ÉDITORIAL La préparation colique avant exérèse colorectale : un dogme tenace pour les chirurgiens ! Bowel preparation before colorectal cancer resection: is it worthwhile? “ I l est une phrase encore largement entendue dans le monde chirurgical : “Moi, je continue à préparer les côlons avant toute exérèse colorectale, car je ne veux pas être gêné par les selles… ”, le rationnel historique étant aussi qu’en éliminant le contenu septique colique, la préparation réduirait les complications infectieuses après résection colorectale. La question est de savoir si nous faisons de la chirurgie pour nousmêmes ou pour le bien des patients. Bien évidemment, la déontologie nous pousse vers la seconde affirmation, et ce n’est pas plus mal… Pr Frédéric Bretagnol Service de chirurgie colorectale, pôle des maladies de l’appareil digestif (PMAD), hôpital Beaujon, université Paris 7, Clichy. Enfin, le bon sens et la pratique quotidienne nous apprennent que, si on laissait le choix au patient, celui-ci préférerait sans conteste l’absence de préparation… Actuellement, il est un terme à la mode : celui de “réhabilitation précoce”, terme particulièrement adapté à la chirurgie colorectale. De tels programmes consistent à “dé-médicaliser” le patient au plus vite en simplifiant la prise en charge médicale et en jouant sur un certain nombre de facteurs pré-, per- et postopératoires (préparation colique et immunonutrition préopératoires, optimisation de l’anesthésie, arrêt précoce des perfusions, pas de sonde nasogastrique, pas de drain abdominal, etc). Plusieurs études randomisées et méta-analyses ont montré que, comparée à une prise en charge “standard”, la réhabilitation précoce permettait une réduction de la morbidité postopératoire ainsi que de la durée d’hospitalisation. La préparation colique avant exérèse colorectale constitue un dogme historique et tenace. Et pourtant, en 2012, il ne s’agit pas d’une question à laquelle on puisse répondre clairement, largement appuyée par une littérature incluant plusieurs études randomisées et méta-analyses. Il faut cependant différencier chirurgie colique et chirurgie rectale. Concernant la chirurgie colique élective pour cancer, il est clairement démontré qu’il n’existe aucun bénéfice à réaliser une préparation colique préopératoire (que ce soit la prise de laxatifs par voie orale, des lavements et/ou un régime sans résidus), et il pourrait même exister un effet délétère de la préparation en termes d’augmentation du risque d’infection du site opératoire. Malheureusement, les dernières enquêtes de pratique montrent que plus des deux tiers des chirurgiens français ont encore recours à la préparation colique…, ce qui est cependant mieux que nos collègues américains, dont plus de 90 % préparent encore leurs patients. La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 6 - novembre-décembre 2012 | 237 ÉDITORIAL À l’inverse, concernant la chirurgie rectale, nous ne disposons que de très peu de données. Le fait de différencier ces 2 chirurgies est pertinent, puisque, nous le savons tous, le risque de fistule anastomotique est plus élevé après exérèse rectale. Les premières études semblaient aboutir aux mêmes conclusions que pour la chirurgie colique, mais elles avaient un faible niveau de preuve (analyse de sous-groupes, études cas-témoins). Ainsi, nous avons publié l’année dernière, dans le cadre du GRECCAR (groupe de recherche en chirurgie sur le cancer du rectum), la première étude multicentrique randomisée sur le bénéfice de la préparation colique avant proctectomie pour cancer, étude incluant 178 patients. Nous avons montré que les taux de morbidité globale (44 versus 27 %) et de morbidité infectieuse (34 versus 16 %) étaient significativement plus élevés chez les patients non préparés. Il n’existait pas de différence en termes de fistule anastomotique et de morbidité majeure. Cette étude montrait, contrairement aux résultats rapportés en chirurgie colique, la nécessité de continuer à préparer les patients avant exérèse rectale élective pour cancer. Bien évidemment, il faudra confirmer ces conclusions par de nouvelles études randomisées spécifiques sur la chirurgie rectale. 1. Collin A, Folkesson J, Jung B, Nilsson E, Pahlman L. Does mechanical bowel preparation preceding colonic cancer surgery affect 5 year mortality and cancer recurrence? Oral abstract, ESCP 2012 Vienna. Ainsi, la question de la préparation colique semblait très claire : NON avant exérèse colique, OUI avant exérèse rectale… Jusqu’au dernier Congrès européen de coloproctologie (ESCP), à Vienne, il y a quelques semaines, lors duquel une étude suédoise a jeté un pavé dans la mare. En effet, L. Pahlman et al. (1) ont évalué, à partir d’une étude multicentrique randomisée sur l’intérêt de la préparation colique avant exérèse colique pour cancer, les taux de mortalité et de récidive (947 patients). Les auteurs ont montré, avec surprise, que, chez les patients non préparés, les taux de mortalité (36 versus 29 % ; p = 0,014) et de récidive à 5 ans (22 versus 15 % ; p = 0,009) étaient significativement plus élevés que chez les patients ayant reçu une préparation colique. Bien évidemment, il est encore trop tôt pour remettre en question la non-préparation dans la chirurgie colique, car ces données méritent d’être largement précisées. En effet, il existe plusieurs biais dans ce travail : les données exploitées proviennent d'une étude randomisée dont l’objectif principal était la morbidité postopératoire. Au demeurant, il pourrait exister un effet centre dans cette étude multicentrique ?… 238 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XV - n° 6 - novembre-décembre 2012 140 mm (Lettre) ” Quoi qu’il en soit, il ne faut pas jeter trop vite aux oubliettes la préparation colique, car ce sujet va continuer à faire couler beaucoup d’encre…