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Vieillesse et addictions
Mr X, 63 ans, consommateur d’héroïne
E. Boyard, J.P. Lang *
Un usage d’héroïne débutant après la soixantaine, chez un patient sans
dépendance notoire à autre chose que le tabac, dans un contexte de
premier épisode dépressif, ne doit pas nous épargner une démarche
d’évaluation psychiatrique et cognitive.
Histoire de Monsieur X, 63 ans, “sniffeur” d’héroïne depuis un an, hospitalisé dans le service pour intoxication médicamenteuse volontaire aux
benzodiazépines.
“ Je n’ai pas pensé que
ce serait si dur”
Monsieur X, 63 ans, sans antécédent psychiatrique, a été hospitalisé dans notre
service pour intoxication médicamenteuse
volontaire aux benzodiazépines, dans un
contexte de premier épisode dépressif installé progressivement. Un an plus tôt, il
avait perdu son père. Ce patient, célibataire,
sans enfant, retraité de la CRAV depuis
deux ans, se décrit comme ayant toujours
été très actif. Nageur de haut niveau comme
son père, il est membre actif de divers clubs
sportifs. Élu de son comité d’entreprise, il a
eu une riche vie sociale.
Il raconte qu’il s’est occupé de ses parents
vivant dans la région, son seul frère résidant en région parisienne : de sa mère, tout
d’abord, atteinte d’un cancer du côlon, décédée en 1990, puis, bien plus tard, de son père,
atteint d’une maladie d’Alzheimer. Mr X.
nous parle de cette période particulièrement
difficile de sa vie. Il s’est, dit-il, “surinvesti” dans cet accompagnement de fin de vie
auprès de ce père malade, très exigeant, au
point d’arrêter toutes ses activités. Son père
étant devenu de plus en plus dépendant, il
devait, en effet, assurer une présence quasi
constante auprès de lui, culpabilisant en cas
d’absence, toujours inquiet qu’un incident
ne se produise. “Je n’ai pas pensé que ce
serait si dur”, m’a-t-il dit un jour. C’est
dans ce contexte que, lors d’une des rares
soirées chez des amis qu’il s’autorisait, il se
fait proposer de l’héroïne… “Peut-être que
* CH Erstein, 67152 Erstein.
ça pourrait te remonter !” C’est ainsi qu’au
début de 2005, à 62 ans, il a commencé à
sniffer de l’héroïne. Il décrit sa première
prise comme plutôt agréable, en dépit de
quelques vomissements... Puis il augmente
sa consommation, allant jusqu’à une à deux
prises par semaine, toujours seul, chez lui.
“Aux moments où je n’avais pas le moral.
Avec ça, j’oubliais”, dit-il. Et il en a pris
pendant environ un an, sans rencontrer de
difficulté particulière pour s’approvisionner : “Je passais quelques coups de fil, et
puis voilà !”
Automédication ou troubles
démentiels débutants ?
Pourtant, il décide de faire un sevrage lors
d’une hospitalisation en clinique pour un
autre motif que sa consommation, tout en
refusant tout traitement susceptible de calmer les effets de manque. “La première
semaine, c’était un peu dur”, reconnaît-il.
Alors il prend conscience de sa dépendance et envisage un protocole de sevrage…
Mais, son père décède brutalement d’une
embolie pulmonaire quelques jours plus
tard. De cette consommation d’héroïne,
il dit à plusieurs reprises : “C’est fou, à
63 ans, de prendre ça !” Sinon, pas d’éthylisme, ni jeu ou sexe pathologique, ni dépendance aux benzodiazépines : le score
à l’échelle ECAB est de 2/10, une dépendance étant suspectée au-delà de 6/10. En
revanche, M. X a une tabagie importante à
“43 paquets-années” (1 paquet par jour débuté à 20 ans, au service militaire). Quant à
l’héroïne, il ne la consomme pas autrement
que sniffée. Par principe, on demande des
Le Courrier des addictions (10) ­– n ° 1 – janvier-février-mars 2008
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sérologies des hépatites B, C, et du VIH :
toutes négatives. Mr X. présentait, en début
d’hospitalisation, un discours factice, plaqué, pauvre… Nous nous posons alors la
question : l’apparition d’un premier épisode
dépressif associée à un usage et une dépendance tardifs aux opiacés chez un patient
sans antécédent toxicomaniaque (hormis un
tabagisme actif) ne cacherait-elle pas des
troubles démentiels débutants ? Le patient
ne tente-t-il pas de masquer d’éventuels
troubles mnésiques et cognitifs associés ?
Le Mini Mental Status ? Tout à fait satisfaisant, avec un total de 27/30. Le scanner
cérébral avec injection, en revanche, met
en évidence une atrophie corticale diffuse,
plus marquée au niveau des lobes frontaux.
Pour mieux explorer ces troubles et tenter
de différencier un éventuel début de dégénérescence frontotemporale d’un trouble de
l’efficience transitoire d’origine dépressive,
nous organisons un bilan cognitif plus approfondi, à distance de l’hospitalisation et
de ce premier épisode dépressif qui a bien
sûr été traité.
L e bilan gérontologique
des fonctions cérébrales
Nous avons réalisé le bilan des fonctions
supérieures en hôpital de jour d’évaluation
gérontologique, environ un mois après son
retour à domicile. Les différents tests effectués (MMS, test de l’horloge, cinq mots de
Dubois, fluence verbale, Grober et Buschke,
figure de Rey…) n’ont pas mis en évidence
de signe de démence ni de syndrome frontal, mais uniquement une tendance à la précipitation et une diminution de la mémoire
de travail. Nous proposons tout de même un
bilan de contrôle à six mois. Seule, la surveillance de l’évolution clinique éventuellement associée à une imagerie fonctionnelle
permettra de s’assurer de la bonne évolution de ce trouble cognitif qui semble, dans
ce premier temps, davantage secondaire à
un syndrome dépressif qu’à une pathologie
démentielle. La consommation de toxique
ne peut donc pas, pour l’instant, être attribuée à une désinhibition d’origine frontale,
comme nous l’avions initialement suspecté.
Cet usage d’héroïne, vraisemblablement à
visée autothérapeutique et dopante, nous
rappelle néanmoins que tout trouble de cet
ordre et à cet âge ne doit pas nous épargner
une démarche d’évaluation psychiatrique et
cognitive.
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