Helicobacter pylori Gastric cancers:

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Bactéries et cancer
dossier
thématique
Carcinomes gastriques : Helicobacter
pylori et microbiote
Gastric cancers: Helicobacter pylori and microbiota
Dominique Lamarque*
prénéoplasiques qui apparaissent plusieurs années auparavant.
Ces lésions sont l’atrophie et la métaplasie intestinale de la
muqueuse gastrique induites par une infection ancienne par
H. pylori. L’atrophie glandulaire dans le corps gastrique provoque une
hypochlorhydrie qui modifie le microbiote gastrique. La détection
des lésions prénéoplasiques repose sur la pratique systématique
de biopsies gastriques au moment de l’endoscopie. Des facteurs
environnementaux tels que l’exposition aux nitrates, aux nitrites,
à une forte consommation de sel et/ou de viande, le tabagisme,
et un statut socio-économique faible sont également liés à un
accroissement du risque de cancer. Les traitements antisécrétoires
prolongés pourraient accélérer l’extension de l’atrophie muqueuse
chez les patients infectés. Le rôle du microbiote dans ce processus
n’est pas défini.
Summary
RÉSUMÉ
» La majorité des carcinomes gastriques est issue de lésions
Mots-clés : Estomac − Lésions précancéreuses − Atrophie glandulaire − Métaplasie intestinale − Surveillance.
M
* Hépatogastroentérologie,
hôpital Ambroise-Paré,
Boulogne-Billancourt.
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Most of the gastric cancers result from preneoplastic lesions
that occur over several years. These lesions are atrophy and
intestinal metaplasia of gastric mucosa caused by a previous
H. pylori infection. The glandular atrophy in the gastric
body causes hypochlorhydria which modifies the gastric
microbiota. The detection of premalignant lesions depends
on the systematic gastric samples at the time of endoscopy.
Environmental factors such as exposure to nitrates, nitrites,
a high salt intake, meat consumption, smoking, and low
socioeconomic status are also associated with an increased
risk of cancer. Prolonged treatments with antisecretory may
accelerate the extension of mucosal atrophy in infected
patients. The microbiota role toward this phenomenon is
not known .
Keywords: Stomach − Precancerous lesions − Glandular
atrophy − Intestinal metaplasia − Monitoring.
algré les progrès des stratégies médico-chirurgicales, le carcinome gastrique distal (hormis
le carcinome du cardia) est de mauvais pronostic puisque la survie à 5 ans des cancers infiltrant
la sous-muqueuse ne dépasse pas 25 %. Ce cancer,
dont l’incidence annuelle est de plus de 6 000 cas en
France, est la troisième cause de mortalité par cancer
digestif. Le développement du cancer est longtemps
asymptomatique et seule une endoscopie gastrique
permet alors de le détecter. Un dépistage systématique
par endoscopie ou par radiographie avec opacification
gastrique est organisé au Japon où l’incidence du cancer
est élevée. Il a été montré que ce dépistage réduisait
de 32 à 78 % cette incidence.
L’atrophie et la métaplasie intestinale sont des lésions
prénéoplasiques induites par une infection ancienne
par Helicobacter pylori (figure 1) [1]. L’atrophie sur le
corps gastrique associée à la métaplasie intestinale est
un facteur de risque particulier de cancer (figure 2) [2].
De nombreuses études concluent à un effet bénéfique
de l’éradication de H. pylori sur l’évolution des lésions
prénéoplasiques. L’analyse combinée de 5 études comparatives, comprenant les 3 études précédentes, a étudié
l’effet de cette éradication sur l’évolution des lésions prénéoplasiques (atrophie et/ou métaplasie intestinale) [3].
Une réduction du risque de progression des lésions
prénéoplasiques était observée dans le groupe traité :
RR = 0,66 (IC95 : 0,41-1,04). Une méta-analyse portant
sur 12 études ayant inclus 2 658 patients a montré que
l’éradication de H. pylori n’entraînait une réduction des
lésions d’atrophie que dans le corps gastrique et non
dans l’antre. Les lésions de métaplasie n’étaient pas
modifiées (4). L’absence de modification de la métaplasie
après éradication a été confirmée dans une cohorte de
841 sujets taïwanais ayant eu en 2004 un examen endoscopique avec biopsies et une éradication de H. pylori.
En 2008, la fréquence de l’atrophie était réduite de
77,2 %, mais celle de la métaplasie intestinale n’était
pas affectée, sa prévalence étant de 31,7 % en 2004 et
de 38,9 % en 2008. L’incidence du cancer gastrique dans
Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. III - n° 2 - avril-mai-juin 2014
Carcinomes gastriques : Helicobacter pylori et microbiote
l’ensemble de la population diminuait de 10 % entre la
période précédant l’éradication et celle la suivant (5).
Âge
Quel rôle pourraient jouer les autres
bactéries du microbiote gastrique
dans l’évolution vers le cancer ?
15
L’analyse du microbiote gastrique par PCR à partir de l’amplification de l’ADN 16S a montré la présence des espèces
Enterococcus, Pseudomonas et Staphylococcus (6). Des
travaux plus récents ont également décrit des espèces
peu ou non cultivables : Lactobacillus, Streptococcus,
Prevotella, Veillonella, Rothia et Clostridium (7-9). Il est
probable que ces espèces évoluent dans le mucus gastrique qui les protège de l’acide. L’augmentation du pH
qui résulte de l’atrophie rend le mucus moins visqueux,
ce qui facilite la pénétration des bactéries (10).
L’atrophie glandulaire dans le corps gastrique provoque
une hypochlorhydrie qui modifie le microbiote gastrique.
Ce microbiote analysé par PCR semble contenir plus de
120 phylotypes (8). En cas d’atrophie apparaissent des
streptocoques, des lactobacilles et des espèces telles
que Veillonella et Prevotella. Le rôle de ces espèces dans
le développement du cancer est inconnu. Dans des
modèles animaux de cancer gastrique induits par H.
pylori, le microbiote gastrique se modifie avec l’évolution
vers le cancer. La proportion de Firmicutes s’accroît, mais
le rôle de ce phylotype n’est pas identifié (11). Il a été
montré que l’atrophie glandulaire était associée à un
appauvrissement de la richesse du microbiote gastrique
par rapport à celui de témoins (12). Cet appauvrissement
s’accentue avec l’évolution vers la métaplasie intestinale (13). Par ailleurs, la réduction du microbiote par
un traitement antibiotique diminue la réponse immunitaire contre H. pylori chez la souris, probablement par
l’intermédiaire d’une réduction de la colonisation de
Clostridium (14). Cette diminution de la réponse immunitaire favoriserait la chronicité de l’infection.
Comment dépister l’évolution
de la muqueuse gastrique vers le cancer ?
Le dépistage du cancer gastrique repose sur la reconnaissance des lésions prénéoplasiques. Elles ne sont pas
identifiables au cours de l’examen endoscopique sans
appareil disposant d’une image de haute résolution.
L’usage d’endoscopes à haute résolution ne peut être
envisagé dans le cadre d’un dépistage à large échelle
du fait du coût du matériel et de l’allongement de la
durée de l’examen.
Muqueuse normale
Réversibilité
H. pylori
Gastrite chronique active
100
+
40
Atrophie
50
±
50
Métaplasie intestinale
20
–
Dysplasie
8
–
Cancer gastrique
1
70
Figure 1. Cascade des anomalies histologiques gastriques conduisant au cancer.
H. pylori
Pangastrite
Atrophie diffuse et
métaplasie intestinale
Cancer
Figure 2. La gastrite diffuse (pangastrite) induite par H. pylori est un facteur de risque du cancer.
Le dépistage doit donc être fondé sur la pratique systématique de biopsies gastriques au moment de l’endoscopie. La classification de Sydney est habituellement
employée pour coter l’atrophie. Elle semi-quantifie
l’atrophie séparément sur le fundus et l’antre mais
ne permet pas d’établir un score global d’atrophie. La
classification OLGA, qui tient compte de la localisation
de l’atrophie dans l’antre et le corps gastrique, a été
proposée récemment (15). Elle permet d’établir un
score global allant de 1 à 4, les scores 3 et 4 étant
considérés comme prédictifs de la survenue future de
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thématique
dysplasies et de cancers. Cette classification OLGA a
été testée dans une étude transversale chez 439 sujets
dont 4 développaient des lésions dysplasiques et 1, un
cancer invasif. Il y avait une bonne corrélation entre
la sévérité de la gastrite (scores 3 et 4) et la présence
de lésions dysplasiques. Une étude menée chez 99
sujets suivis pendant 12 ans a montré que le cancer
apparaissait chez ceux ayant une atrophie sévère et
diffuse selon cette classification (15). Cette nouvelle
classification, complétée par la prise en compte de
la métaplasie intestinale, pourrait être utile pour
sélectionner les malades devant être surveillés par
endoscopie. La métaplasie intestinale est plus facilement identifiée par les anatomopathologistes que
l’atrophie et permet une évaluation plus reproductible
de l’extension des lésions.
La détection des lésions prénéoplasiques
repose sur la pratique systématique
de biopsies gastriques au moment
de l’endoscopie
La localisation et le nombre des prélèvements ont fait
l’objet de beaucoup d’études qui concluent que le dépistage de l’atrophie et de la métaplasie nécessite la prise de
3 biopsies antrales (dont l’une sur l’angle) et de 2 biopsies
du corps gastrique (15). La présence d’une métaplasie
intestinale sur les prélèvements de la petite courbure
antrale et fundique est un facteur de risque majeur de
cancer avec un odds-ratio de 12,2 (IC95 : 2,0-72,9) [16]. Ce
risque, établi par une étude cas-témoins comportant de
petits effectifs, doit être confirmé par une étude prospective de cohorte.
La surveillance des patients ayant une métaplasie
intestinale est mal établie. Les études disponibles ne
sont ni prospectives ni réalisées à partir d’une cohorte
homogène. Les incidences annuelles varient de 0 % à
73 % selon les études (17). Un avis d’expert européen a
suggéré une surveillance par endoscopie avec biopsies
gastriques tous les 3 ans (18). En cas de dysplasie de bas
grade, une surveillance annuelle était recommandée.
L’évolution de la dysplasie a été évaluée par le registre
national néerlandais PALGA. En cas de dysplasie de
bas grade sur des prélèvements gastriques initiaux, le
risque de cancer était évalué à près de 4 % à 10 ans (17).
Les antécédents de cancer gastrique chez un apparenté
du premier degré accroissent le risque de cancer en cas
d’infection à H. pylori. Une réunion d’experts avait d’ailleurs conclu en 2005 à la nécessité de la rechercher et de
la traiter chez les patients ayant un antécédent familial
de cancer gastrique au premier degré. Une méta-ana-
lyse récente confirme une augmentation des lésions
prénéoplasiques en cas d’infection à H. pylori chez les
patients avec antécédent familial comparativement aux
témoins (19). Le dépistage est également recommandé
par la récente révision du consensus européen sur H.
pylori (20).
Bien que les auteurs s’entendent sur la nécessité de
surveiller les patients ayant une atrophie diffuse de la
muqueuse gastrique et de la métaplasie intestinale, ni
le risque de progression vers le cancer ni la fréquence
de la surveillance ne sont bien définis.
Des facteurs environnementaux tels que l’exposition aux
nitrates, aux nitrites, à une forte consommation de sel et/ou
de viande, et un faible statut socio-économique sont
également liés à un accroissement du risque de cancer.
Les lésions précancéreuses sont associées à la consommation de tabac chez les patients infectés par H. pylori (21).
Les fumeurs actifs ont un risque augmenté de dysplasie
(OR = 2,14 ; IC95 : 1,48-3,08) et de métaplasie intestinale
(OR = 1,33 ; IC95 : 1,06-1,68), mais pas d’atrophie gastrique.
Il existe par ailleurs une relation linéaire entre le nombre
de cigarettes fumées par jour et, à la fois, la dysplasie
et la métaplasie intestinales. Une étude de cohorte de
2 436 patients chinois, suivis durant 4,5 ans, est parvenue
aux mêmes conclusions : une consommation de tabac
depuis plus de 25 ans était associée de façon significative
à une évolution vers la dysplasie ou le cancer gastrique
(OR = 1,6 ; IC95 : 1,0-2,1) [22]. Les traitements antisécrétoires
prolongés pourraient accélérer l’extension de l’atrophie
muqueuse chez les patients infectés (23). L’inhibition
de la sécrétion acide par les inhibiteurs de la pompe à
protons (IPP) favorise la prolifération de bactéries dans
l’estomac. Aucune donnée récente sur l’évolution du
microbiote n’est connue sous traitement par IPP (10, 24).
L’achlorhydrie associée à l’inflammation prédominante
dans le corps gastrique pourrait favoriser la carcinogenèse par effet de certaines interleukines sur la survie
et la migration des cellules tumorales (25).
Conclusion
La métaplasie intestinale et la dysplasie gastrique sont
des états précancéreux qui ne régressent pas malgré
l’éradication de H. pylori. Bien qu’aucune des études
publiées n’adopte un réel schéma prospectif, une surveillance tous les 3 ans par endoscopie gastrique avec
biopsies étagées a été recommandée pour la métaplasie intestinale et une surveillance annuelle en cas
de dysplasie de bas grade. Le microbiote gastrique se
modifie avec l’évolution vers l’atrophie, mais son rôle
dans l’évolution vers le cancer est encore inconnu. ■
L’auteur n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.
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