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D OSSIER
thématique
Transplantation
combinée
Coordinateur : Y. Calmus
Immuno-intervention par thérapie
cellulaire en transplantation d’organe
solide : petit panorama
Immunomodulation using cell therapy in solid organ transplantation
●●C.●Baron*
RÉSUMÉ
S U M M A RY
L’immunomodulation par injection de cellules du donneur dans le
contexte d’une greffe d’organe a débuté chez l’homme en 1976 et
se rapproche actuellement d’une application clinique. Elle a pour
objectif de créer les conditions d’une tolérance spécifique aux
organes greffés. Cette revue aborde essentiellement les injections
de moelle osseuse ou de cellules souches hématopoïétiques du
donneur avec ou sans conditionnement non myéloablatif afin
de créer un chimérisme hématopoïétique complet ou mixte, les
injections de lymphocytes T régulateurs du receveur, et l’injection
de cellules souches mésenchymateuses du receveur.
Immunomodulation●through●the●injection●of●donor●cells●
in●a●recipient●of●solid●organ●transplantation●has●been●
proposed●in●1976●in●the●human●and●is●now●very●close●
to●clinical●application.●The●aim●is●to●develop●a●state●of●
specifi●c●tolerance.●This●review●reports●the●recent●data●on●
injection●of●bone●marrow●or●hematopoietic●stem●cells●with●
or●without●non●myeloablative●conditioning●regimen●aiming●
to●obtain●a●complete●or●mixed●hepatopoietic●chimerism,●
injection●of●regulatory●T●cells●from●the●recipient,●injection●
of●mesenchymal●stem●cells●from●the●recipient.
Mots-clés : Immunomodulation – Tolérance – Cellules souches
hématopoïétiques – Cellules T régulatrices – Cellules souches
mésenchymateuses.
Keywords: Immunomodulation●–●Tolerance –●Hematopoietic●stem●cells –●Regulatory●T●cells –●Mesenchymal●
stem●cells.
L’
immunomodulation par injection de cellules du donneur
dans le contexte d’une greffe
d’organe est à l’étude depuis le début des
années 1970 sur des modèles animaux
(1), mais aussi chez l’homme puisque
la première tentative a été réalisée par
l’équipe de A.P. Monaco en 1976 (2).
Aujourd’hui, ce type d’immuno-intervention se rapproche d’une application
clinique. Elle a pour objectif de promouvoir un contrôle de la réponse immune
spécifique d’antigène et, plus largement,
de créer les conditions d’une tolérance
spécifique aux organes greffés. D’autres
tentatives d’immunomodulation par
injection de cellules régulatrices du
receveur sont à l’étude.
* Service de néphrologie, CHRU de Tours,
et UE4245, université Rabelais, Tours.
Une immunomodulation spécifique
d’antigène permettrait de garder intactes
les défenses contre les agents infectieux
170
et de respecter l’immunosurveillance
des tumeurs. Elle permet aussi de s’affranchir des effets toxiques propres aux
immunosuppresseurs actuellement utilisés en clinique à long terme. Idéalement,
il s’agit de reprogrammer de façon fiable
le système immunitaire pour induire une
tolérance endogène avec un minimum
de traitements répétés ou prolongés dans
le temps.
Il faut également mentionner les
approches d’immuno-intervention par
thérapie cellulaire qui visent à augmenter une réponse immune spécifique
contre des agents pathogènes par injection de cellules T. Cette approche paraît
aujourd’hui envisageable dans le cadre
des pathologies lymphoprolifératives
induites par le virus d’Epstein-Barr
(EBV) après greffe d’organe solide
notamment.
Le Courrier de la Transplantation - Volume IX - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2009
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thématique
Plusieurs approches d’immunomodulation spécifique – encore à différents
stades d’expérimentation – sont actuellement envisagées. Nous aborderons
essentiellement les injections de moelle
osseuse (MO) ou de cellules souches
hématopoïétiques (CSH) du donneur
avec ou sans conditionnement non
myélo­ablatif ayant pour but de créer un
chimérisme hématopoïétique complet
ou mixte. Nous parlerons ensuite brièvement des injections de lymphocytes
T régulateurs du receveur en étude clinique. Nous insisterons tout spécialement sur ces deux approches car elles ont
déjà atteint le stade des essais cliniques.
L’utilisation de souches mésenchymateuses du receveur est aussi en cours
d’évaluation clinique. Notons qu’un essai
thérapeutique humain en greffe rénale
actuellement mené en Italie (G. Remuzzi
et al.) combine l’injection de cellules
souches mésenchymateuses du receveur
avec une immunosuppression à base de
basiliximab ATG, cyclosporine A et
mycophénolate mofétil (MMF). Cet
essai devrait s’achever en 2010.
En revanche, la mise à profit des capacités immunomodulatrices des cellules
apoptotiques ou des cellules dendritiques
immunomodifiées est encore largement
au stade de l’expérimentation en laboratoire. Enfin, il faut mentionner les
techniques de photophérèse qui visent
à immunomoduler par l’injection de cellules modifiées par des photons UVA.
Cette dernière technique est surtout
utilisée chez l’homme dans des indications spécifiques, comme le lymphome
de Sézary, mais des études humaines
pilotes ont été réalisées dans le cadre
du rejet de greffe. Enfin, rappelons que
les plus anciennes tentatives d’immuno­
modulation par thérapie cellulaire qui
ont montré une efficacité dans la survie
des greffons sont les transfusions sanguines.
Nous ferons le point sur les résultats déjà obtenus chez l’homme, sur les
essais cliniques actuellement en cours
et sur quelques modèles précliniques.
Avant que les techniques de thérapie
cellulaire n’arrivent à une utilisation
clinique crédible, un certain nombre
de problèmes doivent être résolus :
définir un protocole thérapeutique de
préparation à l’injection avec un risque
clinique acceptable en transplantation
d’organes solides, choisir les immunosuppresseurs associés, qui ne doivent
pas être incompatibles avec l’injection
de ces cellules, définir la source, le type,
la quantité et le moment d’injection
des cellules et obtenir la quantité et la
qualité de grade clinique des cellules.
Enfin, il faut disposer d’outils pour
vérifier la modulation immunologique
et sa spécificité et établir le bénéfice
clinique. Toutes les approches visant à
créer un état de tolérance se heurtent
au problème de l’absence de test pour
identifier un patient vraiment tolérant à
son greffon. Actuellement, le seul vrai
test est ­l’arrêt ou la baisse drastique des
immunosuppresseurs, qui pose des problèmes éthiques.
Il faut également observer que les bons
résultats actuels à court terme (faibles
taux de rejet aigu) et dans la survie
des greffons à moyen terme rendent
les études sur l’immunothérapie cellulaire plus difficiles à mettre en œuvre.
­Gardons également en mémoire que, à
ce jour, le seul protocole clinique à avoir
induit intentionnellement ce qui semble
être une tolérance aux greffes d’organe
est fondé sur l’injection de cellules de
MO du donneur associée à un conditionnement non myéloablatif (3).
INJECTIONS DE CSH DU DONNEUR
ET CHIMÉRISME HÉMATOPOÏÉTIQUE
Mettre en œuvre des injections de MO
ou de CSH nécessite que le receveur
soit immunodéficient au moment de
l’infusion des CSH. Chez un receveur
adulte, cette technique fait donc appel le
plus souvent à une immuno-ablation ou
à une déplétion cellulaire initiale (conditionnement) plus ou moins complète
avec des irradiations et/ou des anticorps
antilymphocytaires suivie de l’injection
de MO du donneur et d’une immuno-
171
suppression soit transitoire, soit durable.
Notons cependant que des tentatives
d’injections de MO en périgreffe d’organe avec seulement une immunosuppression conventionnelle sans déplétion
cellulaire ont été menées, notamment
par l’équipe de Pittsburgh.
Les protocoles à base d’injection de
CSH du donneur peuvent être schématiquement regroupés en 4 types d’approche selon l’intensité de la préparation
associée. On distingue ainsi : absence
de préparation spécifique (juste une
immunosuppression conventionnelle),
lymphodéplétion par anticorps antilymphocytaires, irradiation lymphoïde
totale (ILT) associée à des anticorps
antilymphocytaires, myéloablation
intensive (irradiation corporelle totale)
ou avec un conditionnement réduit non
myélo­ablatif. Chacune de ces stratégies
a donné lieu à des essais cliniques.
Globalement, l’intensité de la préparation va déterminer la robustesse de
l’acceptation du greffon. Ainsi, une
préparation myéloablative intensive va
conduire au remplacement durable des
lignées hématopoïétiques du receveur par
celles du donneur (chimérisme complet)
et induire la tolérance la plus robuste.
De nombreux modèles animaux et des
cas isolés chez l’homme ont ­montré
le lien entre ce chimérisme hématopoïétique complet et la tolérance aux
greffes d’organe. Cependant, la morbimortalité induite par cette approche est
importante, liée notamment au risque
de GVH aiguë ou chronique, mais aussi
aux complications infectieuses dues au
conditionnement, ou encore au déficit immunitaire lié au rejet du greffon
médullaire. D’autre part, il faut rappeler que le chimérisme n’est en soi une
condition ni nécessaire ni suffisante pour
induire un état de tolérance (4). Ainsi, les
recherches se sont tournées vers des stratégies de préparation moins agressives se
limitant à une “lympho­ablation” utilisant
une induction par anticorps antilymphocytaires (polyclonaux ou monoclonaux),
ou à une myéloablation non létale afin
de créer un chimérisme mixte tout en
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réduisant le risque de GVH. Historiquement, P.B. Medawar et al. (5) ont été
les premiers à induire une tolérance aux
greffes de peau par l’injection de CSH
à des souris dans la période néonatale
(période durant laquelle les souris sont
naturellement immunodéficientes). La
tolérance était associée à la persistance
d’un chimérisme du système lymphoïde
et était considérée comme due à une
absence d’activité immunologique du
receveur en rapport avec une délétion
centrale (5).
Peu de temps après, J.M. Main et al. (6)
ont montré que la survie d’allogreffes de
peau pouvait être obtenue chez des rongeurs adultes après immunoablation par
une irradiation corporelle totale suivie
d’une greffe de MO du donneur. Chez
l’homme, il est établi que les patients
présentant un chimérisme hématopoïétique après greffe de moelle avec
un conditionnement myéloablatif vont
accepter les greffes rénales du même
donneur sans traitement immunosuppresseur à long terme (7). Cependant,
la morbi-mortalité induite par cette
approche reste trop importante pour être
applicable en routine clinique sur des
patients ne présentant pas de pathologies
malignes.
Injections de MO en périgreffe
sans déplétion cellulaire
Des tentatives d’injections de MO en
périgreffe sans déplétion cellulaire ont
été menées, notamment par l’équipe de
Pittsburgh. Cette stratégie ne conduit
qu’à une augmentation de la fréquence
du microchimérisme à moyen terme, et
les résultats cliniques sont relativement
décevants : il n’y a pas d’effet constaté
sur la survie des greffons (8). Cependant,
cette même équipe a rapporté 2 ans plus
tard (en 1999) une diminution modérée du risque de rejet dans le groupe de
patients ayant reçu une injection de MO ;
cette publication incluait cependant sans
les différencier des greffes de rein, de
foie, de poumon, d’intestin et de cœur
(9). Par ailleurs, soulignons qu’aucune
tentative d’arrêt de l’immunosuppression
n’a été rapportée dans ce contexte.
Injections de MO du donneur
associées à une déplétion
par anticorps antilymphocytaires
Pour les raisons décrites ci-dessus, des
approches visant à diminuer l’immuno­
ablation initiale ont été explorées. Ainsi,
les travaux de A.P. Monaco et al. (10),
qui ont débuté dans les années 1970,
ont démontré sur des souris qu’une
simple lymphoablation avec du sérum
polyclonal antilymphocyte associée
à une injection de cellules de la MO
était suffisante pour prolonger la survie des greffes de peau allogéniques
sans induire une vraie tolérance. À
la fin des années 1990, D.A. Hale et
al. (11) ont montré que l’ajout d’une
injection unique de sirolimus au sérum
antilymphocytaire et à la MO induisait
100 % de tolérance aux greffes de peau
disparates en classe I ou II et qu’une
escalade de la dose de moelle osseuse
de 25 à 150 × 106 cellules augmentait
le niveau du chimérisme et permettait
d’obtenir une tolérance robuste dans
des combinaisons disparates pour les
classes I et II (12). La tolérance spécifique a été confirmée par l’acceptation
du greffon d’un deuxième donneur identique en CMH au premier donneur, et
par le rejet du greffon d’un donneur
non identique. De façon intéressante,
le chimérisme hématopoïétique augmentait avec le nombre de cellules de
MO injectées et était essentiellement
constitué de cellules de la lignée B.
Des expériences avec des souris KO
ont montré que la présence de cellules
exprimant la classe II du donneur était
essentielle dans ce modèle de lympho­
ablation pour induire la tolérance. Ce
type de protocole fondé sur l’injection de
MO associée à une lymphoablation a été
appliqué par plusieurs équipes en transplantation humaine avec des reins de
cadavres. La première publication, sous
l’ère de la ciclosporine, date de 1991.
Les auteurs avaient étudié les cas de
57 receveurs de reins de cadavres traités par des sérums antilymphocytaires
du Minnesota (MALG) et de la MO du
donneur. Les résultats ont montré une
fréquence des rejets identique à celle
du groupe contrôle ne recevant pas de
172
MO, mais la survie des greffons était
cependant meilleure dans le groupe recevant la MO (13). Plus tard, un groupe
de Miami dirigé par J. Miller (14-17) a
rapporté les résultats cliniques (16, 18)
d’un protocole incluant 1 ou 2 injections de doses importantes de MO du
donneur (4-5 × 108 cellules/kg, en périgreffe immédiate, puis environ 10 jours
après) associées à une lymphoablation
par OKT3 et à une immunosuppression
conventionnelle par tacrolimus, MMF
et stéroïdes en transplantation humaine
avec des reins de cadavres. Soixanteneuf patients ont reçu ce type de protocole et leur devenir a été comparé à un
groupe contrôle (n = 219) qui recevait la
même immunosuppression, mais pas de
MO. Après un suivi moyen de 4,7 ans
(extrêmes : 2,9-6,3 ans), il est rapporté
une surmortalité dans le groupe recevant
la MO (9,6 % versus 5,4 %). Cette surmortalité, bien que non statistiquement
significative dans la publication de 2001,
était essentiellement de cause infectieuse
et concentrée durant la première année
après la greffe. En revanche, l’incidence
des rejets aigus était extrêmement basse
dans le groupe MO (3 % versus 13 %
[p = 0,0025]) et l’analyse des fonctions
rénales et des biopsies de greffons suggérait une baisse nette de l’incidence
des rejets chroniques. Parmi les cellules
mononucléées sanguines, un chimérisme
initial d’environ 5 % à 1 mois puis 1,5 %
à 3 mois était observé. À long terme (au
moins 4 ans), un chimérisme de bas
niveau était observé de façon durable,
surtout dans la MO du receveur (environ 1 %), et aucune réaction de GVH
n’était constatée. Notons que, dans cette
approche, on ne connaît pas l’état de
tolérance des receveurs, puisque les
traitements immunosuppresseurs n’ont
jamais été arrêtés.
Injections de MO ou de CSH
du donneur associées
à une irradiation lymphoïde
totale (ILT) et à des anticorps
antilymphocytaires
Une autre approche a été explorée par
l’équipe de S. Strober : elle consiste à
combiner l’injection de MO ou de CSH
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du donneur avec des anticorps antilymphocytaires et une ILT fractionnée (19,
20). L’ILT a d’abord été utilisée pour
traiter les lymphomes de Hodgkin. De
faibles doses répétées de rayons sont
ciblées essentiellement sur certains
organes lymphoïdes (ganglions, rate et
thymus) alors que la MO, le système
nerveux central (SNC), l’intestin et les
poumons sont protégés. Des travaux initiaux portant sur les rongeurs, puis sur
les gros mammifères, ont montré que
l’ILT fractionnée permettait de créer des
chimères hématopoïétiques tolérantes
aux allogreffes tout en prévenant le
risque de GVH (21). Chez l’homme,
l’équipe de S. Strober a rapporté en 1989
l’arrêt de toute immunosuppression avec
succès chez 3 patients greffés rénaux
ayant reçu une ILT fractionnée en prégreffe, mais sans injection de cellules
du donneur (22).
La principale limitation clinique initiale
de cette approche était que l’ILT était
appliquée en prégreffe. S. Strober et al.
ont par la suite développé un protocole
d’ILT postgreffe associée à des anticorps antilymphocytaires d’abord sur
des modèles animaux puis chez l’homme
(23). Chez l’animal, il a d’abord été
montré que l’injection de cellules de
MO du donneur était nécessaire pour
obtenir une tolérance (24). Ce protocole
a ensuite été adapté chez l’homme dans
une étude pilote incluant 4 patients recevant un rein de donneur vivant (23). Le
protocole était le suivant : 6 semaines
avant la greffe, une mobilisation des
­cellules souches par G-CSF était pratiquée chez le donneur avec G-CSF, suivie du recueil des cellules CD34+ selon
une procédure standardisée. L’ATG était
commencé le jour de la greffe et renouvelé à J1, J3, J5, J9 et J14. Les stéroïdes
étaient administrés à partir de J0 et la
cyclosporine à partir de J9. Une ILT
fractionnée de 0,8 Gy était pratiquée par
séances quotidiennes de J1 à J4, puis
de J7 à J11 (8 Gy au total), suivie à J11
d’une injection i.v. de CSH du donneur
(3-8 × 106/kg) avec 1 × 106/kg CD3+ du
donneur. Aucune GVH n’a été observée.
Aucune infection sévère n’a été rappor-
tée, à l’exception d’un zona intercostal.
Un patient a présenté un rejet humoral à J13, réversible sous traitement.
Un macro- ou microchimérisme était
détecté pendant au moins 3 mois après
l’injection de CSH chez les 2 patients
analysés. L’immunosuppression a été
arrêtée chez 2 patients qui ont présenté
un rejet aigu de grade I réversible sous
stéroïdes environ 5 mois après l’arrêt.
En 2008, cette même équipe a rapporté
le cas d’un patient traité sous un protocole similaire avec un recul de 36 mois
après la greffe et de 28 mois après
­l’arrêt de tout traitement immunosuppresseur et chez lequel aucun rejet n’est
survenu. La biopsie du greffon 6 mois
après l’arrêt des immunosuppresseurs
était normale, sans infiltrat cellulaire.
De façon très intéressante, le système
hématopoïétique du patient était resté
chimérique depuis l’injection de CSH
du donneur, et ce chimérisme portait
surtout sur les lignées B et NK (80 %
de ces cellules circulantes étaient issues
du donneur). Cette observation est intéressante puisque dans les modèles animaux d’injections de MO associées à des
anticorps antilymphocytaires sans ILT,
les cellules nécessaires pour induire la
tolérance doivent exprimer la classe II,
comme c’est le cas des lymphocytes B.
Injections de MO du donneur
associées à un conditionnement
réduit non myéloablatif
Afin de diminuer les risques de GVH,
les auteurs ont appliqué dans un premier
temps le protocole dans une combinaison
HLA-identique (25). Dans cette étude,
sur 6 patients, 1 seul rejet aigu, à J100,
réversible sous traitement, a été observé,
5 patients sur 6 ont donc accepté le greffon sans rejet et seuls 2 patients ont présenté une GVH. Au final, 2 patients sont
probablement tolérants (pas d’immunosuppresseurs) avec un recul supérieur
à 4 ans, 1 paraît tolérant (mais le recul
depuis l’arrêt des immunosuppresseurs
n’est que de 6 mois). Deux patients
reçoivent des immunosuppresseurs pour
GVH (MMF ou stéroïdes), pour lesquels
il est difficile de juger de la tolérance.
173
Après les résultats encourageants de
cette étude, la même équipe a proposé
un protocole légèrement modifié chez
5 patients âgés de 22 à 46 ans non
atteints de pathologie maligne et recevant un rein d’un donneur vivant HLA
non identique (haplo-identique). Les
résultats de cette étude ont été publiés
en 2008 (3). Le traitement d’induction
a été modifié en remplaçant l’ATG par
un anti-CD2 qui a été injecté à J – 1, J0
et J1. La cyclophosphamide (60 mg/kg)
était administrée à J – 5 et J – 4. L’irradiation thymique (7 Gy) et la ciclosporine étaient administrées à J – 1. La MO
du donneur était injectée juste après la
greffe rénale. Du fait d’un rejet humoral
à J10 chez un patient, le protocole a été
modifié par l’adjonction d’anti-CD20 et
de corticoïdes avant la greffe. Trois des
5 patients ont une fonction rénale stable
(clairance de la créatinine > 70 ml/­mn)
à 2, 3 et 5 ans après l’arrêt de tous les
immunosuppresseurs et sont donc possiblement tolérants. Un patient a développé un faible niveau d’anti-HLA de
classe II anti-donneur 2 mois après l’arrêt
des immunosuppresseurs, mais il garde
une fonction rénale normale plus de 2 ans
après cet arrêt. Enfin, un patient qui était
immunisé dans le système HLA avant la
greffe a perdu son greffon précocément à
J10 du fait d’un rejet humoral. Ni GVH ni
infections sévères n’ont été observées, et
le chimérisme mixte a été très transitoire
pendant les 15 premiers jours seulement.
Cette étude suggère que la tolérance aux
allogreffes HLA non identiques peut
être induite chez l’homme intentionnellement avec des risques qui semblent
acceptables. Il n’en demeure pas moins
qu’un patient a perdu son greffon d’un
rejet humoral aigu précoce. Cependant,
on ne peut affirmer avec certitude que
les antidonneurs étaient absents avant
la greffe puisque seul un cross match
négatif avec son donneur avait été fait.
UTILISATION DE LYMPHOCYTES  T
RÉGULATEURS DU RECEVEUR
Le phénomène de régulation négative
de la réponse immune est décrit depuis
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longtemps. Mais c’est l’isolement puis
la caractérisation génétique des lymphocytes T régulateurs naturels (nTreg)
CD4+CD25high chez la souris, puis chez
l’homme, qui ont réellement entraîné
un accroissement extrêmement rapide
des connaissances sur ce sujet depuis le
milieu des années 1990. De nombreuses
publications fondamentales ont conduit à
une meilleure caractérisation des modes
d’action des Treg et à la délimitation
de sous-populations grâce à des marqueurs de surface. L’identification de
programmes génétiques relativement
spécifiques à ces cellules a été une
étape importante. Ces nTreg circulent
dans le sang, et le programme génétique
responsable du phénotype suppresseur
est acquis dans le thymus et est stable.
Des modèles animaux ont clairement
montré l’efficacité des lymphocytes Treg
naturels pour contrôler la réponse alloimmune ou auto-immune. Les nTreg ont
un répertoire TCR très diversifié et ont
donc de nombreuses spécificités antigéniques, d’ailleurs plutôt dirigées vers
des antigènes du soi. Rapidement, des
lymphocytes Treg induits après activation par des antigènes spécifiques ont été
caractérisés puis cultivés in vitro. Différents types cellulaires ont été induits in
vitro. Certaines populations cellulaires
partagent de nombreuses caractéristiques
phénotypiques et génétiques avec les
nTreg : il s’agit essentiellement des
CD4+CD25highFoxp3+ induits. D’autres
semblent avoir des caractéristiques différentes, comme par exemple les CD4+Tr1.
La spécificité antigénique de ces cellules
ouvre la perspective de leur utilisation en
thérapeutique pour moduler une réponse
immune spécifique.
Actuellement, il existe plusieurs protocoles d’étude incluant une injection de
Treg dans le contexte de la transplantation
et de l’auto-immunité (26). Deux études
sont en cours : l’une, dirigée par M. Edinger, dans la prévention de la GVH par
injection de Treg du donneur de MO et
l’autre, menée par Herold et Bluestone,
sur l’injection de Treg après expansion
ex vivo dans le diabète de type I. Enfin,
une étude dirigée par C. Bollard est en
cours, visant à induire des Treg in vivo
par injection de faibles doses d’IL-2 après
injection de CSH (26).
■
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Le Courrier de la Transplantation - Volume IX - n o 4 - octobre-novembre-décembre 2009
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