Cellules tumorales circulantes : isolement, caractérisation et intérêt en clinique

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Cellules tumorales
et ADN libre circulant
dossier
thématique
Cellules tumorales circulantes :
isolement, caractérisation
et intérêt en clinique
Circulating tumor cells: isolation, characterization and clinical application
Emma Pailler*, Rachel Young*, Françoise Farace*
très prometteuses en oncologie. Du fait de leur très grande
rareté dans le sang périphérique, ces cellules requièrent des
technologies d’analyse complexes présentant un niveau de
sensibilité élevé. Leur détection ou caractérisation nécessite
2 étapes : une première étape d’enrichissement suivie d’une
seconde de détection, ou caractérisation proprement dite, grâce
à des approches immunologiques, moléculaires ou fonctionnelles.
Cet article présente une synthèse des principales technologies
d’enrichissement et de détection des CTC disponibles à ce jour.
Grâce à ces technologies, leur intérêt pronostique a été démontré
dans plusieurs cancers métastatiques. Ces technologies permettent
aussi maintenant d’accéder à la caractérisation de divers types
d’anomalies génétiques et de biomarqueurs moléculaires présents
dans les CTC. Ainsi, les CTC pourraient être exploitées comme
une “biopsie liquide” pour diagnostiquer des biomarqueurs
moléculaires, sélectionner un traitement ciblé et suivre son efficacité
ou l’émergence de résistances.
Summary
RÉSUMÉ
» Les cellules tumorales circulantes (CTC) offrent des perspectives
Mots-clés : Cellules tumorales circulantes – Événements rares –
CellSearch® – Thérapies ciblées – Anomalies moléculaires.
* Université Paris­
Sud XI, Inserm U981
“Biomarqueurs
prédictifs et nouvelles
stratégies moléculaires
en thérapeutique anti­
cancéreuse”, institut de
cancérologie Gustave­
Roussy, Villejuif ; labo­
ratoire de recherche
translationnelle, unité
de biologie des cellules
circulantes, institut
de cancérologie
Gustave­Roussy.
162
L
es cancers métastatiques sont responsables
d’environ 90 % de la mortalité par cancer. Au
milieu du XIXe siècle, le pathologiste australien
Thomas Ashworth proposa l’hypothèse que les cellules tumorales circulantes (CTC) pourraient jouer un
rôle essentiel dans le développement de métastases et
représenteraient une population hétérogène de cellules
provenant à la fois de la tumeur primitive et des métastases. Pendant de nombreuses années, la recherche
sur les CTC dans le sang n’a pas suscité l’intérêt de la
communauté scientifique, plus particulièrement focalisée sur la caractérisation de la tumeur solide en ellemême. Les progrès dans le domaine des CTC ont été
entravés par le défi technologique que représentent
l’enrichissement et la détection d’événements aussi
Circulating tumor cells (CTCs) offer great promise in oncology.
Due to their extreme rarity in the peripheral blood, these cells
require complex analytical technology with a high level
of sensitivity. Their detection or characterization requires
2 steps: an enrichment step followed by detection, or rather
characterization, made possible by immunological, molecular
or functional approaches. This review presents an overview
of the principal CTC enrichment and detection technologies
available today. Thanks to these technologies, the interest
of CTCs as potential biomarkers has been described in
several metastatic cancers. These technologies allow for
the characterization of various types of genetic anomalies
and molecular biomarkers present in CTCs. CTCs can also
be exploited as a “liquid biopsy” in diagnosis of molecular
biomarkers and selection of targeted treatment, providing
information on patient prognosis and treatment efficacy or
emerging resistance.
Keywords: Circulating tumor cells – Rare events – CellSearch® –
Targeted therapies – Molecular abnormalities.
rares dans le sang périphérique. En effet, ces cellules
représentent quelques éléments seulement parmi des
millions de cellules hématopoïétiques dans 10 ml de
sang chez un patient atteint de cancer métastatique (1).
Depuis leur première description, les CTC se sont montrées très prometteuses en raison tant de leur intérêt
clinique que de leur rôle dans le processus métastatique.
À l’heure actuelle, la biologie de ces cellules est encore
très mal connue, et nous disposons de peu de données
sur les processus qui régulent leur devenir pendant
leur transit dans le sang. Il est maintenant établi que
le nombre de CTC est un biomarqueur pronostique
dans plusieurs cancers métastatiques (sein, prostate,
poumon). La caractérisation des CTC, tant du point de
vue de l’énumération que de la caractérisation phéno-
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Cellules tumorales circulantes : isolement, caractérisation et intérêt en clinique
typique et moléculaire, est susceptible de fournir un
plus grand nombre d’informations cliniques concernant
le pronostic, le choix, l’efficacité, la résistance aux thérapies ciblées ainsi que la découverte de nouvelles cibles
thérapeutiques pour le développement de nouveaux
agents anticancéreux. Sans avoir la prétention d’être
exhaustif, cet article a pour objectif de présenter les différentes technologies d’enrichissement et de détection
des CTC disponibles à ce jour ainsi que les principales
applications cliniques qui en découlent.
ENRICHISSEMENT
Sélection positive
Immunoséparation
CD45+
EpCAM+
MUCI+
Filtration
Enrichissement, détection
et caractérisation des CTC
RosetteSep
GlycoA+ CD45+
La dernière décennie a vu l’avènement de nouvelles
approches cytométriques de détection des CTC. Ces
technologies sont plus sensibles et plus spécifiques
que les méthodes précédentes de PCR, principalement
de PCR quantitative en temps réel (RT-PCR), basées sur
l’amplification d’anomalies génétiques ou de transcrits
de gènes spécifiques de tumeurs ou de tissu dans le
sang total (2). Les CTC étant extrêmement rares, de
l’ordre de 1 à 10 par millilitre de sang, les méthodes
de détection nécessitent un niveau de sensibilité élevé
et requièrent la combinaison de 2 étapes : une étape
d’enrichissement et une méthode de détection et de
caractérisation de ces cellules.
Séparation par
gradient de densité
Puces microfluidiques
Nanodétecteur Gilupi
EpCAM+
Charges électriques
Propriétés optiques
Propriétés photoacoustiques
Stratégies d’enrichissement des CTC
À l’heure actuelle, 2 grands types de technologies
d’enrichissement sont utilisables afin d’obtenir un
échantillon enrichi en cellules tumorales : l’isolement
des CTC par sélection positive et l’enrichissement par
sélection négative (figure). Cette étape est indispensable, car elle permet de limiter la contamination en
cellules non tumorales de la fraction enrichie. Parmi les
techniques de sélection positive, plusieurs approches
ont été développées. La technologie d’enrichissement
la plus largement utilisée repose sur une immunoséparation au moyen de billes magnétiques ou ferrofluides
recouvertes par un anticorps dirigé contre un ou des
antigènes d’intérêt spécifiques aux cellules tumorales
de la tumeur. Ce type de technologies regroupe l’approche CellSearch®, l’AdnaTest, l’anti-EpCAM (Epithelial
Cell Adhesion Molecule)/anti-cytokeratin antibody CTC
enrichment, le MACS® (Magnetic-Activated Cell Sorting),
le MagSweeper, le Dynabeads® Epithelial Enrich (3).
La méthode CellSearch®, basée sur l’enrichissement
de cellules exprimant l’antigène EpCAM, est l’unique
Sélection négative
Déplétion
DÉTECTION/CARACTÉRISATION
Techniques immunologiques, moléculaires ou fonctionnelles
Figure. Enrichissement, détection et caractérisation des cellules tumorales circulantes.
technologie approuvée par l’agence fédérale américaine
des produits alimentaires et médicamenteux. La technologie AdnaTest, quant à elle, combine 2 antigènes
épithéliaux associés à la tumeur : un anticorps antiEpCAM et 2 anticorps anti-MUC1 (4).
Un autre type de technologie basé sur la sélection positive a également été développé ; il s’agit de la sélection
sur des caractéristiques physiques des CTC. Une des
premières techniques repose sur la morphologie de
ces cellules via un système de filtration discriminant
les cellules par le critère de taille et regroupant notamment les méthodes ISET® (Isolation by Size of Epithelial
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Tumor trophoblastic cells) [5], ScreenCell® (6), Nucleopore
Assay (7), Aquamarijn (8) ou encore la méthode développée par l’équipe de R.J. Cote (9). Ce type de méthode
permet aux cellules de traverser la membrane microporeuse que représente le filtre grâce à un système
de pression ou de courant électrique. Une nouvelle
génération de microfiltres en parylène permet également de capturer des CTC non fixées afin de mesurer
l’activité des télomérases (10). Un autre type de filtration
a aussi été développé sur un microfiltre en 3 dimensions
constitué de 2 couches d’une membrane en parylène
poreuse (11). Cette méthode permet d’enrichir en CTC
sans a priori du phénotype. Cependant, du fait de la
forte variabilité de la taille des CTC, la taille fixe des pores
entraîne une importante contamination en leucocytes.
Une variante de cette approche a été développée par
Clearbridge BioMedics avec une biopuce ClearCell® qui
utilise les propriétés physiques de taille et de déformabilité des cellules cancéreuses, qui sont plus grandes et
plus rigides que les cellules sanguines (12). Une autre
stratégie combine l’isolement des CTC grâce à des billes
de 3 µm recouvertes par des anticorps dirigés contre
le marqueur épithélial EpCAM et la filtration par un
système microfluidique (13).
La seconde technique basée sur les propriétés physiques
est le Ficoll-Isopaque avec le système Lymphoprep™. Elle
est basée sur la séparation par gradient de densité suite
à une centrifugation qui permet de séparer les cellules
mononucléaires, caractérisées par leur faible densité,
des autres cellules sanguines (seuil de 1,077 ng/ml).
La méthode OncoQuick® est similaire mais présente
l’avantage de combiner une barrière poreuse qui évite la
contamination par le sang total des cellules isolées (14).
Diverses techniques basées sur les propriétés électriques
des CTC ont également été développées, notamment
le dispositif microfluidique combinant la séparation
cellulaire par MOFF (Multi-Orifice Flow Fractionation)
et par diélectrophorèse (DEP) des cellules (3). La
méthode ApoStream® DEP-FFF (Dielectrophoresis Field
Flow Fractionation) permet quant à elle d’isoler les CTC
viables selon leur DEP, qui varie avec les différences de
taille et de propriétés de la membrane (15).
Ces dernières années ont vu l’émergence des puces
microfluidiques, très innovantes d’un point de vue technologique. Le premier système CTC-chip rapporté initialement par l’équipe de M. Toner en 2007 était composée de
microposts recouverts par l’anticorps dirigé contre la protéine EpCAM (16). Le sang est pompé à travers la puce, et
les CTC sont capturées par les microposts puis marquées
avec les anticorps anticytokératines, anti-CD45 et par le
marqueur nucléaire DAPI puis détectées dans la puce à
l’aide d’un microscope à fluorescence. Le marqueur CD45
164
est un marqueur leucocytaire permettant l’exclusion des
cellules sanguines. Cependant, les résultats extrêmement
prometteurs en termes de sensibilité publiés par cette
équipe n’ont pas été confirmés. Cette équipe a par la
suite développé une puce microfluidique à haut débit,
le herringbone chip, qui permet de détecter des CTC dans
le sang total sans prétraitement des échantillons (17).
Globalement, les systèmes microfluidiques basés sur
l’expression d’EpCAM ne permettent pas une capture plus
efficace que le CellSearch® mais offrent une plus grande
souplesse au niveau de la détection et de la caractérisation. En effet, ces systèmes sont compatibles avec une
haute résolution d’image, et il est possible de contrôler
les forces et interactions entre les cellules. L’équipe française de J.Y. Viovy a développé un “laboratoire sur puce”,
baptisé Ephesia, qui regroupe, sur un support extrêmement réduit, un tamis à cellules constitué d’un réseau de
colonnes formées de microbilles magnétiques portant
des anticorps dirigés contre une protéine de surface
spécifique aux cellules tumorales (18). Ce système original
combine les avantages du tri microfluidique (contrôle du
flux et des interactions entre billes et cellules) et ceux du
tri immunomagnétique. Un autre système microfluidique
permettant la sélection à haut débit, l’énumération et la
manipulation électrocinétique des CTC a été développé
par l’équipe américaine de S.A. Soper (19). Plus récemment, une nouvelle génération de puces est apparue,
basée sur un capteur à effet Hall (20). Les cellules sont,
dans un premier temps, marquées avec des nanoparticules (anticorps dirigés contre une protéine de surface
spécifique de type HER2, EGFR ou EpCAM et conjugués
à des billes magnétiques). Les cellules marquées dans le
sang total peuvent alors être acheminées dans le canal
microfluidique, où les sondes de Hall les capturent. Une
équipe américaine a également développé une technologie reposant sur l’utilisation d’un cocktail d’anticorps
dirigés contre divers antigènes de surface tels que HER2,
MUC1 ou encore EGFR, des antigènes mésenchymateux,
telle la N-cadhérine, et des antigènes caractéristiques des
cellules souches (21). Les CTC peuvent ensuite être analysées individuellement. Du fait du large panel de puces
microfluidiques actuellement développées, cette revue
n’a pas la prétention d’être exhaustive pour l’ensemble
de cette technologie.
La seule approche in vivo actuellement développée est
le système CellCollector™ Gilupi (22). Le nanodétecteur,
fil d’acier inoxydable recouvert d’une fine couche d’or et
d’hydrogel présentant l’anticorps anti-EpCAM, est présent sur une aiguille qui est directement placée dans la
veine du patient. Pendant les 30 minutes où le dispositif
est présent sur le patient, les CTC EpCAM positives sont
retenues et environ 1,5 l de sang passe dans le système.
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Cellules tumorales circulantes : isolement, caractérisation et intérêt en clinique
D’autres techniques très innovantes sont en cours de
développement, qui reposent sur la signature optique
des CTC avec la technologie OFIS (OptoFluidic Intracavity
Spectroscopy) ou encore sur leurs caractéristiques
photoacoustiques (3).
L’approche par sélection négative a été moins explorée. Elle repose essentiellement sur le système de
déplétion négative qui consiste à éliminer les cellules
porteuses d’un antigène non tumoral spécifique,
comme, par exemple, le marqueur CD45 spécifique
aux leucocytes. Cette méthode est notamment développée par Invitrogen avec la technologie Dynabeads®
CD45. Ce marqueur pan-leucocytes peut également
être combiné avec le marqueur CD61 spécifique aux
mégacaryocytes et aux plaquettes (23). Le système
RARE (RosetteSep-Applied imaging Rare Event) est une
technique qui combine, d’une part, la sélection négative
permettant d’éliminer les leucocytes CD45+ pontés
spécifiquement aux érythrocytes grâce à la glycophorine A et, d’autre part, la séparation par gradient de
densité (24). Une sélection peut également être réalisée en combinant d’autres marqueurs tels que CD2,
CD16, CD19, CD36, CD38, CD45, CD66. L’équipe de
J.J. Chalmers a notamment développé une approche
permettant la lyse des globules rouges puis une déplétion immunomagnétique des cellules CD45+, ce qui
permet ensuite la caractérisation des cellules retenues
par immunocytochimie ou RT-PCR (25).
Détection et caractérisation des CTC
Après enrichissement, la détection peut être réalisée
par des techniques immunologiques (immunocytochimie et immunofluorescence), moléculaires ou encore
fonctionnelles.
La technologie CellSearch® décrite ci-dessus combine
l’enrichissement et la détection. Ainsi, les CTC capturées à l’aide de billes magnétiques recouvertes avec
un anticorps spécifique du marqueur épithélial EpCAM
sont marquées avec des anticorps dirigés contre les
cytokératines 8, 18 et 19 et contre le CD45 et avec le
DAPI, marqueur nucléaire. Les cellules cytokératines+/
DAPI+/CD45− sont comptées grâce à un scanner à fluorescence (26). Selon cette méthode, une CTC est définie
selon plusieurs critères :
✓ cellule intacte avec une morphologie ronde ou ovale
et de taille supérieure à 4 μm ;
✓ cellule avec un noyau à l’intérieur du cytoplasme
et une aire nucléaire inférieure à l’aire cytoplasmique ;
✓ cellule marquée positivement par les cytokératines
et négativement par le CD45.
Cette méthode ne s’adapte donc qu’à la détection de
CTC de phénotype épithélial exprimant l’EpCAM de
façon forte ou modérée, et ne permet aucune flexibilité
pour la caractérisation des CTC, mis à part les marqueurs
commercialisés tels qu’EGFR ou HER2. Sa conception
actuelle ne permet pas d’aller au-delà de la numération
des CTC. Cependant, la technologie CellSearch® reste, à
l’heure actuelle, la méthode de référence, et toutes les
autres méthodes développées sont “expérimentateurdépendantes” et, en général, comparées à cette dernière.
Les technologies de CTC-chip permettent également
de combiner l’enrichissement et la détection des CTC.
Par exemple, la technologie Ephesia permet de caractériser les cellules enrichies par des analyses par FISH
(Fluorescence In Situ Hybridization), RT-PCR ou encore
PLA (Proximity Ligation Assays).
D’autres méthodes de détection basées sur l’immunofluorescence ont été développées, notamment
avec l’utilisation de microscopes automatisés à
grande vitesse tels que les systèmes FAST (Fiber-optic
Array Scanning Technology) et LSC (Laser Scanning
Cytometry), qui permettent de détecter les CTC marquées par des anticorps couplés à des fluorochromes
sans préalablement réaliser un enrichissement (7, 27).
L’équipe de P. Kuhn a développé la technologie HD-CTC
afin d’identifier les CTC par une imagerie de haute
résolution (28).
L’intérêt des méthodes cytométriques est qu’elles permettent de caractériser les cellules sans une lyse totale.
Cela permet de combiner une analyse morphologique,
phénotypique et moléculaire. Cependant, l’inconvénient majeur repose sur le fait qu’il n’existe pas de
marqueurs spécifiques à toutes les cellules tumorales.
L’utilisation des cytokératines peut engendrer un accrochage non spécifique des macrophages, des cellules
plasmatiques ou encore des précurseurs des cellules
hématopoïétiques (29). Le marqueur MUC1, également utilisé, peut quant à lui marquer de façon non
spécifique les précurseurs des érythrocytes (30). Cette
non-spécificité est diminuée lors des multimarquages
combinant un ou plusieurs marqueurs tumoraux et un
marqueur leucocytaire, comme le CD45.
La détection des CTC peut également être réalisée par
une analyse purement cytomorphologique de ces cellules grâce à diverses colorations commerciales telles
que le MGG (May-Grünwald Giemsa) ou la coloration
éosine-hémalun de Mayer. Une CTC est alors définie
selon les critères suivants :
✓ la taille du noyau est supérieure ou égale à 16 µm ;
✓ le contour nucléaire présente des irrégularités ;
✓ le cytoplasme est visible autour du noyau ;
✓ le ratio noyau-cytoplasme est élevé (≥ 0,8).
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Notre équipe a notamment rapporté l’intérêt de cette
approche après enrichissement par filtration, ainsi que
l’équipe de P. Hofman et de C. Dive (31-33).
Les CTC peuvent également être détectées via l’identification d’altérations génétiques ou épigénétiques
spécifiques des cellules cancéreuses. Ces altérations
peuvent être des mutations dans les proto-oncogènes
ou les gènes suppresseurs de tumeur, des instabilités au
niveau des microsatellites ou encore des séquences de
virus oncogéniques. Les méthodes de RT-PCR sans étape
préalable d’enrichissement sont les plus utilisées pour
détecter les ARNm codant pour les cytokératines (18-20),
MUC1 ou encore le CEA. Néanmoins, une étape d’enrichissement permet de travailler uniquement dans une
fraction enrichie en CTC, ce qui diminue la contamination
en cellules hématopoïétiques et permet donc un signal
plus spécifique. Le système CTC AdnaTest d’Alere permet
d’enrichir, isoler et caractériser les CTC grâce à l’analyse
des ARNm spécifiques aux marqueurs tumoraux (34). Une
seule équipe a rapporté le génotypage des mutations
d’EGFR dans le cancer du poumon grâce à l’utilisation
d’une puce microfluidique ; ces résultats n’ont pas été
confirmés (35). La détection d’anomalies moléculaires
telles que les amplifications ou les translocations peut
être réalisée par FISH. Un module du CellSearch® en
cours de développement et non commercialisé permet
la détection de HER2 dans le sein ou encore de PTEN et
de la translocation TMPRSS2-ERG dans la prostate (36).
La détection du remaniement d’ALK caractéristique d’un
sous-type de cancer bronchique non à petites cellules
a été rapportée par notre équipe ainsi que par celle de
P. Hofman (37, 38).
La seule méthode fonctionnelle décrite est la technologie EPISPOT (EPithelial ImmunoSPOT), dérivée de l’ELISPOT (Enzyme-LInked immunospot) [39]. Elle est décrite
dans l’article de C. Alix-Panabières (p. 199) et permet,
après enrichissement par diverses méthodes, la détection de protéines d’intérêt sécrétées par les potentielles
CTC au cours d’une culture à court terme (24 à 48 h).
Les enjeux actuels, du point de vue de la caractérisation
des CTC, reposent sur les approches sur cellule unique,
qui permettront de mettre en évidence l’hétérogénéité
tumorale dans le sang. La technologie du DEPArray™
développée par Silicon Biosystems est basée sur le
principe de diélectrophorèse et combine la microélectronique avec la microfluidique. Dans un champ électrique non uniforme, les cellules présentes dans la
suspension liquide subissent des forces qui permettent
de les déplacer et de les séparer. Cette méthode est le
seul instrument automatisé qui permet d’identifier, quantifier et récupérer des sous-populations de cellules rares
afin de les analyser moléculairement. Silicon Biosystems
166
commercialise également des kits permettant d’amplifier la totalité du génome d’une cellule unique puis de
réaliser des analyses de séquençage de Sanger pour
différents gènes, dont EGFR. L’approche sur cellule unique
peut également être explorée par les technologies de
microdissection laser ou par l’approche CellCelector™,
qui permet de collecter par aspiration une cellule unique.
Applications cliniques
La majorité des études cliniques sur les CTC ont été réalisées avec l’approche standardisée CellSearch® ; il existe
des données limitées avec les autres technologies. En
utilisant l’approche CellSearch®, plusieurs équipes ont
récemment montré que les taux de CTC étaient corrélés
à l’évolution clinique des patients et étaient un facteur
pronostique indépendant dans plusieurs cancers métastatiques, notamment les cancers du sein, de la prostate,
du côlon, les cancers bronchiques non à petites cellules
(CBNPC) et les cancers bronchiques à petites cellules
(CBPC) [40-42]. De plus, le suivi des taux de CTC permet
de prédire précocement, avant même les examens radiologiques, la réponse à un traitement conventionnel (hormonothérapie ou chimiothérapie) chez des patientes
atteintes de cancer du sein métastatique, ce qui suggère que la détection des CTC pourrait être utilisée pour
identifier très tôt des patients susceptibles de retirer un
bénéfice d’une thérapie anticancéreuse (43). En situation
néo-adjuvante, l’équipe de J.Y. Pierga a montré qu’un taux
de CTC supérieur ou égal à 1 cellule pour 7,5 ml est un
facteur pronostique indépendant de la survie (44). Dans
le cancer métastatique de la prostate, compte tenu des
difficultés inhérentes à cette maladie pour la prise en
charge thérapeutique des patients et le développement
de nouvelles molécules thérapeutiques, suivre les taux de
CTC comme biomarqueurs de l’efficacité, de la réponse
et de la survie est d’une grande utilité clinique. L’équipe
de C. Dive a montré, dans les CBNPC, que les CTC ont
une valeur pronostique et prédictive de la réponse à la
chimiothérapie (42). Malgré les limites de la technologie
CellSearch® que nous avons soulignées, notamment du
point de vue de sa sensibilité, la robustesse et la standardisation de cette méthode permettent de considérer
le taux de CTC mesurées comme un puissant biomarqueur pronostique et prédictif dans plusieurs cancers
métastatiques.
L’équipe de P. Hofman a publié en 2011 une étude
montrant par la technique de filtration ISET® que les
CTC constituent un marqueur pronostique en situation
périopératoire dans les CBNPC (32).
Cependant, actuellement, l’intérêt majeur des CTC réside
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Cellules tumorales circulantes : isolement, caractérisation et intérêt en clinique
dans l’hypothèse que ces cellules pourraient constituer
une source alternative de cellules tumorales pour des
diagnostics moléculaires et représenter une véritable
“biopsie liquide”. À l’heure actuelle, nous sommes à
l’avènement de la caractérisation de l’hétérogénéité
moléculaire de ces cellules grâce aux technologies
permettant d’analyser des cellules isolées et non des
fractions enrichies. Les approches sur cellules uniques
vont permettre d’identifier les patients éligibles à une
thérapie ciblée, de suivre les CTC sous traitement et, ainsi,
d’identifier les clones circulants. Cela permettra d’identifier en temps réel la résistance aux thérapies ciblées. Des
approches automatisées sont néanmoins nécessaires à
la standardisation des méthodes d’enrichissement et
de caractérisation des CTC. L’évolution des technologies
d’enrichissement et de détection des CTC, leur culture
ainsi que le développement de modèles in vivo pourront contribuer dans un avenir proche à une meilleure
compréhension de la biologie de ces cellules pendant
le transit dans le sang.
■
E. Pailler déclare
avoir un lien d’intérêts
avec LabEx LERMIT
(allocation doctorale).
R. Young n’a pas déclaré
ses éventuels liens
d’intérêts.
F. Farace déclare avoir
des liens d’intérêts
avec Roche, Novartis
et Boehringer.
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