C ongrès réunion ● E. Thervet*, F. Saliba** Compte-rendu de symposiums Société Francophone de Transplantation [1] Symposium Wyeth Lors du dernier congrès de la Société francophone de transplantation, le laboratoire Wyeth a organisé un symposium tourné vers la place des inhibiteurs de mTor dans le long terme après transplantation, en particulier la néphropathie chronique d’allogreffe (NCA) et les complications tumorales. NÉPHROPATHIE CHRONIQUE D’ALLOGREFFE (figure 1) (d’après la communication de C. Legendre, hôpital Necker, Paris) 1995. La question se pose alors des causes des pertes tardives du greffon. Le décès avec un greffon fonctionnel, qui n’était pas l’objet de cet exposé, sera évoqué par J. Dantal. En revanche, la dysfonction chronique du greffon (DCG) est responsable de la moitié des pertes de greffons en raison d’une néphropathie chronique d’allogreffe (NCA) dans 30 à 40 % des cas. Cette NCA correspond à un rejet chronique ou à des lésions mixtes. Il faut donc trouver des marqueurs intermédiaires détectables avant la perte du greffon. La fonction du greffon (créatinine ou marqueur plus sophistiqué) est un point majeur. La préservation de la fonction rénale est donc un objectif principal. La perte de fonction est variable après greffe : stabilité ou aggravation rapide, linéaire ou non. On peut même, dans certains cas, observer une amélioration du débit de filtration glomérulaire (DFG). Quels sont alors les déterminants de la fonction rénale ? Il peut s’agir des caractéristiques du donneur (âge), des lésions de préservation et de la chirurgie, des épisodes de rejet ou de la néphrotoxicité chronique. D’autres nombreux facteurs peuvent aussi intervenir dans la perte néphronique, responsable histologique d’une atrophie et d’une fibrose. C. Legendre a rappelé les cinq questions (figure 2) définies par P. Halloran et qu’il convenait de se poser : ✓ Quel est l’état du parenchyme ? Cela peut être mesuré pour la fonction (DFG) et la biopsie. ✓ Existe-il un rejet ? Ces lésions sont définies sur la biopsie par des lésions de type cellulaire T ou humoral avec l’importance du C4d. Dans tous les cas, il faut préciser la compliance, le statut des anticorps anti-HLA et redéfinir le traitement immunosuppresseur. Figure 1. Glomérulonéphrite d’allogreffe. Tx Glomérulosclérose Artériosclérose Hyalinose artériolaire Pathologie chronique du donneur Pathologie aiguë du donneur Atrophie tubulaire Fibrose interstitielle Évolution de la transplantation Détérioration Augmentation de la créatinine Toxicité des anticalcineurines Diminution des événements [1] Tours, 8 décembre 2005. * Service de transplantation rénale adulte, hôpital Necker, Paris. ** AP-HP, hôpital Paul-Brousse, centre hépato-biliaire, université Paris-Sud, unité INSERM-Paris-IX 785, Villejuif. Perte du greffon La survie du greffon rénal un an après la transplantation ne cesse de s’améliorer au cours des années. Cette amélioration est surtout due à une diminution de la mortalité, en particulier précoce et postinfectieuse. Elle est aussi secondaire à la baisse de l’incidence du rejet aigu dans les 6 premiers mois suivant la greffe. Cependant, l’amélioration de la demivie est restée modeste entre 1988 et Rejet aigu Détérioration rénale Rejet infraclinique Ischémie Figure 2. Évolution dans le temps de la destruction rénale. 119 Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 2 - avril-mai-juin 2006 C ongrès réunion CANCERS APRÈS TRANSPLANTATION (d’après la communication de J. Dantal, Nantes) Toutes les études montrent une augmentation progressive des cancers de novo après transplantation rénale en comparaison avec une population appariée. Cela est vrai pour différents types de tumeurs, touchant la peau, les reins, le système hématopoïétique (lymphomes hodgkiniens, non hodgkiniens, etc.). Certains facteurs de risque ne sont pas modifiables (âge, sexe, ethnie, phototype, maladie initiale, antécédents familiaux et durée du traitement immunosuppresseur [TIS]). Il existe aussi des facteurs de risque modifiables comme le type de TIS ou les tumeurs viro-induites. Parmi les TIS, si le rôle des stéroïdes est discuté, celui de l’azathioprine est reconnu, surtout pour les tumeurs cutanées avec un rôle de mutagenèse direct. Celui des anticalcineurines (ciclosporine et tacrolimus) est démontré par un rôle négatif direct sur la mutagenèse, sur la prolifération tumorale et sur la progression tumorale in vitro. Le mycophénolate mofétil n’a pas d’effet négatif reconnu. Certaines données commencent à être disponibles sur les effets des inhibiteurs de la mTor sur la progression tumorale. In vitro, les inhibiteurs de mTor en parti- culier présentent un effet mixte de modification phénotypique, d’inhibition de l’angiogenèse et un effet cytotoxique propre (figure 3). Antiangiogenèse Effet antitumoral ✓ Existe-t-il une glomérulopathie d’allogreffe sur la biopsie par argentation et/ou microscopie électronique ? ✓ Existe-t-il une atteinte spécifique sous la forme d’une récidive, d’une néphropathie à BK virus, d’une toxicité des anticalcineurines, d’une microangiopathie thrombotique ou d’une néphroangiosclérose ? ✓ Existe-t-il des facteurs aggravants tels qu’un diabète, une protéinurie, une hypertension artérielle ou des anomalies lipidiques ? La réponse à toutes ces questions permet d’améliorer la prise en charge dans le long terme. 0,01 Cytotoxicité 0,1 1 10 100 Inhibiteur de mTor 1 000 Figure 3. Effet antitumoral de l’inhibiteur de mTor en fonction de la dose. Cet effet combiné est majeur dans des modèles in vivo avec un effet-dose même en association avec la ciclosporine (figure 4). Contrôle CsA Figure 4. Modèle murin in vivo de l’action comparée du sirolimus et de la ciclosporine. Toutes ces constatations ont d’ailleurs amené au développement d’un médicament de cette classe (CCI 779) dans des indications anticancéreuses. Cet effet est suivi dans des données de registre pour des tumeurs cutanées, de sarcome de Kaposi ou de lésions d’hépatocarcinome après transplantation ■ hépatique. E. Thervet 120 Symposium Roche QUELLE IMMUNOSUPPRESSION CHEZ LE TRANSPLANTÉ DU FOIE POUR HÉPATITE C ? (F. Saliba, hôpital Paul-Brousse, Villejuif) La récidive virale C sur le greffon est quasi constante après transplantation hépatique (TH) pour une cirrhose liée au virus de l’hépatite C. Durant les premiers mois post-transplantation, la charge virale est 10 à 20 fois supérieure à son taux en préopératoire. Quarante-six à 95 % des patients vont développer des signes histologiques d’hépatite. La progression de la fibrose est plus accélérée chez le patient transplanté que chez l’immunocompétent. Six à 23 % développeront une cirrhose avec une médiane de suivi de 2 à 4 ans. L’hépatite C est associée à une réduction de la survie du greffon et à une augmentation de la mortalité après transplantation. L’immunosuppression semble influencer la sévérité de la récidive. Une forte immunosuppression à l’induction, l’arrêt précoce et rapide des corticoïdes, le traitement du rejet aigu (bolus de corticoïdes, les anticorps mono- ou polyclonaux [SAL, OKT3] étaient rapportés comme facteurs favorisant la sévérité de la récidive virale C. Des controverses demeurent pour les autres molécules : tacrolimus, ciclosporine (CsA), mycophénolate mofétil (MMF), sirolimus, daclizumab et basiliximab. Récemment, des études in vitro ont montré que la CsA diminue le taux de protéines VHC et le niveau d’ARN réplicon dans le modèle du réplicon (MH-14). La CsA inhibe la multiplication du VHC dans les hépatocytes infectés en culture (cellules PH5CH8 traitées par du sang infecté). L’activité antivirale de la CsA s’ajoute à celle de l’IFNα. Ces données expérimentales nécessitent d’être validées en clinique humaine. Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 2 - avril-mai-juin 2006 C ongrès réunion Des données in vitro ont montré que le MMF réduit significativement la réplication du virus C via l’inhibition de la prolifération cellulaire, et qu’il pourrait avoir un effet antifibrosant. C.G. Fasola et al. (Am J Transplant 2002), dans une étude de cohorte rétrospective, ont montré qu’une induction avec des doses élevées de MMF (2 g versus 1 g) diminue le taux d’ARN-VHC et la récidive virale C à un an post-TH. M. Bahra et al. (Am J Transplant 2005), dans une étude castémoin où 40 patients ayant une récidive virale C histologiquement prouvée et traités par trithérapie comportant du MMF étaient appariés à 40 autres patients traités sans MMF, ont bien montré qu’il n’y avait pas de différence concernant le taux de la charge virale C entre les deux groupes ; en revanche, l’activité inflammatoire et la fibrose étaient significativement plus sévères dans le groupe sans MMF. misée (1.1.2) multicentrique de 312 patients transplantés pour cirrhose VHC, qui a comparé trois stratégies thérapeutiques : ✓ groupe 1 : tacrolimus + corticoïdes (bithérapie) ; ✓ groupe 2 : MMF + tacrolimus + corticoïdes (trithérapie) ; ✓ groupe 3 : MMF + tacrolimus + daclizumab (pas de corticoïdes). L’objectif de l’étude est d’évaluer l’efficacité et la tolérance du MMF et d’un régime sans corticoïdes dans le but de réduire le risque de rejet, la récidive virale C et les effets indésirables du traitement immunosuppresseur après TH. La dose de tacrolimus était de 0,080,12 mg/kg/j, celle du MMF de 2-3 g/j, celle de daclizumab de 2 mg/kg à J0 et J3 et 1 mg/kg à J8, celle des corticoïdes < 10 mg/j à J30 et < 5 mg/j à J90. Les biopsies hépatiques étaient pratiquées systématiquement à J0, J90, J365 et J730. L’étude HCV3 (rapportée en 2005 à l’AASLD, à San Francisco) est la plus grande étude randomisée à avoir étudié prospectivement avec des documentations virologiques et histologiques l’impact de l’immunosuppression sur la récidive virale C après transplantation. Il s’agit d’une étude prospective rando- Les résultats à un an montrent qu’il n’y avait pas de différence en termes de survie entre les trois groupes (respectivement 84 %, 88 % et 90 %). L’incidence de rejet aigu histologiquement prouvé était significativement plus faible (p < 0,05) dans le groupe 3 (pas de corticoïdes) que dans le groupe 1 (bithérapie) [tableau I]. L’incidence de récidive histologique (stade Batts-Ludwig ≥ 2 à un an ou ≥ 3 à tout moment) était plus faible dans les groupes 2 et 3 que dans le groupe 1 (tableau II). On notait aussi une incidence plus faible, mais non significative, de l’agressivité de la progression de la récidive (augmentation > un stade entre J90 et J365) dans les deux groupes comportant le MMF (groupe 1 : 32 % ; groupe 2 : 25 % ; groupe 3 : 23 %). Les tests hépatiques étaient significativement meilleurs dans le groupe 3 (p < 0,05). La charge virale C à un an était comparable dans les trois groupes. Selon les auteurs, les résultats intermédiaires de l’étude montrent que le régime associant daclizumab, MMF et tacrolimus était bien toléré et associé à une incidence significativement plus faible de rejet. La récidive virale C, dans l’état actuel de l’avancement de l’étude, semble être comparable, avec une tendance en faveur des deux groupes comportant le MMF. L’étude de R.H. Wiesner et al. (Liver Transplant 2005) est menée à partir des Tableaux I et II. Étude (HCV3) 312 patients, groupe bithérapie : tacrolimus + corticoïdes [Cs]), groupe trithérapie : mycophénolate mofétil + tacrolimus + Cs, groupe sans Cs : mycophénolate mofétil + tacrolimus + daclizumab. Résultats à un an. (D’après Fasola C, Géorgie, États-Unis, abstract 8 actualisé). Absence de rejet à un an 100 *p < 0,05 81 % 87 % Absence de récidive histologique à un an du VHC 93 %* 50 Bithérapie 50 Trithérapie Pas de Cs 0 Pourcentage Pourcentage p = NS 34 % 35 % 22 % 0 Tous les patients Tous les patients 121 Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 2 - avril-mai-juin 2006 C ongrès réunion données du registre américain chez 11 670 patients adultes ayant eu une TH entre le 1er janvier 1995 et le 30 avril 2001, dont 3 463 patients (29,6 %) VHC+. Elle montre que la survie du greffon à 4 ans était significativement plus élevée dans le groupe recevant une trithérapie comportant du MMF, à la fois dans la population globale et dans la population VHC+. Les taux de rejet aigu étaient comparables dans la population totale et la population VHC. Il y avait significativement moins de rejets aigus tardifs entre 6 et 12 mois dans la population VHC+ recevant une trithérapie. Dans l’analyse univariée, la trithérapie était significativement associée à une réduction du rejet aigu à 4 ans dans la population globale (29 % versus 33,4 % ; p < 0,001) et dans la population VHC+ (27,3 % versus 32,1 % ; p = 0,047). Dans l’analyse multivariée, la trithérapie n’était significative que dans la population globale. La survie du greffon était significativement plus mauvaise chez les patients ayant présenté un rejet aigu versus ceux n’en ayant pas présenté. Dans le groupe des patients VHC+ et qui ont présenté un rejet aigu, la survie était meilleure dans le groupe trithérapie. En conclusion, cette étude montre bien l’impact du rejet aigu sur la survie du greffon à 4 ans chez les patients transplantés pour cirrhose VHC+. Le MMF était un facteur indépendant de réduction du risque de décès dans la population VHC+. Elle lève aussi la controverse de la littérature sur l’utilisation du MMF chez les VHC+ en favorisant la trithérapie. BÉNÉFICES POUR LES PATIENTS D’UNE IMMUNOSUPPRESSION À LA CARTE (Y. Le Meur, CHU Dupuytren, Limoges) Le maniement des drogues immunosuppressives tire bénéfice des progrès réalisés dans le domaine de la pharmacocinétique et du suivi thérapeutique pharmacologique. De plus en plus, le concept d’individualisation du traitement prend sa place. Le suivi thérapeutique du MMF sur la base du monitoring de son métabolite actif, l’acide mycophénolique (MPA), en est un exemple. La pharmacocinétique du MPA est caractérisée par une large variabilité interindividuelle, une augmentation spontanée de son exposition dans les trois premiers mois de greffe et d’importantes interactions médicamenteuses, en particulier avec la ciclosporine et les corticoïdes. La résultante de ces mécanismes peut se résumer de la façon suivante : à la dose fixe habituelle de 1 g matin et soir, on obtient une exposition (exprimée par l’aire sous la courbe [ASC]) variant dans un ratio de 1 à 20 ; une grande majorité des patients est sous-dosée en MPA pendant les premières semaines de greffe, et, enfin, près de 25 % des patients sont surdosés dans le long terme. Par ailleurs, de nombreux travaux ont montré qu’il existe une forte relation entre les concentrations en MPA et l’efficacité thérapeutique, cette relation étant plus constante pour l’exposition (ASC) que pour le taux résiduel. Une relation moins solide semble aussi exister entre concentration en MPA et effets indésirables. Ainsi, le monitoring du MPA semble légitime pour optimiser l’efficacité et minimiser les effets indésirables, et a été recommandé par plusieurs conférences de consensus en privilégiant l’ASC sur le taux résiduel et en proposant des cibles thérapeutiques de 30 à 60 mg.h/l. La mise au point d’un modèle pharmacocinétique pour le MPA ainsi que d’un estimateur bayésien couplé à un logiciel d’adaptation de posologie (utilisable gratuitement sur le site ABIS : http:// www.chu-limoges.fr/stp/default.asp) permet aujourd’hui de calculer l’ASC 122 à partir d’un nombre limité de prélèvements (3 : à 20 mn, 1 h et 3 h après la prise de MMF) et d’adapter la posologie de MMF pour mettre le patient dans la cible thérapeutique. Ces outils ont permis de mettre en place l’étude APOMYGRE, qui est la première étude comparant une stratégie d’administration du MMF à dose fixe à une stratégie d’adaptation fondée sur le suivi thérapeutique. Cette étude multicentrique française (11 centres) en greffe rénale a inclus 137 patients randomisés pour moitié dans chaque bras. Le traitement immunosuppresseur associé comprenait : induction par un anti R-IL-2, corticoïdes stoppés à 4 mois et ciclosporine adaptée sur le C2. L’adaptation de posologie était faite après calcul de l’ASC à J14, M1, M3 et M6, en visant une cible de 40 mg.h/l. L’exposition au MPA obtenue était très significativement supérieure dans le groupe adapté pendant les trois premiers mois, nécessitant des doses de MMF nettement supérieures (3 g en moyenne à M1). Les résultats de cette étude à 6 mois ont montré moins de rejets aigus dans le groupe à concentration contrôlée : 3 versus 11 rejets prouvés histologiquement (p = 0,02). Il n’y a pas eu, en contrepartie, d’augmentation des effets indésirables imputables au MMF : anémie, leucopénie, infections, CMV, effets gastro-intestinaux. Les résultats à un an confirment cette supériorité du groupe adapté et seront présentés au World Transplant Congress en juillet 2006. Le suivi thérapeutique du MMF est réalisable en utilisant des outils adaptés ; il est efficace et devrait donc prendre sa place aux côtés des autres instruments de monitoring des immunosuppresseurs. Il devrait aussi permettre une meilleure individualisation et une adaptation au profil du patient. ■ Le Courrier de la Transplantation - Volume VI - n o 2 - avril-mai-juin 2006