DOSSIER
tionnalisation de ce champ témoigne de l’importance qui lui est
accordée par les équipes soignantes et du souci de ne pas le limiter
aux étapes évoluées de la maladie.
L’enjeu essentiel est donc bien de tendre à assurer à chaque
malade, assez tôt dans sa “trajectoire” de patient, des contacts
“pluriprofessionnels”, indispensables pour permettre que soit
prise en compte la diversité de ses besoins. Mais, et c’est tout
aussi décisif, de faire que chaque infirmière, chaque médecin
reste investi, partenaire de la prise en charge tout au long des
différentes étapes de la maladie. C’est d’une pluridisciplinarité
effective, étendue au sein de ce champ des soins de support et
donc pas seulement aux discussions diagnostiques ou des proto-
coles thérapeutiques, que l’on peut attendre un développement
mobilisateur conduisant à l’émergence d’une clinique et de pra-
tiques adaptées à la complexité des besoins actuels. Chacun,
dans son propre cadre de référence, peine à répondre à la multi-
plicité des situations. Cette dimension de “compagnonnage” au
sein d’une même instance entraîne une formation réciproque et
développe, à l’évidence, la compétence de chacun, créant une
intelligence d’équipe.
D’autre part, une “mutualisation” des moyens (locaux, secréta-
riats, acteurs “bi-appartenants” à plusieurs unités…) confère une
“logistique” satisfaisante assurant à des professionnels souvent
très sollicités, une qualité des conditions de travail qui limite le
risque d’épuisement professionnel, auquel ils sont particulière-
ment exposés.
La nécessaire “ouverture” sur l’extra-hospitalier implique que
les relations et une connaissance réciproque soient facilitées
avec de nombreux partenaires. Bien souvent, la principale diffi-
culté rencontrée participe d’une dimension de “rythme” : il est
extrêmement délicat d’accompagner ensemble les étapes de
prise de conscience, d’information, d’expression des choix, alors
que le patient va et vient entre plusieurs lieux et différents soi-
gnants. C’est une revendication constante des soignants extra-
hospitaliers d’être non seulement informés, mais mieux associés
à l’élaboration du projet de soin quand la situation du patient
devient plus complexe du fait de l’évolution de la maladie et de
l’apparition de nombreux symptômes difficiles à contrôler. C’est
alors que la “lisibilité”, la possibilité d’anticiper, la compréhen-
sion à propos des décisions envisagées sont souvent perturbées.
L’existence d’un département de soins de support constitue un
pôle référent et un “guichet unique” pour la plupart de ces
partenaires de l’extra-hospitalier assurés d’y rencontrer des inter-
locuteurs habitués à se concerter avec eux.
Au sein d’une telle entité, les psycho-oncologues, dès lors qu’ils
se donnent pour objectif essentiel de participer à une meilleure
adaptation psychologique des patients, de leur famille considérés
comme une population “vulnérable”, trouvent sans confusion
des rôles une possibilité d’inscrire leur démarche dans une dyna-
mique d’interactions efficaces avec les autres soignants. Ceux-
ci s’autorisent une plus grande liberté de communication avec
leurs patients, élargissent leurs réflexions au contexte familial,
social sans trop craindre d’être démunis devant telle ou telle
réaction émotionnelle inattendue. Mieux informé du projet de
soin, le psycho-oncologue peut prendre l’initiative et proposer,
par exemple, de prendre contact avec un conjoint, un enfant,
lorsqu’il le juge utile. Impliqué très naturellement dans le pro-
cessus de soin global en cours, son intervention se révèle mieux
comprise, plus rapidement efficace, relayée par l’ensemble des
soignants.
On peut considérer que cela fait partie déjà de nos modalités
habituelles de travail, mais ce serait faire peu de cas des nombreux
adeptes du “splendide isolement”. Par ailleurs, l’expérience des
équipes qui dès à présent ont choisi ces démarches “intégrées”
montre combien une organisation qui permet au quotidien un
partage d’expérience entre non seulement les cancérologues
mais tous les “spécialistes” des différentes modalités des soins
de support ainsi que les acteurs extra-hospitaliers conduit à
rendre le processus de prise de décision beaucoup plus adapté à
la singularité du cas du patient. On sait combien il est délicat en
cancérologie, lorsque les récidives successives rendent l’évolution
de la maladie éprouvante pour tous, de proposer des aménage-
ments au traitement prévu initialement, de conseiller des chan-
gements de lieux de soins. Ce n’est bien souvent qu’après un
temps de concertation, et même de confrontation, de toutes les
catégories de soignants qu’une solution répondant au mieux aux
préférences et aux besoins du patient et optimisant l’ensemble
des possibilités disponibles peut être élaborée.
Autre enjeu important justifiant la création d’un département
indépendant : il est habituel de souligner la difficulté des procé-
dures d’évaluation dans le domaine des “soins de support”, en
particulier quant à l’efficacité des démarches. Elles sont cepen-
dant indispensables pour justifier les moyens… Le seul exposé
des objectifs sans réelle connaissance des besoins et des straté-
gies les plus utiles ne peut qu’enfermer ces pratiques dans un
“sous-développement” durable.
Le cancérologue “référent” trouve auprès d’un tel groupe,
cohérent, efficace, une aide pour assumer jusqu’à son terme la
mission de responsable, d’interlocuteur privilégié incarnant la
continuité des soins. Il n’est en rien dépossédé de sa liberté de
prescription, de décision, mais au contraire, il parvient ainsi plus
sereinement à faire partager ses choix.
Certes, ce modèle d’organisation concerne plutôt des institutions
de soin, de taille suffisante et se consacrant surtout à la cancéro-
logie, mais il peut être un partenaire pour tout médecin et il l’est
assurément dans le cadre d’un réseau.
En conclusion, les responsables politiques, l’opinion publique
demandent que l’épreuve existentielle que représente pour qui-
conque la rencontre avec la maladie cancéreuse soit rendue
moins traumatisante et que les proches soient aidés à en assumer
les fréquentes répercussions familiales. Il s’agit donc pour les
professionnels de la santé de trouver des modalités d’organisa-
tion qui assurent le dépistage, la prévention des troubles psy-
chologiques et des difficultés d’adaptation et si besoin, leur prise
en charge. La coordination des moyens de l’intra- et de l’extra-
hospitalier, la concertation à propos des décisions dans les situa-
tions complexes, une “mutualisation” des ressources nécessitent
de regrouper dans des instances communes les divers profes-
sionnels participant aux soins de support. ■
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La Lettre du Sénologue - n° 18 - octobre/novembre/décembre 2002