TOME II
La Chaîne des médicaments
Direction
Catherine-Michèle Garnier
Philippe Tremblay
ISBN 978-2-923266-03-9
Programme de recherche concertée sur la Chaîne des médicaments
Subvention numéro 412-2003-1005
du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, (CRSH) Grands Travaux.
Avril 2012
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Axe 1 : Savoirs
CHAPITRE 2.1.1
Aspects socioculturels de la chaîne des médicaments
Le concept de chaîne des médicaments conduit à dépasser le cadre restreint physico-
chimique du médicament pour se plonger dans les dédales complexes de son parcours
au sein de la société. En tant qu’objet social, il est au cœur d’enjeux multiples tout le
long de son parcours, de sa conceptualisation à son usage. En raison de ce nouveau
cadrage, les chercheurs en général, mais surtout de l’équipe du programme, ont été
amenés à élargir leurs perspectives, leurs points de vue. En particulier, ils ont utilisé le
regard multiple qu’offrent les différentes disciplines concernées par cet objet. Sont alors
convoquées plusieurs disciplines susceptibles de démonter les mécanismes mis en jeu
par cet objet dont les fonctions sont multiples, préventives, curatives, psychologiques et
sociales. Ainsi, dans le cadre de ce chapitre, la perspective historico-culturelle brosse un
large tableau de l’évolution des situations dans les cultures alors que l’anthropologie
offre une modélisation qui montre comment les ancrages socioculturels se font.
Finalement, l’apport des sciences sociales permet de disséquer par le menu quels sont
les modes de fonctionnement autour du médicament dans les rapports sociaux. Enfin,
l’exemple ethnographique permet de montrer comment s’installe le médicament au
sein d’une société particulière pour jouer son rôle social autant que sanitaire.
1 La chaîne des médicaments : perspectives pluridisciplinaires
(Travaux issus principalement de Lévy J Garnier C. 2007; Lévy J. 2006)
La chaîne du médicament est un processus mettant en relation un grand nombre
d’éléments et voilà pourquoi, dans le cadre d’un programme national sur le sujet,
plusieurs chercheurs se sont unis pour creuser certaines « dimensions théoriques,
épistémologiques et empiriques » (Lévy et Ganier, 2007 :1) autour de neuf familles de
médicaments. Ces travaux s’intéressent surtout à la production, à l’introduction ainsi
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qu’à la réception des médicaments dans le social, ce qui aura des impacts sur les
représentations, les communications et les pratiques. Leur étude, ancrée dans une
approche socioconstructiviste, passe dans ce chapitre, par la démonstration de
l’interdépendance des phénomènes sociaux et leur rôle dans la construction des savoirs.
Au cours de ces travaux, on retrouve plusieurs enjeux qui indiquent l’importance que
peut jouer le médicament dans les différentes sociétés du nord comme du sud.
Quelques constats généraux soulèvent ainsi plusieurs questions. Ainsi, à ce jour, les
travaux en sciences humaines se sont surtout attardés à la régulation du médicament et
à la médicalisation de la santé, ce qui a mis en évidence les étapes de production et de
distribution des médicaments. Ces études ont aussi révélé plusieurs oppositions au
modèle biomédical pour la gestion de la santé. Plus près des individus, le
questionnement concerne surtout l’influence des supports médiatiques, sources
d’information et d’autonomisation du patient, ainsi que les mœurs de consommation.
L’automédication est un exemple se côtoient les expériences heureuses et les
défauts d’usage. Étant donné que le médicament emprunte plusieurs parcours, de sa
conception à sa consommation, on assiste à une complexification en partie due à la
mondialisation des marchés et des maladies. Aussi pour comprendre la complexité de
ces itinéraires, les études socioculturelles se révèlent de première nécessité. Dans un tel
contexte, on peut relever plusieurs aspects sur lesquels repose la complexité comme
ceux qui sont régulatoires, financiers, commerciaux, de type de l’information,
relationnelles, représentationnelles et culturelles. Tous aspects ont évidemment des
incidences sérieuses sur les développements des médicaments à venir.
Au plan régulatoire, on constate que plusieurs normes de toutes sortes encadrent le
médicament. Elles sont de nature légale pour des questions de sécurité et d’efficacité,
mais peuvent aussi être le produit d’organes sociétaux affairés à rappeler les attentes
sociales des médicaments. Enfin, il faut aussi souligner les contraintes issues de la
pratique des professionnelles de la santé, arbitres des posologies.
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En ce qui concerne les questions financières concernant le médicament se manifeste
une évolution de leurs modalités. Ainsi, pour affronter la mondialisation et la
concurrence qu’elle sous-entend, un nouveau modèle d’affaires doit s’imposer. La
rentabilité ne peut plus être la seule stratégie, l’innovation doit dorénavant reposer sur
la coopération, les échanges d’idées et les mises en réseaux.
À propos de l’industrie pharmaceutique et de ses fonctions économiques, une
problématisation voit le jour avec la question de ses obligations envers la société. Cet
aspect est singulier et complexe et s’exprime dans un contrat implicite entre l’entreprise
et le social. Plusieurs mécanismes régissent cette entente qui doit répondre à des
exigences souvent contradictoires. La solution semble être dans le partage des
responsabilités entre tous les acteurs sociaux.
Lorsqu’on aborde les questions de l’information qui circule dans les médias sur les
médicaments, on fait face à des problèmes au plan des modes d’envoi de celle-ci, mais
aussi à ceux inhérents aux possibilités de réception. Dans le premier cas, il se peut que
l’information ne soit pas toujours complète et qu’elle véhicule certains stéréotypes, ce
qui a bien évidemment un impact sur la construction des représentations du
médicament. Comme d’ailleurs, le nom du médicament qui n’est pas le fruit du hasard,
mais celui d’un ensemble d’éléments significatifs. Ainsi, il participe à la construction des
représentations que l’on se fait du produit au point de devenir commun dans les usages.
Par ailleurs, la publicité sur les médicaments transforme les relations médecin-patient.
En outre, elle véhicule des normes, des modèles et une idéologie sur la santé.
Polymorphe, elle s’adapte aux réalités actuelles et trouve écho rapidement dans le
social, en particulier chez les consommateurs au statut socioéconomique plus faible. De
plus, la légitimité du média sur le sujet ainsi que les relations interpersonnelles,
notamment professionnelles, se révèlent encore plus importantes. Dans le second cas,
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un fort pourcentage de la population éprouvant des problèmes de santé serait limité
dans ses capacités de lecture, ceci n’est pas sans conséquence lorsqu’il est question des
informations sur leur santé. Malgré les programmes d’intervention en place, peu de
travaux se sont intéressés aux conséquences réelles de ces limites.
Nombre de ces problèmes ne sont pas isolés les uns des autres et plusieurs d’entre eux
interviennent ensemble. C’est en particulier le cas pour l’intervention des dimensions
relationnelles, représentationnelles et culturelles. Ainsi, si l’on prend le modèle
biomédical qui est celui encore, la plupart du temps, mis en œuvre, rappelons qu’il se
base essentiellement sur l’individu et semble ignorer les dimensions sociales et
environnementales des personnes. Et pourtant, nombre des conceptions de la santé
portées par les différentes disciplines gagneraient à être valorisées pour une perspective
plus globale de la pharmacologie. Ce changement de paradigme serait indispensable
pour parvenir à répondre aux objectifs d’autonomisation du patient qui sont poursuivis
par les institutions de la santé nationales et internationales. En se dirigeant vers ce
nouveau paradigme, le médicament contemporain ne se limite plus aux maladies, mais
étend sa portée à d’autres sphères de notre quotidien. Par exemple, la sexualité relevait
jusqu’à tout récemment du magico-religieux alors qu’aujourd’hui, elle est aussi du
registre de la pharmacologie. Diversité des traitements et des écoles de pensée, ces
nouveaux terrains du médicament soulèvent des enjeux économiques et sociaux. C’est
encore le cas pour cet autre exemple qu’est le dopage, qui est fréquent dans le milieu
sportif centré sur la performance et l’intensité. Souvent réfléchi d’un point de vu
biomédical (risque pour la santé), le dopage sportif est beaucoup moins connu d’un
point de vue social. Les raisons qui motivent les athlètes à recourir au dopage (ou non)
sont très complexes. Toutefois, l’évaluation ciblée sur les aspects médicaux du produit
dopant, laisse en blanc les valeurs morales qu’il sous-tend. Autrement dit, ces
changements sociaux amènent leur lot de contradictions et ce faisant, justifie
amplement un changement de paradigme, notamment lorsque la communication entre
les acteurs de l’intervention contribue à une meilleure santé. Puisque l’observance d’un
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