E Prise en charge de l’anémie en transplantation rénale

publicité
Entretien
Entretien clinique en néphrologie
Prise en charge de l’anémie
en transplantation rénale
G. Choukroun, service de néphrologie-dialyse-transplantation, CHU d’Amiens.
nviron 2 200 transplantations rénales sont réalisées chaque année en France, et plus de 20 000 personnes vivent
avec un greffon rénal fonctionnel (1). L’enquête européenne TRESAM [The Transplant European Survey on
Anemia Management] (2), portant sur 4 263 transplantés rénaux inclus entre novembre 2000 et mai 2001, a montré
que près de 40 % des patients transplantés rénaux présentaient une anémie [hémoglobine ≤ 12 g/dl chez la femme et
≤ 13 g/dl chez l’homme (2)] après la transplantation. Aujourd’hui, le problème de l’anémie en post-transplantation
et de sa prise en charge fait l’objet d’études cliniques. Le Pr Gabriel Choukroun dresse un état des lieux de cette
complication et estime qu’il est nécessaire de renforcer sa prise en charge.
E
Puis, si la fonction du greffon est satisfaisante, pour
une clairance de la créatinine supérieure à 50 ml/mn,
cette anémie se corrige en général du fait de la synthèse, par le greffon, d’une érythropoïétine endogène.
Ensuite, c’est très variable. Cela dépend essentiellement de la fonction rénale (comme au cours de l’insuffisance rénale chronique), mais également des
médicaments immunosuppresseurs utilisés.
Quels sont les mécanismes responsables
de l’anémie chez le patient transplanté rénal ?
Pr Gabriel Choukroun. Ces mécanismes sont très
variables. À la phase aiguë de la transplantation, l’anémie peut s’expliquer par les pertes sanguines perchirurgicales, les prélèvements sanguins, très fréquents
pendant cette phase, ainsi que par les phénomènes
d’hémodilution post-chirurgicale. Enfin, la phase postchirurgicale, surtout lors de la transplantation d’organe, s’accompagne de la sécrétion de nombreuses cytokines pro-inflammatoires, dont certaines ont un effet
inhibiteur sur l’érythropoïèse. Au cours des trois premiers mois qui suivent la greffe, presque tous les
patients sont anémiques. Après le sixième mois,
d’autres paramètres interviennent (2). Le plus important semble le niveau de la fonction rénale du patient
greffé et le délai entre la transplantation et la reprise
d’une fonction rénale stable. Viennent ensuite la fréquence des infections, virales en particulier, l’existence
d’un syndrome inflammatoire, la carence en fer et,
enfin, les médicaments immunosuppresseurs et certains antihypertenseurs, notamment les inhibiteurs de
l’enzyme de conversion de l’angiotensine et les antagonistes des récepteurs à l’angiotensine de type II (2).
Le taux d’hémoglobine avant la transplantation
est-il un facteur prédictif du niveau
d’hémoglobine après la transplantation ?
G.C. Bien sûr, mais cela influe uniquement sur le
niveau d’hémoglobine des trois premiers mois postgreffe. Les patients insuffisants rénaux anémiques
avant transplantation sont, en général, très anémiques
après la greffe. Ce sont souvent ces patients qui ont
besoin d’une transfusion sanguine en post-greffe
immédiate. Chez les patients dont le niveau d’hémoglobine est satisfaisant avant la greffe [Hb entre 11,5 et
12,5 g/dl selon les recommandations européennes (3)],
la chute de l’hémoglobine qui suit l’intervention ne
nécessite habituellement pas de transfusion sanguine.
Le taux d’hémoglobine avant transplantation influence
donc le niveau d’hémoglobine post-greffe immédiat.
Quel est le délai de survenue de l’anémie
après la transplantation ?
Quelle est la relation entre anémie
et insuffisance rénale
chez le patient transplanté rénal ?
G.C. Il est bien admis que, comme au cours de l’IRC,
le niveau de fonction rénale du greffon est corrélé au
G.C. Il est très variable. À la phase précoce de la
transplantation, l’anémie est quasiment constante.
134
Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 2 - avril-mai-juin 2005
Entretien
niveau d’hémoglobine du patient greffé (2). Chez le
patient transplanté rénal, on ne sait pas si l’anémie
influence la progression de l’insuffisance rénale.
Certaines études le suggèrent dans l’IRC, notamment
au cours du diabète de type 2 (4). Mais cela n’a pas été
étudié de façon précise chez le transplanté rénal.
pertes et les prélèvements sanguins en post-transplantation vont entraîner une plus forte baisse du niveau
d’hémoglobine et une moins bonne régénération
médullaire. Rappelons que, chez le patient dialysé, la
ferritinémie doit être maintenue entre 200 et 500 µg/l
et le coefficient de saturation entre 30 et 40 % (3).
Quelle est justement, à votre avis,
l’influence de l’anémie post-transplantation
sur la survie du greffon ?
G.C. Nous ne le savons pas encore. C’est l’un des objectifs de l’étude clinique que nous venons de mettre en
route. Il s’agit d’évaluer si, effectivement, la correction de
l’anémie influence la survie à long terme du greffon rénal.
Quelles sont les options thérapeutiques
envisagées pour corriger l’anémie
en post-transplantation ?
G.C. Corriger d’éventuelles carences, en particulier en
fer, mais aussi en folates et en vitamine B12. Corriger un
éventuel syndrome inflammatoire et, ensuite, utiliser
de l’érythropoïétine recombinante si l’anémie persiste.
Nous pensons que l’anémie est l’un des nombreux
facteurs qui influencent la progression de la
dysfonction chronique du greffon. Il existe des
arguments expérimentaux en ce sens : il est démontré
que l’anémie induit une hypoxie tissulaire susceptible
d’entraîner la synthèse de certains facteurs profibrosants au niveau rénal (5). Je pense personnellement
que la correction de l’anémie pourrait avoir, à long
terme, un effet bénéfique sur la survie du greffon.
Comment expliquez-vous que seuls 20 %
environ des patients transplantés rénaux
présentant une anémie sévère (2)
soient traités par érythropoïétine ?
G.C. Je crois que, jusqu’à présent, l’anémie n’a pas été
l’une des préoccupations principales des néphrologues impliqués dans la prise en charge des patients
greffés rénaux. La mise au point de traitements
immunosuppresseurs efficaces, la gestion du risque
infectieux, des complications néoplasiques et, plus
récemment, cardiovasculaires ont permis d’améliorer
très sensiblement la survie des greffons et des patients
depuis vingt ans. Je crois que l’anémie et les complications osseuses seront, dans les prochaines années,
$
mieux prises en compte chez ces patients.
Quelles sont les conséquences
cardiovasculaires potentielles de l’anémie
en post-transplantation ?
G.C. C’est une question intéressante, qui n’a pas été
très bien étudiée chez le transplanté rénal. De nombreuses études, réalisées au cours de l’IRC ou chez le
patient dialysé chronique, ont mis en évidence une
corrélation étroite entre le niveau d’hémoglobine, la
masse, le volume du ventriculaire gauche, et, plus
généralement, le remodelage cardiaque (6, 7). Chez le
patient transplanté rénal, une étude italienne (8)
montre que le risque de développer une insuffisance
cardiaque de novo dépend de plusieurs facteurs,
dont le niveau d’hémoglobine ; l’anémie ne semble
pas influencer le risque de survenue d’une cardiopathie ischémique. Chez le patient transplanté rénal,
comme au cours de l’IRC, il existe une relation entre
le niveau d’hémoglobine et la masse ventriculaire
gauche.
Références
bibliographiques
1. Établissement français des Greffes. Bilan des activités de prélèvement et de
greffe en France en 2003.
2. Vanrenterghem Y. Anemia after renal transplantation. Nephrol Dial Transplant
2004;19:54-8.
3. Locatelli F. Aljama P, Barany P et al. Revised European best practice guidelines
for the management of anaemia in patients with chronic renal failure. Nephrol Dial
Transplant 2004;19:1-47.
4. Mohanram A, Zhang Z, Shahinfar S et al. Anemia and end-stage renal disease in
patients with type 2 diabetes and nephropathy. Kidney Int 2004;661131-8.
5. Rossert J, Fouqueray B, Boffa JJ. Anemia management and the delay of chronic
renal failure progression. J Am Soc Nephrol 2003;14:S173-S177.
6. Foley RN. Anaemia: cardiovascular adaptations and maladaptive responses in
chronic kidney disease. Nephrol Dial Transplant 2002;suppl.11:32-4.
Dans quelle mesure le statut martial du patient
en attente de greffe rénale est-il déterminant ?
7. Stevens LA, Levin A. Anaemia, cardiovascular disease and kidney disease: integrating new knowledge in 2002. Curr Opin Nephrol Hypertens 2003;12:133-8.
G.C. Chez le patient carencé en fer, même si le taux
d’hémoglobine est satisfaisant, les saignements, les
8. Rigatto C, Parfrey P, Foley R et al. Congestive heart failure in renal transplant
recipients: risk factors, outcomes, and relationship with ischemic heart disease.
J Am Soc Nephrol 2002;13:1084-90.
Entretien réalisé avec le soutien des Laboratoires Roche
135
Le Courrier de la Transplantation - Volume V - n o 2 - avril-mai-juin 2005
Téléchargement