Article original
Psychothérapies et thérapies psychomotrices avec des enfants
et des adolescents : indications, spécificités, différences
Psychotherapies and psychomotor therapies for children and adolescents:
indications, specificities, differences
J.-P. Raynaud
a,*
, C. Danner
b
, J.-P. Inigo
c
a
Service universitaire de psychiatrie de lenfant et de ladolescent, CHU de Toulouse, TSA 60033, 31059 Toulouse cedex 09, France
b
Service de psychiatrie de lenfant et de ladolescent, CHS Gérard-Marchant, 134, route dEspagne, 31057 Toulouse cedex 01, France
c
55, rue Pech, 31100 Toulouse, France
Résumé
Cette communication a été présentée initialement dans le cadre de la journée scientifique de la Société française de psychiatrie de lenfant et
de ladolescent et des disciplines associées, consacrée à la psychomotricité et à ses liens actuels avec la psychiatrie de lenfant et de ladolescent
(Paris, 29 septembre 2005). Les auteurs sont un psychiatre denfants et dadolescents, pratiquant des psychothérapies dinspiration psychanaly-
tique en milieu hospitalo-universitaire et deux psychomotriciennes qui exercent dans un secteur de psychiatrie infantojuvénile, en libéral et en
institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP). Ils présentent ici les résultats de leurs expériences cliniques, échanges et réflexions surun
sujet complexe, controversé et qui touche à plus dun titre aux fondements mêmes de nos pratiques cliniques et thérapeutiques auprès des enfants
et des adolescents : comment sont posées les indications différentielles entre psychothérapies et thérapies motrices ?
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Abstract
This paper was initially presented during the scientific workshop of the French society for child and adolescent psychiatry and allied profes-
sions (SFPEADA), devoted to psychomotricity and its current bonds with child and adolescent psychiatry (Paris, September 29, 2005). The
authors are a child and adolescent psychiatrist, using daily psychoanalytical psychotherapies in a universitary public hospital and two psychomo-
tricians, who work in a child and adolescent public department, in a private activity and in a specialized institute (therapeutic, educational and
teaching institute or ITEP). They present here the results of their clinical practices, exchanges and thoughts about a complex and discussed
subject, which touches in more than one way with the bases of our clinical and therapeutic practices with children and adolescents: how do
we choose the differential indications between psychotherapies and psychomotor therapies?
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Psychothérapies ; Psychomotricité ; Thérapies psychomotrices ; Enfants ; Adolescents ; Indications
Keywords: Psychotherapies; Psychomotricity; Psychomotor therapies; Children; Adolescents; Indications
http://france.elsevier.com/direct/NEUADO/
Neuropsychiatrie de lenfance et de ladolescence 55 (2007) 113119
Ce texte reprend la communication présentée lors de la journée de la SFPEADA du Jeudi 29 septembre 2005 à Paris : « Les thérapies psychomotrices en
psychiatrie de lenfant aujourdhui ».
*
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (J.-P. Raynaud).
0222-9617/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.neurenf.2007.02.002
Définir ce qui se situe à la charnière entre psychothérapies
« classiques » et thérapies psychomotrices revient à dire quil
sagit dans les deux approches daller vers un mieux-être et un
savoir-faire corporel et psychique. Les psychothérapies seraient
plus centrées sur la symbolisation secondaire, mais une symbo-
lisation bâtie tout de même sur un étayage suffisant du corps.
Alors que dans les thérapies psychomotrices ce seraient davan-
tage les mouvements corporels, les mises en acte, les jeux, les
agirs, qui seraient soit mis en avant, soit en défaut ou en panne.
La réflexion que nous proposons sur ce thème très vaste et
complexe des indications différentielles de ces deux approches,
nest quune ébauche, une trame, fruit dune rencontre entre un
psychothérapeute, pédopsychiatre et deux psychomotriciennes,
thérapeutes en psychomotricité. Des échanges autour de nos
pratiques respectives, au plus près de la réalité de nos séances,
une réflexion liée à un projet pédagogique commun, nous ont
permis de donner à voir ce qui se passe pour chacun, thérapeu-
tes et enfants, dans ces séances, de sen faire une représentation
et dessayer den préciser similitudes et différences. Ce travail
se réfère également à nos engagements, à nos échanges et posi-
tions avec nos équipes respectives, dans nos différents lieux de
travail : centre médicopsychologique, centre médicopsychopé-
dagogique, service déducation spécialisée et de soins à domi-
cile dun institut thérapeutique éducatif et pédagogique, activité
libérale. Autant de pratiques qui nous amènent, au quotidien, à
essayer de poser des indications au plus juste de la rencontre
enfantprofessionnelparents. Lélaboration de ces indications
prend en compte les examens, les synthèses, la demande, les
contraintes de la réalité, avec toutes les difficultés et la marge
derreurs que cela représente.
1. Point de vue des psychomotriciennes
La psychomotricité est une discipline carrefour, constituée de
plusieurs courants, sans unité conceptuelle. Cest une pratique
qui a pour objet le sujet humain, bébé, enfant, adolescent, adulte,
personne âgée et les rapports avec son corps. Elle prend en
compte le langage et sadresse à des personnes dont les fonc-
tions motrices, sensorielles, affectives, mentales, comportemen-
tales sont perturbées. Les patients sont ainsi perçus et pensés
dans une globalité somatopsychique. Dans la thérapie psycho-
motrice, tout en prenant en compte la relation à lautre, nous
abordons les rapports du corps et du psychisme : cest plutôt le
corps dans la pensée et non la pensée dans le corps [1], qui doit
davantage interroger nous semble-t-il, le psychothérapeute.
La psychomotricité est aussi une pratique spécifique portant
sur le corps, avec une écoute et une implication active, corpo-
relle, du thérapeute. Le psychomotricien utilise des médiations
corporelles, dans lesquelles le corps du patient et son propre
corps sont mis en interaction de façon directe, soit sous
forme de jeux (jeu corporel, jeu symbolique), soit à laide
dautres techniques (relaxation, eutonie, eau). Le psychomo-
tricien peut utiliser son propre corps comme médiateur de la
relation à lautre, avec un certain paradoxe : il peut être pris
dans la relation à lautre et également être lagent de cette rela-
tion. Doù limportance dune réflexion et dun travail sur le
propre vécu corporel du psychomotricien, afin de permettre
une implication et une distanciation entre son propre corps
(ses sensations, ses affects) et son savoir-faire avec ce corps,
dans la relation thérapeutique. Sil existe une réciprocité
déchanges dans une interaction patientthérapeute, il ne faut
pas oublier que lun est demandeur daide. Le thérapeute en
psychomotricité devra travailler son propre cadre référentiel
externe (le lieu, le temps, le matériel) et interne (les références
théoriques, la formation). Lengagement tonicoémotionnel et
verbal du thérapeute en psychomotricité se situe également
dans une dimension contenante vis-à-vis du sujet. Il vise ainsi
à conférer au sujet « défaillant » une capacité corporelle et
relationnelle satisfaisante, ou du moins suffisante et de recréer
un équilibre pulsionnel et relationnel vivable, avec une harmo-
nisation de ses fonctions motrices, toniques, tonicoémotionnel-
les et psychiques.
1.1. Des similitudes et des différences
Si dans le cadre des psychothérapies les apports de la psy-
chanalyse sont souvent utilisés comme soutien théorique prin-
cipal, il nous semble que la thérapie psychomotrice ne doit pas
les ignorer, pour être mieux à même de saisir ce qui se joue
dans une relation thérapeutique et percevoir les mouvements
psychiques en jeu. Cest à la place faite au corps, à la fois
dans la réflexion et dans lengagement du thérapeute et du
patient, que se situe peut-être une différence fondamentale,
entre les deux approches. Les processus de pensée qui sélabo-
rent autour de lenfant, trouvent dans le corps et le mouvement
un support supplémentaire dexpression, autre que la parole,
mais aussi avec ou à côté de la parole, qui soutient la dyna-
mique de la thérapie. Au langage du corps de lenfant, répond
celui du psychomotricien. Pour Bergès [2,3], la particularité de
lintervention psychomotrice se situerait dans limage dun
corps réceptacle, le corps du psychomotricien, qui devient
compétent à éprouver, à entendre, au même titre que le corps
de la mère, qui donne sens et accompagne le corps de lenfant.
Une autre différence pourrait se situer dans la façon de conce-
voir et traiter le transfert. En thérapie psychomotrice la dimen-
sion transférentielle ne se situe pas toujours ou uniquement du
côté de la réactualisation et de lélaboration dexpériences anté-
rieures, mais plutôt dans la mise en place dune relation théra-
peutique, dun « médium malléable » au sens de Roussillon
[4], visant plus à ouvrir, à faire naître des expériences.
Dune façon générale, la relation au psychomotricien est
davantage une relation dimplication que de neutralité bienveil-
lante, même si cela est à moduler selon chaque patient, chaque
rencontre. Ce sont laction et lengagement réciproques actuels
qui viennent mobiliser le passé ou révéler limmaturité.
1.2. De lexamen psychomoteur ou de lobservation,
aux indications de thérapie psychomotrice
Lexamen psychomoteur va nous permettre délaborer un
inventaire des troubles psychomoteurs, mais aussi par une lec-
ture plus clinique, de nous faire une idée de létat psychocor-
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porel du sujet, de limage quil a lui-même de son corps. Cet
examen reste un outil clinique, psychodynamique [5], permet-
tant de se construire une image de lenfant, de ses possibilités
et de ses compétences, en les resituant dans le cours de son
évolution. Il permet aussi dapprécier la qualité des modes de
relation que le sujet a instaurés avec son entourage, son envi-
ronnement familial, social, scolaire, professionnel. Il essaie de
resituer les symptômes dans le contexte global de la personna-
lité et de lhistoire corporelle du sujet. Lors de cet examen, la
lecture du corps va prendre toute sa signification, dans un
échange émotionnel entre le patient et le thérapeute. Le corps
sentend et se comprend, dans sa relation à autrui. Il ne forme
pas une entité isolée, mais participe aussi du symbolique, au
sens où son existence est liée à son intégration dans un
champ de significations symboliques, au même titre que le lan-
gage verbal. Cet examen peut être le lieu dune indication ou
dune contre-indication. Il est un élément indispensable à la
mise en œuvre de la thérapie psychomotrice, quil préfigure
en lui fournissant son cadre spatiotemporel propre.
Si le trouble psychomoteur est en lien davantage avec une
difficulté, une pathologie de ladaptation, un trouble instrumen-
tal, cela renvoie davantage à une fonction en mal délaboration,
à une impossibilité à construire la fonction. Sil fait partie dun
tableau psychopathologique, un trouble fonctionnel, lorienta-
tion du suivi ne sera pas la même, le trouble psychomoteur
nétant pas ici laffection principale. On trouve des troubles
psychomoteurs associés à une symptomatologie qui va de la
déficience mentale aux troubles caractériels ou de la personna-
lité, en passant par les troubles de la représentation du corps,
dorigine psychique ou physique. Par exemple, chez lenfant
psychotique ou autiste, la thérapie psychomotrice constituera
un travail qui peut faciliter le développement des modes
dexpression ainsi que la capacité à jouer chez lenfant. De
plus, nous tenterons de déterminer dans quelle mesure les trou-
bles psychomoteurs peuvent entrer en ligne de compte,
puisquils ne constituent pas à eux seuls les éléments indispen-
sables à la mise en place dun suivi en psychomotricité.
Lorsque les troubles psychomoteurs occupent de façon évi-
dente le devant de la scène, ils peuvent constituer une contre-
indication majeure à la thérapie psychomotrice et faire lobjet
dune autre approche. À linverse, un sujet ne présentant de
prime abord aucun trouble psychomoteur et dont lexpression
verbale aisée pourrait a priori faire penser à une indication de
psychothérapie, pourra révéler à loccasion de lexamen psy-
chomoteur des difficultés dans sa motricité en relation. Le tra-
vail en psychomotricité lui ouvrira un espace de perlaboration
et dinvestissement du registre non verbal, ce qui inverse le
schéma classique des indications. Il est impossible de séparer
la symptomatologie psychomotrice de lensemble du fonction-
nement de la personnalité.
1.3. Des indications à partir des moyens techniques utilisés
et du cadre
Pour certains sujets une approche utilisant lexpérience cor-
porelle peut constituer un abord intéressant, susceptible de
mobiliser les difficultés psychiques. Un autre point de vue
pourrait être de ne pas chercher à définir notre démarche thé-
rapeutique selon les symptômes ou les moyens techniques uti-
lisés, mais de la concevoir comme une relation thérapeutique
visant à mobiliser une évolution psychique entravée dans ses
différentes dimensions.
Une bonne indication serait ces enfants dysharmoniques,
dont les interactions précoces nont pas été satisfaisantes pour
construire des bases narcissiques solides et soutenir le dévelop-
pement de la fonction contenante et de la fonction symbolique :
la stimulation de lactivité motrice et dexpériences sensorielles
peut soutenir un processus de différenciation évolutive et
lémergence dune organisation corporelle et psychique plus
élaborée. Le psychomotricien travaille là avec larchaïque. Il
peut être alors celui qui permet le passage du côté des conte-
nants de pensée et de leur ancrage corporel, à une pensée plus
élaborée. Cramer [6] souligne que dans loptique de la thérapie
psychomotrice, létude des premiers échanges mèreenfant
tend à prouver que les notions de structuration temporelle et
spatiale, de rythme, dimitation, de regard, prennent racine à
une période très archaïque du développement de lenfant, à tra-
vers les échanges corporels, posturaux, mèreenfant. Ces
ancrages précoces sont en faveur dun intérêt thérapeutique à
sattacher à la reconstitution pour le patient de léchafaudage
psychique, à partir des échanges corporels, émotionnels, postu-
raux et verbaux. Cette dimension présymbolique très précoce
intéresse le psychomotricien, dans une perspective thérapeu-
tique.
Une autre indication des thérapies psychomotrices concerne
les enfants qui présentent une difficulté à pouvoir vivre les
conflits sur le plan de la représentation mentale, cest-à-dire à
élaborer le conflit pulsionnel sur le plan verbal. Leur fonction
symbolique est défaillante et ils se situent au niveau de la réac-
tion agie, lorsquils sont confrontés à des situations de pertur-
bations émotionnelles. Le jeu symbolique est ici utilisé comme
moyen dintégration des pulsions, des affects et comme moyen
dexpression [7].Ilsagit dexpériences de jeu, structurantes,
visant à réunir lacte et sa tentative de mise en représentation.
On pourrait parler de passage par lacte ou de médiation jeu-
acte, au service de la transformation de la pulsion. La motricité
devient plus expressive quinstrumentale, davantage moyen de
canalisation progressivement différenciée des tensions internes,
que maîtrise du monde extérieur. Ces enfants ont souvent des
difficultés avec la fonction symbolisante primaire, particulière-
ment au moment de la mise en place des interactions précoces,
où la mère est le catalyseur des expériences corporelles et émo-
tionnelles. La symbolisation apparaît comme un travail mental
de transposition, qui transforme le pulsionnel et lémotionnel
en représentation. Les premiers noyaux de la psyché sont
essentiellement corporels et cest par le corps et dans le corps
que vont se mettre en place les premiers processus de symbo-
lisation. Ce sont les « préconditions » à la symbolisation. Par la
mise à disposition de son appareil psychique et de son engage-
ment corporel, le psychomotricien favorise le cheminement de
la symbolisation, allant du corps à la pensée. À nous dinventer
des dispositifs et des médiations susceptibles de soutenir le
développement de cette capacité à symboliser.
J.-P. Raynaud et al. / Neuropsychiatrie de lenfance et de ladolescence 55 (2007) 113119 115
Au moment de poser une indication, nous réfléchissons
aussi au type de prise en charge que nous pouvons proposer :
psychothérapie ou thérapie psychomotrice ? En groupe ou en
individuel ? Les deux approches en parallèle ou successive-
ment ? Pour les indications, que ce soit du côté de la thérapie
psychomotrice ou de la psychothérapie, nous prenons en
compte avec la famille et lenfant, la qualité de la rencontre,
lélaboration de la demande, les conclusions de lexamen psy-
chomoteur, tout ce qui concerne lalliance avec la famille et les
possibilités de travail avec lenfant. Les indications sélaborent
aussi en fonction de linstitution, de léquipe, de lâge de
lenfant, de la formation et de lorientation professionnelle du
psychomotricien et de sa place dans léquipe.
Pour conclure sur le point de vue des psychomotriciennes,
nous pouvons dire que les patients pour lesquels la thérapie
psychomotrice sera privilégiée sont souvent en panne, en souf-
france, du côté de la fonction contenante et du développement
des processus de symbolisation. Le psychomotricien travaillera
souvent avec les niveaux archaïques ou originaires, pour per-
mettre le passage des contenants de pensée et de leur ancrage
corporel à une pensée plus élaborée, symbolisée, communi-
cable. Si la pensée senracine dans les sensations, les percep-
tions, il faut souvent quelquun qui aide à les organiser [8].
2. Point de vue du pédopsychiatrepsychothérapeute
On pourrait commencer par discuter lintitulé de cet exposé
à trois voix. Entendons-nous bien sur ce dont nous parlons ici :
dun côté des psychomotriciens qui tout en revendiquant les
spécificités de leur approche, y intègrent des références psy-
chodynamiques pour proposer ce que nous nommerons ici
pour simplifier des « thérapies psychomotrices » ; et dun
autre côté, des médecins, des psychologues, des psychothéra-
peutes, qui proposent aux enfants, aux adolescents et à leurs
parents des psychothérapies que nous qualifierons pour simpli-
fier de « classiques », fondées sur la relation, sappuyant sou-
vent sur le langage oral, mais pas exclusivement et se référant à
la théorie et à la technique psychanalytiques. Si lon voulait
compliquer encore un peu ce tableau, on pourrait rajouter que
certaines de ces thérapies inspirées de la cure psychanalytique
sappuient sur des aménagements non négligeables du cadre,
sur des médiations et parfois même des médiations corporelles
[9]. Même sil est fort intéressant pour la pertinence de nos
pratiques cliniques quotidiennes de rechercher les indications
différentielles entre psychothérapies et thérapies psychomotri-
ces, lintervention de mes collègues psychomotriciennes me
conforte dans mon idée quil existe souvent plus de points
communs entre le travail dun psychothérapeute denfants et
dadolescents et celui de ces thérapeutes en psychomotricité,
quentre deux psychomotriciens ou entre deux pédopsychiatres
dorientations différentes.
Rappelons au passage que la psychomotricité est très peu
enseignée, voire présentée aux médecins et aux psychiatres.
Elle létait encore moins il y a 25 ans lorsque jétais moi-
même étudiant. Comme beaucoup de mes confrères, jai donc
fait connaissance avec la psychomotricité au travers de mes
lectures mais surtout au travers de mes rencontres et de mes
expériences de travail et délaboration en commun. Dans mon
expérience personnelle, jai rencontré des psychomotriciens
très différents, avec des pratiques et des références parfois
opposées, souvent complémentaires. Les thérapies psychomo-
trices au sens où elles ont été définies plus haut et les rééduca-
tions psychomotrices constituent pour moi deux approches dif-
férentes dune même discipline [10]. Cela mériterait dailleurs
de préciser les terminologies, au moins pour que les autres pro-
fessionnels et les patients y voient plus clair entre les différen-
tes dimensions de la psychomotricité, ses différentes références
ou les différents modèles revendiqués.
2.1. Poser des indications en pédopsychiatrie
Nous voici donc quasiment conduits à examiner la question
des indications des psychothérapies en général et ce serait là un
bien vaste programme. Pour limiter mon propos à des aspects
pratiques, je me suis demandé comment je my prends, sur le
terrain, au quotidien, pour poser ou argumenter une indication
de thérapie par un psychomotricien plutôt quun autre type de
psychothérapie ? En préambule, je soulignerai que je suis sou-
mis à au moins un biais majeur : mon exercice clinique est
exclusivement institutionnel, ce qui a plusieurs conséquences
par rapport au sujet qui nous intéresse. Dans mon expérience,
le choix des indications nest pratiquement jamais effectué par
le médecin ou le psychothérapeute seul. Il est discuté, travaillé,
construit à plusieurs, en croisant les regards, les ressentis, les
vécus, notamment, mais pas exclusivement, dans leurs dimen-
sions prétransférentielle et contre-transférentielle. Au moment
de ces choix, les cliniciens ont en tête que les soins pourront à
tout moment être harmonisés, complétés dans le temps, que des
« allers-retours » entre différentes approches seront possibles,
ce qui laisse tout de même une marge de pensée et délabora-
tion non négligeable. Doù, entre autres, lintérêt de ce travail
réflexif mené avec deux psychomotriciennes, qui ne font pas
partie de mon équipe et dont lune exerce en libéral et lautre
dans des institutions différentes de la mienne. Ce que je pra-
tique personnellement, ce sont des thérapies psychanalytiques,
qui se veulent réglées, cadrées, sappuyant sur les grands prin-
cipes de la cure adaptés aux enfants et aux adolescents, avec
pour objectifs, ceux que résume si bien Winnicott [9] : « Si un
traitement psychanalytique peut apporter une aide concrète,
cest essentiellement parce que, quand il réussit, il permet au
patient darracher un matériel douloureux au refoulement.
Celui-ci peut alors mettre au service du plaisir de vivre et
dune existence constructive toute lénergie qui servait au
refoulement ». Certains de ces principes, de ces objectifs,
sont énoncés avec le patient, dautres pas : intérêt pour le
monde interne et ce qui peut en entraver la liberté, respect du
secret et de lintimité du sujet, abstinence, association libre,
possibilité de faire semblant et de mettre en scène ce qui est
difficile à mettre en mots, durée des séances, limitation des
contacts corporels, intérêt pour la mise en récit, les rêves et le
matériel intrapsychiqueJutilise avec modération au gré des
séances et du « trouvé-créé » ou de la cocréation avec mes
patients des supports et des aménagements, dans lequel leur
corps et le mien sont souvent engagés : dessins, créativité,
J.-P. Raynaud et al. / Neuropsychiatrie de lenfance et de ladolescence 55 (2007) 113119116
jeux, écriture, squiggles, jeux de rôles, psychodrameLes
aspects techniques restent très traditionnels et rassurants pour
le thérapeute avec leur part de silences, de reformulations,
dinterprétations, essentiellement dans le transfert. Une atten-
tion particulière est en effet portée à la prise en compte des
mouvements psychiques, notamment des mouvements
transféro- contre-transférentiels. En gardant toutefois à lesprit
que, comme le souligne Bergès [2], une psychanalyse, une thé-
rapie ou tout autre approche scientifique avec des enfants, qui
sintéresserait au symptôme et ferait abstraction du corps dans
lequel il prend racine, esquiverait le travail de linconscient.
Dans ce contexte, comment est-ce que je pose une indica-
tion de thérapie psychomotrice, notamment au sein des CMP et
des hôpitaux de jour, cest-à-dire en équipes
pluridisciplinaires ? De la même façon que nos collègues
nous ont pointés limportance de lexamen et de lobservation
psychomoteurs initiaux, jinsisterai sur la nécessité pour le psy-
chiatre dun véritable travail clinique dans le cadre de ses
consultations, visant à évaluer les différents niveaux des diffi-
cultés de lenfant, de ses potentialités, de ses capacités à
sinvestir dans telle ou telle forme de travail et la possibilité
pour les parents de ly autoriser et de participer eux-mêmes à
certains aspects de la démarche. Ce travail du médecin va sou-
vent se compléter et se moduler à laide des autres approches
de léquipe. Une réflexion à plusieurs va pouvoir sengager et
les indications nous le savons bien sont souvent le fruit
dun travail déchange et de coconstruction dun projet, qui
vient se confronter de plus en plus souvent au principe de
réalité : par quoi serait-il bon de commencer, qui va avoir suf-
fisamment de disponibilité pour travailler dans la durée avec
cet enfant ou cet adolescent, quel engagement va être possible
à la fois psychiquement et dans la réalité externe pour cette
famille, quels frayages ou soutènements doivent être mis en
place en parallèle et autour du travail psychothérapeutique
envisagé ?
Je ne crois pas quil existe des indications de structure pour
telle ou telle forme de psychothérapie. Toutefois, jai pu cons-
tater à de nombreuses reprises lintérêt des thérapies psycho-
motrices dans ce que nous appellerons pour aller vite les patho-
logies limites et les pathologies du lien, à condition que ces
thérapies sinscrivent dans une approche multidimensionnelle,
mise en cohérence par un projet suffisamment construit et tenu.
Javoue bien volontiers quil marrive, comme dailleurs
pour les autres formes de psychothérapies, de poser des indica-
tions de personne, cest-à-dire que face à la problématique dun
enfant, à sa façon daborder la demande de soins, à ce que le
psychomotricien va nous traduire après lexamen psychomo-
teur, de sa propre rencontre avec cet enfant, je vais être
amené à donner la priorité à cette intervention-là, souvent à ce
thérapeute-là, en mappuyant sur lempathie et lexpérience du
thérapeute et sur ce que je perçois dune forme de préinvestis-
sement, de rencontre qui a eu lieu. Dans un ordre didée diffé-
rent, il ne faut pas non plus négliger le capital dattractivité de
la psychomotricité en elle-même : cest une approche du soin
psychique qui est généralement bien perçue par les parents et
que les enfants investissent volontiers. Il mest souvent arrivé
denvier le cadre incroyable que peut représenter une salle de
psychomotricité. Le décor y est immédiatement planté, la
dimension de médiation, lautorisation explicite à laisser parler
son corps y sont incontestablement un atout dans des situations
cliniques parfois difficiles, et il ne faut assurément ni sen pri-
ver ni en abuser à tors et à travers. Comme pour les autres
thérapies, le cadre et les objectifs doivent être clairement expo-
sés aux parents et à lenfant, parfois aussi aux partenaires du
soin. En effet, des « rééducations » au sens dinterventions à
dominante instrumentale, sont de plus en plus souvent atten-
dues et il ne faudrait pas quil y ait erreur sur les approches.
Cette question de la représentation, de limage que les parents
se font de la psychomotricité, de sa dimension « normative »
supposée, doit aussi être abordée au moment de discuter du
projet thérapeutique. Elle peut parfois constituer une entrave à
lindication de thérapie psychomotrice.
La thérapie psychomotrice me semble aussi dans certains
cas un excellent « outil douverture » à la vie psychique de
lenfant pour certains parents qui ont du mal avec des appro-
ches plus classiques, qui les confrontent peut-être trop brutale-
ment à une représentation dun espace psychique et dun appa-
reil à penser individué de leur enfant. De même, le cadre de la
thérapie psychomotrice autorise sans doute davantage lexpres-
sion de larchaïque, de la pulsionalité, des éprouvés, de la sen-
sorialité. Dans ma représentation du travail du psychomotri-
cien, jai tendance à imaginer que ses supports techniques,
son « setting », sa posture, la disposition même de son espace
clinique peuvent permettre daccueillir davantage lagir, le
mouvement, mais aussi la régression et linhibition. Concer-
nant la question de la régression, jai souvent en tête que la
thérapie psychomotrice autoriserait pour certains enfants une
régression plus tranquille, avec moins de vécu dattaque narcis-
sique douloureuse, que dans certaines situations de face-à-face.
Jai également tendance à penser en priorité à une approche par
la psychomotricité, et ce nest pas très original, pour des situa-
tions cliniques où un étayage corporel important me semble
nécessaire, et par extension des situations où létayage corporel
précoce ou plus tardif dans le développement semble avoir été
défaillant pour une raison ou pour une autre.
Il en va de même pour ces enfants et adolescents que nous
rencontrons plus souvent aujourdhui et qui sont comme « écor-
chés vifs », pour lesquels lapproche par les mots et le face-à-
face semble trop sensible, parfois même persécutrice. Cette
dimension rejoint sans doute la question des mouvements
transférentiels. Je ne suis pas favorable à lidée quil existerait
une forme de transfert qui serait spécifique aux thérapies psy-
chomotrices. En revanche, outre lidée que ces formes de thé-
rapies savéreraient dans un certain nombre de situations plus
propices à un prétransfert positif, il me semble que le transfert
peut y être travaillé de manière moins directe, plus médiatisée.
Cela peut être une orientation intéressante, par exemple, dans
certaines situations cliniques, pas si exceptionnelles, où la solu-
tion projective occupe le devant du tableau. Je pense en parti-
culier au travail auprès dadolescents [12], mais aussi denfants
qui se verront de plus en plus souvent attribuer le fameux diag-
nostic fourre-tout de trouble des conduites.
Si je ne crois pas à des indications « de principe », que ce
soit pour les psychothérapies psychanalytiques ou les thérapies
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