CONGRÈS RÉUNION 7e symposium international sur les cellules tumorales circulantes et disséminées F.C. Bidard*, J.Y. Pierga* Athènes, 16-19 septembre 2009 Ce symposium est le rendez-vous biennal mondial des équipes se consacrant à l’étude des cellules tumorales disséminées (DTC) et des cellules tumorales circulantes (CTC) dans les tumeurs solides, hors hématologie. Ces deux types de cellules, détectées respectivement dans la moelle osseuse et le sang périphérique, permettent l’étude clinique et biologique du processus métastatique grâce à différentes avancées ­technologiques de ces dix dernières années (1, 2). Les principaux sujets abordés ont été : ▸ les aspects techniques de la détection et la caractérisation de ces cellules (nouvelles méthodes, etc.) ; ▸ les phénomènes biologiques associés au processus métastatique que l’on peut étudier sur les DTC et les CTC (transition épithélio-mésenchymateuse, cellules souches, etc.) ; ▸ les études cliniques (ou à but clinique direct) cherchant des cibles thérapeutiques ou évaluant ces cellules en tant que facteur pronostique et surrogate marker précoce d’efficacité des traitements. Actualités sur les cellules tumorales disséminées * Laboratoire CirCé, Institut Curie, Paris. Historiquement, les DTC ont été les premières à être détectées dans la moelle osseuse de patients atteints de diverses tumeurs solides. Ces micrométastases médullaires (appellation maintenant abandonnée au profit de DTC) ont fait la preuve de leur valeur pronostique lors du diagnostic de cancer non métastatique, essentiellement dans les cancers du sein (plus de 5 000 patientes étudiées) [3], mais aussi dans d’autres cancers, comme les cancers colorectaux (4). La détection est essentiellement cytologique (immunocytomarquage). Les méthodes moléculaires (RT-qPCR sur la cytokératine 19 par exemple) restent plus discutées du fait de l’absence de transcrit spécifique (2). Rappelons aussi que, dans le cas des cancers pour lesquels on dispose d’un transcrit tumoral spécifique (EWS/Fli1 des sarcomes d’Ewing), la détection de DTC par biologie molé­ culaire est bien plus fiable (5). Une étude (Polzer B et al.) a rapporté l’impact pronostique des DTC dans le cancer de la prostate 510 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 9 - novembre 2009 localisé, avant chirurgie (n = 244) ou après chirurgie (n = 214) [6]. Au contraire de ce qui a été rapporté dans une méta-analyse portant sur le traitement adjuvant après chirurgie du cancer du sein (Naume B et al.), les DTC n’étaient associées à la survie sans métastase qu’avant la chirurgie. L’effet des DTC après prostatectomie radicale ne serait ainsi significatif que pour les patients dont les DTC expriment EpCAM, ce qui rendrait les choses plus complexes. Dès lors que des macrométastases ont été diagnostiquées (stade IV), la recherche de DTC n’a plus d’intérêt pronostique, comme cela a été rappelé pour les cancers du sein (7). Biologiquement, il est très probable que les DTC correspondent aux fameuses cellules souches tumorales qui ont fait l’objet de différentes revues lors de ce symposium. L’hypothèse d’une recirculation, après une période de “dormance” (8) – correspondant au temps avant rechute métastatique –, de ces DTC depuis la moelle osseuse vers les autres organes, a été récemment confortée par l’établissement d’un lien entre la présence de DTC (déjà corrélée à une évolution métastatique plus fréquente) et les rechutes locorégionales des cancers du sein, possiblement via la chaîne mammaire interne (9). Dans le cadre d’un essai norvégien portant sur des patientes DTC+ atteintes d’un cancer du sein en situation adjuvante (Naume B et al.), une deuxième chimiothérapie “postadjuvante” (instaurée environ 6 mois après la chirurgie) par 6 cures de docétaxel a été administrée après 6 cures de FEC. Ce traitement semble intéressant, car près de 75 % des patientes sont devenues DTC– après cette chimiothérapie complémentaire, la persistance des DTC ayant été antérieurement associée à un mauvais pronostic. Les données de survie (objectif secondaire dans cette étude non randomisée) n’étaient pas encore disponibles. Plusieurs groupes travaillent sur les micromanipulations des DTC, qui permettent des analyses CONGRÈS RÉUNION Actualités sur les cellules tumorales circulantes génomiques (CGH array), parfois transcriptomiques (ARN microarray), et le plus souvent phénotypiques par immunocytomarquage. Ces travaux confirment l’hétérogénéité phénotypique des cellules et, surtout, sur l’absence de concordance absolue entre la tumeur primitive et les DTC (10). Ce type d’étude devient cliniquement intéressant dès lors qu’elles rapportent une amplification de HER2 dans les DTC de 30 % des tumeurs primitives HER2–, ce qui pourrait être une bonne explication de l’efficacité apparente du trastuzumab dans les tumeurs HER2– de l’essai du NSABP B31 (11). Le nombre d’agents susceptibles d’agir sur ces DTC “dormantes” augmente considérablement avec le développement des thérapies ciblées (anti-HER2, antiangiogéniques, etc.). Il faut remarquer, enfin, que, si les études cliniques de développement des bisphosphonates en adjuvant du cancer du sein n’ont pas spécifiquement ciblé les patientes DTC+, il est très vraisemblable que l’effet observé dans la population générale soit dû au sous-groupe de patientes DTC+ (12, 13). En revanche, le développement du dénosumab (anticorps anti-RANK ligand) semble prévoir (c’est au moins le cas d’une étude à venir dans les groupes allemands) une stratification en fonction du statut DTC des patientes. Enfin, il a été rappelé que la présence de DTC n’est pas systématiquement associée à la présence de CTC chez un même patient et que le niveau de preuve (en nombre de patientes étudiées) reste nettement plus élevé pour les DTC que pour les CTC, même si ces dernières ont fait l’objet de la vaste majorité des communications (Pierga JY et al.). Innovations techniques Depuis 2004, la technique en immunofluorescence CellSearch® (Veridex) reste, et de loin, le gold ­standard pour la détection des CTC en clinique. Elle a pour le moment montré son intérêt pronostique mais également prédictif dans le bilan et le suivi du cancer du sein métastatique, le cancer du côlon métastatique ou le cancer de la prostate hormonorésistant métastatique, comme l’illustre la figure 1. Outre le comptage de CTC et la détection de HER2 et d’EGFR, qui sont déjà disponibles (figure 2), certains prototypes de détecteurs ont été créés pour réaliser des analyses FISH sur les CTC détectées (Terstappen L et al.). Globalement, ce symposium n’a pas témoigné d’une franche avancée des autres techniques, bien qu’une place importante leur ait été réservée (19). Ainsi, la technique AdnaGen® (Kasimir-Bauer S et al.), qui détecte les CTC par PCR non quantitative, n’a pas réussi à démontrer sa supériorité (en termes d’usage clinique ou biologique) sur CellSearch® (20). En outre, le développement d’AdnaGen® est compromis à moyen terme par la technique PCR multigénique quantitative mise au point par des équipes grecques (Lianidou E et al.), pouvant théoriquement analyser en parallèle une centaine de gènes (versus 3 gènes pour AdnaGen®). On notait par ailleurs deux grands absents à ce congrès : le Français Metagenex, dont le principe de filtrage des CTC semble avoir été optimisé par une équipe américaine motivée (Cote et al.), Carcinomes métastatiques Sein (n = 177) Taux de survie (%) 80 60 40 10,9 mois 0 21,9 mois 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 Log-rank p < 0,0001 < 5 CTC n = 94 (43 %) < 3 CTC n = 334 (74 %) 19,1 mois 8,5 mois 21,7 mois 11,5 mois ≥ 5 CTC n = 125 (57 %) ≥ 3 CTC n = 117 (26 %) ≥ 5 CTC n = 88 (50 %) 20 Prostate (n = 219) Log-rank p < 0,0001 Log-rank p < 0,0001 < 5 CTC n = 89 (50 %) 100 0 Colorectal (n = 451) 0 5 10 15 20 25 30 0 5 10 15 20 25 30 Temps depuis l’inclusion (mois) Figure 1. Le taux de CTC avant traitement prédit la survie globale (résultats obtenus par la technique CellSearch®) [14-18]. La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 9 - novembre 2009 | 511 CONGRÈS RÉUNION Canal de fluorescence libre : utilisation possible pour immunocytomarquage de cibles moléculaires Composite CD45 EGFR CK DAPI Composite CD45 HER2 CK DAPI Figure 2. Détection de l’expression de HER2 ou d’EGFR sur les cellules tumorales capturées par la technique CellSearch®. Taux de survie globale (%) 100 Figure 3. Essai Remagus 02 : survie globale des patientes, selon le statut CTC+ ou CTC–, en situation néo-adjuvante. 75 50 25 0 0 12 24 36 48 60 38 11 2 2 Temps (mois) CTC+ CTC– 73 22 69 20 58 16 et l’équipe américaine de Toner, qui a décommandé la présentation de sa technique microfluidique dont les résultats très prometteurs n’ont pas été reproduits (21, 22). L’équipe de physico-chimie de l’Institut Curie (Viovy JL et al.) a présenté son propre système, également microfluidique, actuellement toujours en phase préclinique. Utilisation clinique Les résultats rapportés concernaient essentiellement les cancers du sein et de la prostate, même si d’autres localisations sont en cours d’investigation (cancer du 512 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 9 - novembre 2009 pancréas dans l’essai LAP07 du GERCOR, mélanome, cancer du poumon, cancer colorectal, etc.). Dans le cancer du sein traité par chimiothérapie néo-adjuvante, les résultats de l’étude française Remagus 02 (coordonnée par le Pr M. Marty) ont été actualisés, et montrent un impact fort de la détection de CTC sur la survie globale après 36 mois de suivi médian (figure 3) [23]. Dans cet essai, la détection de CTC semble en outre indépendante du type de sous-classe moléculaire (Bidard FC et al.), alors même que le système CellSearch® semblait ne pas détecter les cellules normal-like in vitro (24). L’essai allemand GeparQuattro (Pantel K et al.) était le deuxième essai néo-adjuvant à rechercher les CTC avec la technique CellSearch®. Il confirme les résultats cliniques de Remagus 02 sur le taux de détection (15 à 20 % de positivité) et la non-corrélation entre les variations de CTC en cours de chimiothérapie et la réponse tumorale à la chimiothérapie. Les données de survie ne sont pas encore connues. Les résultats de l’essai SUCCESS allemand (portant sur plus de 1 500 patientes) dans le cancer du sein traité par chimiothérapie adjuvante ont été rappelés : l’effet est indépendant de la détection de CTC après chimiothérapie (environ 10 % de positivité) tant sur la survie sans rechute que sur la survie globale, après un suivi médian pour l’instant très limité (14 mois) [Schindlbeck C et al.]. Plusieurs essais interventionnels utilisant les CTC pour modifier la prise en charge des patientes sont en cours ou prévus (tableau). Les investigateurs (Cristofanilli M et al.) ont reconnu, lors du symposium, que le schéma de cette première étude (SWOG 500) risque d’être inadapté. Introduire la deuxième ligne 6 semaines avant l’évaluation radiologique en cas de non-réponse (d’après l’évaluation par CTC, qui est inexacte dans 20 % des cas dans cette situation) ne peut pas influencer fortement la survie globale. Il ne serait pas surprenant que l’essai soit arrêté prochainement, de manière à “éviter” un résultat négatif, alors que la technique est déjà autorisée et commercialisée aux États-Unis. Dans le cancer de la prostate, les différents résultats obtenus par le Royal Marsden Hospital (de Bono JS et al.) [18] et le Memorial Sloan-Kettering Cancer Center (Scher HI et al.) lors d’études ancillaires au développement de l’abiratérone ont été rappelés, sans données nouvelles (25). Au moins 5 grandes études observationnelles, incluant le décompte mais aussi la caractérisation moléculaire des CTC (PTEN, amplification du récepteur aux androgènes, etc.), ont été lancées, sans être détaillées, sous la forme d’études ancillaires à des études de phase III d’enregistrement de nouvelles molécules (SWOG0421, CONGRÈS RÉUNION Tableau. Essais interventionnels fondés sur les cellules tumorales circulantes dans le cancer du sein en cours ou prévus. Nom, coordinateur (pays) SWOG0500 Hayes DF (États-Unis) CirCé01 Pierga JY (France) Stade n inclusions n randomisées Objectif principal (date de début) M+ Première ligne 500 120 Survie globale (2006) ▸ Randomisation des patientes sans réponse cellulaire à la M+ Troisième ligne ou plus 344 Survie globale (2009) ▸ Randomisation des patientes entre suivi normal et suivi 304 Méthode première injection de chimiothérapie de première ligne (d’après les CTC à J21) entre poursuite et changement précoce de chimiothérapie par CTC ▸ Dans le bras CTC, les cliniciens auront pour les patientes une évaluation quantitative par CTC lors de chaque nouvelle ligne de traitement, et une mesure de l’expression de HER2 sur les CTC (20 à 30 % des patientes classées HER2– ont des CTC HER2+ au cours de l’évolution métastatique) TREAT CTC Sotiriou C (Belgique EORTC) Adjuvant 550 etc.). Il semblerait toutefois que la technique retenue ne soit plus toujours CellSearch®, mais parfois le filtre à CTC de l’université de Miami (Cote RJ et al.). Caractérisation biologique des cellules tumorales circulantes Là encore, le cancer du sein était l’objet de la plupart des études. Il faut retenir principalement la tendance générale à rattacher les CTC aux cellules souches tumorales. Les CTC font ainsi l’objet de caractérisations diverses, variant selon les équipes, tendant à retrouver quelques-uns des marqueurs membranaires “souches”, sans que ces études puissent pour l’instant emporter la conviction. De même, l’isolement de marqueurs de transition épithélio-mésenchymateuse est particulièrement ardu dans ce contexte de cellules épithéliales isolées dans le sang, qui est lui-même un compartiment mésenchymateux. L’étude la plus intéressante, allemande (Fehm T et al.), se consacre à la comparaison, chez plus de 400 patientes en situation adjuvante, de différentes techniques de mesure de HER2 dans les CTC. Quatre techniques ont été comparées : AdnaGen®, CellSearch®, Epispot (26) et FISH traditionnelle. Seuls les résultats d’AdnaGen® et CellSearch® ont été 20 Disparition des CTC (2010) ▸ 500 patientes HER2– seront screenées en adjuvant, dont environ 80 (15 %) devraient présenter au moins 1 CTC détectée. Parmi ces 80 patientes, 20-30 % (soit environ 20 patientes) exprimeront HER2 à la surface d’au moins 1 des CTC détectées (en immunocytofluorescence). Ces 20 patientes seront randomisées entre un bras contrôle et un bras trastuzumab (6 injections) rapportés ; ils semblent ne pas présenter de franches différences : au stade métastatique, jusqu’à 30 % des patientes HER2– sur la tumeur primitive présenteraient des CTC HER2+, ce qui ouvre une possibilité de traitement à tester. L’ensemble de l’étude, qui sera présentée au congrès de San Antonio en 2009, permettra de savoir si le marquage membranaire fluorescent de HER2, que l’on obtient facilement en CellSearch®, peut se substituer (sans trop d’erreur) à la FISH, technique particulièrement fastidieuse sur des cellules rares. Conclusion Comme ce symposium l’a souligné, le nombre de publications sur les DTC et les CTC est en croissance exponentielle sur les 5 dernières années. L’utilisation généralisée des thérapies ciblées soutient largement ce développement grâce à l’information quantitative (pronostique) et qualitative (cibles, etc.) qu’apportent les CTC et les DTC, les CTC ayant même été qualifiées de “biopsie liquide” ou de “biopsie en temps réel” à plusieurs reprises. Alors que l’intérêt pour la détection des CTC et le nombre d’innovations techniques vont croissants, le bénéfice de l’utilisation de ces techniques en pratique courante reste à démontrer. ■ La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 9 - novembre 2009 | 513 ASCO GI 22-24 janvier 2010 On line Orlando Floride Recevez en direct les temps forts du congrès Coordonnateur : D. Malka Rédacteurs : D. Malka, E. Mitry, G. Lledo Ceci est un compte-rendu de congrès dont l’objectif est de fournir des informations sur l’état actuel de la recherche ; ainsi, les données présentées sont susceptibles de ne pas être validées par les autorités françaises et ne doivent donc pas être mises en pratique. Ces informations sont sous la seule responsabilité des auteurs et des orateurs qui sont garants de l’objectivité de cette présentation. Site réservé aux professionnels de la santé avec le soutien institutionnel de Renseignements auprès des délégués de votre région 514 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XVIII - n° 9 - novembre 2009 Références bibliographiques 1.◆Bidard FC, Saliba AE, Saias L et al. Circulating tumor cells and breast cancer: detection techniques and clinical results. Bull Cancer 2009; 96:73-86. 2.◆Pantel K, Alix-Panabières C, Riethdorf S. Cancer micrometastases. Nat Rev Clin Oncol 2009;6:339-51. 3.◆Braun S, Vogl FD, Naume B et al. A pooled analysis of bone marrow micrometastasis in breast cancer. N Engl J Med 2005;353:793-802. 4.◆Riethdorf S, Wikman H, Pantel K. Review: Biological relevance of disseminated tumor cells in cancer patients. Int J Cancer 2008;123:1991-2006. 5.◆Schleiermacher G, Peter M, Oberlin O et al. Increased risk of systemic relapses associated with bone marrow micrometastasis and circulating tumor cells in localized Ewing tumor. 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