Traitement des pubertés précoces d'origine centrale

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Mise au point
Traitement des pubertés précoces d'origine centrale
J. Léger*
L
a puberté précoce
se définit comme
l'apparition des signes
cliniques de la puberté
avant l'âge de 8 ans chez
la fille et de 9 ans chez le
garçon. La puberté précoce d'origine centrale
est due à une activation
prématurée de l’axe hypothalamo-hypophysogonadique dont il faut, pour
chaque cas, éliminer une
pathologie tumorale centrale. Elle se distingue
des pubertés précoces
d'origine périphérique
qui sont indépendantes
d'une stimulation hypothalamo-hypophysaire
(origine surrénalienne ou
gonadique) et des développements prématurés
et isolés d'un seul caractère sexuel secondaire
(prémature thélarche,
pubarche ou plus rarement métrorragies isolées de la petite fille).
✎ L'objectif du traitement est la
freination permanente de l'axe
hypophyso-gonadique de façon
à éviter toute action des stéroïdes sexuels sur le cartilage de
croissance et donc la progression excessive de la maturation
osseuse avec risque de déficit
statural définitif.
✎ Les analogues agonistes du
LH-RH utilisés sont des formes à
libération prolongée (voie intramusculaire ou sous-cutanée)
avec une durée d'action d'environ 4 semaines. Les formulations
à libération plus prolongée
(3 mois) sont actuellement en
cours d'évaluation. La tolérance
au produit est bonne et les effets
secondaires mineurs.
L'histoire naturelle de la puberté précoce,
outre celle de la cause, est le développement
progressif des caractères sexuels secondaires,
l'accélération de la vitesse de croissance et de
l'avance de la maturation osseuse qui entraîne
une fusion précoce des cartilages de conjugaison responsable, dans certains cas, d'un déficit statural définitif. En effet, l'expression cli-
✎ Les aspects psychologiques
liés à la précocité pubertaire
doivent être évalués au moment
de la prise en charge de ces
patients.
✎ Le traitement doit être maintenu au minimum pendant 2 ou
3 ans. L'arrêt du traitement se
fait généralement lorsque l'enfant a atteint l'âge pubertaire.
✎ À l'arrêt du traitement, la
récupération de la fonction
gonadotrope et gonadique s'observe en quelques semaines et
les signes pubertaires progressent. Chez la fille, les règles
apparaissent en moyenne 1 an
après l'arrêt du traitement. À
distance, la fonction de reproduction est normale.
nique des pubertés précoces est polymorphe.
À côté des formes cliniques, dont l'évolutivité
est évidente avec, en l'absence de traitement,
un déficit statural définitif, il existe des
formes très lentement progressives qui ne
compromettent pas le pronostic statural final.
La reconnaissance de ces différentes formes
cliniques n'est pas toujours aisée lors de l'évaluation initiale. Elle est néanmoins très
importante car elle permettra de moduler les
indications thérapeutiques.
* Service d'endocrinologie diabétologie pédiatrique, hôpital Robert-Debré, Paris.
✎ Les résultats du traitement sur
l'amélioration de la taille finale
ont été évalués avec un gain de
taille d'environ 6 cm pour les
patients qui présentaient une
forme sévère de puberté précoce
avec détérioration progressive
du pronostic statural final.
✎ Sur le plan statural, le traitement n'est pas efficace lorsqu'il
est commencé après l'âge de
9 ans chez la fille et 11 ans
chez le garçon.
✎ Du fait de l'hétérogénéité de
la présentation clinique et la
définition de la puberté précoce
en fonction des populations, les
indications thérapeutiques restent discutables dans la plupart
des cas.
Traitement et résultats
L’objectif du traitement est la freination permanente de l'axe hypophyso-gonadique, de
façon à éviter toute action des stéroïdes
sexuels sur le cartilage de croissance, action
responsable d'une progression excessive de la
maturation osseuse avec risque de petite taille
définitive.
Le concept du traitement des pubertés précoces centrales par les analogues du LH-RH
est né des travaux de Belchetz (1978) et
Knobil (1980) qui ont montré que la sécrétion
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Figure 1. Évolution du pronostic statural final et taille finale de 26 filles avec puberté précoce non traitées
lors de l'évaluation initiale car ne présentant pas de signes francs d'activation de l'axe hypophyso-gonadique
(pic de LH après stimulation par le LH-RH inférieur à 5 UI/l) ou présentant une avance modérée de la maturation osseuse (inférieure à 2 ans par rapport à l'âge chronologique. Le groupe I (n = 17) représente les filles
dont l'abstention thérapeutique a été maintenue tout au long de l'évolution. Le groupe II (n = 9) représente
celles qui ont présenté, après en moyenne 1 an d'évolution, une détérioration du pronostic statural final (de
7 cm en moyenne) avec un pronostic statural qui était en moyenne 5 cm en dessous de leur taille cible parentale. Ces filles ont alors reçu, avec succès, un traitement freinateur pendant 2 ans et leur taille finale est normale, proche de leur taille cible (18).
normale des gonadotrophines hypophysaires
requiert la sécrétion pulsatile de LH-RH et
que la sécrétion continue de LH-RH inhibe la
sécrétion des gonadotrophines hypophysaires. Les études ont permis de mettre en
évidence le mécanisme d'action des analogues agonistes du LH-RH : administrés à
faible dose et de manière pulsatile, ils stimulent la sécrétion des gonadotrophines, alors
qu'à des doses élevées, ils la bloquent.
En effet, l'exposition aux agonistes du LHRH et donc l'occupation prolongée des récepteurs au LH-RH, provoque une désensibilisation des cellules hypophysaires, abolit leur
réponse au LH-RH endogène, ce qui se traduit par un blocage de la production des
gonadotrophines hypophysaires et secondairement de celle des stéroïdes gonadiques.
L'administration prolongée de doses pharmacologiques des analogues agonistes du LHRH entraîne donc, après une courte période
d'hyperstimulation des cellules gonadotropes,
une désensibilisation des cellules gonadotropes et une suppression de la fonction gonadotrope. Cet effet antigonadotrope est réversible à l'arrêt du traitement.
Les analogues actuellement disponibles sont
des formes à libération prolongée. Elles s'administrent par voie intramusculaire ou souscutanée. Les formulations à libération prolongée pendant environ 4 semaines sont depuis
longtemps utilisées. Les formulations à libération prolongée pendant environ 3 mois sont
actuellement en cours d'évaluation dans le
traitement des pubertés précoces.
La tolérance au produit est bonne et les effets
secondaires sont mineurs : douleur au point
d'injection, céphalées, bouffées de chaleur. Des
métrorragies peuvent survenir dans les 15 jours
qui suivent la première injection et peuvent être
prévenues par l'administration d'acétate de
cyprotérone lors du 1er mois de traitement.
Les résultats du traitement par le LH-RH sont
marqués dès le 1er mois de traitement par une
diminution des valeurs plasmatiques d'estradiol ou de testostérone et des gonadotrophines
hypophysaires qui reviennent à des valeurs
prépubères. Parallèlement, dès la fin du 1er trimestre de traitement, apparaît un arrêt de la
progression des caractères sexuels secondaires, voire une régression avec une diminution du volume ovarien ou testiculaire (1). La
vitesse de croissance se ralentit dès la première année, de même que la progression de la
maturation osseuse. Lors de la 2e année de
traitement, et compte tenu de l'arrêt de la progression de la maturation osseuse, le pronostic
statural final est nettement amélioré (1).
Le traitement dure au minimum 2 ans et est
poursuivi d'autant plus longtemps qu'il a été
commencé plus jeune. L'arrêt du traitement
se fait généralement lorsque l'enfant a atteint
l'âge pubertaire et correspond le plus souvent,
chez la fille, à un âge osseux de 12 ans et,
chez le garçon, de 14 ans. Le traitement devra
être arrêté plus tôt si la vitesse de croissance
est inférieure à 3 cm par an.
À l'arrêt du traitement, la récupération de la
fonction gonadotrope et gonadique s'observe
en quelques semaines et les signes cliniques
pubertaires progressent. Chez la fille, les
règles apparaissent en moyenne 1 an après
l'arrêt du traitement.
Les résultats du traitement sur l'amélioration
de la taille finale ont été clairement rapportés
(2-4). Le gain de taille a été évalué en moyenne à 6 cm et serait plus important chez les
garçons (4, 5). Il est d'autant plus efficace que
le traitement a été commencé plus jeune
(6, 7). La taille finale est en règle générale
proche de la taille cible génétique.
Par ailleurs, une supplémentation systématique de calcium pendant le traitement pourrait améliorer la diminution de l'acquisition
de la masse osseuse observée sous traitement
freinateur (8).
À long terme, la fonction de reproduction
paraît normale et des grossesses ont été rapportées. Une augmentation de volume ovarien
ainsi qu'un surpoids sont parfois signalés
mais de manière inconstante (9, 10).
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Indications thérapeutiques
Les critères conduisant aux indications du
traitement freinateur des pubertés précoces
prennent en charge plusieurs facteurs.
La plupart des auteurs s'accordent pour traiter
les sujets dont les signes cliniques de puberté
ont débuté avant 8 ans chez la fille et 9 ans
chez le garçon avec, chez la fille, des signes
cliniques et échographiques de stimulation
estrogénique (hauteur utérine supérieure à
35 mm avec présence d'un renflement fundique et d'une ligne de vacuité) et, dans les
deux sexes, des signes biologiques francs de
stimulation de l'axe hypophyso-gonadique
avec, après stimulation par le LH-RH, un pic
de LH supérieur à 5 UI/l, une accélération
significative de la vitesse de croissance staturale avec avance de maturation osseuse supérieure à 2 ans par rapport à l'âge chronologique, et détérioration du pronostic statural
final qui est alors largement inférieur à la
taille cible parentale. L'indication thérapeutique ne fait alors aucun doute, en dehors des
enfants présentant une grande taille spontanée avec un pronostic statural final supérieur
à + 2 DS.
Il faut cependant noter que certains auteurs ne
réservent leurs indications qu'aux formes
dont le pronostic de taille finale est inférieur
à - 1 DS (3, 12, 13), alors que pour d'autres le
critère important serait l'âge de début de la
puberté qui devrait être largement inférieur
aux “normes” actuellement utilisées. En effet,
une étude clinique randomisée a montré que
la taille finale des filles n'était pas différente
selon l'administration ou non d'un traitement
freinateur si l'âge du début de la puberté était
compris entre 7,5 et 8,5 ans (14). De plus, ce
traitement a été démontré inefficace sur le
plan de l'amélioration du pronostic statural
final lorsqu'il était commencé après l'âge de
9 ans chez la fille et de 11 ans chez le garçon.
En fait, en raison de l'hétérogénéité de la présentation clinique et de la définition de la
puberté précoce, les indications thérapeutiques restent discutables dans la plupart des
cas. En effet, il a été démontré que les filles
avec puberté précoce idiopathique présentaient dans un grand nombre de cas une
puberté très lentement progressive, voire parfois régressive, avec un pronostic statural
final qui restait conservé lors de l'évolution,
et une taille finale normale proche de leur
taille cible parentale (14-17). Ces études ont
permis de montrer que les sujets présentant
des signes cliniques de puberté précoce ne
nécessitaient pas tous un traitement freinateur.
Néanmoins, la reconnaissance des formes cliniques dont l'abstention thérapeutique est justifiée est parfois difficile au moment de la
présentation initiale et l'étude de l'évolution
spontanée peut être nécessaire pour décider
l'indication du traitement freinateur.
L'évaluation biologique par le test au LH-RH
doit permettre de décider l'abstention thérapeutique dans tous les cas si le pic de LH sous
stimulation est de type prépubère (pic de LH
inférieur à 5 UI/l). L'abstention thérapeutique
doit également être discutée si l'avance de
maturation osseuse est modérée (inférieure à
2 ans par rapport à l'âge chronologique) quel
que soit le résultat du test au LH-RH. La prise
en compte de ces deux critères (test au LHRH et âge osseux) a permis de montrer que
l'abstention thérapeutique est justifiée dans la
majorité des cas puisque la puberté évolue
lentement avec des premières règles qui surviennent en moyenne 5,5 ans après le début
des signes cliniques pubertaires et une taille
finale normale en relation avec la taille cible
parentale (17). Néanmoins, dans certains cas
(1/3 des sujets), une détérioration du pronostic statural final peut apparaître au cours de
l'évolution parallèlement à l'apparition de
signes biologiques francs d'estrogénisation.
Ces éléments d'aggravation doivent conduire
à la mise en route du traitement freinateur qui
permet d'amener ces sujets à une taille finale
normale proche de leur taille cible parentale
(figure 1) (17). Par conséquent, la surveillance clinique des enfants pour lesquels l'abstention thérapeutique est justifiée lors de
l'évaluation initiale doit être systématique au
moins jusqu'à l'âge de 9 ans pour dépister les
filles qui pourraient nécessiter secondairement
un traitement freinateur de la puberté précoce.
Tous ces enfants doivent également faire l'objet d'une surveillance et d'une prise en charge
d'éventuelles conséquences psychologiques
de la précocité pubertaire.
Conclusion
L'efficacité du traitement freinateur des
pubertés précoces centrales et évolutives a été
largement démontrée, tant sur l'arrêt du développement des caractères sexuels secondaires
que sur la suppression de la fonction hypophyso-gonadique qui est réversible à l'arrêt
du traitement.
La taille finale de ces sujets est, dans la majorité des cas, normale et en relation avec la
taille cible parentale. À distance du traitement, la fonction de reproduction paraît normale.
La connaissance des différentes formes cliniques des pubertés précoces est déterminante pour poser l'indication thérapeutique ou
l'abstention du traitement freinateur.
Les aspects psychologiques liés à la précocité pubertaire doivent également être évalués au moment de la prise en charge de ces
patients.
●
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