Le Courrier des addictions (18) – n° 2 – avril-mai-juin 2016
13
M
i
s
e
s
a
u
p
o
i
n
t
a
u
p
o
i
n
t
M
i
s
e
s
matérielle du fait de son caractère illégal, est très
différente de l’expérience de consommation d’une
héroïne pharmaceutique, préparée par une infir-
mière, à heures régulières, dans un centre de
soins. La répétition de ces expériences de consom-
mation dans un contexte médicalisé change les
habitudes de l’usager de drogues : l’héroïne, dans
ce contexte, peut devenir un traitement.
Les programmes de soins ont commencé à la fin
des années1990, et 2essais cliniques rando-
misés multicentriques comprenant un suivi
prospectif de 1an, tous 2positifs, ont été remis
au ministère de la Santé néerlandais en 2002.
Toutefois, à l’instar d’autres expériences de pres-
cription d’héroïne médicalisée mises en œuvre
dans d’autres villes européennes ou nord-améri-
caines, ce programme est resté une expérimen-
tation jusqu’en2009. C’est en effet à cette date
que le changement législatif a permis la prescrip-
tion d’héroïne en centre de soins en pratique
clinique, sachant qu’une AMM pour cette molé-
cule avait été obtenue aux Pays-Bas en 2006. Ce
changement de législation intègre la dispensa-
tion d’héroïne médicalisée au programme de
soins, ce qui en assure la pérennité.
Les médecins qui ont participé à la mise en place
et à l’évaluation de ce programme, au vu des
résultats obtenus aux Pays-Bas et dans d’autres
pays qui proposent ce type de traitement, sont
convaincus de l’intérêt de la généralisation des
traitements par héroïne médicalisée(7-9).
Résultats publiés
dans la littérature scientifique
Les 2essais cliniques initiaux commandés par
le ministère de la Santé ont inclus 375patients
qui inhalaient l’héroïne et 174 injecteurs.
Les patients éligibles étaient randomisés pour
recevoir le programme méthadone seule ou
“augmentée” par héroïne prescrite. Dans les
2essais, le nombre de patients participant à
l’ensemble du suivi prévu, soit 12mois, était
d’environ 70 %, statistiquement inférieur à celui
du groupe méthadone (environ 85 %), princi-
palement du fait d’exclusions plus fréquentes
de patients pour violation du protocole dans le
bras des patients traités par héroïne. Néanmoins,
dans les 2essais, le nombre de répondeurs était
supérieur d’environ 20 % dans le groupe héroïne,
ycompris d’après les analyses des résultats chez
les patients “en intention de traiter”, c’est-à-dire
en comptant les perdus de vue comme des
échecs. Ces 2 essais initiaux ont fait l’objet d’une
publication dans la revue Addiction(10).
Une analyse médico-économique incluant les
coûts de santé et de justice économisés par le
programme d’héroïne médicalisée était égale-
ment positive. Celle-ci se fondait notamment sur
le coût sociétal estimé de l’activité criminelle des
usagers de drogues illicites sous traitement par
méthadone avant leur entrée dans le programme
d’héroïne médicalisée, cette activité étant princi-
palement motivée par l’obtention d’héroïne(11).
Le ministère de la Santé dispose également de
données de suivi à 4ans des patients inclus dans
les essais cliniques initiaux(12), d’études quali-
tatives recueillant les effets subjectifs ressentis
par les patients et l’adhésion au traitement et
d’un essai pragmatique d’efficience au-delà de
4ans, portant sur 345 autres personnes.
Une autre étude récente de l’équipe d’Amsterdam,
en collaboration avec celle menée à LaHaye,
portait plus particulièrement sur la réduction
du craving dans les programmes d’héroïne
médicalisée, et montrait que celui-ci diminuait
davantage, malgré l’administration d’héroïne,
que dans le “groupe méthadone seule”(13). Cet
essai clinique randomisé portait sur 73patients
considérés comme mauvais répondeurs au trai-
tement de substitution par méthadone, qui ont
été suivis de façon prospective sur une durée de
1an. L’analyse a porté sur 37patients recevant de
la méthadone et 36suivant le protocole d’admi-
nistration d’héroïne. Ce dernier montrait, au
cours de l’année de suivi, une réduction signifi-
cative du craving pour l’héroïne, et les patients
faisaient part d’une baisse du nombre de jours
de consommation d’héroïne, celui-ci passant
d’environ 25 à moins de5 parmois.
En revanche, dans le groupe méthadone seule,
les consommations restaient stables au cours
du temps. Même si le recueil du craving et des
consommations est déclaratif, le résultat reste
très convaincant. L’ensemble des ces études est
convergent et permet de conclure à une effi-
cacité du traitement par héroïne médicalisée
chez les patients qui sont non répondeurs à un
traitement par méthadone seule.
Toutefois, l’amélioration de la prise en charge de
la dépendance aux opiacés ne règle pas tous les
problèmes de cette population de patients très
polydépendants et atteints de nombreuses comor-
bidités médicales et psychiatriques. Ainsi, dans
une étude comparant les traits de personnalité
d’héroïnomanes occasionnels non dépendants
et non traités à ceux observés chez des patients
héroïnomanes en centre de soins dans les villes
d’Amsterdam et Utrecht, les patients recevant
de l’héroïne médicalisée n’étaient pas considérés
comme différents de ceux recevant de la métha-
done uniquement et constituaient un seul groupe
pour l’analyse(14). L’étude la plus récente publiée
par ce groupe(15) est un essai thérapeutique
randomisé d’une amphétamine à libération
prolongée versus placebo dans le traitement de
la codépendance à la cocaïne, portant sur une
population de patients bénéficiant d’un traitement
par héroïne médicalisée dans plusieurs centres
à La Haye et Amsterdam. En effet, la codépen-
dance à l’alcool et à la cocaïne ou aux psycho-
stimulants est l’un des problèmes persistants
chez les héroïnomanes recevant un traitement
de substitution, quand bien même celle-si se voit
“augmentée” par la prescription d’héroïne.
Dans cette étude méthodologiquement bien
conduite, 73patients ont été inclus et rando-
misés(35 ont reçu le placebo et 38 ont reçu
60mg de dexamphétamine). Ceux qui rece-
vaient le traitement actif ont eu une consomma-
tion de cocaïne significativement moindre, en
moyenne 45jours contre 61jours sur les 3mois
de l’étude. Les effets indésirables dans le groupe
actif étaient mineurs, et n’incluaient notamment
aucun syndrome maniaque ni psychotique. Cela
montre que cette population d’héroïnomanes
souffrant d’une dépendance sévère, nécessitant
un traitement de substitution par méthadone
et héroïne, est suffisamment bien suivie, dans
les conditions d’un essai clinique randomisé,
pour se voir proposer des thérapeutiques consi-
dérées comme à risque d’effets indésirables ou
de détournement.
LA VISITE DU CENTRE
DEVALKENIERSTRAAT
J’ai eu l’occasion de visiter le centre municipal de
traitement de la dépendance aux opiacés situé à
Valkenierstraat en août 2015. Il s’agit d’un des
3 centres de traitement de la dépendance aux
opiacés de la Ville d’Amsterdam. Plusieurs points
me sont apparus importants lors de cette visite.
Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un centre d’héroïne
médicalisée mais bien d’un centre intégré de la
dépendance aux opiacés, très semblable à nos
Centres de soins, de prévention et d’accompa-
gnement en addicto logie (CSAPA), qui dispense
une prise en charge médicale, psychiatrique et
sociale à des poly usagers de drogues.
Sur l’ensemble des 350patients de la file active,
seule une vingtaine sont sous prescription
d’héroïne médicalisée, 8 sous forme injectable
et12 sous forme inhlalée. Mais l’ensemble
du centre bénéficie d’un taux d’encadrement
par les soignants et d’un niveau de sécurité
“tiré vers lehaut” par le programme d’héroïne
médicalisée. Les locaux sont spacieux et bien
entretenus, le mobilier de qualité. On accède
au centre par un sas unipersonnel sécurisé,
auquel est adossé un vestiaire, de sorte que
personne ne peut entrer avec des objets métal-
liques ou accompagné d’un chien. Deux agents
de sécurité, au physique de culturistes, assurent
l’accueil, sur 2plages d’ouverture quotidienne.
Ils gèrent la salle d’attente, l’ordre de passage
des arrivants par une prise de tickets. Ils ont
accès à l’agenda des médecins, des infirmiers
et des assistants sociaux, pour s’assurer que les
patients n’oublient pas un rendez-vous.
Le centre est ouvert quotidiennement sur 3plages
de 3heures, avec présence d’au moins 1médecin,
7jours sur7, et fermé entre ces 3plages. Il reçoit
en moyenne 60patients parjour.
L’équipe de ménage passe également 3fois par
jour après la fermeture. À chaque plage d’ouver-
ture, il y a au moins 2 infirmières : une au niveau
du poste de distribution de méthadone, et l’autre
au poste de prépa ration del’héroïne médica-
lisée. Celui-ci se situe au carrefour de la salle
0013_CAD 13 20/05/2016 11:31:59