e concept de “soins de support”, c’est-à-dire

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L’organisation des “soins de support” :
nouveau défi pour la psycho-oncologie
● P. Saltel*
L
e concept de “soins de support”, c’est-à-dire
“l’ensemble des soins et du soutien nécessaire aux
personnes atteintes de cancer parallèlement aux traitements spécifiques” (définition de la MASCC, 1990) appartient
à une démarche de “soins continus” définis comme “soins appliqués tout au long de la maladie, quels que soient son stade et son
issue, de façon continue et coordonnée, par une même équipe ou
des équipes différentes”. Cela doit s’insérer dans le cadre des
évolutions rapides du système de santé français qui privilégie les
soins ambulatoires, réduit de plus en plus la durée des séjours
hospitaliers, change nos rythmes et, enfin, associe des métiers
différents et des lieux de soins distincts. Comment mieux coordonner des actions relevant de domaines proches ? Par exemple
la psycho-oncologie, la douleur, le “social” ou les soins palliatifs
qui, spécificité de la cancérologie, doivent intervenir tôt dans
l’évolution de la prise en charge.
Les derniers textes réglementaires, comme la nouvelle loi circulaire DGOS du 19 février 2002, proposent, par exemple, de
créer des structures de coordination pour les réseaux de soins
palliatifs (financements spécifiques prévus).
La psycho-oncologie, quels que soient ses lieux d’action, est
donc ainsi interpellée, tant à propos de la discussion de ses objectifs
prioritaires que du mode de participation à la dynamique de pluridisciplinarité qu’implique plus particulièrement le travail en
cancérologie.
Un constat critique des modes de fonctionnement les plus habituels peut être fait.
• Les divers intervenants du champ psycho-social se situent
le plus souvent en quelque sorte en “aval” comme “prestataires
de service” pour le cancérologue et/ou l’équipe de cancérologie.
Cela aboutit toujours peu ou prou à des processus de sélection
des patients ou des problèmes, tant de la part des “demandeurs”
que des acteurs de la psycho-oncologie. Le risque est alors de
privilégier au sein d’un “flux” d’appels souvent hétérogènes, le
profil, la situation, quand ce n’est pas le “demandeur”, qui assurent une certaine efficacité… Ainsi, de nombreux patients sont
exclus de la prise en compte de leurs besoins, en particulier ceux
qui n’expriment aucune plainte et qui sont souvent les plus vulnérables !
• Les moyens attribués au système de santé seront, dans le
futur et sans dramatiser, caractérisés par une pénurie évidente en
personnel et en structures. C’est une révolution culturelle pour
* Unité de psycho-oncologie, Centre Léon-Bérard, Lyon.
La Lettre du Sénologue - n° 18 - octobre/novembre/décembre 2002
nous tous. Le concept de “soins globaux” (ou de “soins continus”)
n’a de sens que si on recourt à une démarche en “réseau”,
permettant de prendre en compte l’ensemble des facteurs déterminants, en particulier la dimension familiale, les contraintes
socio-économiques mais aussi les moyens disponibles, sinon,
parfois, ignorés (par exemple, les “psy” libéraux) et d’assumer
la nécessaire proximité par rapport au domicile des propositions
de soin.
• Une meilleure “éducation du public” est nécessaire ;
consommateurs non avertis, “usagers” selon le terme choisi dans
la nouvelle loi dite de “modernisation sociale”, le patient et ses
proches s’exposent à bien des frustrations… et insatisfactions !
Une évaluation mieux systématisée des dimensions psychologiques et sociales permettrait d’anticiper et de prévenir les difficultés prévisibles. Le cadre d’un “contrat” devrait pouvoir être
discuté, explicité : Que proposent les soignants ? Que peuventils assurer, en indiquant assez tôt ce qu’ils ne font pas ! Certes,
on n’est plus alors dans le domaine du don, ni de la dette, et le
fantasme d’une certaine prolétarisation des soignants dérange.
• L’intervention de divers “métiers”, de nombreux acteurs
appartenant à des unités différentes (UMSP, consultation douleur,
mais aussi service social, unité de nutrition, etc.) peut conduire
à des “clivages”, parfois des oppositions, et chacun des “spécialistes” risque d’autojustifier ses pratiques… plutôt que de vouloir
les inscrire dans une démarche commune et coordonnée. En
outre, les financements par enveloppes très “ciblées” n’encouragent pas à la pluridisciplinarité dans ces domaines !
En proposant de rassembler sous l’entité “soins de support” des
pratiques distinctes, mais intervenant souvent dans les mêmes
circonstances, et de réunir les praticiens dans un même département (dénommé département DISSPO par les Centres de lutte
contre le cancer qui ont choisi d’en organiser récemment), on
facilite une synergie souvent fort efficace des différentes actions
et on peut corriger le constat rapporté ci-dessus. Le recueil de
données pertinentes est accéléré et une confrontation quotidienne des pratiques contraint à une juste hiérarchisation des
urgences et une appréciation de l’utilité relative des décisions
envisagées. Le “signalement” des patients se fait donc à partir
d’une expérience clinique partagée. Une collaboration précoce
de chacun des acteurs inscrit les décisions dans une véritable
continuité, elle permet de mieux anticiper les étapes ultérieures
car les multiples dimensions d’un soin global sont très tôt évoquées et la spécificité de leurs méthodes respectives explicitée.
En outre, pour les patients et leurs familles, une telle institu15
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tionnalisation de ce champ témoigne de l’importance qui lui est
accordée par les équipes soignantes et du souci de ne pas le limiter
aux étapes évoluées de la maladie.
L’enjeu essentiel est donc bien de tendre à assurer à chaque
malade, assez tôt dans sa “trajectoire” de patient, des contacts
“pluriprofessionnels”, indispensables pour permettre que soit
prise en compte la diversité de ses besoins. Mais, et c’est tout
aussi décisif, de faire que chaque infirmière, chaque médecin
reste investi, partenaire de la prise en charge tout au long des
différentes étapes de la maladie. C’est d’une pluridisciplinarité
effective, étendue au sein de ce champ des soins de support et
donc pas seulement aux discussions diagnostiques ou des protocoles thérapeutiques, que l’on peut attendre un développement
mobilisateur conduisant à l’émergence d’une clinique et de pratiques adaptées à la complexité des besoins actuels. Chacun,
dans son propre cadre de référence, peine à répondre à la multiplicité des situations. Cette dimension de “compagnonnage” au
sein d’une même instance entraîne une formation réciproque et
développe, à l’évidence, la compétence de chacun, créant une
intelligence d’équipe.
D’autre part, une “mutualisation” des moyens (locaux, secrétariats, acteurs “bi-appartenants” à plusieurs unités…) confère une
“logistique” satisfaisante assurant à des professionnels souvent
très sollicités, une qualité des conditions de travail qui limite le
risque d’épuisement professionnel, auquel ils sont particulièrement exposés.
La nécessaire “ouverture” sur l’extra-hospitalier implique que
les relations et une connaissance réciproque soient facilitées
avec de nombreux partenaires. Bien souvent, la principale difficulté rencontrée participe d’une dimension de “rythme” : il est
extrêmement délicat d’accompagner ensemble les étapes de
prise de conscience, d’information, d’expression des choix, alors
que le patient va et vient entre plusieurs lieux et différents soignants. C’est une revendication constante des soignants extrahospitaliers d’être non seulement informés, mais mieux associés
à l’élaboration du projet de soin quand la situation du patient
devient plus complexe du fait de l’évolution de la maladie et de
l’apparition de nombreux symptômes difficiles à contrôler. C’est
alors que la “lisibilité”, la possibilité d’anticiper, la compréhension à propos des décisions envisagées sont souvent perturbées.
L’existence d’un département de soins de support constitue un
pôle référent et un “guichet unique” pour la plupart de ces
partenaires de l’extra-hospitalier assurés d’y rencontrer des interlocuteurs habitués à se concerter avec eux.
Au sein d’une telle entité, les psycho-oncologues, dès lors qu’ils
se donnent pour objectif essentiel de participer à une meilleure
adaptation psychologique des patients, de leur famille considérés
comme une population “vulnérable”, trouvent sans confusion
des rôles une possibilité d’inscrire leur démarche dans une dynamique d’interactions efficaces avec les autres soignants. Ceuxci s’autorisent une plus grande liberté de communication avec
leurs patients, élargissent leurs réflexions au contexte familial,
social sans trop craindre d’être démunis devant telle ou telle
réaction émotionnelle inattendue. Mieux informé du projet de
soin, le psycho-oncologue peut prendre l’initiative et proposer,
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par exemple, de prendre contact avec un conjoint, un enfant,
lorsqu’il le juge utile. Impliqué très naturellement dans le processus de soin global en cours, son intervention se révèle mieux
comprise, plus rapidement efficace, relayée par l’ensemble des
soignants.
On peut considérer que cela fait partie déjà de nos modalités
habituelles de travail, mais ce serait faire peu de cas des nombreux
adeptes du “splendide isolement”. Par ailleurs, l’expérience des
équipes qui dès à présent ont choisi ces démarches “intégrées”
montre combien une organisation qui permet au quotidien un
partage d’expérience entre non seulement les cancérologues
mais tous les “spécialistes” des différentes modalités des soins
de support ainsi que les acteurs extra-hospitaliers conduit à
rendre le processus de prise de décision beaucoup plus adapté à
la singularité du cas du patient. On sait combien il est délicat en
cancérologie, lorsque les récidives successives rendent l’évolution
de la maladie éprouvante pour tous, de proposer des aménagements au traitement prévu initialement, de conseiller des changements de lieux de soins. Ce n’est bien souvent qu’après un
temps de concertation, et même de confrontation, de toutes les
catégories de soignants qu’une solution répondant au mieux aux
préférences et aux besoins du patient et optimisant l’ensemble
des possibilités disponibles peut être élaborée.
Autre enjeu important justifiant la création d’un département
indépendant : il est habituel de souligner la difficulté des procédures d’évaluation dans le domaine des “soins de support”, en
particulier quant à l’efficacité des démarches. Elles sont cependant indispensables pour justifier les moyens… Le seul exposé
des objectifs sans réelle connaissance des besoins et des stratégies les plus utiles ne peut qu’enfermer ces pratiques dans un
“sous-développement” durable.
Le cancérologue “référent” trouve auprès d’un tel groupe,
cohérent, efficace, une aide pour assumer jusqu’à son terme la
mission de responsable, d’interlocuteur privilégié incarnant la
continuité des soins. Il n’est en rien dépossédé de sa liberté de
prescription, de décision, mais au contraire, il parvient ainsi plus
sereinement à faire partager ses choix.
Certes, ce modèle d’organisation concerne plutôt des institutions
de soin, de taille suffisante et se consacrant surtout à la cancérologie, mais il peut être un partenaire pour tout médecin et il l’est
assurément dans le cadre d’un réseau.
En conclusion, les responsables politiques, l’opinion publique
demandent que l’épreuve existentielle que représente pour quiconque la rencontre avec la maladie cancéreuse soit rendue
moins traumatisante et que les proches soient aidés à en assumer
les fréquentes répercussions familiales. Il s’agit donc pour les
professionnels de la santé de trouver des modalités d’organisation qui assurent le dépistage, la prévention des troubles psychologiques et des difficultés d’adaptation et si besoin, leur prise
en charge. La coordination des moyens de l’intra- et de l’extrahospitalier, la concertation à propos des décisions dans les situations complexes, une “mutualisation” des ressources nécessitent
de regrouper dans des instances communes les divers professionnels participant aux soins de support.
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La Lettre du Sénologue - n° 18 - octobre/novembre/décembre 2002
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