MISE AU POINT
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La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 2 - mars-avril 2005
C
hez la femme, le cancer constitue actuellement en
France la deuxième cause de mortalité, derrière les
maladies cardiovasculaires. Le taux de mortalité par
cancer tous âges confondus est de 21 pour 100 décès, mais, dans
la tranche d’âge 50-65 ans, un décès sur deux est dû au cancer (1).
Entre 1985 et 1995, l’incidence du cancer du poumon chez la
femme a presque doublé, avec, en 1985, 1 892 cas diagnosti-
qués, et 3 578 cas en 1995 (2, 3). Cela s’explique probablement par
l’essor, dans les années 1960, d’un tabagisme féminin. Il est donc
probable que l’on constate avec vingt ans de retard le phénomène
observé outre-Atlantique, où le tabagisme féminin avait débuté
dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1950, aux États-
Unis, la mortalité par cancer du poumon représentait chez la
femme 3 % des décès par cancer (4). Entre 1968 et 1999, le taux
de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) chez les
femmes a augmenté de 382 %, et le taux de cancer du poumon
de 266 % (alors qu’il diminuait dans le même temps de 15 % chez
l’homme) (5). Depuis 1987, le cancer bronchique représente aux
États-Unis la première cause de mortalité par cancer chez les
femmes, devant les cancers du sein, avec un taux de 22 % (4),
alors qu’en France il est passé de la sixième place en 1985 à la
troisième place en 1995.
L’évolution des types histologiques au fil du temps chez les femmes
est très différente de ce que l’on a observé chez les hommes. Chez
ces derniers, le carcinome épidermoïde est en recul et, même s’il
reste le type histologique dominant dans les pays de l’Europe du
Le cancer bronchique chez la femme
Women lung cancer
B. Mennecier*, E. Quoix*
* Service de pneumologie, hôpital Lyautey, CHU de Strasbourg,
© La Lettre du Pneumologue - Vol. VIII - n
o
1 - janvier-février 2005.
Résumé :
Le cancer bronchique est actuellement, depuis 1995, la troisième cause de mortalité par cancer chez la femme en
France et sa fréquence continue d’augmenter. Il présente de multiples spécificités, par rapport au cancer bronchique masculin.
Le type histologique prédominant est l’adénocarcinome. Parmi les facteurs de risque, on note en général chez les femmes, par
rapport aux hommes, un tabagisme moindre au moment du diagnostic, ce qui fait suspecter une plus grande sensibilité aux car-
cinogènes du tabac ou l’existence d’autres facteurs de risque plus spécifiques, notamment hormonaux. Cliniquement, le cancer
survient souvent à un âge inférieur chez les femmes, et l’on note plus de formes asymptomatiques que chez les hommes. Certains
symptômes sont plus fréquents chez les femmes (toux, dépression réactionnelle, hippocratisme digital, etc.), alors qu’elles pré-
sentent moins d’hémoptysies, de pertes de poids, de douleurs thoraciques ou d’infections pulmonaires, et moins de comorbidités
que les hommes. La prise en charge diagnostique et thérapeutique diffère parfois en fonction du sexe, mais cette différence
s’explique probablement par la plus grande fréquence de l’adénocarcinome chez les femmes. Celles-ci semblent plus sensibles
aux effets toxiques de la chimiothérapie et de la radiothérapie. Enfin, il semble établi que la survie aux cancers bronchiques est
meilleure chez les femmes.
Mots-clés :
Cancer bronchique - Femmes - Spécificités - Sexe.
Summary :
Since the middle of the 90’s, lung cancer is the 3rd cause of cancer-related mortality in France and is still increasing.
Many specific features have been reported in women when compared to men. Adenocarcinoma is the leading histological sub-
type in women. At time of diagnosis, women are usually younger than men and report a significant lower smoke exposure than
men. Women could be either more sensitive to tobacco carcinogenesis or exposed to specific risk factors (i.e. estrogens for
example). Regarding the clinical features, cough, depression and digital clubbing are more frequent among women when com-
pared to men, whereas lost of weight, haemoptysis or chest pain occur more frequently in men.
Diagnosis and therapeutic managements do not significantly differ between men and women. Women appeared to have less
co-morbidities but to be more sensitive to chemotherapy and radiotherapy-related toxicities. Survival in lung cancer patients is
better among women.
Keywords :
Lung cancer - Women - Gender - Differences.
Sud, il n’occupe déjà plus que le deuxième rang en Amérique du
Nord et dans la plupart des pays d’Europe du Nord. Chez la
femme, l’adénocarcinome est le type histologique dominant.
Dans l’étude française effectuée dans les centres hospitaliers
généraux, il représentait 45,3 % des cancers bronchiques chez les
femmes, contre 27,2 % chez les hommes (p < 0,0001) (6). On
note ensuite chez les femmes, par ordre de fréquence, le cancer à
petites cellules (CPC) et le carcinome épidermoïde (6, 7). Il est pro-
bable que la plupart des différences observées chez les femmes
soient directement liées à des modifications des habitudes taba-
giques par rapport aux hommes. La prédominance des adénocar-
cinomes pourrait par exemple être au moins en partie le reflet
d’une consommation plus importante de tabac blond (riche en
nitrosamines) et de cigarettes avec filtre, qui imposent des ins-
pirations plus profondes et prolongées, et ne laissent passer que
les plus petites particules, lesquelles peuvent aller se déposer très
loin dans l’arbre bronchique. Cette prédominance histologique
entraîne des différences de présentation clinique et radiologique
chez les femmes.
Plusieurs publications se sont attachées à comparer le cancer bron-
chique chez les hommes et chez les femmes, qu’il s’agisse de sa
présentation clinique, des facteurs de risque retrouvés, de sa prise
en charge diagnostique et thérapeutique ou de la survie.
LES FACTEURS DE RISQUE
(figure 1)
Le rôle du tabagisme
Plusieurs études rapportées dans la littérature ont fait naître l’hypo-
thèse selon laquelle les femmes pourraient présenter une sensibi-
lité accrue aux carcinogènes de la fumée de tabac, et développe-
raient plus rapidement des cancers bronchiques, même si l’on
tient compte à la fois du niveau d’exposition, du poids, de la taille
et de l’indice de masse corporelle. Les résultats sont en général
exprimés à l’aide d’odds-ratios (OR) lorsqu’il s’agit d’études cas-
témoins ou de risques relatifs (RR) lorsqu’il s’agit d’études de
cohortes. Ces deux outils statistiques permettent de comparer le
risque de survenue de tel ou tel événement dans deux populations
(en l’occurrence, les hommes et les femmes). Lorsque les effec-
tifs sont importants, l’OR prend pratiquement la valeur d’un RR.
Dans la plupart de ces études (tableau I), réalisées le plus sou-
vent en Amérique du Nord et concernant tous les types histolo-
giques, le risque pour les femmes de présenter un cancer bronchique
est de 1,5 à 3 fois supérieur à celui des hommes, à tabagisme égal
(8-14). Le tabagisme, chez les patientes de ces études, débute plus
tardivement (12, 13), dure moins longtemps (12) et est moins
intense (13, 15). D’autres études réalisées dans les mêmes périodes
(16-19), mais le plus souvent en Europe, n’ont pas mis en évi-
dence de différence significative, à tabagisme égal (tableau II).
Il est donc très difficile de savoir s’il existe véritablement une dif-
férence de sensibilité vis-à-vis des carcinogènes du tabac liée au
sexe, et de déterminer les mécanismes qui pourraient le cas échéant
l’expliquer. Les lésions provoquées sur l’ADN, les systèmes de
détoxification, l’activation des proto-oncogènes, les mutations de
p53, etc. ont ainsi fait l’objet d’études chez les femmes.
Les lésions de l’ADN induites par le tabac sont plus fréquemment
retrouvées dans le sang périphérique chez les femmes que chez
les hommes, quelle que soit l’importance de l’exposition tabagique,
et ces lésions sont directement corrélées au risque de cancer (20, 21).
Mais, paradoxalement, une étude (22) concernant des patients de
plus de 40 ans présentant un tabagisme supérieur à 20 paquets-année
a mis en évidence un taux statistiquement plus faible (p = 0,048)
de lésions pré-invasives chez les femmes que chez les hommes,
à tabagisme égal. Le risque est également plus faible chez la femme
lorsqu’on ne s’intéresse qu’aux lésions de haut grade (14 % versus
31 % ; OR : 0,18 ; IC95 : 0,04-0,88) (22).
Les mutations de K-Ras, le proto-oncogène le plus concerné par
les mutations induites par le tabac, semblent être plus fréquentes
chez les femmes fumeuses que chez les hommes, avec un OR à
3,3 (23). Dans une étude concernant une population taïwanaise,
de telles mutations ont été détectées chez des non-fumeuses, mais
jamais chez des non-fumeurs (24).
Les études concernant la fréquence des mutations de p53 en fonction
du sexe rapportent en revanche des résultats plus discordants (25-27).
Le polymorphisme génétique est également souvent évoqué pour
Figure 1. Principaux facteurs de risque de cancer bronchique chez la femme.
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La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 2 - mars-avril 2005
Estrogènes naturels
GST M1 nul
Mutation de K-ras Exposition domestique
(radon, kang, etc.) Expositions
professionnelles
Hyperexpression
récepteur GRP 2 chromosomes X
?
THS estrogénique Terrain hormonal – E1 et E2 naturels
– THS estrogénique
(traitement hormonal substitutif)
– date de ménopause
Cancer bronchique
chez les femmes
Antécédents de pathologie pulmonaire
(emphysème, asthme, bronchite chronique)
Haplotype XPD Lys751Gln
TABAC
MISE AU POINT
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La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 2 - mars-avril 2005
expliquer les variations individuelles du risque lié au tabagisme (28).
L’importance de l’activité glutathion S-transférase M1 (GST M1)
a été démontrée dans la genèse des cancers du poumon chez les
fumeurs. Une déficience de cette activité semble être associée à une
augmentation du risque, avec un OR à 1,7 (IC95 : 1,0-3,0) (29). La
délétion homozygote de ce gène paraît associée à un accroissement
du risque chez les fumeurs, avec un OR de 3 chez les femmes et de
1,4 chez les hommes (30). Les études réalisées exclusivement chez
les femmes (28, 31) ou sur des populations de non-fumeurs des deux
sexes (32-34)montrent cependant des résultats contradictoires. Ben-
nett et al. (28) ainsi que Dressler et al. (33) mettent en évidence un
risque accru de cancer en cas d’exposition au tabagisme passif chez
les femmes porteuses du génotype GST M1 nul, avec, respective-
ment, un OR de 2,6 (IC95 : 1,1-6,1) et de 3,48 (IC95 : 0,67-18,18),
alors que deux autres études (32, 35) ne retrouvent pas de rôle de ce
génotype dans la survenue des cancers bronchiques. Plus récemment,
une étude danoise ayant porté sur 265 cas de cancer bronchique a
montré qu’un haplotype (XPD Lys751Gln, porté sur le chromo-
some 19) considéré comme à haut risque pour le cancer du sein chez
les femmes ménopausées était également associé à un plus fort
risque de cancer bronchique chez les femmes de 50-60 ans, alors qu’il
n’y a pas de lien significatif chez l’homme, quel que soit l’âge (36).
Tableau I.
Études en faveur d’une sensibilité accrue aux carcinogènes du tabac chez les femmes.
Études Années Pays Patients Principaux résultats
Engeland et al. (9) 1966-1993 Norvège 333 hommes * RR 2,3 fois plus élevé chez les femmes que chez les hommes,
102 femmes quel que soit le niveau de tabagisme
* Tabagisme < 1 p/j : 95,4 % des femmes vs 78 % des hommes
Risch et al. (14) 1981-1985 Canada 403 hommes * OR toutes histologies : 27,9 vs 9,6
442 femmes * CPC si tabagisme : OR 48 vs 6,33
* CPC si plus de 40 PA : OR 87,3 vs 14,9
* Pas de différence en termes de durée d’exposition
* Consommation journalière moyenne : 22,8 cig/j vs 26,1 cig/j
* Exposition cumulée : 43,7 PA vs 51 PA
McDuffie et al. (12) 1979-1983 Canada 730 hommes * Début du tabagisme : 19,3 ans vs 16,5 ans (p < 0,001)
197 femmes * Durée d’exposition : 41 ans vs 47,4 ans (p < 0,001)
* Consommation journalière : 23,6 cig/j vs 26,7 cig/j (p < 0,05)
Brownson et al. (10) tats-Unis 14 596 patients * Tabagisme : OR 12,7 vs 9,1
(Missouri)
Harris et al. (11) 1972-1992 États-Unis 2 829 hommes * RR femmes/hommes : 1,7 quel que soit le niveau de tabagisme
(New York) 1 348 femmes
Zang et al. (13) 1981-1994 États-Unis 1 108 hommes * OR femmes/hommes : 1,2 à 1,7 en fonction du type histologique
(New York) 781 femmes
vs : versus (la première valeur étant toujours la valeur correspondant à la population féminine de l’étude) cig/j : cigarettes/jour
RR : risque relatif p/j : paquets/jour
OR : odds-ratio PA : paquets-année
CPC : cancer à petites cellules
Tableau II.
Études n’ayant pas mis en évidence de sensibilité accrue aux carcinogènes du tabac chez les femmes.
Études Années Pays Patients Principaux résultats
Prescott et al. (16) 1964-1992 Danemark 664 hommes *RR femmes/hommes : 0,8 (IC
95
: 0,3-2,1)
203 femmes
(étude prospective
sur 30 874 patients)
Nordlund et al. (17) 1964-1989 Suède 56 000 patients * RR variable selon l’importance du tabagisme : 2,1 à 16,5 vs 1,6 à 17,9 (p = NS)
Kreuzer et al. (19) 1988-1994 Allemagne 3 723 hommes * En cas de tabagisme :
Italie 900 femmes – toutes histologies : OR 4,2 vs 16,1 (p < 0,0001)
– CPC : OR 9,5 vs 40,1 (p < 0,0001)
* Après ajustement sur le tabagisme (quantité, durée, intensité, etc.) :
OR 2,7 vs 3,3 (p = NS)
Osann et al. (18) 1984-1986 États-Unis 1 153 hommes * Après ajustement sur l’âge et l’ethnie : OR 15 vs 19,7 (p = NS)
(Californie) 833 femmes
OR : odds-ratio vs : versus (la première valeur citée correspond aux données de la population féminine de l’étude)
RR : risque relatif CPC : cancer à petites cellules
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La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 2 - mars-avril 2005
Enfin, Shriver et al. (37) ont étudié l’expression des récepteurs
aux gastrin-releasing peptides (rGRP) – peptides de la famille
bombesin-like qui jouent un rôle très important sur la stimulation
de la prolifération cellulaire – sur des cellules bronchiques exposées
in vitro à la nicotine. Les résultats des prélèvements bronchiques
montrent que, en l’absence de tabagisme, ces récepteurs sont spon-
tanément exprimés chez 55 % des femmes, contre 0 % pour les
hommes. Pour un tabagisme inférieur à 25 paquets-année, ces récep-
teurs sont présents chez 75 % des femmes, contre 20 % pour les
hommes (p = 0,018). La synthèse d’ARN messager codant pour
ces rGRP apparaît, pour un tabagisme moyen, très inférieur chez
les femmes, par rapport aux hommes (à respectivement 37,4 paquets-
année versus 56,3 paquets-année ; p = 0,037). Le taux des récep-
teurs devient alors maximal au niveau des cellules épithéliales et
des fibroblastes, ce qui confère à ces récepteurs une très grande affi-
nité pour la nicotine. Une hypothèse évoquée par les auteurs est
que l’hyperexpression, chez les femmes, de ces récepteurs dont
le gène est porté par le chromosome X dans une zone ne subissant
pas d’inactivation pourrait expliquer l’hypersensibilité féminine
(si elle existe réellement) aux carcinogènes du tabac.
Le rôle du terrain hormonal
Le rôle des hormones reste à préciser. Il semble bien établi que les
estrogènes, y compris E1 et E2 naturels, soient capables d’induire
des altérations chromosomiques et des mutations génétiques pou-
vant engendrer des adénocarcinomes (38). Une étude portant sur
180 femmes ayant un adénocarcinome bronchique primitif (39)
a par ailleurs montré qu’il existait une interaction statistiquement
significative entre les traitements substitutifs à base d’estrogènes
et le tabagisme dans le risque de survenue d’adénocarcinome.
Dans cette étude, par rapport à une population de 303 femmes non
fumeuses sans hormonothérapie substitutive, l’OR pour l’adéno-
carcinome était de 13,1 (IC95 : 6,8-25,2) en cas de tabagisme seul
et de 32,4 (IC95 : 15,9-665,3) en cas d’association à un traitement
hormonal substitutif (p = 0,0001). À l’inverse, une ménopause pré-
coce (avant 40 ans) était associée à un risque inférieur d’adéno-
carcinome (OR = 0,3 ; IC95 : 0,1-0,8). La présence de récepteurs
αet βaux estrogènes a été mise en évidence sur des cellules
tumorales bronchiques, avec une expression plus fréquente chez
les femmes (40). De cette façon, les estrogènes pourraient jouer
le rôle de promoteurs tumoraux au travers d’un mécanisme médié
par les récepteurs. Enfin, les estrogènes ont aussi été impliqués
comme des carcinogènes directs qui, après une activation en caté-
chol-estrogènes, peuvent former des adduits avec l’ADN. Les estro-
gènes peuvent également altérer l’activation métabolique des car-
cinogènes du tabac. Ainsi, le gène CYP1A1 pourrait être induit
par les estrogènes (41).
Les antécédents personnels
Dans une étude fondée sur le registre du cancer du Missouri (États-
Unis) (42), l’ensemble des antécédents pulmonaires et bronchiques
combinés étaient associés à une augmentation du risque de cancer
bronchique chez les femmes, avec un OR de 1,5 (IC95 : 1,2-1,9).
Les auteurs soulignent toutefois que bon nombre de pathologies
sont enregistrées comme “antécédents” et ne constitueraient en fait
que des signes précoces du cancer bronchique non encore diagnos-
tiqué. Lorsqu’ils ne considèrent plus que les antécédents diagnosti-
qués plus de trois ans avant l’apparition du cancer, seul l’emphysème
garde un rôle statistiquement significatif. Néanmoins, l’existence
d’un antécédent de maladie respiratoire bénigne (emphysème, bron-
chite chronique, asthme, etc.) a été retrouvée plus fréquemment
chez les femmes non fumeuses ayant développé un cancer bron-
chique que dans une population contrôle (43).
Les expositions professionnelles
Les expositions professionnelles sont bien entendu moins fréquentes
chez les femmes. Néanmoins, on a pu démontrer, au même titre que
chez les hommes exerçant la même profession, un excès de can-
cers bronchiques chez les conductrices de bus et de tramways (44).
Il faut dire que, dans ce cas précis, plus que d’une exposition “pro-
fessionnelle”, il s’agit d’une exposition aux polluants urbains et
aux émanations de diesel.
Le rôle de l’environnement domestique
Ce rôle a été étudié chez les femmes essentiellement en ce qui con-
cerne l’exposition au radon et aux fumées dégagées par les combus-
tibles utilisés pour la cuisson des aliments, ou encore le chauffage.
Le rôle de l’exposition au radon est encore l’objet de controverses,
celles-ci étant probablement liées en partie aux difficultés d’éva-
luation de l’exposition 20 ans au moins avant la survenue du cancer.
Une étude cas-témoins portant sur 433 cas de cancers bronchiques
féminins et 402 contrôles dans le New Jersey (45)a montré, après
appariement sur l’âge, le tabagisme et la profession, une ten-
dance significative à l’augmentation du risque en fonction du niveau
d’exposition au radon dans les maisons. Cette association était
plus forte chez les femmes fumant moins de 15 cigarettes par jour
que chez les grandes fumeuses. Une étude suédoise montre éga-
lement une tendance significative après ajustement sur l’âge, le
tabagisme et le mode d’habitat urbain ou rural (46).
En revanche, une étude chinoise réalisée à Shenyang (47)ne montre
pas d’association entre le degré d’exposition au radon et le risque
de cancer bronchique. Il faut dire qu’il existe en Chine une autre
source de pollution jouant un rôle beaucoup plus important que le
radon, à savoir l’exposition aux fumées d’huile ou de charbon (ou
autres combustibles fossiles utilisés dans les fours pour la cuisson
mais aussi pour le chauffage, avec le kang, qui se place sous le
lit). On a en effet constaté une incidence anormalement élevée
(20/100 000) de cancers bronchiques chez les femmes, alors même
que seuls 6 % des adénocarcinomes (représentant 61 % des cancers
bronchiques) pouvaient être attribués au tabagisme (48). À She-
nyang, le tabagisme expliquait environ 37 % des cancers bronchiques
chez la femme. Après ajustement sur l’âge, le tabagisme et le
niveau d’éducation, un lien a été démontré avec le nombre
d’années d’utilisation du kang et avec la présence de la cuisinière
dans la chambre à coucher depuis plus de 30 ans (49).
Le tabagisme passif
Il s’agit du facteur d’exposition environnementale le plus étudié
dans la littérature parue depuis près de 30 ans. Dès 1978, en effet,
Dagle et al. (50) ont démontré le pouvoir carcinogène de la fumée
de cigarette, notamment du “courant secondaire” (c’est-à-dire la
fumée émise par le fumeur) et du “courant tertiaire” (la fumée émise
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La Lettre du Cancérologue - Volume XIV - n° 2 - mars-avril 2005
par la cigarette qui se consume) sur des rats. Compte tenu des habi-
tudes tabagiques (c’est-à-dire du sex-ratio très en faveur des hommes
dans la population des fumeurs) ayant eu cours jusqu’à la fin des
années 1970, il avait été avancé que la fumée produite à domicile par
l’entourage familial fumeur pourrait être impliquée dans la survenue
de cancers bronchiques chez des femmes non fumeuses. Dans les
années 1980, une étude suédoise démontrait l’augmentation du risque
de cancer bronchique chez les femmes exposées à un tabagisme pas-
sif (51). En 1992, l’agence américaine de protection de l’environ-
nement estimait que le tabagisme passif pouvait être responsable de
3000 décès par an aux État-Unis.
En pratique, même s’il a été démontré que l’interrogatoire peut être
considéré comme fiable et reproductible dans le temps (52), il
demeure très difficile d’évaluer et de quantifier précisément l’expo-
sition au tabagisme passif (52, 53). De plus, il n’existe pas actuelle-
ment de dosage de marqueur biologique validé pour aider à appré-
cier cette exposition, et l’on note le plus souvent une discordance
entre les études expérimentales et les données épidémiologiques
(54). Charloux et al. (53)ont repris les résultats des différentes études
réalisées sur ce sujet entre 1981 et 1994. Sur 12 études de type cas-
témoins publiées entre 1987 et 1994 et concernant de 23 à
653 patients, les OR relevés dans la population exposée étaient com-
pris entre 1,13 et 2,6. Les deux études de cohortes réalisées entre 1960
et 1981 retrouvent des RR entre 1,18 et 1,45. Enfin, 5 méta-analyses
effectuées à partir des résultats de différents pays retrouvent des RR
compris entre 0,95 et 2,01 (53).
Les études publiées plus récemment (31, 34, 55, 56) retrouvent des
OR compris entre 1,10 (55) et 2,6 (35), en fonction du type d’expo-
sition (familiale, professionnelle, sociale) (55), de l’importance du
tabagisme du (ou des) fumeur(s) responsable(s) de l’exposition (57),
et du caractère poursuivi ou interrompu de l’exposition (35).
Une étude épidémiologique (54) a mis en évidence un risque supé-
rieur mais non statistiquement significatif pour les femmes exposées au
tabagisme passif, par rapport aux hommes exposés de façon com-
parable (OR : 1,6 [IC95 : 0,7-3,8] versus 1,1 [IC95 : 0,6-1,9]). Les auteurs
pensent que c’est probablement la faible puissance statistique liée
aux petits échantillons qui empêche d’atteindre le seuil de signifi-
cativité. Enfin, dans une étude récemment publiée (58), sur
810 patientes présentant un cancer bronchique, seules 4,6 % n’avaient
jamais été exposées au tabagisme, ni actif ni passif. Parmi les non-
fumeuses, 82 % étaient exposées au tabagisme passif, parental le
plus souvent, marital (44 %) ou sur le lieu de travail (37 %) (58). La
question du tabagisme passif n’est donc pas très bien tranchée, même
s’il semble que son importance reste actuellement sous-estimée.
Les facteurs alimentaires
La consommation de légumes verts et de carottes en grande quan-
tité ainsi que de fruits riches en vitamine C est le plus souvent
retrouvée comme facteur protecteur du cancer bronchique (59-
62), avec des RR par rapport à une population témoin compris
entre 0,4 (59) et 0,79 (61).
Il est toutefois difficile de savoir avec précision qui bénéficie de
cette “protection”. Une étude (61)ne retrouve cet effet protecteur
que chez les femmes, alors qu’une autre (63), au contraire, ne met
en évidence qu’un avantage chez les hommes. Une dernière étude,
enfin, ne retrouve pas de différence liée au sexe (34).
PRÉSENTATION CLINIQUE ET RADIOLOGIQUE
DU CANCER BRONCHIQUE CHEZ LES FEMMES
L’âge au moment du diagnostic
Les données concernant l’âge au moment du diagnostic sont dis-
cordantes dans la littérature. De Perrot et al. (64) ont comparé
198 femmes et 839 hommes opérés pour un cancer bronchique
non à petites cellules (CBNPC) dans le même hôpital entre 1977 et
1996. Les résultats montraient un âge moyen comparable dans
les deux populations (respectivement de 61±9ans et de
62 ± 10 ans ; p = 0,8). Ouellette et al. (65), rapportent également
un âge moyen comparable chez 104 femmes et 104 hommes étu-
diés de mars 1988 à juin 1990.
En revanche, deux autres études nord-américaines (12, 66), portant
respectivement sur 927 patients ayant un cancer bronchique tous
stades et toutes histologies confondus et 481 patients opérés d’un
CBNPC, rapportent un âge au diagnostic significativement infé-
rieur chez les femmes. Dans la première série (12), l’âge moyen
des 197 femmes est de 63,5 ± 0,85 ans, contre 67,6 ± 0,37 ans pour
les hommes (p < 0,0001). Dans la seconde (66), l’âge moyen des
186 femmes est de 60,7 ± 0,8 ans, contre 63,6 ± 0,6 ans pour les
hommes (p = 0,005). Une série polonaise récente concernant
2875 femmes et 17 686 hommes retrouve également un âge infé-
rieur chez les femmes (60,02 ans versus 62,18 ans ; p < 0,001)
(67). Enfin, dans une étude prospective de 4 618 patients de la
Mayo Clinic, l’âge des femmes au moment du diagnostic de can-
cer bronchique était significativement inférieur à celui des
hommes (66 ans versus 68 ans ; p < 0,01) (15).
Les symptômes
De Perrot et al. (64)ont également comparé les symptômes présen-
tés le plus fréquemment par les patients de leur série. Il apparaît que
32 % des femmes versus 20 % des hommes sont asymptoma-
tiques au moment du diagnostic (p = 0,006). Par ailleurs,
lorsqu’elles présentaient des symptômes, on notait chez les femmes
moins d’hémoptysies (p < 0,01), moins d’infections bronchopul-
monaires récidivantes (p = 0,007), moins de douleurs thoraciques
(p = 0,02) et une perte de poids moins fréquente (p = 0,02). La
toux, en revanche, n’était pas significativement plus fréquente
chez les femmes (15 %, contre 11 % chez les hommes). Il s’agit
pourtant du signe clinique le plus fréquemment retrouvé dans
l’une des premières études à s’être intéressée au cancer bron-
chique, sur une série de 50 femmes (68). Il semble en effet que
les femmes ont une sensibilité significativement accrue au réflexe
de toux par rapport aux hommes (69).
La dépression réactionnelle est également plus souvent retrou-
vée chez les femmes (70). Toutes histologies confondues, la pré-
valence de la dépression est de 41 %, contre 29 % chez les
hommes (p = 0,0004). Cette différence se retrouve dans le groupe
des CBNPC (31 % chez la femme versus 19 % chez l’homme ;
p=0,007). En revanche, elle n’est plus significative pour les
CPC (p = 0,26) (70).
Une étude (71) a également évalué l’évolution du poids chez des
patients ayant un CBNPC. Il apparaît que les femmes perdent
moins de poids (évalué entre le diagnostic et le dernier contact
avec le patient), avec 2,7 kg perdus contre 6,1 kg pour les hommes
.../...
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