Dossier thématique Pubertés précoces Precocious puberty

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Pubertés précoces
Precocious puberty
Jean-Claude Carel, Delphine Zenaty, Anne Paulsen, Dominique Simon, Juliane Léger*
points FORTS
▲▲ Puberté précoce veut dire développement des seins avant 8 ans ou
augmentation du volume des testicules avant 9,5 ans. Croissance presque
toujours accélérée et âge osseux avancé dans les pubertés précoces évolutives. Impact psychologique à évaluer.
▲▲ Chez la fille, le plus souvent forme non évolutive de puberté ; risque
de lésion hypothalamique particulièrement faible quand la puberté
commence entre 6 et 8 ans. Chez le garçon, puberté précoce le plus souvent
d’origine centrale et fort risque de lésion hypothalamique (≈ 40 %).
▲▲ Effet des agonistes GnRH sur la taille modeste et limité aux vraies
pubertés précoces.
▲▲ Analyse rigoureuse de la situation avant d’envisager un traitement
par agoniste GnRH, car le risque est de proposer un traitement prolongé
et inutile. Chez la fille, les formes précoces mais lentement progressives
de puberté ne nécessitent pas de traitement frénateur. Dans tous les cas,
l’abstention thérapeutique doit conduire à une surveillance attentive
de l’évolution et amener à reconsidérer le traitement si apparaît une perte
du pronostic statural final lors de l’évolution.
▲▲ Ne pas méconnaître les pubertés précoces périphériques en relation avec
syndrome de Mac Cune-Albright, testotoxicose et tumeurs gonadiques :
prise en charge radicalement différente.
Mots-clés : Puberté précoce – Analogues de la GnRH.
Keywords: Precocious puberty – GnRH analogs.
L
a puberté précoce se définit
comme l’apparition des signes
cliniques de la puberté avant
l’âge de 8 ans chez la fille et de
9,5 ans chez le garçon. La puberté
précoce d’origine centrale est due à
une activation prématurée de l’axe
hypothalamo-hypophyso-gonadique
dont il faut pour chaque cas éliminer
une pathologie tumorale centrale.
Elle se distingue des pubertés précoces d’origine périphérique qui sont
* Service d’endocrinologie diabétologie pédiatrique, centre de référence des maladies endocriniennes rares de la croissance, et faculté de
médecine Paris-7 Denis-Diderot, hôpital RobertDebré, Paris.
indépendantes d’une stimulation
hypothalamo-hypophysaire (origine
surrénalienne ou gonadique) et des
développements prématurés et isolés
d’un seul caractère sexuel secondaire
(thélarche prématurée, pubarche prématurée ou, plus rarement, métrorragies isolées de la petite fille) [1].
L’histoire naturelle de la puberté
précoce, outre celle de la cause, est le
développement progressif des caractères sexuels secondaires, l’accélération de la vitesse de croissance et
de l’avance de la maturation osseuse
qui entraîne une fusion précoce des
cartilages de conjugaison responsable, dans certains cas, d’un déficit
statural définitif. En effet, l’expression
clinique des pubertés précoces est
polymorphe. À côté des formes cliniques, dont l’évolutivité est évidente
avec, en l’absence de traitement, un
déficit statural définitif, il existe des
formes très lentement progressives
qui ne compromettent pas le pronostic
statural final. La reconnaissance de
ces différentes formes cliniques n’est
pas toujours aisée lors de l’évaluation
initiale. Elle est néanmoins très importante, car elle permettra de moduler
les indications thérapeutiques.
thématique
Dossier
Transition pubertaire :
une évolution progressive
La pulsatilité de la LH (luteinizing
hormone) est installée longtemps
avant la puberté, et l’augmentation
de l’amplitude des pics est le signe
biologique essentiel de la maturation
pubertaire de l’hypophyse gonadotrope. Le test de stimulation par
la GnRH révèle de façon indirecte
la sécrétion pulsatile endogène de
GnRH, puisque celle-ci conditionne
la réponse à la GnRH exogène. Ces
données physiologiques indiquent
qu’il n’y a pas de limite nette entre
l’état pubertaire et prépubertaire, ce
qui explique la fréquence des formes
“limites” de puberté précoce.
Limites d’âge de la puberté
Il est difficile de définir un âge
normal du développement pubertaire.
Les valeurs communément admises
sont issues d’études longitudinales
de Tanner et Marshall effectuées
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008
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thématique
dans les années 1950 et 1960 (différence de deux déviations standard
[DS] par rapport à la moyenne). Dans
ces études, la puberté débute normalement entre 8 et 13 ans (moyenne
11 ans) chez la fille, et entre 9 et
14 ans (moyenne 12 ans) chez le
garçon. En 1997, une étude transversale menée aux États-Unis par
Herman-Giddens et al. (2) a estimé
l’âge moyen et les extrêmes du début
pubertaire en moyenne 2 ans plus tôt,
en particulier chez les filles de race
noire. Aux Pays-Bas (3), l’âge du
début de la puberté semble s’être peu
modifié : 3 mois de moins en 1997
par rapport à 1965, ce qui reste proche
des valeurs décrites par Tanner. Ces
considérations sur les limites de la
puberté normale sont importantes
pour décider d’évaluer ou non un
développement pubertaire suspecté
comme précoce (tableau I).
Pubertés précoces :
clinique ; quand explorer ?
Les pubertés précoces centrales
se manifestent par l’apparition
progressive des caractères sexuels
secondaires : chez la fille, dévelop-
pement des seins, pilosité pubienne,
apparition des règles, chez le
garçon, augmentation de la taille
des testicules puis de la verge, pilosité pubienne. Ce développement
des caractères sexuels secondaires
s’accompagne d’une accélération
de la vitesse de croissance staturale
et d’une avance de la maturation
osseuse, qui est souvent très importante (supérieure à deux ans pour
l’âge chronologique). Mais un seul
de ces signes peut rester longtemps
isolé et être source de difficultés
diagnostiques, surtout chez les filles
où un développement isolé des seins
peut précéder de plusieurs mois l’apparition de la pilosité pubienne, voire
l’accélération staturale et l’avance de
la maturation osseuse. Il faut toutefois noter que chez certains enfants,
l’accélération de la vitesse de croissance staturale précède l’apparition
des caractères sexuels secondaires.
L’évaluation clinique doit orienter
le diagnostic et faire envisager la
discussion thérapeutique. Les principaux éléments cliniques à recueillir
et à analyser sont les caractéristiques de la puberté, la courbe de
croissance, et l’évaluation – toujours
difficile – des aspects psychologiques, qui sont la préoccupation
majeure des familles consultant
Tableau I. Suspicion de puberté précoce : quand faut-il explorer ?
Filles
Garçons
– Poussée mammaire vue strictement
avant 8 ans
– Pilosité pubienne avant 8 ans
– Poussée mammaire vue entre 8 et 9 ans ;
explorer dans certains cas seulement :
• début pubertaire avant 8 ans
(interrogatoire)
• vitesse de croissance > 6 cm/an,
pronostic de taille inférieur à la taille
cible familiale
• évolutivité clinique importante
(passage d’un stade à un autre en moins
de 6 mois)
• arguments cliniques pour une patho­
logie neurogène
• arguments cliniques pour une puberté
précoce périphérique
– Augmentation du volume testiculaire
avant l’âge de 9,5 ans
– Pilosité pubienne avant l’âge de 9,5 ans
– Développement pubertaire vu autour de
10 ans ; explorer dans certains cas seulement :
• début pubertaire avant 9 ans et demi
(interrogatoire)
• vitesse de croissance > 6 cm/an, pronostic de taille inférieur à la taille cible
familiale
• évolutivité clinique importante (passage
d’un stade à un autre en moins de 6 mois)
• arguments cliniques pour une patho­
logie neurogène
• arguments cliniques pour une puberté
précoce périphérique
Règles avant 10 ans
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pour puberté précoce. L’évaluation
clinique doit permettre d’orienter
vers une surveillance simple ou vers
des explorations complémentaires.
Les critères actuellement utilisés
pour orienter les explorations sont
présentés au tableau I. Dans les
situations limites, il est important de
noter que si une surveillance simple
est décidée, il faut s’assurer de
pouvoir réévaluer la situation après
3 à 6 mois, car sinon on risque de
revoir le patient trop tard.
Mécanismes
des pubertés précoces
Le tableau II résume les principales
causes des pubertés précoces. Bien
que les pubertés précoces centrales
soient de loin les plus fréquentes, on
remarquera la multiplicité des causes
de pubertés précoces périphériques
dont certaines sont dues à des lésions
graves, en particulier tumorales.
Évaluation biologique
des pubertés précoces
Le diagnostic biologique de puberté
précoce permet d’évaluer la sécrétion de stéroïdes sexuels et ses mécanismes. Le diagnostic des pubertés
précoces centrales repose sur la
démonstration de sécrétions gonadiques de type pubertaire, la mise en
évidence de l’activation des sécrétions gonadotropes et l’absence des
marqueurs des précocités sexuelles
non centrales.
Chez le garçon, la testostérone est
un bon marqueur de la maturation
testiculaire, à condition d’utiliser
une méthode sensible, en pratique
un dosage par RIA. Chez la fille, le
dosage d’estradiol est peu informatif,
car la moitié des filles commençant
une puberté précoce centrale ont des
taux d’estradiol dans la zone normale
Tableau II. Principales causes de pubertés précoces .
Principales caractéristiques
Puberté précoce centrale
ou dépendante
des gonadotrophines
Développement des seins
ou testiculaire ± pilosité pubienne
Pas de lésion hypothalamique
Près de 92 % des filles et près de 50 %
des garçons ; fréquence augmentée
en cas d’adoption internationale
Lésion hypothalamique
Hamartome hypothalamique, gliome
des voies optiques, autres tumeurs,
malformations du système nerveux central,
lésion acquise du système nerveux central
Secondaire à l’exposition
précoce aux stéroïdes sexuels
Puberté précoce périphérique
ou indépendante
des gonadotrophines
Autonomies gonadiques
• Syndrome de McCune-Albright
• Puberté précoce familiale limitée
aux garçons
Tumeurs
• Tumeur ovarienne de la granulosa
• Tumeur ovarienne produisant
des androgènes
• Tumeur testiculaire à cellules de Leydig
• Tumeur à hCG
Maladies de la surrénale
• Hyperplasie congénitale des surrénales
• Tumeur de la surrénale
Agents environnementaux
Stéroïdes exogènes
Exposition aux disrupteurs endocriniens
Variants bénins du développement
pubertaire précoce
• Formes non progressives de puberté précoce
• Thélarche prématurée
• Pubarche prématurée
• Ménarche prématurée isolée
Résultats des explorations
Testostérone élevée chez les garçons,
estradiol variable chez les filles. Pic de
LH après stimulation dans la zone pubère.
Âge osseux avancé. Utérus estrogénisé
sur l’échographie
IRM cérébrale normale
thématique
Dossier
Signes neurologiques associés, signes
Anomalies à l’IRM cérébrale
cliniques de neurofibromatose de type 1
(taches café au lait), déficits hypophysaires
associés
Signes variables avec la cause ;
volume testiculaire plus faible
que dans les pubertés précoces centrales
Testostérone élevée chez les garçons,
estradiol variable chez les filles. Pic de LH
après stimulation freiné. Âge osseux avancé. Utérus estrogénisé sur l’échographie
• Essentiellement chez les filles ; triade
• Souvent kystes ovariens volumineux ;
puberté précoce, dysplasie fibreuse des os mutation activatrice de GNAS
et taches cutanées
• Transmission dominante aux garçons
• Mutation activatrice du récepteur de LH
• Développement mammaire rapidement
progressif ; tumeur parfois palpable
• Virilisation progressive
• Tumeur au scanner ou à l’échographie
• Virilisation progressive ;
asymétrie testiculaire
• Tumeurs hépatiques ou médiastinales
• Tumeur à l’échographie
• Virilisation isolée dans les deux sexes
• Virilisation rapidement progressive
dans les deux sexes
• Augmentation de la 17OHP
• Tumeur au scanner ou à l’échographie ;
élévation de la SDHA ou des précurseurs
stéroïdiens
Exposition aux stéroïdes sexuels
percutanés
Signes de développement pubertaire
précoce en général isolés ;
pas d’accélération de la vitesse
de croissance ou de l’âge osseux
• Voir tableau III
• Fréquent avant l’âge de 3 ans
• Saignement vaginal isolé (sans développement des seins et de la pilosité pubienne) ; évaluer cliniquement à la recherche
d’un abus sexuel, d’un corps étranger
ou d’une tumeur vaginale
• Tumeur au scanner ou à l’échographie
• Élévation de l’hCG
Stéroïdes sexuels bas ; pic de LH
dans la zone prépubère ; utérus prépubère
sur l’échographie
• Androgènes et 17OHP après stimulation
par ACTH normaux
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008
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Dossier
thématique
Tableau III. Arguments permettant de différencier une puberté précoce vraie d’une forme
lentement progressive.
Clinique
Puberté précoce
évolutive
Puberté précoce
lentement progressive
Passage d’un stade
à un autre en moins
de 6 mois
accélérée : > 6 cm/an
En général avancé
d’au moins 2 ans
Régression spontanée
des signes
Longueur ≤ 34 mm
Utérus
Longueur > 34 mm
ou volume > 2 ml
Forme renflée en
poire
Ligne de vacuité
présente et totale
Ovaires
Peu contributif
Peu contributif
Signes cliniques
Vitesse de croissance
Âge osseux
Échographie
Biologie
Estradiol (RIA ++)
Peu contributif
Pic de LH après stiDans la zone pubère
mulation par la GnRH
Dosage de LH de base Utile si valeur franchement élevée et
dans la zone pubère
des valeurs des filles impubères.
Il faut disposer d’une méthode très
sensible et seules les méthodes RIA
répondent à cette exigence.
Les taux de base des gonadotropines,
si l’on utilise une méthode fluorométrique ultrasensible, sont indicatifs et,
en moyenne, significativement élevés
par rapport à ceux des enfants impubères. La réponse au test à la GnRH
est le gold standard du diagnostic
de puberté précoce centrale, mais le
problème majeur reste la définition
du seuil de décision.
Place de l’imagerie
dans l’évaluation
des pubertés précoces
L’échographie pelvienne par voie
abdominale permet de mesurer, avec
des critères de taille et de morphologie, le degré d’imprégnation
estrogénique des organes génitaux
internes. Une longueur utérine supérieure à 3,5 cm est le premier signe
d’estrogénisation. La morphologie
est également importante, puisque
d’une forme prépubère “en goutte”,
216
normale pour l’âge
variable
Arrondi, en goutte
Peu contributif
Dans la zone prépubère
Pas de valeur définitive
l’utérus devient tubulé puis “en
poire”. La mesure du volume utérin
peut permettre d’améliorer la fiabilité de l’examen. Secondairement,
apparaît la ligne de vacuité utérine,
témoin de l’épaississement de l’endomètre. La taille des ovaires et le
nombre de follicules ne sont pas un
critère de développement pubertaire.
La neuro-imagerie est indispensable dans l’exploration étiologique
des pubertés précoces centrales, et
l’IRM est l’examen de choix dans
l’étude de l’encéphale. L’indication
de l’imagerie est discutée dans les
pubertés précoces isolées de la petite
fille de plus de 6 ans qui représentent
la majorité des cas (4). Nous continuons à réaliser une IRM cérébrale
dans tous les cas de puberté précoce
évolutive, confirmée par la biologie.
Pubertés variantes
de la normale
La distinction entre puberté précoce
et puberté normale n’est pas stricte.
La puberté peut revêtir différentes
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formes définies comme des variantes
de la normale qui posent souvent des
problèmes de diagnostic différentiel.
Développement isolé prématuré
des seins ou thélarche prématurée
Il s’agit du développement isolé des
seins avant l’âge de 8 ans. Il existe
deux pics de fréquence de la thélarche
prématurée : la période néonatale
marquée par l’activation gonadotrope
qui peut se prolonger jusqu’à 2, voire
3 ans, et la période prépubertaire. La
thélarche prématurée se distingue
d’une puberté précoce par l’absence
de développement de tout autre
caractère sexuel et par l’absence
habituelle d’évolutivité. L’échographie utérine permet, de façon simple,
de vérifier l’absence de modification
de l’utérus et des ovaires. Aucun traitement n’est nécessaire et l’évolution
est soit la persistance d’un développement mammaire modéré (2/3 des
cas), soit la régression (1/3 des cas).
Développement prématuré
de la pilosité pubienne
ou pubarche prématurée
Il s’agit de l’apparition d’une pilosité
pubienne avant 8 ans chez la fille et
9 ans chez le garçon. Elle peut s’accompagner de signes cliniques d’hyperandrogénie : acné, pilosité axillaire,
accélération de la vitesse de croissance. Elle correspond à la puberté
surrénalienne (adrénarche) et ne rentre
pas dans le diagnostic différentiel
des pubertés précoces centrales. Les
diagnostics différentiels à éliminer
systématiquement sont les tumeurs de
la surrénale et les formes non classiques de bloc en 21-hydroxylase.
Formes lentement progressives
de pubertés précoces
Elles se présentent cliniquement
comme des pubertés précoces, avec
un développement des caractères
sexuels secondaires et une avance
modérée de l’âge osseux. À l’échographie, l’utérus peut montrer un
début d’imprégnation estrogénique.
Cependant, la réponse des gonadotropines au GnRH est de type prépuber-
taire. La surveillance de ces formes
de pubertés précoces a démontré
qu’un traitement par les agonistes
de la GnRH n’était pas indiqué,
puisque l’évolution se fait soit vers
la régression totale des signes pubertaires pour les plus jeunes, soit vers
une évolution lentement progressive
de la puberté (5). Le tableau III
donne les éléments d’orientations qui
permettent de différencier les formes
évolutives des formes lentement
progressives de puberté précoce.
Traitements des pubertés
précoces centrales
Le concept du traitement des pubertés
précoces centrales par les analogues
du LH-RH est né des travaux de
Belchetz et Knobil (1978-1980) qui
ont montré que la sécrétion normale
des gonadotrophines hypophysaires
requiert la sécrétion pulsatile de
LH-RH et que la sécrétion continue de
LH-RH inhibe la sécrétion des gonadotrophines hypophysaires. Les études
ont permis de mettre en évidence le
mécanisme d’action des analogues
agonistes du LH-RH : administrés à
faible dose et de manière pulsatile, ils
stimulent la sécrétion des gonadotrophines alors qu’à des doses élevées,
ils la bloquent. En effet, l’exposition
aux agonistes du LH-RH, et donc
l’occupation prolongée des récepteurs
au LH-RH provoque une désensibilisation des cellules hypophysaires,
abolit leur réponse au LH-RH endogène, ce qui se traduit par un blocage
de la production des gonadotrophines
hypophysaires et secondairement
de celle des stéroïdes gonadiques.
L’administration prolongée de doses
pharmacologiques des analogues
agonistes du LH-RH entraîne donc,
après une courte période d’hyperstimulation des cellules gonadotropes,
une désensibilisation de celles-ci et
une suppression de la fonction gonadotrope. Cet effet antigonadotrope est
réversible à l’arrêt du traitement.
Le traitement des pubertés précoces
centrales repose donc essentiellement
sur l’utilisation des agonistes de la
GnRH. Des formes retard, à injections mensuelles ou trimestrielles
sont utilisées. Les objectifs de ces
traitements sont multiples. Ils visent
à faire régresser ou à stabiliser les
signes de développement pubertaire,
sur les plans physique, psychique
et comportemental. Ces traitements
visent aussi à améliorer la taille qui
peut être compromise par la puberté
précoce. Enfin, la tolérance à court,
moyen et long terme de ces traitements doit être surveillée. Le traitement dure au minimum 2 ans et est
poursuivi d’autant plus longtemps
qu’il a été commencé plus jeune.
Résultats à court terme
et surveillance
Après l’instauration du traitement,
on assiste habituellement à une
régression ou à une stabilisation
des signes pubertaires. La pilosité
pubienne augmente secondairement
sous l’effet des androgènes surrénaliens. La glande mammaire régresse
partiellement, même si la déformation de l’aréole persiste. Le volume
testiculaire se stabilise et ne diminue
que secondairement (après 6 mois
à 1 an de traitement) sans revenir à
un volume prépubère. La vitesse de
croissance diminue habituellement
au bout de 6 à 12 mois de traitement,
de même que la vitesse de maturation
osseuse. L’efficacité biologique de
ces traitements doit être surveillée.
Résultats à long terme
Le moment optimal pour l’arrêt des
traitements est débattu (6, 7). L’arrêt du
traitement correspond habituellement
à l’âge physiologique moyen de début
de la puberté (11 ans chez la fille). À
l’arrêt du traitement, la récupération
de la fonction gonadotrope et gonadique s’observe en quelques semaines
et les signes cliniques pubertaires
progressent. Chez la fille, les règles
apparaissent en moyenne un an après
l’arrêt du traitement. Dans les séries
publiées, le gain statural estimé par
la différence entre taille prédite avant
traitement et taille adulte varie entre
2,9 et 9,8 cm. Il est d’autant meilleur
que le traitement a été commencé plus
jeune et qu’il n’y a pas eu de retard
dans le diagnostic et la mise en route
du traitement freinateur. Néanmoins,
la taille finale peut être légèrement
diminuée par rapport à la taille cible
génétique. À long terme, la fonction
de reproduction paraît normale et des
grossesses ont été rapportées (8).
thématique
Dossier
Tolérance
La tolérance des agonistes de la GnRH
est en général bonne. Les effets secondaires les plus fréquemment observés
sont liés à la l’hypogonadisme induit
par le traitement, bouffées de chaleur,
asthénie, céphalées. Il n’y a pas d’effet
à long terme sur l’index de masse
corporelle exprimé en DS, mais les
études de composition corporelle indiquent une augmentation de la masse
grasse et une diminution de la masse
maigre (9). Le problème de l’effet
du traitement sur la masse osseuse a
également été largement débattu, et
les données à long terme montrent
une normalisation de la masse osseuse
après l’arrêt du traitement (10). Les
phénomènes d’intolérance locale au
point d’injection concernent entre 5
et 15 % environ des patients dans les
séries publiées.
Indications des agonistes
de la GnRH dans
les pubertés précoces
Les manifestations pubertaires
précoces ne sont pas synonymes
de puberté précoce centrale, et de
nombreux variants non évolutifs de
puberté précoce ont été décrits. L’âge
physiologique de début de la puberté
est une notion statistique qui dépend
de l’ethnie, de l’état nutritionnel et de
facteurs environnementaux et génétiques pour l’instant mal connus.
Pour orienter les indications thérapeutiques des agonistes de la
GnRH, nous utilisons plusieurs
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008
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Dossier
thématique
218
critères qui doivent être concordants
(tableau III) ; si ces critères sont
discordants, il vaut mieux réévaluer la situation quelques mois plus
tard, car l’évolutivité de la puberté
précoce peut apparaître secondairement (11).
1. La puberté a-t-elle commencé avant
8 ans chez la fille et 9,5 ans chez le
garçon ? Ce critère n’est pas toujours
précis, car il repose sur l’interrogatoire. Par ailleurs, plus la puberté a
commencé avant cet âge “limite”, plus
la justification du traitement sera nette,
la zone d’ombre se situant probablement entre 7,5 et 8,5 ans chez la fille et
9 et 10 ans chez le garçon.
2. La puberté est-elle cliniquement
évolutive ? La taille et la morphologie utérines nous paraissent être
des signes importants avant d’envisager un traitement frénateur.
3. Existe-t-il des signes biologiques
d’évolutivité ? La confirmation biologique de l’activation de l’axe gonadotrope est importante tant pour éliminer
une puberté précoce d’origine “périphérique” que pour confirmer l’évolutivité de la puberté centrale. Le pic
de LH au cours du test à la GnRH
reste le meilleur signe. La valeur
seuil devra bien sûr être étalonnée en
fonction des dosages et des normes
de chaque laboratoire.
4. D’autres considérations peuvent
être prises en compte mais elles
nous semblent complémentaires par
rapport aux critères précédents : – La puberté précoce compromet-elle
de façon sensible la taille adulte ?
– La puberté précoce comprometelle l’équilibre psychologique de
l’enfant? Cet aspect est difficile à
quantifier mais devra être évalué
avant d’envisager un traitement.
Enfin, il nous paraît important
d’insister sur le fait que les anomalies isolées de la taille ne sont pas
une indication thérapeutique des
agonistes de la GnRH dans le cadre
des pubertés précoces. L’effet bénéfique des agonistes de la GnRH sur
la taille adulte dans les pubertés
précoces a créé la tentation d’agir
sur la taille adulte dans les petites
tailles idiopathiques : de nombreuses
publications ont maintenant clairement montré l’absence de bénéfice
statural dans ces situations (12, 13).
Aspects psychosociaux
Les aspects psychosociaux des
pubertés précoces sont la préoccupation majeure des familles qui consultent pour puberté précoce alors que les
médecins sont en général focalisés sur
les aspects étiologiques et staturaux.
L’évaluation psychologique révèle
habituellement un QI normal, avec
cependant un QI performance plus
faible que le QI verbal. Les patientes
sont en moyenne plutôt solitaires, avec
un score d’isolement élevé, et présentent une tendance à la dépression. Elles
sont essentiellement préoccupées par
leur apparence alors que les parents
sont inquiets de la survenue des règles.
Les conséquences psychosociales à
long terme des pubertés précoces sont
actuellement mal connues, de même
que l’insertion psychosociale des
patientes ayant été traitées pour une
puberté précoce (14, 15).
Conclusion
L’efficacité du traitement freinateur
des pubertés précoces centrales et
évolutives a été largement démontrée,
tant sur l’arrêt du développement des
caractères sexuels secondaires et la
suppression de la fonction hypophyso­
gonadique qui est réversible à l’arrêt
du traitement que sur l’amélioration du
pronostic statural final et sur la taille
définitive. À distance du traitement, la
fonction de reproduction et la composition corporelle paraissent normales.
La connaissance des différentes
formes cliniques des pubertés
précoces est déterminante pour poser
l’indication thérapeutique ou l’abstention du traitement frénateur.
Les aspects psychologiques liés à la
précocité pubertaire doivent également être évalués lors de la prise en
charge de ces patients.
■
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 6, novembre-décembre 2008
Références bibliographiques
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