MISE AU POINT Manifestations rhumatologiques au cours de l’infection à VIH chez les patients sous traitement antirétroviral Rheumatic manifestations of human immunodeficiency virus infection in the era of highly active antiretroviral therapy R. Bileckot*, B.B. Ndamba**, M. Diafouka***, P. Nzounza*** A * Service de rééducation fonctionnelle et d’immunorhumatologie, CHU de Brazzaville, Congo. ** Service de neurologie, CHU de Brazzaville, Congo. *** Centre de traitement ambulatoire de Brazzaville, Congo. u Congo, où la prévalence de l’infection à VIH est de 4,2 % (1), les manifestations rhumatologiques survenant chez les personnes vivant avec le VIH (PVVIH) revêtent différentes formes cliniques (2-4). Les arthrites liées au VIH empruntent la forme d’une polyarthrite ou, rarement, d’une oligoarthrite des petites et grosses articulations, fixe, aiguë, intense, bilatérale, asymétrique, non destructrice, sans enthésite ni rachialgie associée. L’évolution, par poussées, est régressive en 4 à 6 semaines sous anti-inflammatoire non stéroïdien. Les arthrites septiques ne présentent aucune singularité clinique ni biologique, alors que les spondylodiscites sont quasi exclusivement tuberculeuses. Les arthromyalgies et les myosites suppurées sont rares, tandis que les arthrites réactionnelles sont exceptionnelles dans notre expérience. Ces différents symptômes ont été rapportés chez les patients ne recevant pas de traitement antirétroviral. Depuis 2003, le Congo a instauré la gratuité de la prise en charge thérapeutique et globale de l’infection à VIH. Il est alors devenu possible d’étudier l’effet du traitement antirétroviral (ARV) sur la fréquence et les aspects cliniques des manifestations rhumatologiques chez les PVVIH. Cela pourrait en outre contribuer à élucider la pathogénie des arthrites liées au VIH. 26 | La Lettre du Rhumatologue • N° 361 - avril 2010 Patients et méthodes Cette étude rétrospective, longitudinale, descriptive et analytique a porté sur les PVVIH suivies du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2005 au Centre de traitement ambulatoire (CTA) de Brazzaville. Critères et variables de l’étude Ont été inclus les patients séropositifs pour le VIH, sous ARV, présentant des symptômes rhumatismaux lors de l’instauration du traitement ARV. La séropositivité, détectée par deux tests ELISA (ImmunoComb® II et Determine®), était confirmée en Western blot. Les manifestations cliniques de l’infec­ tion à VIH étaient classées selon la classification du Center for disease control (CDC) révisée en 1993. Les symptômes rhumatismaux se décomposaient en arthrites, arthralgies, myalgies, lombalgies, radiculalgies et étaient recherchés lors des différentes consultations. Les variables étudiées étaient : la fréquence des symptômes rhumatologiques, le stade de l’infection à VIH, le taux de CD4 et la charge virale. Sous ARV, l’évolution était favorable sur le plan clinique lorsque les symptômes cliniques rhumatologiques disparais- Points forts »» La fréquence relative des symptômes rhumatismaux chez les sujets sous antirétroviraux est de 13,06 %. »» Les arthrites liées au VIH constituent la manifestation la plus fréquente, suivies par les arthromyalgies. »» Ces arthrites liées au VIH surviennent préférentiellement chez les patients au stade CDC B3 et chez ceux ayant un taux de CD4 < 200 cellules/mm3. »» Les antirétroviraux améliorent les symptômes rhumatismaux, et plus particulièrement les arthrites, dès le premier semestre du traitement. »» L’augmentation du nombre de CD4 et la diminution de la charge virale induites par les antirétroviraux ne paraissent pas avoir d’effet sur l’évolution favorable ou défavorable des arthrites. »» La pathogénie de ces arthrites, qui ne sont pas décrites dans les autres causes d’immunodépression et qui se distinguent des autres arthrites virales par une synovite exsudative, reste à élucider. saient. Sur le plan immunologique, l’évolution était favorable en cas d’élévation du taux de CD4. Elle était défavorable en cas de stagnation du taux, de chute en dessous du taux initial ou encore de perte de plus de la moitié du taux précédemment gagné. Sur le plan virologique, l’évolution était favorable lorsque la charge virale était devenue indétectable. L’évolution clinique, le taux de CD4 et la charge virale étaient appréciés à 6 et 12 mois. Patients et traitements Durant la période d’étude, 1 561 patients ont été enregistrés. Après exclusion de 834 cas reçus uniquement en dépistage, il restait 727 patients. Dans ce groupe, 421 patients étaient sous ARV. Les critères de sélection et de diagnostic ont permis de retenir 55 patients présentant des manifestations rhumatologiques à l’instauration du traitement ARV et chez qui l’effet de ce traitement a pu être déterminé à 6 et 12 mois. Il s’agissait de 17 hommes et 38 femmes, âgés de 14 à 61 ans (moyenne : 42 ± 10 ans). Le sex-ratio homme/femme était de 0,45. Les protocoles thérapeutiques étaient dominés par l’association stavudine/lamivudine/névirapine dans 61,8 % des cas. Venaient ensuite les associations zidovudine/lamivudine/névirapine (32,7 %), stavudine/lamivudine/éfavirenz (3,6 %) et ­zidovudine/­lamivudine/éfavirenz (1,8 %). Analyse statistique Le test de Sokal a été utilisé, au seuil de probabilité de 5 %. Résultats Aspects cliniques et fréquence des manifestations rhumatologiques avant le traitement par ARV Parmi les 421 patients sous ARV, la prévalence des manifestations rhumatologiques était de 13,06 % (n = 55) et celle des arthrites, de 4,75 % (n = 20). Les manifestations rhumatologiques étaient dominées par les arthrites. Le tableau présente les différentes manifestations rhumatologiques et leur fréquence relative. Mots-clés Infection à VIH Arthrite Manifestations rhumatologiques Traitement antirétroviral Keywords HIV infection Arthritis Rheumatic manifestations Antiretroviral treatment Tableau. Aspects cliniques et fréquence des symptômes rhumatologiques. Manifestations rhumatologiques n % Arthrites 20 36,4 Arthralgies 2 3,6 Arthromyalgies 11 20,0 Lombalgie et sciatique mécaniques 16 29,1 Lombalgie inflammatoire 6 10,9 Total 55 100 Les arthrites revêtaient la forme de polyarthrites fébriles, aiguës ou subaiguës, bilatérales, asymétriques des grosses et petites articulations sans élément de diagnostic ni d’orientation vers une arthrite réactionnelle ou infectieuse, constituant ainsi les arthrites liées au VIH. Les arthromyalgies (n = 11) étaient des arthralgies polyarticulaires, fixes, permanentes, d’­intensité modérée, sans synovite, et des myalgies diffuses. L’un des patients présentant une lombalgie inflammatoire était en deuxième phase de traitement antituberculeux. Pour les 5 autres, en l’­absence d’arthralgie périphérique, d’enthésite et de tout autre élément d’orientation, le diagnostic de spondylarthropathie n’était pas certain. Répartition des arthrites selon le stade CDC Abonnezvous en ligne ! Bulletin d’abonnement disponible page 38 www.edimark.fr Selon la classification CDC révisée en 1993, 5 classes étaient représentées : 2 patients étaient en A2, 13 en B2, 24 en B3, 4 en C2 et 12 en C3. Les 20 cas d’arthrite se répartissaient de la manière suivante : 6 en B2, 10 en B3, 1 en C2, 3 en C3. La fréquence des arthrites était significativement plus élevée au stade B3 à p < 5 %. La Lettre du Rhumatologue • N° 361 - avril 2010 | 27 MISE AU POINT Manifestations rhumatologiques au cours de l’infection à VIH chez les patients sous traitement antirétroviral Répartition des arthrites selon le taux de CD4 Évolution des arthrites selon la charge virale Le taux moyen de lymphocytes CD4 avant l’instauration des ARV était de 174,43 ± 97,98 cellules/­mm3. Il était inférieur à 200 cellules/mm 3 pour 36 patients, soit 65,5 % des cas. Il était compris entre 200 et 500 cellules/mm3 pour 18 patients, soit 32,7 % des cas, alors qu’un seul patient (1,8 %) avait plus de 500 cellules/mm3. La charge virale mesurée à 6 mois chez 17 patients était indétectable pour 12 d’entre eux. Mesurée à 12 mois chez ces 12 patients, elle était indétectable. L’évolution clinique favorable ou défavorable des arthrites après 6 et 12 mois de traitement ARV ne différait pas significativement (p < 5 %) selon que la charge virale était détectable ou non. Parmi les cas d’arthrite, le taux de CD4 était inférieur à 200 cellules/mm3 pour 13 patients et compris entre 200 et 500 cellules/mm3 pour 7 patients. Les arthrites prédominaient de façon significative à p < 5 % chez les patients ayant un taux de CD4 inférieur à 200 cellules/mm3. Toutefois, la fréquence des arthrites en dessous de ce taux ne diffère pas de celle de l’ensemble des manifestations rhumatismales. Évolution des manifestations rhumatologiques sous ARV Après 6 mois de traitement ARV, 24 patients ne souffraient plus de douleur rhumatismale. Après 12 mois, 47 ne signalaient plus aucun symptôme rhumatismal. La fréquence relative des manifestations rhumatismales régressait significativement à 6 mois et à 12 mois de traitement à p < 5 %. Concernant plus particulièrement les arthrites, l’évolution clinique sous ARV était favorable à 6 mois dans 9 cas sur 20 et à 12 mois dans 9 cas sur 14 ; 3 cas avaient récidivé entre 6 et 12 mois. Aucun nouveau cas n’était constaté. Toutefois, la fréquence relative des arthrites ne différait pas significativement entre 6 mois et 12 mois de traitement ARV. Évolution des arthrites selon le taux de CD4 Après 6 mois d’ARV, une augmentation du taux de CD4 était constatée chez 43 patients. Après 12 mois, 10 étaient en échec immunologique. L’évolution clinique favorable ou défavorable des arthrites à 6 et 12 mois de traitement ne différait pas significativement (p < 5 %) selon le taux de CD4. 28 | La Lettre du Rhumatologue • N° 361 - avril 2010 Discussion Cette étude a permis de répertorier différentes manifestations rhumatologiques chez les sujets sous ARV et de déterminer leur fréquence et leurs aspects évolutifs. Elle a été rendue possible grâce aux données cliniques et biologiques disponibles d’une institution entièrement dédiée à la prise en charge des PVVIH et qui inscrit les informations congolaises dans le rapport mondial sur le VIH. La prévalence relevée chez les patients suivis en ambulatoire ne peut être comparée à celles observées antérieurement au Congo et dont le recrutement provenait essentiellement du service de rhumatologie du CHU de Brazzaville. C’est ainsi que nous atteignions dans les années 1990 une séroprévalence pour le VIH de 22,8 % en rhumatologie (2). Avec une fréquence de 35,1 % au sein des arthropathies inflammatoires, les arthrites liées au VIH constituaient alors, avec les arthrites septiques et la goutte, les principales causes d’arthrite (5). Les arthrites liées au VIH demeurent la forme clinique la plus fréquente avant et sous traitement ARV. Dans une étude prospective de 270 patients infectés par le VIH, leur prévalence était de 7,8 % (6). Elles surviennent préférentiellement au stade CDC B3 et lorsque le taux de CD4 est inférieur à 200 cellules/mm3. Notre série révèle une diminution de la fréquence des manifestations rhumatologiques sous ARV. Plus particulièrement, l’évolution des arthrites liées au VIH est favorable dès le premier semestre du traitement ARV. Bien que l’évolution favorable se poursuive à 12 mois, la fréquence des arthrites n’est pas apparue significativement différente entre 6 et 12 mois. De même, l’augmentation du taux de CD4 au-delà de 200 cellules/mm3 et la disparition de la charge virale, devenue indétectable, ne semblent pas influencer l’évolution favorable ou défavorable des arthrites. Celles-ci paraissent donc suivre leur propre évolution, rappelant le profil décrit avant le traitement ARV (2, 6). Les ARV ont diminué globalement la prévalence des manifestations rhumatologiques chez les PVVIH, mais ils en ont aussi modifié les formes cliniques. De nouveaux symptômes, tels que les ostéonécroses, sont apparus, tandis que les infections seraient plus nombreuses (7-10). Au terme de 12 mois de suivi, notre série se singularise par l’absence de nouveaux cas d’arthrite et uniquement 3 cas de récidive. Elle ne comporte pas non plus de cas d’ostéonécrose ni d’arthrite septique. Le traitement ARV améliore les symptômes rhumatismaux, mais l’augmentation du nombre de CD4 et la diminution de la charge virale n’ont pas paru avoir d’effet sur l’évolution des arthrites. De telles arthrites ne sont pas décrites dans d’autres formes d’immunodépression. Elles se distinguent également des arthrites des autres viroses par leur mode d’expres­sion caractérisé par une synovite exsudative. Leur pathogénie reste à élucider. ■ Références bibliographiques 1. Enel C, Querre M. La vulnérabilité des femmes face au VIH en République du Congo : les composantes des environnements à risque. In : Desgrées du Lou A, Ferry B (eds). La santé de la repro­ duction confrontée au sida. Enjeux sociaux et comportementaux dans les pays du Sud. Paris : CePeD, 2005. 2. Bileckot R, Mouaya A, Makuwa M. Prevalence and clinical presentations of arthritis in HIV-positive patients seen at a rheu­ matology department in Congo-Brazzaville. Rev Rhum [Engl Ed] 1998;65:549-54. 3. Bileckot R, Mouaya A. Arthrites liées au VIH : une entité à part au cours de l’infection à VIH. Presse Med 1998;27:806-7. 4. Bileckot R. Spondylarthropathy in patients with the HIV. Rev Rhum [Engl Ed] 1998;65:360. 5. 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E U 2 L 010 E Ag urope ain st R an Le heu ag ma ue tism AR Rome, 16-19 juin 2010 Journal en ligne Recevez en direct de Rome les temps forts du congrès sur simple demande à : [email protected] Accédez au compte-rendu présenté sous forme de brèves et d’interviews d’experts, en vous connectant sur www.edimark.fr/ejournaux/eular2010.htm En direct, du 16 au 19 juin dans votre e-mail Avec le soutien institutionnel de et La Lettre du Rhumatologue • N° 361 - avril 2010 | 29