Développement De l`ambulatoire : vers De nouveaux

Développement De l’ambulatoire :
vers De nouveaux risques ?
Marc Beaussier, Nicolas Dufeu
Département d’Anesthésie-Réanimation chirurgicale. Unité de Chirurgie
Ambulatoire. Hôpital St-Antoine. Paris. Université Pierre et Marie Curie
Paris 6, 184 rue du Faubourg Sain Antoine, 75571 Paris Cedex 12. E-mail :
INTRODUCTION
Les objectifs de développement de la chirurgie ambulatoire sur le territoire
national sont ambitieux [1]. Le seuil, fixé par la Direction de l’Offre de Soins,
de 50 % d’actes chirurgicaux réalisés en ambulatoire à l’horizon 2016 ne pourra
être atteint qu’au prix d’actions fortes menées simultanément [2]. L’une d’elles
concerne bien évidemment une réflexion générale sur les structures et le SROS,
menée avec les ARS. Une autre doit envisager l’aspect financier avec la CPAM,
portant sur la valorisation de cette activité et la mise en place du dispositif de
mise sous entente préalable. C’est le versant plus spécifiquement médical qui
fera l’objet de cette présentation.
Le développement des actes réalisés en ambulatoire passe d’une part par
un fort taux de substitution (85 %) des actes traceurs, considérés par l’ensemble
des disciplines chirurgicales comme éligibles pour l’ambulatoire. Cette liste
d’actes qui comprenait initialement 17 gestes a récemment été portée à 38 [3],
incluant des procédures très peu réalisées actuellement en ambulatoire, telle
que la cholécystectomie (environ 2 % sur les 66 200 interventions pratiquées
en 2010). Ces actes sont désormais surveillés et susceptibles d’être mis sous
entente préalable par la CNAM lorsqu’ils ne sont pas réalisés en ambulatoire.
Mais le défi sera difficile à relever si ces indications chirurgicales et la population
des patients éligibles ne sont pas encore élargies. Ceci pourrait avoir pour consé-
quence d’exposer les patients à de nouveaux risques. Il est d’ailleurs intéressant
de noter que la circulaire de la DGOS de 2010 [1] associe dans son intitulé le
développement de la chirurgie ambulatoire avec la notion de gestion des risques,
illustrant ainsi le lien fort qui réunit ces deux objectifs. L’élargissement vers de
nouvelles procédures réalisées sur des patients de plus en plus complexes oblige
à repenser la prise en charge organisationnelle, chirurgicale et anesthésique à
chaque étape et avec de nouveaux paradigmes [4].
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1. LES RISQUES ACTUELS EN AMBULATOIRE
Le risque postopératoire de l’ambulatoire est celui qui a focalisé le plus
d’attention jusqu’à présent. Il est généralement admis que la chirurgie ambulatoire
est une pratique sûre. Sur un suivi prospectif de cohorte durant 3 années, et
regroupant un total de 57 709 actes, le taux de réadmission, après sortie de la
structure était de 1,21 % (623 patients) et l’incidence de complications persis-
tantes ou définitives était de 0,17 % [5]. Les événements considérés majeurs
étaient l’hémorragie (n = 286), l’infection (n = 249) ou encore la thrombose
(n = 17). La mortalité dans cette cohorte était inférieure à celle attendue dans
une population générale non opérée sur la période observée. Les chirurgies les
plus à risques de complications postopératoires étaient par ordre de fréquence
croissante, les chirurgies gynécologiques, vasculaires et digestives. Ces chiffres
récents sont parfaitement concordants avec les données préalables retrouvant
des taux de réadmission de 0,15 à 4 % selon les institutions et la chirurgie
pratiquée.
Cependant, il apparaît depuis peu que l’ambulatoire est à l’origine d’un
nombre important de plaintes pour mauvaises pratiques ayant entraîné un
préjudice [6]. L’augmentation de ces préjudices allant de pair avec le développe-
ment de nouvelles pratiques et la prise en charge de nouveaux patients jugés
particulièrement à risques [7].
2. VERS DE NOUVEAUX RISQUES ?
Avec l’avènement prévisible de nouveaux actes et de nouveaux patients se
posent la question des critères de sélection, de l’évaluation préopératoire et de
l’incidence/prévention des complications postopératoires.
2.1. CRITÈRES DE SÉLECTION ET ÉVALUATION PRÉOPÉRATOIRE EN
AMBULATOIRE
La notion de critères de sélection évolue sans arrêt [8-10]. Pour ce qui
concerne l’anesthésie, de récentes recommandations d’experts ont été éditées
et brisent certains dogmes, auparavant solidement établis, afin d’élargir l’éventail
des patients pouvant bénéficier de cette prise en charge [11]. Il est désormais
clairement mentionné que les patients ASA 3 stables ne sont plus une contre-
indication à l’ambulatoire.
L’âge avancé ne constitue plus en soi un obstacle à l’ambulatoire [12]. Il a
été montré que cette population bénéficiait au contraire de ne rester à l’hôpital
que pour la plus courte durée possible. L’incidence de dysfonctions cognitives
postopératoires semble moindre en ambulatoire qu’après hospitalisation conven-
tionnelle l’on sait que l’alitement et l’absence de stimulations psychiques
en constituent des facteurs de risque. Même pour les patients âgés ayant des
comorbidités significatives, exception faite de l’insuffisance cardiaque sévère,
l’ambulatoire doit être privilégiée lorsque la chirurgie le permet.
L’obésité est un facteur de risque de complications respiratoires, d’infections
de site opératoire et de complications thrombo-emboliques postopératoires [10].
L’anesthésie locorégionale est également plus complexe dans cette population,
soulignant une nouvelle fois l’intérêt de l’échoguidage dans ce contexte. La prise
en compte de ces facteurs de risques et l’adaptation des techniques anesthé-
siques permettent actuellement la prise en charge de ces patients en ambulatoire
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dans de bonnes conditions. D’ailleurs, la chirurgie bariatrique en ambulatoire se
développe et deviendra probablement un standard à l’avenir [13, 14]. La pose
d’anneaux gastriques par cœlioscopie chez des patients de BMI compris entre
32 et 79 kg.m2 est associée à environ 0,5 % d’admissions non programmées, le
plus souvent pour des raisons de douleur et de NVPO, et 1,3 % de complications
secondaires. Même la « sleeve gastrectomy » sous cœlioscopie paraît être
réalisable en ambulatoire, avec un taux d’admission de 5 % et de complications
secondaires de 4 %, la plupart évitable au prix d’un bon contrôle de la douleur
et des NVPO. Cette population doit par ailleurs bénéficier d’une prophylaxie
thrombo-embolique à domicile selon une procédure codifiée.
Le problème du syndrome d’apnée du sommeil (SAOS) est l’objet de
débats importants compte tenu de sa prévalence et des risques postopératoires
associés. Il apparaît désormais qu’il n’y a aucune raison de ne pas prendre en
charge en ambulatoire un patient présentant un SAOS équilibré, même avec
des comorbidités, sous réserve qu’elles soient équilibrées [15]. Dans ce cas,
l’anesthésie/analgésie locorégionale (ALR) devra être privilégiée et le recours
aux opiacés évité le plus possible. Ceci souligne l’importance d’une évaluation
préopératoire optimale incluant la détection de cette pathologie par le question-
naire « STOP-bang » en consultation d’anesthésie [16].
De même, l’existence d’un asthme bien contrôlé, d’une obésité morbide ou
d’une pathologie coronaire équilibrée ne doit plus faire exclure systématiquement
les patients d’une prise en charge ambulatoire.
Pour ce qui est de la chirurgie, certaines disciplines, à l’image des chirurgiens
digestifs, ont dresune liste des interventions éligibles [17]. Quel que soit le type
de chirurgie, le risque principal consiste à planifier en ambulatoire des chirurgies
non maîtrisées en hospitalisation conventionnelle. Passé ce premier obstacle,
dépendant de la formation des praticiens, de nombreuses procédures peuvent
être faites en ambulatoire. Certains centres adoptent une attitude innovante sur
des interventions bien codifiées nécessitant jusqu’alors parfois plusieurs jours
d’hospitalisation, comme cela a été le cas récemment pour la prise en charge
très médiatisée d’une prothèse de hanche en ambulatoire [18]. Ce sont le plus
souvent des expériences isolées sur des patients particulièrement sélectionnés,
mais qui présentent l’intérêt de pousser les équipes à se poser les bonnes
questions et à faire évoluer leurs pratiques dans le bon sens.
Une fois que les équipes chirurgicales, anesthésiques et infirmières ont
adapté leur prise en charge afin de prévenir au mieux les risques bien identifiés
et prévisibles, se pose la question du délai de survenue des complications plus
rares et les modalités de détection qui en découlent chez un patient de retour
à son domicile. Devant la survenue d’une complication, la question est alors
de savoir si l’hospitalisation du patient aurait été préférable. Ainsi, pour ce qui
concerne par exemple la chirurgie majeure de la thyroïde en ambulatoire, des
données récentes montrent qu’un grand nombre des hématomes postopéra-
toires survient après la 6ème heure postopératoire. Cet événement certes rare
mais de très grande gravité remet en cause la sécurité de l’ambulatoire, pour
privilégier une hospitalisation même très courte [19]. A l’inverse, la quasi-totalité
des complications après angioplastie vasculaire du membre inférieur surviennent
dans les 4 premières heures, ce qui permet d’envisager l’ambulatoire dans de
bonnes conditions de sécurité [20].
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La cholécystectomie par cœlioscopie fait partie désormais de la liste des
« actes traceurs » de l’ambulatoire. Certaines équipes françaises la pratiquent en
ambulatoire depuis longtemps [21]. Le taux de conversion en hospitalisation est
stable aux alentours de 20 %, le plus souvent pour des problèmes de sédation
résiduelle, de douleur ou de NVPO, c’est-à-dire pour ce qui peut être considéré
actuellement comme des symptômes évitables dans la majorité des cas. Le
taux de réadmission secondaire est faible, aux alentours de 2 %, sans différence
significative entre l’ambulatoire et l’hospitalisation traditionnelle courte [22]. Ainsi,
la prise en charge en ambulatoire sous réserve d’une bonne prise en charge
analgésique évitant le recours aux opiacés, une prévention optimale des NVPO
et l’utilisation d’agents anesthésiques d’élimination rapide ne devrait pas poser
de problème pour cette chirurgie. L’évolution vers des chirurgies digestives plus
lourdes est inéluctable. Certaines équipes ont montré la faisabilité de résections
coliques par cœlioscopie en gardant les patients seulement une nuit [23]. L’adap-
tation de nouvelles techniques (trocart unique) pourrait favoriser cette transition
et aboutir peu à peu à des indications d’ambulatoire [24].
En orthopédie, le développement de techniques chirurgicales mini invasives,
ainsi que l’essor de stratégies anesthésiques et analgésiques modernes permet
le développement dans de bonnes conditions de la chirurgie de l’épaule et du
genou en ambulatoire [25]. Le même concept peut être appliqué à la chirurgie
urologique [26], gynécologique [27] et maxillo-faciale [28].
Sous réserve d’une organisation optimale et de la rédaction de protocoles
strictes de prise en charge, certaines équipes prennent en charge en ambulatoire
des urgences. Ceci est désormais assez commun pour ce qui concerne la petite
traumatologie des membres, mais pourrait s’ouvrir vers des actes plus invasifs,
telles que les urgences digestives ou maxillo-faciales [29]. Avec un protocole de
sélection rigoureux, un parcours protocolisé et une prise en charge analgésique
optimale, l’appendicectomie en ambulatoire apparaît sûre et ne donne pas lieu
à plus de réadmission en urgence qu’après une hospitalisation [30].
Même si la question ne se pose pas dans notre système de santé, de
nombreux travaux insistent sur l’intérêt d’une évaluation préopératoire stricte
avant tout acte ambulatoire [10]. La prise en charge de patients de classe ASA 2
ou 3 renforce encore l’importance de cette évaluation. Particulièrement chez les
sujets âgés, il est possible de dépister dès la phase préopératoire des facteurs
de risque de complications chirurgicales et ainsi de les prévenir dans un certain
nombre de cas [12, 31]. Une évaluation simple des fonctions cognitives pourrait
permettre de prédire le risque de dysfonctions cognitives postopératoires à
l’origine d’un grand nombre d’échec de l’ambulatoire. L’information aux patients,
délivrée lors de cette consultation est primordiale. Le rôle de l’accompagnant est
un point particulièrement important notamment chez le sujet âgé et a fortiori si un
acte lourd est réalisé. C’est un facteur déterminant du succès de l’ambulatoire.
2.2. PÉRIODE POSTOPÉRATOIRE
Dans le contexte de l’ambulatoire, les risques postopératoires, hormis ceux
directement liés à la chirurgie, sont centrés sur la douleur, l’incidence de NVPO,
la rétention urinaire ou la sédation prolongée [32, 33]. Il est en général considéré
que 75 % des admissions non planifiées sont dus à des problèmes qui auraient
facilement pu être évités [10]. Ces symptômes surviennent majoritairement
dans des situations bien identifiées et qui ont donné lieu à l’établissement d’un
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score de prédiction spécifique dont les paramètres sont : l’âge > 65 ans, la durée
opératoire > 120 min, l’anesthésie générale, les antécédents cardio-vasculaires
et cérébro-vasculaires, le cancer et l’infection HIV [34].
L’avènement de nouvelles stratégies anesthésiques et analgésiques permet
actuellement de considérablement réduire ces complications postopératoires. Il
en est ainsi de la prévention et du traitement des NVPO [35]. Le risque de NVPO
désormais bien codifié par le score d’Apfel doit être identifié dès la consultation
d’anesthésie. La prise en charge à domicile doit être anticipée, avec des procé-
dures propres à chaque type de patients et de chirurgies [36].
La prise en charge de la douleur revêt une importance considérable. Selon
les recommandations actuelles, celle-ci doit être anticipée dès la consultation
préopératoire [11]. La stratégie doit être multimodale en évitant le plus possible le
recours aux opiacés. Les moyens non médicamenteux ne doivent pas être sous-
estimés. L’anesthésie/analgésie locorégionale (ALR) occupe une place particulière
dans ce concept [37, 38]. C’est actuellement la seule technique qui permet un
contrôle parfait de la douleur au repos et à la mobilisation concomitamment à
une épargne morphinique et à la réduction des effets indésirables associés [39].
Encore trop de patients n’en bénéficient pas, alors que des développements
récents permettraient d’appliquer au moins une technique d’ALR à presque
toutes les circonstances, et non plus à la seule chirurgie orthopédique. L’usage
du repérage échographique améliore le confort des patients, le succès des blocs
et la vitesse de réalisation. L’avènement des blocs de la paroi abdominale (TAP
bloc, bloc des droits, bloc ilio-inguinal-hypogastrique) permet d’offrir une excel-
lente analgésie après chirurgie digestive, urologique ou gynécologiques par voie
haute [40, 41]. Enfin, les techniques d’infiltrations cicatricielles, simples et sûres
doivent être appliquées le plus souvent possible [42-44]. Avec des anesthésiques
locaux de longue durée d’action, elles permettent une analgésie satisfaisante
durant les 12 à 24 premières heures postopératoires. Les blocs péri médullaires
ont également évolué avec le développement de la rachianesthésie-unilatérale
particulièrement adaptée à l’ambulatoire [45] .
Le principal problème de l’ALR en ambulatoire reste la durée d’action
limitée des blocs en injection unique [46]. Le relais antalgique doit être prévenu
et ici encore l’information du patient joue un rôle déterminant. L’extension des
indications chirurgicales vers des actes de plus en plus douloureux doit nous
pousser à utiliser des dispositifs de perfusion continus, qu’ils soient en infiltration
cicatricielle ou en blocs nerveux périphériques [47, 48]. La gestion à domicile
de ces dispositifs n’est pas toujours aisée, ce qui en limite malheureusement
l’utilisation [49]. La mise en place de cathéters nerveux périphériques distaux
reliés à des infuseurs élastomériques ne pose le plus souvent pas de problème
et doit être envisagé dés que possible. Il en est différemment avec les cathéters
plexiques. Il a été montré que la gestion d’un cathéter interscalénique à domicile
était vécue comme stressante et difficile par près d’un quart des patients et
nécessitait une assistance dans également près d’un quart des cas [50]. La
mise en place d’un réseau de suivi infirmier à domicile paraît donc indispensable
dans ce cas, comme cela figurait d’ailleurs dans les recommandations d’experts
éditées par la SFAR [11]. La prochaine mise à disposition d’anesthésiques locaux
à libération prolongée pourrait être une avancée importante pour la gestion de
la douleur postopératoire à domicile chez des patients ayant bénéficié d’ALR.
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