L’espace multi-égocentré : définition géographique
d’une nouvelle dimension du plan
Résumé
Si, depuis E. Kant, on savait que l’espace devait être conçu comme subjectif et non objectif en
Sciences Humaines, les théories portant sur la dimension de la perception ou de la cognition
ont tardé à faire leur entrée en Science Géographique.
Il faudra ainsi attendre près de 200 ans avec K.Lynch dans les pays anglo saxons et A. Moles
en France pour que des approches prenant acte de ce postulat parviennent à émerger dans
notre discipline.
Avec C.Cauvin, en 1984, un nouveau pas est franchi et la Science de la cognition se dote
d’outils mathématiques pour poursuivre son évolution.
Faisant référence à ces différents travaux, cet article se propose de redéfinir le plan
géographique et cela en introduisant deux aspects complémentaires : l’asymétrie spatiale (ou
approche égocentrée) comme référence géographique et la non homogénéité des mesures
géographiques en fonction de la distance à l’individu. On parvient alors à établir une
expression donnant in fine une courbe cognitive 3D théorique des espaces. Cette dernière sert
de support pour des déformations cartographiques par position.
Mots clés : espace multi égocentré, cognition, déformation cartographique, asymétrie spatiale,
espace non euclidien
Abstract
If, since E. Kant, we knew that the space must be conceived as subjective and not objective in
Human sciences, the theories concerning the dimension of the perception or the cognition
delayed making their entry to Geographical Science.
It will so be necessary to wait about 200 years with K.Lynch in countries Anglo-Saxon and
A.Moles in France so that approaches noting this postulate succeed in emerging in our
discipline.
With C.Cauvin in 1984, a new step is crossed and the Science of the cognition is equipped
with mathematical tools to pursue its evolution.
Making reference to these various works, this article suggests redefining the geographical
plan and it by introducing two complementary aspects: the spatial asymmetry (or approach
individual) as geographical reference and the not homogeneity of the geographical measures
according to the distance to the individual. We succeed then in establishing an expression
giving in fine a theoretical 3D cognitive curve of spaces. The latter serves as support for
cartographic deformations by position.
Keywords : individuals space, cognition, cartographic deformation, space asymmetry, non
Euclidian space.
Introduction
La dimension spatiale est au cœur de l’analyse géographique et peut, à bien
des égards, être considérée comme la raison d’être de la discipline. D’abord considérée
comme purement objectif, l’espace géographique est aujourd’hui davantage envisagé comme
subjectif.
Allant dans ce sens, cet espace n’était plus, depuis les années 50, un simple plan, mais bien
une forme complexe, comme a pu l’introduire « la time geography » de T.Hagerstrand (1952).
De nombreux progrès ont ainsi été alisés en envisageant notamment de substituer l’espace
par les temps de déplacement (Chapelon 1997, L’Hostis 2003, Thevenin, Chardonnel et
Cochey 2007). Sur un autre terrain, d’autres tentatives tout aussi centes ont procédé à
l’introduction d’une nouvelle géométrie au cœur même de la métrique géographique (la
géométrie fractal, Batty, Longley 1986, Frankhauser 1994, 1997). Les résultats, tout à fait
probants, laissent à penser que l’espace géographique pourrait receler en lui-même une
nouvelle dimension. La cognition pourrait expliquer pour partie cette bonne opérabilité de la
géométrie fractale.
Bien avant ces études, C.Cauvin (1984) avait pu proposer des travaux tout à fait intéressants
sur cette question et a jeté les bases à la fois conceptuelles mais également techniques d’une
nouvelle dimension de l’espace géographique allant même jusqu procéder à des
déformations cartographiques.
Aussi, la question de l’espace cognitif parait tout à fait centrale dans l’analyse géographique.
Mais alors, comment envisager ce type d’espace ? Nous émettons l’idée que le processus de
construction urbaine et le fonctionnement des villes, tant sur le temps long que court, obéit à
des lois dont la géométrie n’est pas celle de l’espace physique. Ainsi, on observera que les
déplacements domicile-travail se fondent largement sur des effets cognitifs de type « tunnel.
En ce qui concerne le temps long, l’installation des urbains semble, comme l’observe
classiquement A.Moles (1972) et d’autres phénoménologues, répondre à des logiques la
encore non euclidiennes (un monde construit à l’image de nos perceptions).
En cela, la géométrie fractale employée pour décrire la forme urbaine pourrait être
l’expression de ces homothéties successives de l’espace-temps. Dans ces conditions, comment
appréhender correctement la dynamique spatiale dès lors que l’on reste sur des
fonctionnements basés sur la géométrie euclidienne ?
Mais concrètement, quel apport peut on espérer d’une définition mathématique des espaces
cognitifs ? La question se pose alors en termes de limite ou de frontière. Toute la nuance
entre l’approche physique classique et cet espace cognitif réside en une solution continue pour
des problèmes de rupture d’espaces intermédiaires. Quand on définit une rupture entre
l’urbain et le périurbain au niveau des densités de population, ne pourrait-on pas y voir une
expression d’un changement graduel des métriques de type cognitives qui serait sous-jacent
dans la fonction de densité. La justification théorique d’une telle affirmation proviendrait de
notre propension à ne pas percevoir de la même manière à la ville et la campagne. La densité
serait une des clés de cette différenciation.
Il semble, dès lors, que la transformation cognitive de l’espace physique se présente comme
un révélateur purement géographique des territoires, en quelque sorte une spécificité
disciplinaire.
La question est, de fait, de définir l’espace cognitif tant d’un point de vue conceptuel que plus
formel, en quoi est-il spécifique ? Un premier élément de réponse pourrait être l’asymétrie de
la mesure géographique, s’opposant par conséquent à une approche par coordonnées
cartésiennes classique dans certaines analyses économiques comme dans la géographie
contemporaine. Ensuite, cette nouvelle mesure spatiale pourrait par nature être non homogène
comme l’intuition de la mesure fractale des lieux géographiques nous le suggère. Une
définition mathématique de cet espace semble envisageable et même souhaitable en vue d’une
opérabilité au sein d’études plus globales. Il reste toutefois à en trouver les composantes,
l’analyse empirique partagée avec une approche plus théorique pourrait nous apporter ces
réponses.
La démarche qui sera ainsi suivie envisage de décomposer le propos en trois ensembles
distincts. Un premier dans lequel nous montrerons en quoi une approche asymétrique de la
dimension spatiale est elle préférable. Un second qui exposera à la fois conceptuellement
mais également empiriquement les bases de l’analyse cognitive des espaces. Cette recherche
débouchera alors sur une solution mathématique pour l’espace cognitif.
1. Pour une géographie de la centralité : l’asymétrie spatiale comme
référence géographique
Contrairement à l’image que nous avons du monde actuel, les premières cartographies du 2
ième
siècle après JC offraient un visage bien déformé de la surface terrestre. La notion de
Géocentrisme était ainsi au cœur de la théorie astronomique mais également des états du
monde de Ptolémée et cela jusqu’au 15
ième
siècle. L’erreur métrique de la mesure de Ptolémée
était autant le fait d’une méconnaissance de la réalité des espaces lointains que de l’incapacité
à établir une mesure fiable des espaces. De fait, l’imaginaire avait alors pris le pas sur la vérité
scientifique. Mais comment expliquer la forme prise par cette théorie post antique si ce n’est
par l’intuition transcendantale de notre esthétique de l’espace
1
?
Aussi, parler aujourd’hui de centralité géographique, c’est aussi en partie explorer les
mécanismes qui ont conduit en son temps Ptolémée à produire le géocentrisme. L’esprit
humain à ainsi cette propension à explorer le lieu en fonction de lui-même, il n’est donc pas
étonnant que la plupart des grandes théories actuelles de l’Economie urbaine se fondent sur
cette notion de centralité géographique.
Dans ce paragraphe, nous aborderons les hypothèses spatiales de la théorie économique
urbaine puis nous proposerons de définir les fondements psychologiques de la notion
d’asymétrie spatiale. En quoi, toutes ces théories urbaines sont elles, en réalité, l’expression
du concept d’espace égocentré ?
Dans ces conditions, définir l’espace dans cette géographie de la centralité n’est plus tout fait
conforme aux habitudes cartésiennes des mathématiques ou de la physique de base. D’autres
voies, pourraient renvoyer ainsi à un espace qui ne serait que purement géographique :
l’espace multi-égocentré.
1.1.L’asymétrie spatiale en Economie urbaine
Il faut remonter à 1868 avec la théorie de Von Thünen, et ses enchères foncières, pour voir
apparaitre les premières approches centre-périphérie en Economie. Cette théorie reprise plus
tard par W.Alonso (1964) et développé par la suite entre autre par R.D.Muth (1969), consacre
1
En somme la conception inconsciente d’un espace subjectif
un cadre spécifiquement urbain. Il s’agit de l’approche naturelle de la Nouvelle Economie
Urbaine.
On a coutume d’y définir alors une ville comme un marché d’enchère foncière avec une partie
centrale (le CBD) et des périphéries concentriques.
Dans cette approche néoclassique, plus on s’éloigne du centre, plus les courbes d’enchère des
rentes s’affaissent jusqu’à tendre vers un minimum à l’infini de la ville.
Cette vision géographique de l’économie a pourtant paru incomplète voire à certains égards
partiellement inexacts avec l’apparition des premières théories de l’Economie géographique
au début des années 1980 (Ogawa, Fujita 1982). Largement inspirée par les évolutions des
villes américaines et en particulier de leurs périphéries (Edges Cities Cervero 1989, Garreau
1991), les économistes ont proposé des approches morphologiques
2
basées non plus sur un
unique centre urbain (monocentrisme) mais sur plusieurs centres (polycentrisme) voire une
infinité de centres (multicentrisme).
La ville contemporaine serait alors d’avantage un ensemble plus ou moins cohérent
caractérisé par de multiples CBD, eux mêmes hiérarchisés entre eux. Dans ce lieu, la notion
d’espace intervient de manière cruciale et cela par des courbes d’enchères multipolaires.
On envisage alors un territoire agencé par de multiples centres concentriques se recoupant les
uns avec les autres.
Dans un manuel, C.Baumont (1993) nous donne quelques formes possibles pour exprimer les
morphologies de ces villes (dont ici la plus communément admise).
ii
X
iii
eMD
α
=
[1]
Di densité de population au lieu i, Mi densité extrapolée au centre i, X
i
distance radiale au
centre i, α, gradient de densité.
1.2. L’origine de ces centralités : la théorie égocentrée
L’idée principale défendue dans ce paragraphe est que toute forme urbaine est à l’image de
nos perceptions.
Or, contrairement à l’approche classique des Sciences Physiques ou des Mathématiques,
l’approche de l’espace des Sciences Humaines relève de l’homme. Elle devrait donc
considérer que la métrique du lieu serait relative à l’individu. Dans ce contexte, toute
perception du monde se trouve guidée par une vision centrée sur le « moi ».
Dans son ouvrage, Psychologie de l’espace, A. Moles (1972) propose de définir l’espace
comme « égocentré », c'est-à-dire centré sur le corps de l’individu.
A. Moles et E. Rohmer (1972) développent le concept de « coquilles de l’homme ».
L’individu développerait alors inconsciemment 9 « peaux » autour de lui. Les coquilles de
l’homme se trouveraient emboitées les unes dans les autres, allant de l’échelle micro (le geste)
à l’échelle macro (la géographie des territoires). L’ensemble du territoire ne pourrait pas être
affecté par des ruptures, ce qui suppose une continuité complète au niveau des représentations
mentales.
2
Par approche morphologique il faut entendre étude des densités de population
Figure 1. « Les Coquilles de l’homme »
Dans un article plus récent (1992), A. Moles expose la notion de proxémique
3
comme « loi »
définissant nos comportements. Elle réside, selon l’auteur sur le postulat suivant :
Ce qui est proche nous parait plus important
Cette approche « individu centrée » est de plus en plus courante en Science Sociale et sert du
reste de cœur à l’analyse par système multi agents.
A une échelle macroscopique, il n’est pas absurde de raisonner selon les mêmes principes et
ainsi notre territoire serait une conséquence phénoménologique de notre cognition. Apprendre
à connaitre la manière dont fonctionne notre perception du monde, c’est donc aussi découvrir
comment s’agencent les grandes structures de nos villes et de nos campagnes.
S’il existe un territoire géographique individu centré, ou encore égocentré, comment en
définir mathématiquement les bases ?
1.3. Définition mathématique des centralités géographiques.
Commençons d’abord par la base de la définition de l’espace. On a coutume en Sciences
Physiques comme en Mathématiques, voire dans la plupart des Sciences Sociales de faire
encore reposer l’espace sur une définition par coordonnées cartésiennes. Il s’agit alors d’un
espace physique à deux ou trois coordonnées (x,y, z), ce qui permet d’identifier précisément
la position des objets géographiques en un point donné de l’espace.
Ce principe a ensuite été spécifiquement appliqué à la géographie avec les projections, ce qui,
pour de grande distance, contribue à ne plus considérer des espaces euclidiens mais d’autres
formes avec des repères n’offrant plus nécessairement la perpendicularité comme référence.
Néanmoins, sur de petites distances et à l’échelle d’un territoire d’étude (ville, département,
région), on ne décèle pas de déformation spatiale et par conséquent le repère peut être
considéré comme orthonormé comme défini dans le schéma suivant (fig. 2).
3
La proxémique vient du terme proxémie introduit par Hall 1963. La proxémie est la distance physique qui
s'établit entre des personnes prises dans une interaction
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