cas clinique Mots-clés Carcinome épidermoïde – Cetuximab – Thérapie ciblée Keywords Squamous cell carcinoma – Cetuximab – Targeted therapy Traitement des carcinomes épidermoïdes des voies aéro-digestives supérieures par cetuximab Cetuximab in the treatment of head and neck squamous cell carcinoma Sébastien Albert* U n patient de 88 ans, aux antécédents d’intoxication tabagique, sevré depuis 1 an, ayant également des antécédents d’HTA équilibrée sous traitement, présente une lésion bourgeonnante laryngée glotto-susglottique. Examen et traitement La tumeur est peu obstructive, latéralisée à droite, et la fibroscopie révèle une immobilité laryngée droite. Le reste de l’examen clinique ne met pas en évidence d’autre lésion suspecte. La palpation des aires ganglionnaires cervicales est libre. Le bilan d’extension par scanner cervico-facial montre une tumeur glotto-susglottique latéralisée à droite prenant le contraste, lysant partiellement le cartilage aryténoïdien droit (figure 1). Il n’existe pas d’extension ganglionnaire. Le scanner thoracique ne montre pas d’atteinte à distance. Le bilan endoscopique retrouve cette même lésion, sans aucune autre lésion suspecte des voies aéro-digestives supérieures (VADS), œsophage compris. Le résultat histologique des biopsies tumorales confirme la présence d’un carcinome épidermoïde bien différencié. La tumeur est classée T4N0M0. Le cas du patient est discuté en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) et un traitement par radiothérapie associée au cetuximab est décidé. Ce dernier est administré en perfusion i.v. à un rythme hebdomadaire. La dose totale de radiothérapie est de 70 Gy. Vers la quatrième semaine du traitement apparaît un rash acnéiforme modéré (grade II), effet indésirable fréquent et classique du traitement par cetuximab. Une diminution de la vitesse de perfusion et l’utilisation de topiques locaux antibiotiques sont alors décidées, entraînant une amélioration rapide et permettant ainsi de ne pas interrompre le cetuximab, ni l’irradiation. La tolérance globale est donc satisfaisante et la réponse au traitement excellente, puisque le dernier examen clinique de * Hôpital Bichat-Claude-Bernard, service d’ORL, Paris. 34 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 316 - janvier-mars 2009 ▲ Figure 1. Aspect de la tumeur laryngée au scanner préthérapeutique. © Merck. * Cellules effectrices cytotoxiques anticorps ▲ Figure 2. Mécanisme d’action schématisé du cetuximab (Erbitux®). cas clinique contrôle et l’examen d’imagerie par scanner, réalisés à 9 mois de recul, montrent une disparition complète de la tumeur et une remobilisation laryngée. Discussion Le cetuximab fait partie des thérapies ciblées. Il s’agit d’un anticorps monoclonal se liant spécifiquement aux récepteurs EGFR = HER1 (EGFR : epidermal growth factor receptor) et bloquant ainsi l’activité tyrosine kinase du récepteur (figure 2). Cette molécule a été utilisée dans les cancers colorectaux à partir de 2004, puis les essais se sont rapidement étendus à d’autres cancers, notamment aux carcinomes épidermoïdes des VADS en raison de la forte surexpression d’EGFR par les cellules tumorales (80 à 100 %) [1]. Actuellement, l’AMM du cetuximab dans les carcinomes épidermoïdes des VADS, obtenue au vu de l’étude de J.A. Bonner et al. (2), concerne le traitement des cancers localement avancés, en association avec la radiothérapie. Cette étude, comparant l’association cetuximab-radiothérapie à la radiothérapie seule, a en effet montré une diminution de la récidive locale et une augmentation significative de la survie globale avec l’association. Le protocole thérapeutique de référence est le suivant : dose de charge de 400 mg/m2 une semaine avant le début de la radiothérapie, puis 250 mg/m2/semaine durant toute la radiothérapie. Une nouvelle AMM a été obtenue dans les carcinomes épidermoïdes récidivants et/ou métastatiques cervico-faciaux, en association à la chimiothérapie à base de sels de platine. De multiples études sont en cours dans les différentes phases de traitement des carcinomes épidermoïdes des VADS, qui permettront ainsi de préciser l’intérêt et l’étendue de l’utilisation du cetuximab. Dans un cas tel que celui présenté ici, le choix du protocole thérapeutique se porte habituellement sur un protocole de conservation d’organe : chimiothérapie néo-adjuvante ± radiochimiothérapie en fonction de la réponse. L’utilisation de ce protocole classique n’a pas été possible en raison de l’âge du patient, qui contre-indiquait la chimiothérapie. Restaient donc deux solutions : le traitement chirurgical radical (laryngectomie totale) ou l’association cetuximab + radiothérapie. La décision de la RCP s’est portée sur la deuxième option, afin de tenter de préserver le larynx, sachant par ailleurs que le patient refusait une laryngectomie totale d’emblée. Les effets indésirables observés avec le cetuximab sont moindres que ceux observés avec les chimiothérapies. Ils sont essentielle- Tableau. Recommandations en cas de rash cutané acnéiforme. Stade de la folliculite Stade léger à modéré Réaction cutanée modérée à intense Conduite à tenir Corticoïdes locaux si non infecté Si infecté : topiques = antibiothérapie locale (érythromycine, clindamycine) Protections solaires Avis dermatologique Traitement systémique par doxycycline (100-200 mg/j) pendant 3 semaines au minimum, topiques locaux Protections solaires ment cutanés, avec fréquemment l’apparition d’un rash acnéiforme (80 % des cas) répondant rapidement aux traitements standard, et nécessitent rarement l’arrêt du traitement anti-EGFR (tableau). Des recommandations thérapeutiques élaborées pour des patients traités par radiothérapie-cetuximab et en fonction du degré d’atteinte cutanée ont été publiées par J. Bernier et al. (3). Il semble que plus l’atteinte cutanée est importante, plus le traitement est efficace. Des réactions d’hypersensibilité ont été décrites, qui imposent l’arrêt du traitement dans les grades 3 et 4. Les autres effets dermatologiques sont une sécheresse cutanée (xérose), avec parfois une pulpite des doigts, des paronychies et une hypertrichose. Les autres effets indésirables observés sont l’apparition d’une diarrhée, de nausées, une atteinte pulmonaire interstitielle (rare), etc. Les effets indésirables liés à la radiothérapie, de type mucite ou xérostomie, entre autres, ne sont pas majorés par le traitement. Les thérapies ciblées sont directement dirigées sur des cibles impliquées dans les divers mécanismes moléculaires des processus tumoraux, ce qui permet d’obtenir une activité antitumorale et de limiter les effets indésirables, notamment par rapport aux chimiothérapies classiques. C’est dire les multiples possibilités de drogues et des thérapeutiques en cours de développement, dont l’intérêt et les indications en fonction des caractéristiques de chaque tumeur restent à définir. ■ Références bibliographiques 1. Nicholson RI, Gee JM, Harper ME. EGFR and cancer prognosis. Eur J Cancer 2001;37 (Suppl. 4):S9-S15. 2. Bonner JA, Harari PM, Giralt J et al. Radiotherapy plus cetuximab for squamouscell carcinoma of the head and neck. N Engl J Med 2006;354(6):567-78. 3. Bernier J, Bonner J, Vermorken JB et al. Consensus guidelines for the management of radiation dermatitis and coexisting acne-like rash in patients receiving radiotherapy plus EGFR inhibitors for the treatment of squamous cell carcinoma of the head and neck. Ann Oncol 2008;19(1):142-9. La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 316 - janvier-mars 2009 | 35