éditorial CHRONIQUE D’UNE NOUVELLE NAISSANCE L’Afrique a été colonisée : elle a subi une exploitation matérielle à grande échelle, elle s’est vu imposer un découpage territorial non conforme aux lignes de légitimité traditionnelle, des idéologies politiques et religieuses importées, des virus et des endémies jusqu’alors inconnus sur son territoire. Après les indépendances formelles, fut inaugurée l’ère dite de la néocolonisation. Le plus illustre des agents de mise en œuvre de ce nouveau système a pour nom le FMI (Fonds Monétaire International). En effet, ce dernier s’avère être un bourreau encore plus efficace et plus dévastateur : il provoque, dans le TiersMonde, des guerres et leur cortège de misères (famine, épidémies…) en octroyant à des dirigeants sans scrupules les moyens de s’armer jusqu’aux dents. Il prête à certains autres dirigeants des devises que ces derniers mettent à l’abri dans des paradis fiscaux occidentaux tels que la Suisse ou le Luxembourg. Par la suite, il accroît la pauvreté, dans cette partie du monde, en imposant des plans de réajustement structurel néfastes et des taux de remboursement inacceptables aux populations et à leurs petites entreprises locales qui n’ont aucunement bénéficié de l’argent prêté à la poignée de dirigeants. Puis, avec cynisme, on stigmatise le marasme et l’agonie de l’économie de l’Afrique et aussi, au passage, la décrépitude de ses institutions bancaires. Mais une telle prophétie ne tient pas compte de quelques initiatives persévérantes qui, même de petite taille, ont un grand avenir : c’est le cas de ce qu’on appelle les tontines, des véritables oasis bancaires bien organisées et qui s’oxygènent dans les “tripes” et les valves économiques de quelques collectivités africaines et auxquelles un des intervenants consacre quelques lignes dans ce numéro. Le lecteur parcourra, dans cette même livraison, tant d’autres textes ancrés sur le rôle moteur de la femme et de l’artiste dans l’essor possible de l’économie africaine. Emmanuel NDE FEUKAM Vice-Président du CCAE/B-RVDAGE/B FR 1 afrique de l’ouest HISTORIQUE DE L’AFRIQUE OCCIDENTALE La lecture des stratégies adoptées par les populations d’Afrique de l’Ouest pour améliorer la qualité de leurs vies dévoile la prévalence de deux mécanismes : l’accès au crédit et aux moyens de communication. Ces deux processus étant particulièrement développés dans les pays du Nord Ouest de l’Afrique, une petite incursion dans leur passé peu connu du grand public pourrait éclairer certaines de leurs difficultés actuelles. L’AFRIQUE OCCIDENTALE PRÉCOLONIALE Selon Hérodote, en 600 avant J-C, le pharaon Mecho II ordonna à un amiral phénicien de parcourir le continent africain, appelé “Libya”, en ces temps-là. Le mot “Africa” fut usité plus tardivement. Après un périple de trois ans, les navires partis du Golfe de Suez en Mer rouge revinrent via Gibraltar. Le second voyage connu fut entrepris par le carthaginois Hanno qui parcourut les côtes nord et nord-est de l’Afrique. Entre 400 et 300 avant. J-C, Eutiminio visita l’Afrique de l’ouest et vers 200, un autre grec, Plibius qui voyagera là, décrivit le fleuve Gambia, plein de crocodiles. En 200, un troisième grec Eudoxus de Cyzicos navigua à travers l’Afrique. Le désert du Sahara ne favorisa pas tellement les voyages plus au coeur du FR 2 continent. C’est seulement entre 146 et 12 avant J-C, lorsque les pays de l’Afrique du nord, Egypte, Libye, Tunisie, Algérie et Maroc furent sous la domination romaine que certains explorateurs pénétrèrent le Sahara et s’aventurèrent vers le Sud. Les récits de ces voyageurs décrivent des Etats bien structurés. L’histoire officielle écrite considère le royaume du Ghana comme le premier de ces États. Ce royaume émergea à partir du Ve siècle après J.-C., dans le sud-est de l’actuelle Mauritanie, sur le site de Koumbi Saleh qui devint la capitale du royaume du Ghana. Ce royaume avait établi sa notoriété sur l’exploitation des mines d’or du Haut-Sénégal-Niger. C’est le géographe arabe Ibn Howgal qui mentionna le premier l’existence de ce royaume du Ghana qui prospéra libre et indépendant durant plus de 700 ans. En 700 des voyageurs arabes décrivent la cour du Roi du Ghana comme un splendide palace rutilant d’or et de cristal. Vers le début du XIe siècle, la cour du Ghana comptait des conseillers musulmans. Les marchands musulmans vivaient dans des grands quartiers réservés, d’où ils dirigeaient un commerce lucratif à grande échelle. À la fin du XIe siècle, le royaume de Ghana fut détruit par les Almoravides, un mouvement fondé par les Berbères sanhadja dénommés aussi Maures. Ils imposèrent la religion musulmane et esclavagisèrent de nombreuses populations. Les fugitifs se réfugièrent dans la forêt Ashanti au sud; ils furent dénommés Ashantis. Au siècle suivant, les Soussous du FoutaDjalon, anciens vassaux du Ghana, prirent le contrôle de la région, mais durent se soumettre à l’empire du Mali dont la capitale se trouvait à Niani, dans le nord-est de la Guinée actuelle (vers 1240). L’empire du Mali s’est développé vers le début du XIe siècle, dans le cours supérieur des fleuves Sénégal et Niger, à partir d’un ensemble de peuples de langue mandé. Au milieu du XIIIe siècle, l’État commença son expansion sous la direction de Soundiata Keita. L’empire connut son apogée sous le règne du mansa (roi) Moussa, qui conquit la célébrité lors d’un fastueux pèlerinage à La Mecque (1324-1325) au cours duquel il distribua des pièces d’or en telle quantité que le cours du métal s’effondra sur les marchés du Caire. Il s’investit essentiellement dans le développement économique et culturel afrique de l’ouest de son empire. Il fonda la fameuse université de Sankore à Tombouctou. Il établit des relations diplomatiques avec la Tunisie et l’Égypte, et fit venir des enseignants et des artisans. Sous le règne de son fils qui lui succéda à sa mort, commence le déclin de l’empire et les touaregs envahissent Tombouctou. Après 1400, l’empire s’écroula et le royaume de Gao, fondé en 1464, par un roi des Songhaï, émergea à son tour, s’agrandit florissant et devint l’empire Songhaï. A son apogée, l’Empire Songhaï s’étendait de l’Atlantique au lac Tchad sur 2500 km, et donna à Tombouctou ses heures de gloire commerciale. Mais Tombouctou fut détruite par une expédition marocaine équipée d’armes à feu (les premières à être utilisées au sud du Sahara), envoyée par le sultan Ahmad al-Mansur qui voulait mettre la main sur le commerce de l’or (1591). À l’est de l’Empire songhaï, entre le fleuve Niger et le lac Tchad, se développèrent les cités-États des Haoussa et l’empire de Kanem-Bornou. Les États haoussa (Biram, Daura, Katsina, Zaria, Kano, Rano et Gobir) se formèrent vers le Xe siècle et tirèrent profit de la chute de l’Empire songhaï. Le commerce transsaharien se déplaça vers l’est et passa sous le contrôle de Katsina et de Kano, qui devinrent les centres d’un commerce et d’une vie urbaine florissants. Le Kanem fut fondé au VIIIe siècle au nord et à l’est du lac Tchad et formait un État doté d’une structure assez lâche. À la fin du XIVe siècle, au terme de multiples invasions nomades, les sultans du Kanem investirent la région du Bornou pour former le Kanem-Bornou. Le plus célèbre des dirigeants bornouans, maï Idris Alooma (1580-1617) introduisit les armes à feu achetées aux Turcs ottomans. À son apogée, le KanemBornou contrôlait les routes du Sahara oriental, mettant l’Afrique centrale en liaison avec l’Égypte et la Libye ; il amorça un long déclin à partir du XVIIe siècle. Par la suite, des petits royaumes (Macina, Gonja, Ségou, Kaarta) tentèrent de dominer l’Ouest africain, mais ils ne purent ranimer le commerce transsaharien en déclin par suite de l’ouverture des comptoirs commerciaux européens sur la côte de la Guinée à partir du XVIe siècle. L’ENTRÉE EN SCÈNE DES OCCIDENTAUX Henri le Navigateur, prince de Portugal, fut l’initiateur des premières expéditions autour de l’Afrique, qui débutèrent en 1434 et aboutirent au doublement du cap de Bonne-Espérance par Bartolomeu Dias en 1488 et à la découverte de la route des épices (l’océan Indien) par Vasco de Gama (1497-1498). Les Portugais établirent des comptoirs (fort d’El Mina sur la Côte-de-l’Or en 1482) et furent bientôt suivis par les Français, les Hollandais et les Anglais. Les nouveaux venus négociaient avec les peuples côtiers les produits africains locaux (or, ivoire, gomme, peaux d’animaux) et les esclaves contre de la verroterie, des gadgets et des fusils élémentaires. Partout où ils accostèrent, les ensembles commerciaux et politiques existants ou en cours de formation furent perturbés (disparition du grand commerce transsaharien et des grands empires), et, les systèmes économiques et religieux furent profondément modifiés (instauration du commerce inégal et de la traite négrière ; introduction du christianisme). Au cours des quatre siècles du commerce des esclaves, des millions d’Africains furent victimes de ce trafic d’êtres humains. La plupart furent capturés par d’autres Africains et échangés contre différents biens de consommation. Le premier grand royaume à tirer profit du commerce des esclaves fut le Bénin, dans l’actuel Nigeria, fondé au XIIe siècle. Vers la fin du XVIIe siècle, le Bénin fut supplanté par les royaumes du Dahomey et d’Oyo. Au milieu du XVIIIe siècle, les Ashanti de l’actuel Ghana commencèrent leur ascension. Sous l’asantehene (roi) Osei Kojo (qui régna de 1764 à 1777), ils s’approchèrent des comptoirs commerciaux européens établis le long de la Côte-de-l’Or. Plus à l’est, le royaume yorouba d’Oyo déclina à la fin du XVIIIe siècle, entraînant l’intervention des Peul du nord. Vers 1835, Oyo fut abandonnée, mais les Peul furent repoussés à la bataille d’Oshogbo (vers 1840). À la fin du XVIIIe siècle, les sociétés philanthropiques britanniques s’opposèrent au commerce des esclaves. À la suite de la décision Mansfield, qui avait libéré les esclaves au Royaume-Uni en 1772, des projets furent établis pour la création d’une colonie d’esclaves libérés en Afrique occidentale. La première tentative (1787-1790) dans la baie de Saint-Georges (en Sierra Leone) fut un échec. Une seconde tentative, lancée par les abolitionnistes, aboutit à la fondation de Freetown, dans la même région (1792). L’exemple de la Sierra Leone attisa l’intérêt des libéraux américains et, au début de 1822, une société philanthropique américaine, l’American Colonization Society, fonda sa propre colonie du Liberia. LA PÉRIODE COLONIALE ET SON INCROYABLE DÉNOUEMENT Avec le développement des intérêts privés en Afrique, l’engagement européen s’intensifia. Les Français entamèrent la conquête de l’Algérie et du Sénégal dans les années 1830. L’occupation systématique de l’Afrique tropicale commença au cours de la seconde moitié du siècle dans le sillage des explorations. Les premières missions européennes qui pénétrèrent à l’intérieur se heurtèrent aux États en voie de constitution, mais le continent avait été ravagé par la traite des Noirs et l’importation de fusils. Les chefs africains ne purent s’opposer à la pénétration européenne, trop violente et trop forte. En effet, outre leur puissance des armes, les européens, en substituant à l’économie de traite (échange des produits de la cueillette, des défenses et des peaux d’animaux contre des biens manufacturés sans valeur) la recherche de matières premières destinées à alimenter leurs usines chez eux, ont sérieusement consolidé leur puissance économique. Ils étaient devenus seuls maîtres à bord. À la conférence de Berlin (1884-1885), les puissances occidentales, auxquelles s’était jointe la Turquie, au faîte d’une arrogance méprisante, définirent leurs sphères d’influence, laissant la délimitation des frontières encore inconnues à une date indéterminée. Aucun État FR 3 afrique de l’ouest africain n’avait été invité à cette conférence qui divisa le continent et scella son devenir. Les décisions prises se heurtèrent à une résistance lors de leur application partout où la situation le permettait. Les Français firent face à une révolte en Algérie (1870) et mirent longtemps à contrôler le Sahara (1881-1905; 1920 en Mauritanie). Dans l’ouest du Soudan, Samory Touré et Ahmadou, fils et successeur d’El-Hadj Omar, tentèrent, en vain, de garder leur indépendance. Le Dahomey fut occupé par les forces françaises en 1892 et le Ouaddaï, au Tchad, fut la dernière région à tomber aux mains des Français (bataille de Kousséri contre Rabah, 1900). Une fois les territoires pacifiés, les Européens construisirent des routes et des chemins de fer afin de faciliter l’acheminement des matières premières vers les ports. Ils firent entrer les populations dans leur système économique en instaurant un système d’impôts payables en numéraire grâce à l’introduction de cultures industrielles, dites de “rente” (arachide, coton, huile de palme, sisal), ou sous la forme de travail non rémunéré (le “travail forcé”) pour la construction des infrastructures (routes, barrages). Au cours de la Première Guerre mondiale, les territoires africains allemands furent conquis et la Société des Nations en fit des territoires sous mandat des puissances alliées. Des dizaines de milliers d’Africains furent FR 4 réquisitionnés pour combattre dans les armées alliées sur les champs de bataille européens. En 1895, la France fédéra les territoires de la Guinée, de la Côte d'Ivoire, du Soudan, du Dahomey, de la Haute-Volta, de la Mauritanie, du Niger et du Sénégal en Afrique-Occidentale française (AOF). La circonscription de Dakar en était la capitale administrative. A la fin de la seconde guerre mondiale, conformément à la constitution française de 1946, qui stipulait l’Union française des territoires d’outre mer, l’AOF acquit le statut de territoire français. En 1958, la France commença à céder aux aspirations à l’indépendance de ses colonies. La nouvelle constitution française préparée par De Gaule établit la Communauté française, remplaçant l’ancienne Union française. Cette constitution laissait la faculté de choisir entre l’indépendance complète et l’appartenance à la Communauté française. Seule la république de Guinée opta pour l’indépendance totale. Les pays ayant choisi d’entrer dans la communauté acquirent l’autonomie intérieure. Mais l’administration des finances, de la défense nationale, de la justice, de l’enseignement de degré supérieur, des affaires étrangères, des transports à l’extérieur des pays, des télécommunications et le contrôle des matières premières stratégiques furent confiés à l’organisation centrale de la communauté française noyautée par la France. Ils accédèrent à l’indépendance deux ans plus tard. Surgirent ainsi les républiques de Soudan, du Niger, de la Mauritanie, de la Côte d’Ivoire, de la Haute-Volta (Burkina Faso), du Sénégal et du Dahomey (actuel Bénin). Celles de Tchad (ancien Oubangui-Chari), du Congo, du Gabon, de la République Centre-Africaine se formèrent en Afrique équatoriale française. La Guinée a formé une union provisoire avec le Ghana (ancienne Côte d’Or britannique). L’ancien Cameroun et le Togo français qui étaient placés sous la tutelle des Nations Unies devinrent indépendants en 1960. La Côte d’Ivoire, le Niger, le Dahomey et la Haute Volta formèrent un groupe, le Conseil de l’Entente, relativement semblable au Commonwealth britannique. Ces nouveaux états devaient faire face à d’écrasants problèmes. A part une poignée de dirigeants, le reste des populations était illettré. Il n’existait pas de langue commune ; 400 langues étaient parlées par 60 millions d’habitants alors que la langue de travail dans l’administration, l’enseignement et tous les services publics demeurait le français. C’est du tréfonds de cet entropie indicible, que des populations bafouées se battent pour retrouver leurs identités et leur dignité, et vivre décemment. Hélène MADINDA dossier microcrédits SYSTÈMES DES MICRO-FINANCES EN AFRIQUE DE L’OUEST HISTORIQUE,TENDANCES,RAPPORTS AVECLESFLUXFINANCIERSISSUSDE L’IMMIGRATION Par Yéra NDEMBELE Président de la FAFRAD Constitués de réseaux d’épargne-crédit de proximité souvent déconnectés des systèmes centralisés, les micro-financements font l’objet d’une diversité d’approches, reflet de leur origine, et des dynamiques sous-jacentes. Venant suppléer l’inadaptation du système bancaire classique aux réalités socio-économiques locales, les actions de micro épargne-crédit sont souvent menées dans le cadre des programmes financés par les institutions bilatérales et multilatérales dont elles sont de plus en plus dépendantes. Ce qui pose le problème de leur pérennisation en l’absence des appuis extérieurs. Aussi commence-t-on à s’interroger sur la nécessité de les connecter aux réseaux centralisés et aux flux financiers issus de l’émigration. Le développement autonome de ces systèmes suppose un cadre institutionnel et juridique approprié répondant à la fois à une nécessité d’équilibre financier et à des contraintes d’ordre socio-culturel. Le système bancaire classique des pays africains peut-il intégrer ces nouvelles dimensions ? Cet article tente de présenter un historique des systèmes de microfinances en Afrique de l’Ouest et d’esquisser une analyse explicative de leur genèse et évolution en vue d’explorer des pistes pouvant déboucher sur une pérennisation endogène. DE L’INADAPTATION DES MODÈLES IMPORTÉS Le dualisme post-colonial des sociétés africaines concerne tant la sphère financière que la sphère sociale. D’un côté, nous avons des institutions héritées de la colonisation, de l’autre, nous avons des systèmes traditionnels enracinés dans ce qu’on appelle le pays réel. Les premières sont d’autant moins capables à couvrir les besoins de la majorité de la population qu’elles sont initialement conçues pour une couche relativement restreinte de la population : celle qui est susceptible d’assimiler la culture occidentale et qui peut apporter des garanties formelles au crédit et indépendamment de la confiance. Ainsi l’inadaptation des modèles importés peut se situer à deux niveaux : AU NIVEAU DE LA DISTANCE SOCIOLOGIQUE ET CULTURELLE ENTRE SOCIÉTÉ D’ORIGINE DU MODÈLE ET SOCIÉTÉ D’ACCUEIL Il se trouve que la culture est comme “ la paire de lunettes que l’on porte sur ses propres yeux ”(1) la chose la plus difficile à voir. L’erreur souvent commise en Afrique est la croyance aveugle au caractère universel des méthodes de gestion et des règles permettant d’instaurer des relations de confiance entre organismes d’épargne-crédit et la clientèle. On sait maintenant que tout en gardant une même base scientifique, les outils de gestion varient dans leur application d’une société à l’autre : différence entre méthodes japonaises, méthodes françaises et méthodes américaines. Pourquoi ces différentes pratiques seraient-elles transposables sans adaptation aux sociétés africaines ? (1) Alain HENRY, Caisse Française de Développement dans “Techniques Finan-cières & Développement” N°38-39 Mars/Juin 1995 P.39 Epargne Sans Frontière FR 5 dossier microcrédits AU NIVEAU DES FONDEMENTS DE LA CONFIANCE Dans les sociétés des pays industrialisés, la confiance en un individu repose essentiellement sur son patrimoine, même si la réputation intervient également mais en second lieu. En règle générale la réputation des clients dépend surtout de leur richesse. On a vu ce que de tels fondements matériels ont donné en Afrique. Beaucoup de banques ont fait crédit à tort et à travers en se basant sur des garanties apportées par la clientèle et qui n’ont pourtant pas suffi pour que les dettes correspondantes soient honorées. En revanche les sociétés africaines accordent la primauté à la connaissance de l’autre pour lui faire confiance ou non, même si la capacité de rembourser est également à prendre en compte dans l’accord de crédit. La conjonction de ces deux facteurs a fortement contribué à l’échec des modèles importés en Afrique. Dans les années 20-30, des modèles d'établissements publics de crédit, à plusieurs échelons (organismes mutualistes à la base et caisses centrales au sommet), sont créés pour financer l'agriculture “indigène”. Ces établissements financiers vont être rapidement confrontés au problème de garantie. En effet, le régime foncier traditionnel ne permettait pas à l'immense majorité des paysans africains de recourir au crédit en présentant des garanties hypothécaires. Les caisses de crédit agricole n’avaient par conséquent pas d’autres emprunteurs que des organismes publics ou des personnalités politiques qui honorent peu leurs dettes aux échéances. “Ainsi paralysées dans leurs activités par les garanties obligatoires que leur imposaient leurs statuts, mais en même temps soumises à des pressions qui les conduisirent à faire des opérations discutables, ces caisses de crédit agricole n'ont rendu à l'agriculture africaine que des services négligeables ”.(2) Il en a été de même pour les établissements spécialisés créés par différents Etats sous l'égide des bailleurs de fonds, entre 1960 et 1980, (caisse nationale de crédit agricole (CNCA) au Bénin et banque nationale de développement agricole (BNDA) au Mali) qui n’ont guère eu plus d'impact. Hormis le financement des campagnes de commercialisation des produits d'agroFR 6 exportation, comme l'arachide, le coton ou le cacao, leur intérêt pour le secteur rural est resté insignifiant. Ainsi, les études comparatives sur l'Union monétaire ouest-africaine montrent les résultats suivants de certaines banques agricoles (3) : sur six banques créées, entre 1967 et 1984, quatre ont été liquidées (Bénin, Togo, Côte d'Ivoire, Niger) et seules deux subsistent (Mali et Burkina Faso), grâce à la filière-coton et au recyclage de l’épargne mobilisée dans des réseaux financiers décentralisés (crédit solidaire et caisses villageoises). (2) Belloncle G., in Gentil D. et Fournier Y. : “Construire des outils financiers au service du développement rural au Bénin” et “Le financement solidaire en Guinée Conakry”, in Les Cahiers de la Recherche-développement, dossier sur “Systèmes financiers ruraux”, n°34 &35, 1993. (3) Cf. par exemple Le Breton Ph., “Les banques agricoles en Afrique de l’Ouest”, Notes et études, Caisse française de développement n° 24, mai 1989. DE L'ÉMERGENCE DES SYSTÈMES D’ÉPARGNE-CRÉDIT DÉCENTRALISÉS Les systèmes d’épargne-crédit ont fait l’objet d’une réelle promotion en Afrique de l’Ouest suite à la crise financière des années 80. Ils ont été introduits dans un certain nombre de pays notamment anglophones bien avant les indépendances. La crise de la dette des années 80 a révélé l’inadaptation du système bancaire traditionnel aux besoins de la majorité des populations. Il s’en est suivi des mesures de libération financière et des réformes structurelles censées réduire le rôle de l'État pour supprimer les distorsions liées à l'économie administrée. Mais ces réformes ne sont pas allées dans le sens d’une plus grande couverture des besoins pour des populations moins intégrées dans l’économie monétaire et notamment les paysans. Elles ont au contraire agrandi le fossé entre les couches de la société qui ont besoin de micro-crédits, peu intéressants pour les banques commerciales, et les autres. Sans chercher à se substituer aux banques classiques, ni même à les concurrencer, les systèmes d’épargne et de crédit décentralisés vont intervenir pour répondre au besoin de bancarisation en milieu rural ouest africain. L’éclosion de petits métiers ou activités liées à la fabrication de produits d’importsubstitution impliquant de nouveaux besoins de financement, va également être déterminante pour leur expansion. Les systèmes financiers décentralisés (SFD) africains relèvent de trois principales approches allant de l’innovation locale à l’appropriation de modèles importés, de l’informel au formel plus ou moins institutionnalisé. LES SYSTÈMES D’ÉPARGNE-CRÉDIT : LES TONTINES Issues de traditions ancestrales, les tontines se sont développées ces derniers temps surtout par défiance aux systèmes financiers formels. Une diversité de tontines se rencontrent en Afrique de l’Ouest. On peut en citer : la tontine mutuelle classique organisée sous forme d’association rotative d’épargne et de crédit où chaque membre du groupe attend son tour (par tirage au sort) pour empocher la cagnotte; la tontine financière qui accorde le crédit par enchère de la décote; la tontine commerciale pratiquée par les commerçants et qui consiste à confier à un tiers (tontinier, banquier ambulant, garde-monnaie…) la collecte journalière des fonds qui sont reversés en fin de mois déduction faite de la rémunération du tontinier. Les tontines ont ainsi la particularité d’être totalement endogènes et en général informelles, même s’il existe des connexions avec le réseau bancaire classique. Il reste que l’absence de réglementation les régissant expose les sociétaires à un certain nombre de risques. INFORMELS LES SYSTÈMES MUTUALISTES OU COOPÉRATIFS Ce sont des modèles développés en l'Europe depuis le XIXe siècle. Introduits dans certains pays de l’Afrique Anglophone bien avant les indépendances, ces systèmes se sont étendus à de nombreux pays dont le Bénin (Coopératives d’épargne et de crédit – Coopec créées en 1975), dans les années 60 et 70. De nouvelles créations ont eu lieu au Bénin, au Mali (Kafo Jiginew), au Sénégal et en Guinée (Crédit mutuel). Cherchant à répondre aux besoins de services bancaires de proximité (sécurité contre les risques physiques et les sollicitations sociales, facilité de retrait, dossier microcrédits accès au crédit), ces réseaux fonctionnent selon un système d’épargne-crédit, l’épargne étant préalable au crédit, et des comités élus en assemblées générales. Ces comités octroient le crédit et s’efforcent d'adapter les règles de fonctionnement aux réalités locales tout en veillant à un bon déroulement du crédit. Ce qui a permis d’arriver à des taux de remboursement très élevés, souvent proches des 100 %. Si ces systèmes ne sont pas à l’abri d’échecs souvent causés par l’intervention étatique (liquidation de la Caisse Nationale de Crédit Agricole au Bénin), ils restent les plus fiables aux yeux de la majorité des populations. Ils sont toutefois limités par des volumes financiers réduits au niveau macro-économique. Ce qui ne les empêche pas d’être la première source de financement accessible en milieu rural. En réalité la véritable limite de cette approche est le fait de soumettre l’accès au crédit à une épargne préalable. On sait que la capacité d’entreprise et donc d’investissement d’un agent est rarement proportionnelle à la capacité d’épargne. Lier le crédit à une épargne préalable a souvent conduit à limiter le système à ceux disposant d’un niveau suffisant de revenus et d’exclure les autres entrepreneurs potentiels susceptibles de mieux valoriser l’épargne collectée. LE CRÉDIT SOLIDAIRE Inspirée des principes de la Grameen Bank (Bangladesh), cette approche est fondée sur la conception selon laquelle la pauvreté ne rime pas forcément avec le risque d’insolvabilité si les prêts sont adaptés aux capacités économiques et financières des actions qu’ils permettent de financer. Investi dans des activités suffisamment rémunératrices, le crédit devient une source de revenus permettant son remboursement et même d’épargner par la suite. À la place de la garantie en patrimoine qu’un agent démuni ne peut fournir, intervient la garantie solidaire consistant à constituer un système de cautionnement mutuel. Très développé dans des nombreux pays asiatiques (Philippines, Indonésie...), ce système a été adapté en milieu rural d’un certain nombre de pays africains dont le Burkina Faso et la Guinée Conakry et concerne plusieurs dizaines de milliers d'emprunteurs. Dans d’autres pays, le système d’épargne-crédit est renforcé par le crédit solidaire pour toucher les plus pauvres. C’est le cas de la Fececam au Bénin qui, pour avoir plus d’impact, a mis en place un système de “tout petit crédit aux femmes” (TPCF) sur la base du cautionnement mutuel. Souvent composé de cinq à dix membres issus d'un même village et de même statut socioéconomique, et qui se cooptent librement entre eux sur la base des connaissances mutuelles, le groupe est solidaire dans le remboursement. Cette solidarité intervient à la fois sous forme d’entraide dans l’accès au crédit et de pression sociale sur le mauvais payeur. En effet, toute défaillance d’un membre du groupe entraîne la fermeture de l’accès au crédit pour les autres membres. Conçu au Bangladesh où il existe un clivage bien marqué entre propriétaires terriens et paysans sans terre, le modèle Grameen Bank a été adapté au contexte africain en ouvrant le crédit à toutes les couches sociales à l’exception des fonctionnaires. Le crédit a été plafonné de manière à désintéresser les gros commerçants ou les entrepreneurs ruraux intéressés par des crédits d’un montant élevé. Les autres adaptations concernent les modalités de remboursement et l’approche socioculturelle. Ainsi, on fait appel à des liens sociaux établis dans le cadre d’organisations traditionnelles ou professionnelles (groupements villageois des zones cotonnières au Bénin, au Burkina-Faso et au Mali) où la caution solidaire est associée à un contrôle sur la commercialisation du coton. Dans tous les cas, la crédibilité de l’emprunteur repose, avant tout sur la confiance du proche entourage. L’avis des autorités coutumières réunies dans un “conseil des sages”, peut également être sollicité pour “éviter que des groupes de truands viennent gâter l'honneur du village”. Cette approche a l’avantage de concevoir la notion de garantie bancaire d’une façon très originale et adaptée à la situation de chaque emprunteur. Elle met l’homme et son environnement social au centre du système pour apporter une réponse à des préoccupations purement matérielles. Toutefois, elle comporte l’inconvénient de dépendre, pour son démarrage, d’une épargne exogène au groupe concerné. FR 7 dossier microcrédits Ainsi, l’épargne provient davantage des fonctionnaires, des gros commerçants ou d’organisations telles que les centres de santé, les ONG et autres associations qui représentent plus des deux tiers des comptes en Guinée. Plus de 90 % des épargnants sont urbains alors que les emprunteurs sont beaucoup plus dispersés. Les statistiques montrent par ailleurs que moins de 5 % des emprunteurs deviennent épargnants grâce aux revenus générés par leurs activités financées sur les crédits du système. Ce qui a comme conséquence une très forte dépendance vis-à-vis des non-sociétaires des caisses de crédit. C’est pourquoi, il a été instauré au niveau de certaines pays un prélèvement direct sur le montant du crédit octroyé en vue de constituer une épargne de garantie. TENDANCES ACTUELLES En plus des limites spécifiques à chaque système, les systèmes financiers décentralisés ont en commun la nécessité d’arriver à un équilibre financier permettant d’évoluer vers la pérennisation. Reléguée au second plan au démarrage de ces systèmes, cette préoccupation revient de plus en plus et commence à prendre le pas sur le souci de couvrir une large proportion des besoins de financement. Elle se traduit rapidement par des besoins d’économie d’échelle que procurent les réseaux centralisés et les gros crédits. Fondement des systèmes financiers décentralisés, le système de contraintes et de solidarité qu’instaurent les liens sociaux de proximité constitue aussi une des principales limites des micro-finances. L’économie d’échelle permettant une plus grande rentabilité et donc une meilleure rémunération de l’épargne, suppose une interconnexion entre réseaux. Mais on sait aussi que la solidarité de groupe n’existe réellement qu’à la base du système et vient s’opposer à toute dynamique d’ouverture. Il y a pourtant une nécessité de trouver une complémentarité entre les approches crédit-solidaire et épargne-crédit. Le crédit solidaire est indéniablement un grand progrès par rapport à l’approche dons. Elle conduit à une meilleure responsabilisation des acteurs, mêmes dans des zones les plus défavorisées. FR 8 Ainsi, c’est l’orientation que semblent adopter des organismes multilatéraux comme la Banque Mondiale. L’équilibre financier est plus facile à atteindre dans les systèmes mutualistes basés sur l’épargne préalable que pour les systèmes de crédit solidaire basés sur une approche socioéconomique. Tous les systèmes financiers décentralisés sont confrontés à la même problématique, celle de la maîtrise de leur croissance qui passe par une certaine institutionnalisation : accroissement et diversification des acteurs concernés par la démarche SFD ; nécessaire diversification des produits pour répondre aux besoins d’épargne et de crédit liés à une diversification de projets; progrès techniques et organisationnels; promotion de l’échange entre systèmes et organisation des articulations et des partenariats avec les systèmes tontiniers, les banquiers ambulants, les micro banques villageoises, le système bancaire, les groupements des producteurs, d’artisans, de pêcheurs, de commerçants, de femmes qui peuvent aider à limiter les coûts d’intermédiation et servir de relais de proximité. La consolidation des réseaux implique un renforcement des responsabilités des dirigeants de la base au sommet. Il se trouve que l’importance grandissante des SFD tant en nombre qu’en termes de volume d’épargne collectée et de crédits, pousse les autorités monétaires et financières à rechercher un cadrage pour sécuriser les épargnants. Ainsi, par exemple la FECECAM du Bénin est passée 400 millions de FB de dépôts et 125 millions de FB de prêts en 1994 à plus de 1,25 milliards de FB de dépôts et 875 millions de FB de crédits en 1998 avec 250 000 sociétaires dans 583 caisses locales et un taux de remboursement situé autour de 95%. C’est ainsi que la BCAO (Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest) met en place une nouvelle réglementation visant à définir les formes et mode d’organisation des systèmes mutualistes ou coopératifs d’épargne et de crédit ainsi que les modalités de leur contrôle par les autorités monétaires. Ce qui offre la possibilité à un réseau mutualiste d’accéder directement au marché financier en se dotant d’un organisme financier. Si cette loi-cadre exclut de son champ d’application les systèmes non mutualistes ou coopératifs, elle peut constituer une amorce à l’institutionnalisation des réseaux des SFD. Ceux-ci doivent s’engager dans une démarche d’ouverture pour atteindre l’équilibre financier nécessaire à leur reproduction. Une telle démarche pourrait ouvrir un large champ d’activités financières où les flux financiers issus de l’immigration trouveraient des placements mieux valorisants. RAPPORTS AVEC LES FLUX FINANCIERS ISSUS DE L’IMMIGRATION Les migrations internationales génèrent une épargne importante destinée à soutenir la famille restée au pays et à préparer le retour du migrant. Ainsi, les flux financiers issus de l'immigration en France des ressortissants de la seule Vallée du Fleuve Sénégal (région frontalière entre le Mali, la Mauritanie et le Sénégal), sont évalués entre 150 000 000 et 200 000 000 FF (4) par mois. Le Fonds Monétaire International estime les transferts par remise pour toute l’Afrique de l’Ouest à près deux milliards de dollars par an (5). Ces flux correspondent à un effort d'épargne d'environ 2000 FF par migrant actif et par mois et proviennent de sacrifices énormes par de multiples privations dont la séparation avec femmes et enfants avec lesquels les migrants ne passent que trois à six mois de congés, chaque deux ou trois ans. Ce qui n'est concevable que dans une perspective de retour définitif. Cette épargne est, en grande partie, transférée sous forme liquide, dans les pays d'origine où elle est directement affectée à des dépenses de consommation ou d'investissement de prestige. Elle demeure sans effet d'entraînement sur la dynamique de progrès des savoir-faire et des productivités locales et encore moins de création de richesse. Seuls les secteurs de l'élevage et l'habitat connaissent un certain engouement. Toutefois, tandis que le premier se traduit par un déboisement et une désertification sans contrepartie en termes de croissance économique, le second souffre d'une absence ou d'une insuffisance du marché de logements pour rentabiliser ces investissements et de permettre aux promoteurs de vivre des revenus qu'ils génèrent. Le fait que cette épargne est affectée en grande partie à de la consommation en dossier microcrédits Afrique, amène certains auteurs à l'assimiler à une consommation différée et non à un véritable acte d'épargne. Mais l'épargne n'est-elle pas en soit une consommation différée impliquant une privation dans le présent et par conséquent une préférence pour le futur ? Le fait que ce futur soit plus ou moins proche et localisé dans les pays d'origine des migrants, n'enlève rien au rôle essentiel de l'intermédiation financière dans la transformation de cette épargne en investissements productifs rémunérateurs. Cette phase manque cruellement aux migrants effectuant des transferts dans les pays d'origine. Ils sont en même temps épargnants, banquiers et investisseurs ou consommateurs. Ce qui ne peut que limiter les possibilités d'investissements productifs, tout en privant d'autres investisseurs des sources de financement nécessaires. Les migrants entreprennent des démarches allant dans le sens des investissements leur permettant de retourner s'installer dans les pays d'origine. Mais ils se heurtent, d'une part, à des difficultés relatives à l'information technologique, au savoir-faire industriel et “entrepreneurial”, au décalage entre apports personnels relevant des capacités d'épargne et financement nécessaire pour atteindre la taille critique industrielle ou compétitive, et d'autre part, à l'accès au crédit. En effet, les migrants manifestent déjà un certain effort d'investissement productif au niveau, à la fois, individuel et collectif. Les investissements à caractère public s'effectuant essentiellement à fonds perdu, il reste à donner aux investissements individuels des formes, contenus et cadres les rendant plus viables. Un certain nombre de dispositifs d'aide aux migrants souhaitant retourner s'installer et entreprendre des activités économiques dans le pays d'origine ont été mis en place dans différents pays Européens dont la France et la Belgique. Ces dispositifs comportent un volet appui financier et technique non négligeable. En effet, les porteurs de projets peuvent bénéficier, à certaines conditions, d’une formation préalable à la fois technique et portant sur la conduite d’une entreprise, d’une subvention de démarrage et d’un encadrement d’une année après démarrage (6). Etant donné l’absence du volet épargne préalable et de l’accès au crédit, ces dispositifs jouent plutôt un rôle d’appui à la réinsertion que d’outils financiers de promotion d’entreprise. Une expérience pilote en cours en France tente de dépasser cette limite en permettant à un migrant consentant un certain effort d’épargne d’offrir l’accès au crédit à un partenaire de son choix auquel il aura apporté une caution. La conception d’un véritable outil d’épargne-crédit articulé avec les réseaux SFD pourrait permettre d’aller plus loin dans la mobilisation et une meilleure valorisation de l’épargne des migrants. (4) Etude OCDE (5)Basedon IMF databases (International Monetary Fund, Washington). (6) C’est notamment le cas du Programme Développement Local et Migration (PDLM) que la France a mis en place au Mali, Mauritanie et Sénégal avec une subvention plafonnée à 24 000 FF par promoteur et un encadrement d’une année. FR 9 dossier microcrédits UNE BOUÉE POUR LES EXCLUS DU DÉVELOPPEMENT Par Bernard E. GBÉZO, journaliste et socio-économiste installé à Paris, article écrit à la demande du Bureau International du Travail. L'Afrique de l'Ouest a vu se développer ces dernières années de nombreuses initiatives qui, à l'instar de la Grameen Bank au Bangladesh apportent un appui aux populations les plus démunies. Le microcrédit ou l'épargne de proximité a donné aux commerçantes ambulantes, brodeuses, mécaniciens, restauratrices, artisans, agriculteurs, petits entrepreneurs des zones rurales et urbaines l'espoir d'une vie nouvelle. Le journaliste Bernard E. Gbézo a étudié le fonctionnement de ces modes de financement dans la région et les activités réalisées par le Bureau international du Travail (BIT) dans ce domaine. DAKAR - Pour une jeune fille rurale sans moyen, sans formation et sans perspective dans son village, devenir employée de maison en ville constitue une réponse à différentes contraintes : se procurer un revenu qui permettra de venir en aide à sa famille, préparer sa vie future, échapper parfois à la dure réalité de la campagne. Salima, attirée il y a une quinzaine d'années par le mirage de la vie FR 10 dakaroise, fait l'amer constat d'une vie brisée lorsqu'à trente-cinq ans elle se retrouve abandonnée par son mari avec ses quatre enfants à charge. Sans ressources, elle a dû se retirer dans un bidonville à quelques kilomètres de la capitale, où, pendant plusieurs années, elle a été revendeuse de poissons, payée à la commission. En 1993, Salima se joint à une association d'entraide féminine et apprend l'existence d'un programme d'appui aux petites commerçantes de Gand-Yoff, près de Dakar. Elle voudrait maintenant créer sa propre activité et en vivre : ouvrir une poissonnerie au marché. Avec le concours d'une ONG locale, elle obtient un prêt de 75.000 francs CFA (138 dollars), remboursable sur un an. Au bout de trois ans, elle a pu dégager suffisamment de bénéfices pour engager deux autres femmes qui l'aident à faire face à l'expansion de son commerce. Aujourd'hui Salima peut se loger décemment, nourrir sa famille et couvrir les frais de scolarité de ses enfants. “Je retrouve à présent ma dignité de femme et de mère. Sans la confiance des membres de mon association et de la caisse d'épargne et de crédit des femmes de Gand-Yoff, je n'aurais jamais eu le courage de me mettre à mon propre compte” confie-t-elle. Salima est l'une de ces personnes, dont on estime le nombre à près de huit millions dans le monde à avoir recours à de très petits prêts pour s’affranchir du joug de la pauvreté, s'élever au-dessus de l'impuissance et de la vulnérabilité. OUTIL D'ÉMANCIPATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE Microfinancement ou microcrédit, il s'agit avant tout que les populations insolvables puissent mettre un pied à l'étrier par l’octroi de petites sommes d'argent prêtées à court terme à un taux d'intérêt largement inférieur à celui des pratiques usuraires de la place. A l'origine les fonds alloués portaient sur des sommes inférieures à 30 dollars. Aujourd'hui ils vont de 100 à 500 dollars et sont destinés principalement à la création d'emplois autonomes. Les bénéfices tirés de ces activités ont permis à de nombreux ménages, frappés de plein fouet par la crise économique, de maintenir la tête hors de l'eau. Mais au-delà du simple aspect financier les programmes de microcrédit ont aussi un impact sur le développement local. En effet, ils touchent des secteurs aussi divers que l'agriculture (groupements dossier microcrédits villageois, coopératives paysannes, organisation professionnelles agricoles) l'artisanat (groupements d’artisans, associations artisanales féminines), le financement de l'économie sociale (mutuelles d'épargne et de crédit, banques villageoises), la protection sociale (mutuelles de santé, caisses de santé primaire). Ainsi ils contribuent à l'amélioration de l'accès aux services sociaux de base, aux soins de santé, aux services de planification familiale , et à l'eau potable. Une autre caractéristique de ce mouvement est qu'il s'appuie sur des réseaux d'assurance et de solidarité traditionnelle relativement efficaces qui favorisent le remboursement régulier des prêts. La mise en place de ces programmes offre également l'opportunité de conduire des actions de formation, notamment en matière de développement communautaire et de gestion d'entreprise. LES GRANDS DÉFIS DES INSTITUTIONS DE MICROFINANCEMENT (IMF) La microfinance est de plus en plus populaire, surtout auprès des femmes, habituellement marginalisées par les banques commerciales. Ces IMF, souvent de type mutualiste, ont révolutionné les pratiques bancaires classiques. En adoptant des principes de fonctionnement innovant, tels que la caution solidaire et le crédit de groupe, et en raison de leur proximité avec les bénéficiaires, elles ont démontré que non seulement ces derniers sont capables d'épargner, de gérer une micro entreprise viable avec peu de moyens, mais qu'ils sont également en mesure de supporter les taux d'intérêt du marché, pourvu que cela leur donne accès à des activités économiques rentables. En effet, les expériences relevées ici et là en Afrique subsaharienne comme ailleurs, montrent que les taux de remboursement avoisinent 98%. On constate ainsi que prêter aux plus démunis devient une des solutions pour sortir du cercle vicieux de la misère, mais aussi pour stimuler le développement économique et alléger le fardeau des Etats, qui doivent souvent les prendre en charge. Parmi quelques-unes des réussites citons : le réseau des caisses populaires au Burkina Faso, le réseau dénommé Kafo Jiginew (Union des greniers) au Mali, l'Alliance de crédit et d'épargne pour la production (ACEP) au Sénégal. Depuis quelques années déjà, la majorité des institutions financières internationales accorde une attention particulière à ce nouvel instrument d'aide au développement. Un groupe consultatif d’assistance aux pauvres (GCAP) a été créé par plusieurs institutions multilatérales et bilatérales qui s'intéressent au microfinancement. Son secrétariat est installé dans les locaux de la Banque mondiale, et l’Organisation Internationale du Travail (OlT) est membre de son Comité exécutif. Ce groupe a permis à bien des décideurs de prendre conscience de l'efficacité des interventions dans ce secteur. Le sommet sur le microcrédit tenu à Washington en février 1997, a représenté un tournant appréciable dans la prise de conscience des retombées importantes des activités de la microfinance. Le défi est de toucher plus de 100 millions de familles d'ici à l’an 2005. Pour atteindre les objectifs assignés, de nombreuses organisations non gouvernementales cherchent désormais à se professionnaliser et à s'ériger en véritables institutions de microfinan-cement pouvant dégager du profit pour être économiquement viables et donc rentables. Cette logique économique s'impose dès lors qu'il s'agit d'augmenter leur capacité d'intervention sur le terrain et de devenir plus crédibles auprès de leurs partenaires financiers. Notons toutefois qu'un équilibre reste à trouver car une attention trop poussée à la rentabilité risquerait de les éloigner de leurs cibles d'origine, en faisant par exemple une sélection trop rigoureuse des emprunteurs potentiels. En revanche, une vision strictement sociale pourrait les amener à appliquer des taux d'intérêt trop bas ou à se montrer laxiste dans l'attribution des prêts, ce qui mettrait leur pérennité en danger. De l'avis des experts, il convient de renforcer l'efficacité et les moyens d'action des organisations opérant dans ce secteur en les incitant à nouer des liens avec des institutions plus importantes et d'un caractère plus officiel. Le programme AMINA, initié en 1997 par le Fonds africain de développement (FAD), est à situer dans cette perspective. AMINA propose une gamme de services visant à renforcer les capacités des différents acteurs concernés (ONG, fédérations de structure mutualiste, banques villageoises), à offrir des services financiers de façon durable aux microentrepreneurs et autres groupes défavorisés. L'appui comprend notamment la mise en place d'activités de formation en analyse financière, gestion de portefeuille et suivi des opérations de prêt ainsi que la création d'un système informatique. Un autre objectif important pour ce programme est le développement de cadres réglementaires appropriés et transparents, suscitant un environnement favorable à l'offre de services de microfinance. Parmi les critères retenus pour l'exécution des activités du programme, notons qu'il s'agit de pays membres du FAD ayant le niveau de pauvreté le plus élevé, où il existe des institutions de microfinance très actives et des structures de décision décentralisées, permettant une approche participative de la réduction de la pauvreté. Au niveau des gouvernements, soulignons que les pouvoirs publics fournissent également un soutien essentiel. On compte parmi leurs interventions la création par exemple, de banques de développement, de fonds de garantie et des mesures visant à inciter les banques commerciales à financer les petits opérateurs économiques. Au Burkina Faso, l'Etat a émis en 1996 sa première série d'obligations pour un montant à souscrire de 5 milliards de francs CFA (10 millions de dollars) ; les fonds réunis sont destinés aux associations locales d'épargne et de crédit, aux ONG et aux autres programmes gérant des centres ruraux de microcrédit. De plus, pour consolider son projet d'appui aux microentreprises rurales, le gouvernement du Burkina Faso, s'est vu octroyer, en mai 1999, un prêt de 12 millions de dollars du Fonds international de développement agricole (FIDA). Spécialement ciblé sur les femmes rurales, les jeunes entrepreneurs, les paysans démunis, les artisans et commerçants, le projet apportera à quelque 3000 personnes les concours financiers et techniques indispensables pour créer ou développer leurs propres entreprises, tout en se fixant en milieu rural. FR 11 dossier microcrédits L’EXPÉRIENCE DE L’OIT La promotion de l'emploi et la lutte contre l'exclusion sont au cœur des actions prioritaires de l'OIT qui depuis des années conduit des programmes opérationnels visant à aider les gouvernements africains à asseoir des politiques économiques capables notamment d'accroître l'emploi, de faciliter la création de petites et de microentreprises et d'améliorer l'accès au microcrédit. Soulignons ici l’efficacité du programme ACOPAM dans les pays du Sahel qui a eu un impact particulièrement significatif sur l'emploi des femmes et a permis à près de 40 000 personnes de créer un emploi indépendant grâce aux coopératives d’épargne et de crédit et aux banques de céréales. Forte de son excellence dans ce domaine, 1'OIT poursuit actuellement un programme conjoint avec la Banque Centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO). Financé par les gouvernements d’Allemagne, de Norvège et des Pays-Bas, le programme PASMEC programme d'appui aux structures mutualistes ou coopératives d'épargne et de crédit) vise la promotion de l'épargne et des associations de crédit et autres IMF dans la sous-région, pour optimiser l'accès des populations défavorisées aux services financiers. Sa particularité est d'établir un pont entre des initiatives opérant généralement hors de tout cadre réglementaire et les autorités monétaires par le biais de l'échange d’information, de la collecte de FR 12 données (plus de 170 institutions y sont référencées représentant 2.280 associations locales et plus de 700.000 bénéficiaires), d'actions de formation et de services consultatifs clés en main. L'Unité des finances sociales (UFS) du BIT gère entre autres le programme d'appui aux structures mutualistes d'épargne et de crédit. C'est elle qui coordonne les activités du BIT dans le domaine du microfinancement. Elle administre des projets de coopération et de recherche qui ont pour but de recenser et de supprimer les obstacles qui entravent l'accès au crédit, à l'épargne, à l'assurance et à d'autres services financiers. En outre, elle examine l'impact des politiques financières sur l'emploi et la pauvreté. Le PASMEC constitue l'activité principale de I'UFS en Afrique de l'Ouest. L'OIT s’efforce également de promouvoir le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes à travers ses activités de coopération technique. C'est ainsi qu'il convient de relever deux programmes axés sur la promotion de l’entrepreneuriat féminin : le programme international pour la petites entreprises (ISEP) : lancé en 1998, son objet est de favoriser l'essor des petites et microentreprises - qui parviennent tout juste à survivre - gérées notamment par les femmes. le programme international pour des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité pour les femmes (WOMEMP) : lancé en 1997, ce pro- gramme vise non seulement les femmes entrepreneurs, mais aussi l'ensemble des travailleuses. Son but est d'éliminer la discrimination liée au sexe en matière d'emploi et de profession tout en faisant en sorte que ces emplois débouchent sur l'éradication de la pauvreté et le développement durable. A travers toutes ces interventions, l'OIT montre non seulement son implication dans le développement de l’entrepreneuriat, mais aussi que les femmes constituent un groupe cible important qu'il faut extraire au plus vite de la spirale de l'exclusion économique et sociale. Globalement, les pratiques de microcrédit en vigueur sur le continent semblent présenter des résultats positifs, malgré quelques dérapages relevés ici et là qui sont dus en partie à des problèmes d'organisation et de gestion, du fait de l’amateurisme de certaines ONG et de groupements locaux. Le système en luimême ne saurait constituer une panacée pour le microentrepreneur qui, bien souvent, doit faire face à d'autres contraintes d'ordre administratif, fiscal et commercial ou encore dans le domaine des ressources humaines. De plus, la microfinance ne peut résoudre tous les problèmes de développement. Au-delà de l'accès aux ressources fmancières, il y a des besoins sociaux, des problèmes vitaux auxquels tous les acteurs et les pouvoirs publics doivent prêter attention par des moyens et des mécanismes adaptés. dossier microcrédits LES EFFETS PERVERS DU MICROCRÉDIT Par Raymond PAULIS Le microcrédit, devenu au cours des dernières années la pierre angulaire du développement international, n’a pas que des effets bénéfiques dans les pays en voie de développement. Il est des cas, selon Farhad Mazhar, directeur exécutif de UBINIG, (un organisme qui cherche des modes alternatifs de développement au Bangladesh) cité par le journal canadien “Le Devoir” dans son édition du 10 juin 1999, où il ne contribue qu'à “endetter des pauvres sans offrir des conditions de développement à long terme. Cela les endette, et ensuite ils sont seuls pour faire face au marché”. Par ailleurs, les banques qui fournissent le microcrédit aux paysans feraient parfois alliance avec des compagnies transnationales qui bénéficieraient alors d'une clientèle pour écouler leurs produits. Des produits qui ne favorisent pas toujours l'autonomie des paysans. C'est le cas notamment des semences hybrides ou modifiées génétiquement, qui ne peuvent être réutilisées, rendant ainsi le paysan dépendant du fournisseur. “Ces semences sont conçues pour offrir un meilleur rendement la première fois qu'elles sont utilisées. Mais lorsqu'on les utilise une seconde fois, leur rendement est si mauvais qu'il est préférable d'en acheter de nouvelles”, ajoute Mr Rahman dans l’interview accordée au journal canadien. Ainsi en 1998, un projet d’alliance entre la Grameen Bank, qui fait du microcrédit au Bangladesh et sert de “modèle” aux organismes d'aide au développement dans le monde entier, et la compagnie Monsanto, géant multinational de la production et de la commercialisation des semences n’a pu voir le jour suite à une opposition féroce, notamment des groupes écologistes. ABUS ET VIOLENCE Une étude effectuée par un étudiant doctorant en anthropologie de l'Université du Manitoba, Aminur Rahman, étude financée entre autres par le CRDI (Centre Canadien de Recherches pour le Développement International), disponible sur le site Web du CRDI montre que les prêts de microcrédit peuvent générer abus et violence dans les communautés collectivement responsables du remboursement des emprunts. “Ces résultats étaient tout à fait contraires à ce à quoi je m'attendais”, dit Rahman dans un article sur la recherche qu'il a menée au Bangladesh. Son étude révèle en effet des cas où un microfinancement conçu pour venir en aide aux femmes, est en fait principalement utilisé par des hommes. Les femmes sont alors des simples intermédiaires exploitées ou contraintes par leur mari de contracter un prêt. Les pressions pour rembourser le prêt sont souvent génératrices de violence, constate-t-il. La même étude révèle que 78 % des microprêts serviraient à d'autres fins que ce pourquoi ils sont consentis. Une bonne part est utilisée pour les besoins des ménages, plutôt que pour le démarrage d'une microentreprise. Dans d’autres cas, le remboursement de la dette se révèle trop lourd pour les familles. “Ainsi, lit-on dans l'article, Rahman a rencontré des membres de la banque qui ont vendu des poules qui avaient des œufs à couver ou du riz ou des fruits d'une prochaine récolte afin d'amasser suffisamment d'argent pour payer les versements.” L’étude conclut cependant que le microcrédit “utilisé à bon escient” peut être un outil de développement efficace. FR 13 dossier microcrédits LES TONTINES ET LEUR RÔLE SOCIO-ÉCONOMIQUE EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE CONTEMPORAINE Par Clément KAZADI Docteur es sciences économiques L’Afrique sub saharienne est, comme on le sait, bien plurielle. Mais elle possède un certain nombre de caractères communs qui permettent que l’on en parle comme d’une entité unique, en mettant en exergue ces caractères communs, tout en en gardant la perspective de les infléchir en fonction des particularités et des itinéraires spécifiques. C’est donc dans cette approche que s’inscrit notre réflexion sur les tontines en Afrique subsaharienne. Elle s’est inspirée de l’une des expériences les plus avancées en matière de tontines, à savoir celle du Cameroun. Cette réflexion se structure autour d’un quadruple questionnement : Comment se présentent les tontines en Afrique sub saharienne aujourd’hui ? Quel rôle jouent-elles dans les domaines social, économique et culturel ? Quel rapports entretiennent-elles avec l’économie dite moderne et, en particulier, avec les banques ? De quelles perspectives sont-elles porteuses pour le développement ? FR 14 Le développement suivant n’a pas la prétention de donner des réponses définitives à toutes ces questions. Il est simplement un essai de réponse et, surtout, un appel à l’élargissement et à l’approfondissement du débat sur les voies et moyens du développement de l’Afrique subsaharienne. TONTINES EN AFRIQUE SUB-SAHARIENNE D’AUJOURD’HUI Le petit Larousse illustré définit l’entité “tontine” comme suit : “association de personnes versant de l’argent à une caisse commune dont le montant est remis à tour de rôle à chaque membre ; montant de la caisse ainsi constituée.” Telle qu’elle est comprise, la tontine est une réalité rencontrée, sous diverses formes, dans tous les continents. S’il est difficile de retracer l’origine et l’itinéraire du phénomène tontine dans ses diverses formes de par le monde, en français, le terme “tontine” provient de Tonti, anthroponyme d’un banquier napolitain Lorenzo Tonti, qui passe pour être son créateur en Europe. La définition ci-dessus semble faire référence principalement à la fonction financière des tontines, alors que, dans le cas africain particulièrement, elles ont d’autres fonctions, au moins aussi importantes que celle qui est mise en lumière dans cette définitions. Les tontines sont une réalité que l’on rencontre dans pratiquement tous les pays de l’Afrique subsaharienne d’aujourd’hui. Si on les trouve aussi en milieux ruraux, il semble bien que leur développement est plus important au sein du monde urbain. Cette différence est particulièrement claire en ce qui concerne la fonction financière des tontines. Pour expliquer cela, il nous faut savoir que, dans les communautés villageoises de l’Afrique subsaharienne, la monnaie joue un rôle beaucoup plus faible que dans les centres urbains. Par ailleurs, les rapports de parenté, les catégories d’âge et de sexe jouent, au village, un rôle également important. Dans les centres urbains, les tontines se constituent souvent sur la base de l’appartenance ethnique. Cependant, l’appartenance à un même groupe religieux, le fait d’avoir été condisciples, d’exercer la même profession et la proximité des habitations créent des liens de confiance permettant aux gens d’adhérer à une même tontine. En général, en Afrique comme ailleurs dossier microcrédits dans le monde, on classe les tontines dans la catégorie des activités dites informelles, celles-là même qui ont beaucoup retenu l’attention des chercheurs depuis le début des années 1980. La tendance prédominante assimile les tontines à la galaxie des activités de survie dont l’explosion serait liée à la crise du pouvoir d’Etat et à celle de l’économie capitaliste périphérique. Effectivement, cette double crise du pouvoir d’Etat et de l’économie formelle a contribué au développement de certaines branches de l’économie informelle dont les tontines. Mais ces dernières ont une existence bien antérieure à cette crise. Elles sont donc bien parties pour survivre et se développer quelle que soit l’issue de cette double crise. Par ailleurs, la perception selon laquelle les activités économiques dites informelles relèvent uniquement de l'économie de survie ne prend pas en compte ses segments haut de gamme, particulièrement dans sa sphère financière dont font partie les tontines. Ces dernières jouent un rôle important et irremplaçable dans les sociétés de l’Afrique subsaharienne contemporaine. Ce rôle irremplaçable inscrit donc nécessairement l’existence des tontines dans une perspective de longue durée. RÔLE DES TONTINES EN AFRIQUE Le regard des économistes s’arrête souvent sur l’aspect financier de la tontine, alors que cette dernière joue un rôle, au moins aussi important en matière sociale et culturelle. Rôle économico-financier De tous les rôles joués par les tontines, l’aspect économico-financier a une visibilité telle qu'il a réussi à marginaliser les autres aspects. Cependant, si cet aspect économico-financier possède une certaine autonomie, il n’acquiert sa pleine signification que dans ses liens avec les aspects social et culturel. Ainsi perçues, les tontines fournissent un bel exemple de la manière dont une société peut se donner le moyen de réinterpréter les obligations sociales pour donner droit à des exigences économiques. Dans leur rôle économico-financier, les tontines ont un fonctionnement proche de celui des banques dites mutualistes qui ont un optique de solidarité. En cotisant, chaque membre d’une tontine pose un acte d’épargne. Cette cotisation se fait selon une périodicité convenue par les membres de la tontine. La cagnotte ainsi rassemblée est remise à l’un des membres selon l’ordre préétabli. Cela indique qu’une tontine n’est pas une caisse qui garde en dépôt de grandes sommes d’argent. Elle est pour ainsi dire un lieu de passage, par où transite l’argent à remettre aussitôt au bénéficiaire du jour. Rôle social Etre membre d’une tontine, c’est participer à un espace d’intégration sociale. En effet, la tontine est une sorte de club de parents et d’amis. Les rencontres se font souvent autour d’un repas et d’un verre de bière. Un tel cadre crée une atmosphère propice au développement de l’amitié et des échanges d’informations entre les membres. Plusieurs enquêtes de terrain en Afrique ont montré que le rôle de l’intégration sociale des tontines est explicitement reconnu par leurs membres. Même si la modernisation de la société offre aujourd’hui d’autres possibilités d’intégration (famille, lieu de travail, proximité des habitations…), la tontine demeure un des endroits privilégiés où se forgent les relations extra-familiales. L’absence de vie associative condamne à l’isolement. Faire partie d’une tontine permet aux gens de se voir fréquemment, de mieux se connaître, de s’apprécier et de discuter des questions communes et diverses. Ce besoin de développer les liens sociaux est indissociable de l’aspect financier de la tontine. Pour beaucoup d’ailleurs, l’aspect financier serait subordonné au besoin du renforcement du lien social. La confiance entre les membres d’une tontine est indispensable à son bon fonctionnement. Cette confiance ne tombe pas du ciel et n’est pas accordée à n’importe qui. C’est un construit qui est censé se développer tout au long du fonctionnement de la tontine. Pour entrer dans une tontine, il faut être bien connu par un ou plusieurs de ses membres et avoir une réputation irréprochable, bref, il faut être digne de confiance. Cette connaissance se tisse durant le temps passé ensemble à l’école, sur le fait d’avoir grandi ensemble ou travaillé ensemble, sur l’appartenance à une même classe d’âge ou grâce au parrainage d’un membre de la tontine. Pour garantir le bon comportement collectif tout au long de la durée de vie d’une tontine, ses membres adoptent un code de bonne conduite assorti de sanctions appropriées. Les tontines sont également un espace de solidarité où se développe une véritable sécurité sociale. Cette solidarité agissante se constate particulièrement lorsqu’un membre traverse des moments difficiles comme la maladie, la mort d’un proche, l’emprisonnement. La solidarité se manifeste aussi à l’occasion d’événements heureux (naissance, mariage …). Rôle culturel Produit du terroir où elle se développe, la tontine répond à la manière particulière dont la culture locale pose le problème de la soumission de l’individu à des valeurs communes. Elle s’appuie de ce fait sur des valeurs que personne ne songe à remettre en question. Parmi ces valeurs du terroir, nous pouvons citer la solidarité, la fidélité à l’amitié, la tempérance, la droiture. RAPPORTS ENTRE LA TONTINE ET L’ÉCONOMIE DITE MODERNE Ces rapports sont souvent nombreux et vivifiants pour les deux secteurs d’activités. En effet, les membres des tontines utilisent la monnaie, créée et gérée par le secteur de l’économie moderne. Toutefois, les “crédits” qu’octroient les tontines ne s’accompagnent pas de la création de la monnaie, ainsi qu’il en est des crédits d’origine bancaire. En général, le bénéficiaire de la cagnotte est censé l’utiliser de manière productive, dans un investissement rentable. Cela fait ressortir de manière remarquable l’intérêt économicofinancier d’une tontine car l’accès au crédit bancaire n’est pas à la portée de la majorité de la population. En outre, la cagnotte peut servir également à l’acquisition d’un bien de consommation durable (maison, meubles…) ou à résoudre un problème social d’importance (naissance, études des enfants, deuil …). Pour aider leurs membres à faire face aux charges occasionnées par des événements malheureux, les tontines gardent parfois une certaine somme dans une caisse. Cette somme peut parfois faire l’objet d’un placement à intérêt, auprès de l’un ou l’autre des membres ou même à la Banque. Certes, il peut arriver que le bénéficiaire d’une cagnotte le dilapide dans des FR 15 dossier microcrédits activités considérées comme inconvenantes. Ce bénéficiaire risque donc d’éprouver des difficultés pour cotiser par la suite. Dans l’ensemble, un tel comportement est fort décrié et fait courir à son auteur le risque d’être déconsidéré par les autres membres et par tous ceux qui sont au courant de ses “turpitudes”. Ces précisions ainsi que les règles qui régissent le fonctionnement des tontines garantissent à peu de frais la récupération de l’épargne par son auteur. Les rapports sociaux qui se nouent entre les membres de la tontine en assurent la cohésion interne et constituent aussi un des principaux déterminants du bon fonctionnement de son volet économico-financier. Les membres des tontines utilisent leur cagnotte pour lancer une entreprise qui relève du secteur dit moderne de l’économie (achat d’un camion pour effectuer le transport des biens ou des personnes, ouverture d’un magasin, création d’une entreprise agricole, implantation d’un hôtel, …), ils achètent des biens produits par l’économie moderne et utilisent ses services et ses infrastructures. Souvent, les membres des tontines sont des employés des entreprises privées ou de l’Etat. Ils utilisent ainsi l’argent gagné dans cette sphère moderne pour cotiser à la tontine. Par ailleurs, les bénéficiaires de cette cagnotte la placent souvent à la banque, avant de l’utiliser pour réaliser leurs projets. En outre, les tontines semblent surclasser la banque, grâce au fait qu’elles sont accessibles à un plus grand nombre de personnes, qu’elles fonctionnent avec peu de frais et moins de formalités, qu’elles associent des gens qui se connaissent bien et se font confiance. Ainsi, elles ne connaissent pas la crise qui frappe le secteur bancaire dans beaucoup de pays africains. TONTINES ET PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT DE L’AFRIQUE Les tontines ainsi que d’autres activités de l’économie dite informelle font vivre, depuis des décennies, plus de personnes que ne le fait l’économie dite moderne. De ce fait, aucune stratégie de développement ne peut les ignorer. Tout le problème, c’est de savoir comment mettre à contribution les tontines dans les stratégies de développement d’aujourd’hui et de demain en Afrique subsaharienne. FR 16 Dans le discours des chercheurs concernant le rôle des tontines et de l’économie informelle dans le développement de l’Afrique, il y a deux visions divergentes. La première est une vision apologétique. Pour les tenants de cette vision, les tontines sont la voie d‘un développement endogène, enraciné dans les cultures africaines. Elles révèlent le génie créateur des peuples de cette partie du monde. Dans cette perspective, certains pensent que tout va pour le mieux dans le monde des tontines, que ces dernières contribuent bel et bien au développement de l’Afrique. Il en résulte que toute intervention de l’Etat et/ou des acteurs de l’économie dite moderne, sous quelque prétexte que ce soit, est considérée comme susceptible de perturber la dynamique et la créativité des tontines et de ses membres et est donc à proscrire. La seconde vision est surtout le fait de ceux qui ne voient le développement que comme un processus de modernisation, obéissant à des principes universels, au centre desquels on trouve la logique de l'accumulation du capital et de la croissance qu'elle anime. Dans cette optique, les tontines sont considérées, au mieux, comme des activités de survie, où règne la précarité et, au pire, comme des archaïsmes qui contrarient la logique et la dynamique du développement capitaliste, le seul qui soit à l’ordre du jour. De cette seconde vision découle l’idée de la nécessité d’une intervention pour principalement “normaliser”, “moderniser” les tontines, faire fonctionner les tontines comme les banques. Ces deux visions nous semblent extrêmes et manquent de réalisme. S’il est vrai, en ce qui est de la première vision, que les tontines ont permis à leurs membres de résoudre nombre de leurs problèmes, leur contribution à l’amélioration du bien être matériel de l’ensemble de la population demeure incontestablement modeste, ce à cause de la faiblesse de la productivité du travail que les tontines ne parviennent pas à élever. Pour la seconde vision, l’erreur consiste à ignorer que, si l’accumulation du capital est nécessaire (particulièrement pour l’élévation de la productivité de travail), elle ne s’enracine dans un pays que si elle est prise en charge par des acteurs locaux qui l’intériorisent, se l’approprient et l’adaptent à leur contexte culturel. Il y a une position médiane à laquelle nous souscrivons et qui se préoccupe de l’établissement des relations de codéveloppement entre le monde des tontines d’une part et celui de l’Etat et de l’économie capitaliste d’autre part. Les synergies qui en découleraient pourraient jeter les bases d’une accumulation davantage maîtrisée de l’intérieur et moins excluante. Dans les relations entre les banques et les tontines par exemple, la rigueur et la confiance qui caractérisent ces dernières peuvent servir de garantie aux premières : les banques pourraient, autant que possible, conforter les relations de confiance avec leurs clients et leurs partenaires en s’inspirant de la réussite des tontines dans ce domaine. Mais par-delà les déclarations de principes, les modalités concrètes pour le développement de ces relations sont tributaires avant tout des spécificités locales en matière des tontines. En ce qui concerne les relations avec l’Etat, ce qui est nécessaire de manière générale, c’est un cadre général porteur, en termes d’Etat de droit où tout arbitraire est banni, où la sécurité des personnes et des biens est garantie, où l’environnement macro-économique stable incite les acteurs socio-économiques de tous les horizons à aller de l’avant et à prendre des risques. BIBLIOGRAPHIE 1. Alain HENRY, Guy-Honoré TCHENTE et Philippe GUILLERME-DIEUMEGARDE, Tontines et banques au Cameroun, Les principes de la société des amis, Karthala, Paris, 1991. 2. Claude MEILLASSOURE, Femmes, greniers et capitaux , F. Maspéro, Paris, 1975. 3. Gaspard BAGALWA MUHEME, Le poids des économies non officielles, Bruylant-Academia, Louvain-la-Neuve, 1988. 4. Tom DE HERDT et Stefan MARYSSE, “L’économie informelle au Zaïre” dans Cahiers africains, Intitut Africain-CEDAF, n° 21-22, Bruxelles, 1996. 5. Mbaya MUDIMBA et F. STREIFFELER, Secteur informel au Congo-Kinshasa, Stratégie pour un développement endogène, Editions universitaires africaines, Kinshasa, 1999. tribune FEMME, MIGRATION ET DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE OCCIDENTALE Entretien avec Soce SENE Socio-économiste Je suis expert consultant auprès d’organismes internationaux tels : le Bureau International du Travail pour le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), la banque mondiale, l’agence canadienne de développement internationale et la coopération française. Je travaille sur des missions destinées à des programmes d’appui aux gouvernements des pays africains comme le Sénégal, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Cap-Vert et la Guinée Bissau. Je suis spécialisé sur des questions de développement humain durable, avec un accent particulier sur les matières du genre (gender) et développement, et, de la migration et le développement. PARCOURS Après mes études universitaires, dans le cadre de mon mémoire de fin d’études et de stages, j’ai été amené, en 1985, à entrer au Bureau International du Travail (BIT) au niveau du Sénégal où j’ai été associé à des missions d’études portant sur les micro financements. A cette époque, il était difficile, au Sénégal, de trouver un emploi rémunéré en tant que salarié, au sortir d’études supérieures. Cette expérience m’encouragea à m’installer à mon propre compte ; j’ai alors monté le cabinet « Nord-Sud Consult». Déjà à l’université, pour compléter ma bourse d'études, j’avais créé une petite entreprise de photographie que j’avais déjà dénommée Nord-Sud. Etant villageois de condition modeste, issu d’une famille d’agriculteurs, je devais me débrouiller et je voulais aussi décharger ma mère, de famille monoparentale, qui travaillait seule pour élever ses enfants. Elle transformait le poisson et le commercialisait. En 1987, j’eus mon premier contrat avec le BIT pour travailler sur le problème de la femme et développement. A l’époque on parlait plus de l’intégration de le femme au développement. De la région de Kiesse située sur la façade atlantique, un village de mi-pêcheurs, mi-agriculteurs, je fus le deuxième jeune du village à aller en ville pour l’université. La bourse était de 12.000 F CFA (120 FF) par mois. J’avais une demi-bourse soit 60 FF par mois pour étudier et vivre. Un jour, en 1983, étant arrivé tôt à la faculté, j'ai rencontré des français qui montaient des stands pour une foire du livre. En discutant avec l’un d’entre eux, j’apprends qu’ils avaient besoin durant une semaine de deux étudiants en sciences économiques pour expliquer au public le contenu des livres pendant la foire. J’ai accepté le travail moyennant 1000 FF sur la semaine, soit un montant équivalent à quasi une année d’une pleine bourse. En consultant les revues, je suis tombé sur un livre intitulé dialogue NordSud. Avec les 1000 FF, en perspective, j’ai décidé d’enregistrer ma petite entreprise, Nord-Sud. Avec l’évolution des affaires, je l’ai appelé Nord Sud distribution. Après la première expérience avec le BIT, la volonté de valoriser mes compétences me motiva à créer un volet de consultance; j’ai fondé ainsi l’entité Nord Sud Consult et j’ai fait venir du village mon frère pêcheur auquel j’ai confié Nord Sud Distribution. J’emploie beaucoup de collaboratrices car je suis un militant de la promotion des femmes. Venant d’une famille polygame et d’une zone rurale très islamisée, où sévissent encore des pesanteurs traditionnelles et FR 17 tribune des facteurs d’influence de diverses natures, j'ai été depuis mon enfance sensible à la condition sociale de la femme. Mon père avait deux femmes et il vivait avec ses frères qui avaient l'un deux et l'autre trois femmes. Dans ce milieu, j’ai appris à aimer la femme et à la distinguer dans notre société. Quand j’ai été un peu plus averti, j’ai essayé de comprendre pourquoi mon père avait pris plusieurs femmes. L'explication à l'époque consistait en la nécessité d'une main d'œuvre abondante vu que l’on cultivait à la houe. Il n’ y a que trois mois de saison de pluie durant lesquels devait pousser de quoi se nourrir pendant douze mois. Jusqu’à mon départ pour l’université de Dakar, je cultivais les champs. Les femmes faisaient tout aux champs. Il y avait environ trente femmes autour de mon père et ses deux frères, qui travaillaient aux champs et valorisaient les produits de la pêche. L'un des frères de mon père était pêcheur, tout ce qui n’était pas vendu à l’état frais devait être transformé et commercialisé. Toute cette charge de travail qui reposait sur les femmes fut pour moi un déclic qui me poussa à travailler pour soulager la femme. Quand j’étais au village, étant le cadet de la famille, mes sœurs ayant quitté la maison, avant d’aller au lycée, j’aidais ma mère lorsqu’elle était de corvée. C’était à tour de rôle. Quand c’était son tour pour aller chercher l’eau, piller le mil et cuisiner pour tout le monde, elle se levait tôt, à cinq heures du matin, malgré son âge avancé. Elle n’avait pas de belle-fille pour l’aider, elle devait s’occuper de tout. C’était une journée effroyable ! Je ne pouvais pas me contenter de la regarder ; je travaillais avec elle. Mon oncle m’appelait Fatu, c’est-à-dire la fille qui travaille. Tous les deux jours, je quittais l’école avec précipitation pour aller aider maman. Lorsque je suis devenu consultant au BIT, j’ai découvert à travers la documentation qu’il y avait une grande préoccupation pour soulager les femmes. Il existait une importante littérature écrite par des experts, étrangers à un système social et environnemental, qu’ils décrivaient en se basant sur les résultats des projets ou des études assez ciblées. Cette tendance s'amplifia après la première conférence sur les femmes à Naïrobi, initiée par le PNUD, en 1982. A cette époque on parlait de l’émancipation de la FR 18 femme africaine. De cette conférence a émané le premier plan d’action mondial de la femme. En 1995, à la conférence de Bejing (Chine) fut présentée la plateforme des femmes africaines, rédigée à partir de la conférence de Dakar en 1992. Cette dernière fut initiée par la Commission économique de l’Afrique, une création de l’Organisation de l'Unité Africaine (OUA), avec l’appui des Nations Unies, basée à Addis-Abbeba, portant sur l’intégration de la femme. Deux sessions de travail au Mali et à Paris ont préparé la conférence de Dakar. A travers ces écrits, j’ai retrouvé ma mère. Je me suis dit : « Heureusement qu’il y a des gens qui en parlent ». Le BIT avait de son côté beaucoup écrit sur la question dans le cadre de son programme pour l’emploi. Je me suis davantage intéressé au sujet. IMPLICATION DANS LE PROGRAMME FEMME ET DÉVELOPPEMENT. La question de l’allègement des tâches n’a pas été pris en compte partout, dans les programmes, de la même manière. Le Sénégal fut un des pays pilotes où l’allègement des tâches ménagères a été une préoccupation centrale dans les politiques et les projets programmes de développement. La polygamie n’est pas une solution à l’allègement des tâches ménagères, elle ne fait que répartir un certain nombre de responsabilités ménagères, pour lesquelles les hommes n’étaient pas engagés, à plusieurs femmes. Dans l'approche de l'allègement des tâches ménagères des femmes, l’analyse porte essentiellement sur le niveau de charge des tâches ménagères réparti entre l’homme et la femme. On a remarqué que la femme avait une responsabilité entière des tâches ménagères et que l’homme était toujours servi par la femme. A cette fin, le calendrier de main d’œuvre entre l’homme et la femme qui retranscrit le profil d’activités accomplies par les deux genres est un outil de travail intéressant. On dispose d'une étude dans le village Mgaparou, selon cette grille d'analyse. Une des solutions préconisées fut l'introduction des technologies appropriées pour moudre, battre les céréales et disposer de l'eau. Ce qui a permis de décharger le calendrier de main d’œuvre des femmes, de libérer une énergie qui a été transformée plus tard en activités génératrices de revenus. Actuellement, on ne parle plus dans certaines régions d’allègement des tâches, c’est dépassé. On parle de la reconversion du temps libéré à des activités économiques pour donner aux femmes le pouvoir économique. FLUX MIGRATOIRES ET DÉVELOPPEMENT L’exode rural est une composante qui alimente les flux migratoires vers l’Europe. L’exode rural fut favorisé en premier lieu par le besoin d’instruction ; le deuxième facteur fut l’appauvrissement du milieu agricole généré par la désertification prononcée de la zone sahélienne : Mali, Sénégal, Niger, Tchad. Dans les années 70, la zone sahélienne a été fortement touchée par des cycles de sécheresse qui ne sont propagés au-delà du Sahel, et qui ont eu pour conséquence des contreperformances au niveau agricole qui ont conduit à la baisse de la production, ce qui a affecté l’économie de la zone. Par exemple au Sénégal, dans le vieux bassin arachidien, situé dans la vallée du fleuve Sénégal entre la Mauritanie, le Mali et le Sénégal, on n’avait jamais connu l’exode rural. Cependant, à cause des cycles de sécheresse, la première source de revenu, la production de l’arachide étant en profonde dépression, les gens ont commencé à quitter la région pour aller en ville chercher de quoi vivre. Ces départs ont eut des conséquences directes sur la condition des femmes. Une surcharge de travail s'est abattue sur elles. Dans les années 80, on a eu en Afrique les programmes d’ajustement structurels imposés par les institutions internationales de crédit. Le Sénégal fut un des premiers pays à appliquer des programmes de redressement économique et financier, en 1982 sous Abdou Diouf, négociés avec le fond monétaire international et la banque mondiale. Après le départ de Senghor, en 1981, le pays était jugé fort en difficulté. Ces programmes ont eu pour effet, au niveau rural, de faire disparaître un certain nombre d’instruments que les paysans avaient mis en place pour le développement agricole. C’est alors que commença l’auto organisation des paysans pour s'assumer et prendre en charge certains services tribune dont l’Etat devait se désengager conformément aux mesures d'assainissement préconisés. En 84, au village, on avait 1500 maîtres es sciences économique, 85 docteurs en pharmacie, 25 médecins et autant d’autres spécialistes, qui chômaient. Ce qui amplifia la migration pour trouver l’emploi. Et c'est ce groupe qui alimente l'émigration vers l'Europe. Ce qui signifie une perte des ressources humaines qui pouvaient être mobilisées pour le développement. On assiste, à présent, à une profonde évolution du phénomène, du moins en ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest. Ces migrants issus des zones rurales émigrent non pas pour s’installer en Europe mais pour y travailler et revenir. On a ce qu’on appelle les “etegui”, à savoir, des gens qui font du travail saisonnier en été, en Italie, en Espagne ou aux Etats-Unis. Ces personnes ont une forte propension à travailler pour le développement des zones d’origine. Ils détectent dans les pays d’accueil des opportunités de développement qu’ils peuvent exploiter dans leurs pays. Cette tendance est commune aux pays d’Afrique de l’Ouest. Par exemple, à Bamako, on confectionne des vêtements griffés, vendus à des prix très abordables en Afrique. L’OIM, Office International des migrations, basé à Genève, a travaillé avec la CEDEAO, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Occidentale, comprenant seize Etats, pour établir un cadre qui permettrait aux Etats des pays d'origine, de définir une politique cohérente en matière de prise en compte de la dimension du rôle des migrants dans le développement économique des pays. A partir de 2002, il y aura au niveau de la CEDEAO une libre circulation des personnes. La question posée à la conférence de Dakar, en septembre 2000, fut quelle contribution des migrants à l’effort de développement des pays d’origine. Certains Etats ont organisé des Hauts Conseils de leurs ressortissants résidant à l’extérieur pour discuter avec eux, les ONG et les partenaires au développement de l’ensemble des problèmes relatifs à l'implication des migrants dans le processus de développement. Pendant longtemps, la situation des pays était jaugé à l’aune du PIB, produit intérieur brut par habitant. Ce critère est erroné. A titre exemplatif, les milliards de francs que rapportent les mines de diamant du Congo ne profitent pas à tous les congolais. Il faut considérer le niveau d’accès des populations aux revenus et la satisfaction des besoins fondamentaux de l’homme. En 1992, le PNUD a décidé d’établir l’indice de développement humain et l’indice sexo spécifique. En 97, la Guinée était classée avant dernier pays en terme de développement humain et beaucoup des pays de l’Afrique occidentale sont peloton de queue. L’année dernière des institutions comme la banque mondiale et le Fond monétaire international qui jusqu’à présent ne parlaient que de la croissance économique ont évoqué la croissance en corrélation avec la diminution de la pauvreté. Ce qui signifie un aveu d’échec des politiques et critères antérieurs. PROGRAMME DE DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE OCCIDENTALE Les axes névralgiques seraient : la libéralisation des certain secteurs, l'allègement des procédures et l'application des incitants fiscaux pour attirer les investisseurs; le repositionnement sur le milieu agricole pour la sécurité alimentaire dans le sens de la capacité à produire ce dont un pays a besoin pour nourrir en permanence les populations; l'axe gender, la participation des femmes tant au niveau économique que politique; le déploiement de la coopération Sud/Sud dont la création de l'Union monétaire et économique de l’Afrique de l’Ouest UEMAO, est une amorce décisive. LES MICRO FINANCEMENTS ET LES FEMMES Les femmes ayant gagné du temps libre, il manquait des fonds et des outils de gestion pour des activités économiques. D’où l’idée des petits crédits rapidement suivis de la mobilisation de l’épargne. Ces petits financements arrivent aux pauvres, grâce à la solidarité concrétisée par cautionnement mutuel. Le pauvre dépourvu d'une garantie matérielle accède au crédit grâce à la solidarité du groupe. Beaucoup des personnes s'indignent sur les faibles montants accordés ; mais le volume d’un crédit dépend du niveau du besoin et du cycle de rotation de l'activité entreprise. Il me semble prématuré de porter un jugement sur ce processus en Afrique tant qu'une évaluation multifactorielle, en profondeur, n'est pas encore réalisée. FR 19 tribune ARTISTES ET DÉVELOPPEMENT SOCIAL Entretien avec Djibril GUISSÉ guitariste, compositeur dans l’orchestre les frères Guissé. D’UN PARCOURS SINGULIER VERS UNE PRISE DE CONSCIENCE SOCIALE Le groupe existe depuis sept ans. Nous sommes quatre frères. Trois sont dans l’orchestre, le quatrième est le manager du groupe. C’est le souci de la stabilité et de la continuité qui nous a poussés à travailler en famille. Pour un groupe qui se voulait novateur, le changement des membres d’un groupe, ayant une telle ambition, risquait de compromettre une bonne évolution. Nous avons misé sur la famille car nous croyons en la solidarité familiale africaine. Nous avons tous découvert la musique à partir du théâtre populaire dans les quartiers. Dans le domaine théâtral, on écrivait les pièces, on composait des poèmes, on chantait et on était des comédiens en même temps. Par le théâtre populaire, on était encadré par des aînés qui nous préparaient pour que nous puissions jouer un rôle dans notre société. Au terme du cycle, à notre tour, on a encadré d’autres jeunes. Le théâtre populaire c’est la préparation de la FR 20 jeunesse aux épreuves qu’elle doit affronter. Ce passage nous a permis de nous situer sur le plan politique et nous a outillés psychologiquement pour faire face aux réalités de la société africaine sénégalaise. En Afrique, on a connu l’esclavage et puis la colonisation. Après la colonisation, les sénégalais marginaux étaient contrôlés tout le temps. La société a été écarté de la gestion de sa situation, ses membres n’ont pas été impliqués dans son organisation, l’Etat se s’en occupait pas. Certaines personnes prirent la responsabilité de former les gens et de les scolariser dans les langues qui nous sont propres, en dehors du français. Par les associations de quartier, on a appris à écrire et à lire le wolof et le poular. C’était plus important pour nous que le français. Aujourd’hui, les gouvernants africains parlent des langues nationales ; au Sénégal, il y a un ministère d’alphabétisation aux langues nationales. Avant cette dynamique émanant de la base, rien n’existait officiellement. Sur le plan officiel, la croyance allait à l’assimilation d’autres cultures, celles que véhiculent le français. Il fallait aller à la campagne ou dans des petits groupes pour connaître les langues de nos cultures. Nous qui croyons à nos cultures, on a anticipé sur l’Etat. Il y a des personnes qui n’ont pas été à l’école française mais qui savent lire et écrire les langues nationales. C’est capital. Ce n’est pas l’Etat qui a initié cela, on apprenait dans les campagnes, dans les quartiers. Les associations sportives et culturelles, qui sont plus proches du peuple, ont joué ce rôle et sont très actives dans cette action. Il y en avait dans chaque quartier, depuis les années 80. Actuellement, on a plus d’associations sportives car le sport domine. Grâce au théâtre populaire, on a reçu beaucoup de formations, on a appris à dénoncer les problèmes de la société. On partait de ce que les gens constataient et ne pouvaient pas exprimer. On parlait à leur place, on déplorait les situations sur lesquelles ils voulaient parler, des choses qui leur étaient propres. J’ai été là jusqu’à mes 13 ans. Après, je suis allé au lycée, c’était la même mouvance. Avant de me lancer dans le théâtre populaire, j’ai évolué pendant 8 ans au sein d’un groupe d’étudiants musiciens. tribune A 16 ans, j’étais déterminé à être musicien. Je ne pouvais pas laisser tomber les études surtout pour les parents. En outre, en Afrique de l’Ouest pour chanter, il faut être un griot ; je n’ai pas osé braver cela et donc j’ai patienté 8 ans. En 87, je me suis rendu compte qu’il était temps de me professionnaliser. J’ai intégré un groupe professionnel, Oasis. Notre groupe antérieur s’appelait à l’origine Dujam, (le grain du refus). On a dû changer de nom car on nous taxait d’être trop révolutionnaires, on a opté pour Jam ( la paix). On n’a fait que chanter pendant deux ans avec Oasis. Les musiciens d’Oasis nous accompagnaient. Il y avait, au Sénégal comme partout en Afrique en général, une tendance à ne proposer au public que de la musique dansante basée sur des rythmes du pays et accompagnée des percussions, de la batterie et de guitares électriques. Deux ans après l’éclatement de ce groupe, on a mené une réflexion qui nous a conduit à faire une recherche pour trouver une musique sénégalaise d’écoute qui peut franchir les frontières tout en étant appréciée au Sénégal. Nous nous sommes alors orientés vers la musique acoustique folk. On a travaillé les guitares et les compositions pendant quatre ans. On ne jouait qu’avec les guitares sèches. Les gens écoutaient et regardaient étonnés. Le genre a fini par impressionner car les voix étaient vraiment assises. Mais les producteurs n’étaient pas intéressés. En 1993, on a commencé à jouer dans les cabarets ; on a été les premiers à jouer en cabarets nos morceaux. Tous les autres orchestres qui jouent en cabarets ne jouent que les standards de base. Pour le premier enregistrement, les producteurs sont venus vers nous, on les a remerciés. En décembre 1996, on a sorti notre premier album : un courant nouveau, musical venait d’être reconnu : African Folk Music, une musique originale universelle. C’est un genre où les voix sont prépondérantes et a capella, et, dont les mélodiques tirent l’inspiration de la musique traditionnelle poular, avec une ouverture sur l’Afrique et le monde. Nous nous inspirons de toutes les techniques musicales de l’Afrique : polyphonie, chants traditionnels ; nous accompagnons les morceaux avec des instruments du terroir, on emploie la flûte et la cora, instruments employés dans toute l’Afrique de l’Ouest, le xalam ou ongonu (instrument à 3 cordes). On travaille avec d’autres courants, en l’occurrence des jazzman, c’est l'aspect ouverture qui amène le côté universel. Nous sommes nos propres producteurs, par souci d’autonomie, pour plusieurs raisons : un producteur qui met son argent en jeu, impose un genre musical en fonction du goût du marché pour rentabiliser ce qu’il investit, on ne veut pas d’une musique commerciale ; on veut rester authentique à savoir que l’on veut que 80% de ce que nous composons s’inspirent des traditions et techniques musicales africaines et 20% des musiques du monde en terme d’ouverture pour arriver à une universalité. Nous avons commencé nos tournées lorsque nous avons été sélectionnés pour représenter le Sénégal au Marché des Arts et Spectacles Africains, en mars 1997. Depuis lors nous faisons des spectacles un peu partout : en Afrique, en Europe et au Canada. DE LA NOTORIÉTÉ À L’ENGAGEMENT DANS LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL Le passage par le théâtre populaire a fait de nous des avant-gardistes et nous a donné cette vision pointue du monde : la vie est un combat, il faut se battre. En tant qu’africains, nous avons appris qu’il faut se battre non seulement pour soi mais pour la société. C’est avec cette philosophie que nous avons grandi. De nos contacts à travers le monde, nous sommes restés attachés à l’idée de rester utile à nos populations. Il y a dans les problèmes de nos pays certains que la société civile peut régler en dehors de l’Etat et des hommes politiques. Il y a trop des gosses dans la rue dans ce pays, sans avenir. Nous travaillons à mettre en place une maison des enfants, pour les accueillir et les former. Les enfants sont les futurs citoyens, ils doivent y être préparés.Nous les formons aux médias. Nous parrainons une radio des enfants issus des milieux précarises pour les sortir du ghetto du prolétariat. Ils prennent totalement en charge toute la programmation et la réalisation des émissions. Nous leur avons composé un générique pour les soutenir. Cette année, on a fait un concert au profit des étudiants, lequel a généré 60.000 FF. A l’origine, le but était d’offrir des tickets restaurant aux étudiants ayant peu de moyens. Comme on a récolté plus de recettes que prévues, on affecté une partie des recettes à deux actions en milieu rural : du reboisement avec des étudiants en biologie végétale et 10.000 FF à une action permettant aux étudiants en médecine d’aller soigner des gens à la campagne car il y a des villages sans médecin ni centres de santé. On a déplacé 50 aspirants médecins qui ont soigné 1700 personnes en trois jours. Durant ce séjour en Belgique, nous allons travailler avec l’association le Djolof pour faire une collecte de médicaments pour la prochaine campagne que nous allons faire au Sénégal avec les étudiants en médecine. Chaque année, au lieu que ces aspirants médecins partent en vacances, nous allons partir avec eux dans les villages pour aller soigner les gens. Ces étudiants sont appelés à gouverner le pays demain, il faut les y préparer. Pour nous ces actions sont des participations au développement du pays à notre niveau, au niveau de la société civile. Elles apprennent aux populations à se questionner et à s’exprimer. Au niveau macroscopique, le développement dépend de la volonté politique. Il ne peut pas y avoir de développement sans organisation. Il ne s’agit pas de s’organiser individuellement, il faut se donner la main pour essayer de trouver des réponses à des question posées il y a quarante ans déjà. Quand Lumumba, Hailé Selassié, Amilcar Cabral parlaient de l’unité africaine, c’était pour faire face à des réalités problématiques de l’époque qui hélas sont toujours d’actualité. Si les Etats-Unis sont bien partis, si l’Europe démarre aujourd’hui et que l’Afrique reste derrière c’est parce qu’on n’est pas encore unis et qu’on n’est pas encore maître de notre propre destin. Tant que des intérêts personnels des politiques africains et ceux des Etats du Nord motiveront leurs actions en Afrique, l’Afrique n’avancera pas. Les africains doivent s’organiser et s’unir. L’incapacité de beaucoup de pays africains à s’organiser et à s’unir est liée à l’histoire. C’est seulement aujourd’hui qu’on peut parler réellement de l'indépendance. On est au point zéro, on commence le départ. C’est aujourd’hui FR 21 tribune qu’on peut commencer à pouvoir se situer par rapport à nos réalités et nos besoins. Les pays africains sont les derniers à pouvoir satisfaire les besoins des populations. Ils dépendent des EtatsUnis, de l’Europe, du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale; le pouvoir d’agir pour eux leur est ainsi confisqué. L’Afrique doit d’abord se libérer et parvenir à dépendre d’ellemême. Il faut d’abord développer l’agriculture pour qu’au moins ce qu’on mange ne provienne pas de l’extérieur pour sortir de la dépendance ensuite développer l’industrie et les infrastructures diverses. Ce qui nous bloque aussi c’est la tendance à trop imiter le blanc. Par exemple, le revenu d’un africain correspond au dixième du revenu d’un occidental ; si la France taxe à 20%, en Afrique on taxe aveuglement à 18%, au lieu de réfléchir à des taux raisonnables en fonction des revenus des gens et taxer de manière à encourager les investissements pour des usines de fabrication. On copie sans comprendre alors que l’on a des cadres et des intelligences. Il vaut mieux taxer faiblement afin que tous participent à l’effort collectif de la construction du pays. Il n’y a que les fonctionnaires qui paient les taxes en Afrique, ce qui est peu pour avancer. Pour bien démarrer nous pensons qu’il faut : d’abord bien se connaître; faire vraiment un effort pour trouver des modèles adaptés aux réalités et aux besoins des pays africains; au delà des souverainetés nationales, abolir les frontières artificielles érigées en dépit du bon sens par les puissances coloniales, et avoir un seul passeport et une monnaie unique ; que chaque personne de ce continent voit d’abord l’intérêt du pays plutôt que le sien. L’Europe devrait reconsidérer la dette extérieure des pays africains car elle est déjà payée. Les prêts ont été détournés par une poignée des prédateurs, protégés par ceux qui cautionnaient ces emprunts, et renvoyées dans les banques européennes ; les populations n’en ont pas profité. Donc, c’est ceux-là mêmes qui réclament le remboursement de la dette qui nous la doivent. En effet, on n’a pas demandé l’esclavagisme. Ceux qui devaient travailler pour l’Afrique ont tous été déportés. On n’a pas demandé à être colonisé. FR 22 Si l’Afrique n’est pas actuellement en mesure de demander réparation on ne doit pas lui réclamer de dettes. Pour beaucoup d’africains, l’Europe c’est le paradis car ils vivent le calvaire chez eux. Ce sont des populations déçues qui ont vu leurs espoirs brisés. Les gens s’en vont par désespoir. Pour avoir la paix et ne pas être envahis par les clandestins, les européens doivent tout faire pour développer l’Afrique. L’Europe a le devoir d’œuvrer pour soutenir la créativité en Afrique dans tous les domaines. Qu’ils fassent tout pour qu’on ne leur emprunte plus de l’argent. On n’a pas besoin qu’ils nous prêtent mais qu’ils investissent réellement pour que les sociétés se développent. L’Afrique de son côte doit travailler pour redevenir son propre maître, pour retrouver ses valeurs africaines qui disparaissent au profit de l’argent, des armes et de la notoriété personnelle. DE L’IMPACT DES ARTISTES SUR LE CHANGEMENT DES MENTALITÉS En tant qu’artiste, on a le privilège d’exprimer nos opinions et la chance d’être plus écouté. Comme on est proche des gens et qu'on fait des choses qui leur plaisent, au niveau local, on a plus d'influence sur les gens que les hommes politiques Nous pouvons nous positionner face à une situation, la dénoncer et proposer des solutions. Parmi les multiples problèmes que nous abordons, il y a la condition de la femme. La femme en politique en Afrique, joue encore un second rôle, un rôle de folklore. Lors des meetings politiques les femmes font le décor, nous disons dans la chanson “Démocratie et Femme” que cela doit cesser. On les utilise mais elles ne siègent pas à l’assemblée. On l’a faite en partenariat avec le Conseil Sénégalais des femmes, on déplore une situation qui est là. Les femmes se battent ; il y a de plus en plus d’associations de femmes qui luttent pour sortir les femmes du rôle secondaire dans lequel elles sont enfermées. Au niveau de la santé publique, nous abordons le problème de SIDA que les populations nient. A travers le chant sur le sujet qu'ils écoutent dans leurs foyers, les gens en discutent, et, finissent par réfléchir et comprendre. Il en va de même pour d'autres thèmes relatifs à la vie en société. Les hommes politiques chez nous ne visent que leurs intérêts personnels. Lorsqu’on parle de conflits de religions ou d’ethnies, ce n’est pas du tout la réalité; on déplace le problème. La réalité est que pour servir leurs intérêts personnels des politiques attisent les rivalités. Pour mieux contrôler les populations, on les enferme dans leurs cultures en les empêchant d’aller voir ce qui se passe ailleurs. L'art engagé peut décloisonner et amener un esprit critique collectif. Les médias sont aussi un outil important dans ce champ. Ce n’est pas par hasard qu’il n’ y a dans beaucoup de pays africains que des chaînes nationales de télévision et de radio. Nous devons nous approprier les médias et même en créer davantage au niveau populaire, et les utiliser comme une culture pour communiquer afin de ne plus être manipulés ou utilisés.