-forme protéomique de l’iRTSV, il a été montré que TagQ est une lipoprotéine qui est localisée sur la membrane externe de P. aeruginosa et qui est indispensable pour l'ancrage de TagR, un acteur clef dans l’activation du SST6, sur cette même membrane. Enfin des approches biochimiques ont permis de montrer que TagT et TagS forment un nouveau transporteur ABC intra-membranaire, lui aussi indispensable à l'activation du SST6. Ces études ont permis de proposer un modèle rendant compte du fait que les protéines considérées comme accessoires pour le système de sécrétion SST6 participent très probablement à une voie de signalisation trans-membranaire qui favorise la mise au point du dispositif d'injection dans des conditions environnementales appropriées. Contacts : Maria-Guillermina Casabona Ina Attrée BCI Laboratoire Biologie du Cancer et de l'Infection UMR_S 1036 - CEA - Inserm - UJF Références [1] Boyer F, Fichant G, Berthod J, Vandenbrouck Y and Attree I. Dissecting the bacterial type VI secretion system by a genome wide in silico analysis: What can be learned from available microbial genomic resources? BMC Genomics, 2009, 10: 104 [2] Casabona MG, Silverman JM, Sall KM, Boyer F, Coute Y, Poirel J, Grunwald D, Mougous JD, Elsen S and Attree I. An ABC transporter and an outer membrane lipoprotein participate in posttranslational activation of type VI secretion in Pseudomonas aeruginosa. Environmental Microbiology, 2013, 15(2): 471-486 Un opéron est un groupement de gènes qui sont transcrits ensemble en ARN messager. Les transporteurs ABC forment un vaste ensemble de protéines transmembranaires dont le rôle est le transport unidirectionnel de part et d'autre de la membrane cytoplasmique de diverses substances (ions, stérols, macromolécules...) en utilisant l'énergie fournie par l'hydrolyse de l'ATP. Pseudomonas aeruginosa A toxines B T6SS Cellule cible (Gram-) E. coli P. aeruginosa + E. coli P. aeruginosa ΔtagR + E. coli P. aeruginosa ΔtagS + E. coli C Figure 1. L’injection des toxines via SST6 est dépendante d’un contact entre deux cellules. P. aeruginosa ΔtagQ + E. coli P. aeruginosa ΔtagT + E. coli Figure 2. Tests de compétition entre P. aeruginosa et Escherichia coli, une autre bactérie à Gram négatif. A - Mono-culture de Escherichia coli (colonies colorées). B - Test de compétition entre E. coli et une souche sauvage de P. aeruginosa. Toutes les colonies de E. coli sont tuées. C - Dans ces tests de compétition, les quatre mutants de délétion de P. aeruginosa ΔtagQ, ΔtagR, ΔtagS et ΔtagT, sont mis en culture en présence de E. coli. Leur capacité à injecter une toxine dépendante du SST6 est évaluée au travers de ce test visuel. 2 Biologie du Cancer et de l'Infection L E T T R E S C I E N T I F I Q U E Des biofilms in vivo La formation de biofilms bactériens résulte de l’intégration de signaux émanant de l’environnement par les bactéries qui acquièrent la capacité de s’agglomérer pour former une communauté sessile, protégée de l’extérieur par la sécrétion de macromolécules biologiques, typiquement : des exopolysaccharides, des protéines d’adhésion et de l’ADN extracellulaire. Ces biofilms posent des problèmes de santé publique dès lors qu’on les retrouve sur des instruments médicaux (implants, cathéters, sondes,…) ou qu’ils permettent à la bactérie d’échapper aux défenses immunitaires de l’hôte et aux traitements antibiotiques. Ils constituent également un réservoir de bactéries favorisant l’apparition de mutants plus virulents ou résistants aux antibiotiques. La bactérie Pseudomonas aeruginosa présente une capacité singulière de transition entre un mode de vie « planctonique » (mobile et virulent) et un mode « biofilm » (sessile et moins virulent). Très sensible à la phagocytose des polynucléaires neutrophiles, elle n’est pas pathogène pour les individus sains, mais peut causer des infections mortelles chez les patients présentant un déficit de l’immunité cellulaire (personnes traitées par une chimio-thérapie, en réanimation ou greffées,…). P. aeruginosa est également une des premières causes d’infections broncho-pulmonaires chez les patients atteints de mucoviscidose. La compréhension des mécanismes de régulation bactériens contrôlant la formation de biofilms peut ouvrir la voie vers de nouvelles approches thérapeutiques. À l’heure actuelle, l’essentiel de la recherche sur les biofilms bactériens se fait in vitro et fait donc abstraction de la réponse immunitaire de l’hôte. L’équipe Génétique & Chemogénomique du laboratoire Biologie à Grande Échelle a utilisé la mouche du vinaigre, Drosophila melanogaster, qui possède une immunité cellulaire efficace, pour mimer des infections chroniques à P. aeruginosa. Dans ce modèle, les mouches sont infectées par voie orale avec de la nourriture contaminée. La virulence des bactéries est mesurée par leur capacité à tuer les mouches infectées tandis que leur capacité à coloniser le tractus intestinal est obser- PAO1 vée par microscopie confocale (Figure). La souche de laboratoire Pseudomonas PAO1 est ainsi capable de tuer les drosophiles en moins d’une semaine ; elle est retrouvée sous forme de micro-colonies extrêmement denses, caractéristiques de biofilms, dans les zones antérieures du tractus intestinal : gésier, et proventricule (Figure). Ce système a été utilisé dans le cadre d’une étude extensive d’une souche Pseudomonas PAO1::PprBK menée par l’équipe du Dr Sophie de Bentzmann de l’Université Aix-Marseille. In vitro, cette souche forme très facilement des biofilms. En cohérence avec les observations faites in vitro, cette souche présente une capacité accrue à former des biofilms chez la mouche ; ainsi se maintient-elle non seulement dans la zone antérieure du tractus intestinal, mais également dans l’intestin moyen où la formation de biofilms est mise en évidence par la détection d’ADN extracellulaire autour des micro-colonies (Figure). Chez la mouche, Pseudomonas PAO1::PprBK se révèle moins virulente que la souche parentale : un phénotype lié d’une part à une capacité réduite de traverser la barrière épithéliale intestinale, et donc de disséminer dans l’hémolymphe, et d’autre part, à l’absence de sécrétion de toxines de système de sécrétion de type III (résultats obtenus par l’équipe Pathogenèse Bactérienne et Réponses Cellulaires du laboratoire Biologie du Cancer et de l’Infection). PAO1::PprBK Ces résultats serviront de fondement pour lancer de nouvelles recherches visant à identifier les facteurs microbiens contrôlant les infections chroniques ou aiguës dues à P. aeruginosa ainsi que les facteurs génétiques ou physiologiques qui, chez l’hôte, interfèrent avec la formation de biofilms ou la dissémination des bactéries. Contact : Marie-Odile Fauvarque BGE Laboratoire Biologie à Grande Échelle UMR_S 1038 - CEA - Inserm - UJF Référence de Bentzmann S, Giraud C, Bernard CS, Calderon V, Ewald F, Plesiat P, Nguyen C, Grunwald D, Attree I, Jeannot K, Fauvarque MO and Bordi C. Unique biofilm signature, drug susceptibility and decreased virulence in Drosophila through the Pseudomonas aeruginosa two-component system PprAB. PLoS Pathogens, 2012, 8(11): e1003052 Toxines de type III : certaines bactéries fabriquent des toxines qu’elles injectent directement dans le cytoplasme d’une cellule cible par le biais d'une nano-machinerie en forme d'aiguille (système de sécrétion de type III). Pseudomonas aeruginosa est l’une de ces bactéries. Cf Lettres scientifiques de l’iRTSV n° 16 et 29. PAO1::PprBK Figure. Le tractus intestinal des mouches est disséqué, fixé et marqué après 1 jour d’infection par voie orale. En rouge : le marquage de l’actine permet de visualiser les tissus de la mouche. En bleu : le marquage DAPI colore l’ADN et permet de repérer les noyaux des cellules de l’épithélium intestinal ou l’ADN bactérien extracellulaire. En vert : on observe les bactéries qui expriment une protéine fluorescente (GFP). Les deux souches PAO1 et PAO1::PprBK colonisent très fortement le proventricule (indiqué PV), une structure complexe située à l’extrémité antérieure de l’intestin. La souche PAO1::PprBK est également capable de s’ancrer fréquemment dans les parties médianes de l’intestin (midgut indiqué MG) et de sécréter massivement de l’ADN extracellulaire (Pointes de flèches blanches, images de droite). Les images du bas correspondent au grossissement de la zone indiquée par un carré blanc, images du haut. Images confocales : plate-forme d’imagerie de l’iRTSV. Biologie à Grande Échelle 3 Lorsque la bille est entièrement recouverte par l’enchevêtrement des différents réseaux réticulés, il devient nécessaire d’intégrer au modèle cinétique, un autre modèle rendant compte de la mécanique des filaments. Les chercheurs adoptent une description ‘coarse grained’ dans laquelle les réseaux arborescents sont représentés par des points, et les interactions à l’interface entre deux réseaux par des ressorts (Figure C). On peut ainsi "oublier" les détails (filaments) pour se concentrer sur la dynamique globale des réseaux. Les forces dues à l’allongement des filaments (calculées par le modèle cinétique) sont appliquées aux ressorts (modèle ‘coarse grained’) et les mettent sous tension (Figures C et D). Lorsque l’extension d’un des ressorts dépasse un certain seuil, une fissure apparaît. En se propageant, cette fissure conduit à une brisure de symétrie (ou ouverture) du réseau global entourant la bille et in fine, à la propulsion de la particule (Figures D). Cette synergie expérience-modèle a permis d’identifier et de formuler les principes gouvernant la dynamique et l’organisation du cytosquelette. Ces recherches permettent de mieux comprendre le rôle de cette dynamique dans les cellules (conditions normales et pathologiques). Par exemple ces études mettent en évidence les conséquences des dysfonctionnements mécaniques intracellulaires pour des pathologies aussi graves que le cancer. Référence Kawska A, Carvalho K, Manzi J, Boujemaa-Paterski R, Blanchoin L, Martiel JL and Sykes C. How actin network dynamics control the onset of actin-based motility. Proceedings of the National Academy of Sciences, 2012, 109(36): 14440-14445 Contact : Jean-Louis Martiel LPCV Laboratoire Physiologie Cellulaire & Végétale UMR 5168 - CEA - CNRS - UJF - Inra Les laboratoires de l’iRTSV Directeur de la publication Dr. Jérôme Garin BCI CBM UMR_S 1036 CEA/Inserm/UJF UMR 5249 CEA/CNRS/UJF Biologie du Cancer et de l'Infection Chimie et Biologie des Métaux BGE PCV UMR_S 1038 CEA/Inserm/UJF UMR 5168 CEA/CNRS/UJF/Inra Biologie à Grande Échelle Physiologie Cellulaire & Végétale GPC Groupe Physiopathologie du Cytosquelette iRTSV et UMR_S 836 UJF/Inserm/CEA/CHU Éditeur et format électronique Pascal Martinez — [email protected] Comité de rédaction Ina Attrée, Maria-Guillermina Casabona, Marie-Odile Fauvarque, Jean-Louis Martiel. Institut de Recherches en Technologies et Sciences pour le Vivant http://www-dsv.cea.fr/irtsv http://www-dsv.cea.fr/irtsv/lettres CEA Grenoble 17 rue des Martyrs 38 054 Grenoble cedex 09 Responsable : Jérôme Garin Tel. : 04 38 78 45 01 Fax : 04 38 78 51 55 © CEA [2013]. Tous droits réservés. Toute reproduction totale ou partielle sur quelque support que ce soit ou utilisation du contenu de ce document est interdite sans l’autorisation écrite préalable du CEA 4 Contacts : [email protected]