Éditorial Du neuf avec du vieux J. Mahoudeau* D écrite par Addison en 1855, l’insuffisance surrénale (IS) primaire a toujours fasciné par ses signes cliniques spectaculaires, son évolution mortelle brutalement transformée, au siècle précédent, par les corticoïdes, qui en font aujourd’hui, en exagérant un peu, un défaut presque anodin, car facile à substituer et compatible avec une vie normale. Nous évoquons souvent le président Kennedy auprès de nos patients, parfois flattés et toujours rassurés par cet exemple, malgré son destin tragique. Encore plus spectaculaire, l’insuffisance surrénale aiguë reste un exemple mythique d’urgence médicale rare qui préoccupe l’interne de garde, tout autant par sa crainte de méconnaître le diagnostic que de l’évoquer à tort. Pour le diagnostic biologique de l’IS, que de progrès accomplis depuis le test à l’eau de Robinson, le test de Thorn comptabilisant les éosinophiles sous ACTH et le dosage des 17-cétostéroïdes (premier dosage hormonal) ! Ces étapes historiques, résultant d’une démarche intelligente, ont fait place à la biologie moderne, facilement accessible sur quelques microlitres de sang, et démonstrative de l’IS, dont l’origine haute ou basse est clairement démarquée. Dans ce numéro, M. Quinkler et ses collaborateurs font une très bonne mise au point diagnostique et thérapeutique de l’IS en 2002. La clinique n’a pas changé, mais l’expérience et les statistiques ont introduit un meilleur relief dans la sémiologie clinique et surtout biologique. On sait, par exemple, que le test au Synacthène® ne départage pas bien les addisonniens des insuffisants hypophysaires et on en comprend la raison : le récepteur de l’ACTH doit être soumis à une stimulation régulière par l’ACTH (endogène ou exogène) pour stimuler la synthèse de cortisol. La simple confrontation du taux de cortisol et d’ACTH est en général suffisante pour le diagnostic de l’IS et du niveau lésionnel. Le traitement s’affine et, depuis quelques années, les doses substitutives d’hydrocortisone sont revues à la baisse : progressivement, les endocrinologues français rabattent leurs traditionnels 30 mg/j à 20 mg/j ou même 15 mg/j, comme leurs voisins européens. Cependant, la substitution corticoïde n’est probablement pas parfaite, faute de critères de surveillance assez précis, surtout dans l’IS d’origine haute. La place de la DHEA, qui paraît logique dans l’IS après la ménopause, reste à confirmer. * Service d’endocrinologie, CHU de Caen. C’est surtout dans l’étiologie de l’insuffisance surrénale que les dernières années ont apporté du neuf. La tuberculose n’est plus la première cause 191 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 5, septembre-octobre 2002 Éditorial de maladie d’Addison. La surrénale a rejoint la thyroïde et le pancréas parmi les cibles de l’auto-immunité. La poly-endocrinopathie autoimmune de type 1, associant des déficits endocriniens multiples, dont l’IS et l’hypoparathyroïdie, et une candidose par déficit immunitaire, a trouvé son support génétique dans les altérations du gène AIRE (autoimmune regulator), dont on a décrit 45 mutations sans corrélation phénotype/génotype. L’excellente revue de H. Lefebvre souligne l’intérêt théorique et aussi pratique de cette avancée. L’IS de l’enfant est surtout représentée par le déficit en 21-hydroxylase, dont la fréquence justifie le dépistage néonatal systématique en France. La revue de G. Pinto-Primard et M. Polak indique là aussi des progrès exponentiels : la génétique est connue, la démarche diagnostique et thérapeutique est claire, le traitement anténatal prévient la virilisation du fœtus féminin. Les causes rares d’IS de l’enfant ont ouvert des voies qui éclairent les mécanismes génétiques du développement et de la trophicité du cortex surrénal, notamment les adrénoleucodystrophies, les mutations inactivatrices du récepteur de l’ACTH, le syndrome des 3 A et, surtout, les anomalies des gènes SF1 (steroidogenic factor 1) et DAX1 (dosage-sensitive sex-reversal, adrenal hypoplasia congenita, X chromosome). SF1 est un facteur de transcription de la stéroïdogenèse et on comprend que les mutations de ce gène provoquent une IS et un hypogonadisme. On comprend moins comment les mutations de DAX1 entraînent ces mêmes pathologies (et un déficit gonadotrope) puisque, normalement, DAX1 réprime SF1. Ces pathologies d’exception sont, comme souvent, d’un grand enseignement, et le cortex surrénal reste la cible d’une recherche intense. En pratique, le diagnostic d’une IS, indépendamment de sa cause, haute ou basse, est d’une importance vitale et, aujourd’hui, il est facile le plus souvent. Il ne reste plus qu’à espérer la possibilité d’un diagnostic en temps réel, que les endocrinologues envient à d’autres spécialistes. Disposera-t-on jamais de dosages instantanés du cortisol et de l’ACTH ? En attendant ce jour, la clinique reste reine et permet de prendre une décision thérapeutique rapide en attendant les résultats des dosages. 192 Act. Méd. Int. - Métabolismes - Hormones - Nutrition, Volume VI, n° 5, septembre-octobre 2002