Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (15) - n° 6 - juin 2001
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facteur environnemental sur lequel une
intervention extérieure est possible, ce fac-
teur peut être considéré comme une cible
pour la prévention du risque. Cela consti-
tue la base de nombreuses stratégies pré-
ventives, comme dans le cas des maladies
athéromateuses cardiovasculaires où cha-
cun s’accorde à contrôler des facteurs de
risque tels l’hypertension artérielle, le dia-
bète ou l’hyperlipidémie.
L’infection à H. pylori est reconnue car-
cinogène pour l’homme (5), sur la base de
nombreuses données épidémiologiques et
expérimentales (26, 31). Il existe aujour-
d’hui des méthodes diagnostiques fiables
de cette infection et le traitement médi-
camenteux d’éradication a prouvé son
efficacité. Cependant, les données actuel-
lement disponibles ne permettent pas de
répondre à la question clé : l’éradication
de H. pylori peut-elle prévenir le cancer
gastrique ? Seules des études d’interven-
tion, prospectives, randomisées, sur un
grand nombre de sujets et comportant un
suivi suffisamment long pourraient
apporter la preuve définitive de causalité,
en montrant qu’une éradication de longue
durée de l’infection à H. pylori est suivie
d’une réduction du risque de cancers gas-
triques. Une étude de ce type a débuté
chez 4 000 sujets au Japon en 1996, uti-
lisant une trithérapie de 7 jours associant
clarithromycine + métronidazole + lanso-
prazole.
Connaissant la prévalence de l’infection à
H. pylori dans le monde et sa prédomi-
nance dans les pays économiquement
défavorisés, l’autre question clé est : une
politique d’éradication de masse peut-elle
être envisagée (32). Deux études coût/effi-
cacité donnent des éléments de réponse :
celle de Parsonnet et al. (33) et celle de
Forman et al. (34). En estimant que le trai-
tement d’éradication préviendrait 30 %
des cancers gastriques attribuables à
H. pylori, Parsonnet et al. (33) arrivent à
un coût de 25 000 dollars par année de vie
gagnée, si tous les patients étaient détec-
tés à 50 ans. Les seconds auteurs retrou-
vent un coût de 7 500 à 15 000 dollars en
partant d’une détection de tous les sujets
âgés de 55 à 59 ans.
En conclusion, l’infection à H. pylori
apparaît comme un facteur de risque
majeur de carcinome gastrique. Du fait de
l’évolution lente du processus cancéreux,
une inconnue demeure quant au stade jus-
qu’auquel il est encore possible d’annuler
le risque en éradiquant la bactérie. Les
études d’intervention nécessitant un grand
nombre de patients et des périodes de suivi
très prolongées, il est probable que le
niveau de preuve maximum que certains
attendent ne sera pas atteint avant long-
temps. Le niveau de preuve actuel est-il
insuffisant pour agir ? À l’heure où le prin-
cipe de précaution est érigé en doctrine, et
où une part importante de l’activité des
médecins consiste à traiter des facteurs de
risque, notre opinion est que l’on ne peut
négliger le facteur de risque principal
d’une maladie si sévère et encore si fré-
quente.
Bien sûr, l’avantage d’un traitement des
états précancéreux ne doit pas faire abs-
traction des inconvénients, notamment des
effets secondaires des médicaments, au
demeurant limités, et du risque de sélec-
tion de bactéries résistantes. Ce dernier
risque ne doit pas être négligé. Toutefois,
compte tenu du volume d’antibiotiques
utilisé actuellement, dont la moitié pour
un usage animal, un plus grand nombre de
traitements dans ce domaine n’augmente-
rait pas beaucoup la pression de sélection
globale. Les résistances n’apparaissent
que par mutation et elles sont normale-
ment prévenues par l’usage d’une double
antibiothérapie. Par ailleurs, le potentiel
de contamination de H. pylori et donc de
diffusion de souches résistantes est faible.
Dans l’attente d’un hypothétique vaccin
qui s’adresserait à la population générale,
une politique de détection et de traitement
de l’infection à H. pylori pourrait s’appli-
quer aux malades souffrant de dyspepsie.
En effet ces malades, quand ils ne souf-
frent pas d’ulcères, reçoivent un traitement
symptomatique qui a montré son ineffi-
cacité. Il peut donc paraître intéressant de
leur proposer un traitement qui, s’il n’est
efficace sur leurs symptômes actuels que
dans une faible proportion des cas (envi-
ron 10 %) (4), aura l’avantage de lutter
contre le facteur de risque principal d’une
maladie sévère. Par ailleurs, le traitement
des parents des malades atteints de cancer
gastrique constitue une nouvelle indica-
tion (35).
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Mise au point