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Place de l’endoscopie dans le dépistage
du cancer iléal ou colique au cours des MICI
Colon and small bowel cancer screening by endoscopy in
inflammatory bowel diseases
l M. Barthet*
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■ Le risque de cancer au cours de RCH varie d’un facteur 2,7 à 5,7 et semble
avoir été surestimé dans les premières études. Il débute à partir de 8 ans
d’évolution avec 2 % à 10 ans, 8 % à 20 ans et 18 % à 30 ans. Les principaux facteurs de risque sont la durée d’évolution, l’extension colique, un
âge de début jeune, l’association à une cholangite sclérosante, l’existence
d’antécédents familiaux de cancer colique.
■ Le risque de cancer colique au cours de la MC semble identique à celui
observé au cours de la RCH. Le risque de cancer du grêle paraît plus important. Les facteurs de risque semblent moins bien établis (durée d’évolution,
âge de début, extension).
■ Les résultats des études de surveillance endoscopique sont difficiles à
analyser en l’absence de standard. Le nombre de “cancers utiles” dépistés
pourrait être inférieur à 20 %. La surveillance endoscopique semble diminuer la mortalité par cancer et augmenter la proportion de cancers dépistés
à un stade précoce. Une seule étude concernant la surveillance de la MC
est disponible.
■ Le nombre, la localisation et la fréquence des biopsies sont encore l’objet de controverses. Le diagnostic de dysplasie de bas grade expose à un
risque de dégénérescence non négligeable, mais la faible reproductibilité
interobservateur nécessite une deuxième lecture histologique. Le diagnostic
de dysplasie de haut grade semble plus fiable et doit conduire à envisager
une colectomie prophylactique.
■ La surveillance endoscopique doit débuter après 8 ans d’évolution pour
une atteinte pancolique. Sa fréquence doit être modulée selon la durée d’évolution, l’association à une cholangite sclérosante, un âge de début jeune.
■ The risk of cancer occurring during the course of ulcerative colitis ranges
between 2.7 to 5.7 and has been overestimated in the earlier studies. It is
starting since 8 years of disease duration. The main factors are the duration
of the disease, the colonic extension, young at onset of the disease, association to sclerosing cholangitis, familial history of colonic cancer.
■ The risk of cancer occurring during the course of Crohn’s disease appears
to be similar to that observed during the course of ulcerative colitis. The
small bowel cancer appears to be increased. Risk factors are not so wellestablished than for ulcerative colitis.
■ The results of previous studies about endoscopic follow-up are difficult
to evaluate because standardized attitudes are lacking. The rate of early cancer seems to be lower than 20 %. Endoscopic follow-up seems to decrease
the rate of advanced carcinomas and to improve the 5 years survival. Only
one study concerning the endoscopic follow-up for Crohn’s disease is available.
■ The number, localisation and frequency of biopsy is not definetly assessed. The diagnosis of low grade dysplasia can lead to a significant risk of
cancer whereas the interobservers reproductibility is low requiring a second
pathological lecture. The diagnosis of high grade dysplasia is more reliable
leading to prophylactic colectomy.
■ Colonoscopic surveillance has to start after 8 years of duration of the
disease extended to the whole colon and after 15 years in case of left-sided
ulcerative colitis. The frequency of the surveillance has to be regulated
according to the association to risk factors like sclerosing cholangitis, young
age at onset of the disease.
e risque d’apparition de cancer digestif au cours des
maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI)
est redouté tant par les patients que par les médecins, ce
qui implique d’envisager une surveillance endoscopique régulière. Malheureusement cette surveillance est mal codifiée, et réa-
lisée de manière empirique. Quelques recommandations ont été
apportées récemment, mais leur impact est faible dans la pratique
quotidienne (1, 2). La connaissance de mieux en mieux établie
de groupes à risque et de facteurs de risque de dégénérescence
permet de mieux déterminer le type de patients à inclure dans un
programme de surveillance. Les modalités de cette surveillance,
tant pour sa fréquence que pour le nombre, la localisation et
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* Service de gastroentérologie, hôpital Nord, Marseille.
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Tableau I. Surveillance endoscopique : rythme.
Durée d’évolution
10-20 ans
20-30 ans
> 30 ans
tous les 3 ans
tous les 2 ans
tous les ans
Extension
F acteurs de modulation
Pancolique : à partir de 8 ans d’évolution
colite gauche : à partir de 15 ans d’évolution
Cholangite sclérosante
Âge jeune
Antécédents familiaux
l’interprétation des biopsies restent discutées. Enfin, alors que la
prévalence de la maladie de Crohn (MC) est proche de celle de
la rectocolite hémorragique (RCH), voire supérieure dans certains
pays, la MC reste le parent pauvre de la surveillance endoscopique
(2). Pourtant, le risque de cancérisation de la MC est probablement aussi important que celui de la RCH, comme l’attestent deux
études épidémiologiques récentes (3, 4). La connaissance du
risque de cancer digestif au cours des MICI, des résultats des
études de surveillance endoscopique déjà réalisées et des problèmes de rapport coût/efficacité doivent aboutir à des guidelines.
Quelques recommandations commencent à voir le jour en attendant une prise de position officielle des sociétés savantes.
QUELS SONT LES RISQUES ET LES FACTEURS
DE RISQUE DE CANCER DIGESTIF AU COURS DES MICI ?
Rectocolite hémorragique
Les premières études fondées sur des séries essentiellement hospitalières faisaient état d’un risque de cancer digestif, probablement surestimé, de 5 à 21 % après 20 ans d’évolution (5, 6). Le
risque est apparu plus faible, 3,1 % et 5 % à 20 ans respectivement dans deux études de cohorte ultérieures (7, 8). Toutefois, un
nouveau biais apparaissait, car certaines études incluaient la surveillance de patients dont certains avaient subi une colectomie
totale jusque dans 32 % des cas à 20 ans d’évolution (7). Ces
études peuvent donc avoir sous-estimé le risque à long terme.
Finalement, les chiffres les plus proches de la vérité ont probablement été établis par une méta-analyse récente qui a évalué le
risque de cancer digestif à 2 % à 10 ans, 8 % à 20 ans et 18 % à
30 ans (9).
Le risque relatif de cancer digestif chez des patients atteints de
MICI fluctue entre 2,7 et 5,7 dans les différentes études et selon
leur durée moyenne de suivi (3, 10, 11). En comparaison historique, ce risque est proche de celui de cancer du côlon, ou supéTableau II. Surveillance endoscopique : biopsies.
N o m b re
2 à 4 tous les 10 cm
Localisation
Période
DALM ++
Éviter poussées
inflammatoires
Côlon gauche++
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rieur, en cas d’apparenté au premier degré atteint de cancer du
côlon avant l’âge de 65 ans, risque qui débouche sur une surveillance unanimement acceptée. La nécessité d’une surveillance
s’impose donc, les modalités de la surveillance et les éventuels
groupes à risque concernés restant à définir.
Certains facteurs de risque de cancer du côlon au cours de la RCH
sont bien établis, d’autres sont d’apparition plus récente. Le facteur le plus reconnu, sur lequel est fondé une partie de la stratégie de surveillance est la durée d’évolution. Le risque débute après
8 à 10 ans d’évolution (9, 11), puis augmente régulièrement de
0,5 à 1 % par an. La plupart des études notent un risque maximal
après 20 à 30 années d’évolution, justifiant une surveillance
accrue, passé ce seuil (1, 8, 10). L’âge de début de la maladie a
longtemps été considéré comme corrélé à la durée d’évolution de
la maladie, mais il apparaît maintenant comme un facteur indépendant. Ainsi, dans la série suédoise, le risque de cancer après
35 ans d’évolution était de 40 % quand la maladie débutait avant
l’âge de 15 ans et de 25 % quand elle commençait entre 15 et
39 ans (10). L’influence de l’âge de début était confirmée dans
deux séries récentes avec un risque relatif de cancer de 3 entre 0
et 29 ans, de 1,5 entre 30 et 49 ans et de 1 après 50 ans (4, 11).
L’extension de la maladie est également un facteur bien connu.
Le risque de cancer est de 14,8 en cas de pancolite, de 2,8 en cas
de colite gauche, de 1,7 en cas de proctite (10). Ce risque lié à
l’étendue de la RCH est bien sûr confirmé dans de nombreuses
études, mais il n’est pas nul en cas de proctite (11). En fait, si le
risque de cancer en cas de proctite ou de colite gauche est nettement plus faible, il est surtout décalé dans le temps d’une dizaine
d’années. Cette notion doit être prise en compte pour la stratégie
de surveillance. En revanche, la sévérité de l’affection ne semble
pas constituer un facteur de risque particulier (1).
Plusieurs études ont suggéré un risque plus élevé de cancer du côlon
en cas de cholangite sclérosante (12). Une étude récente a mis en
évidence 25% de dysplasie colique dans une cohorte de 132 patients
associant RCH et cholangite sclérosante contre seulement 5,6%
dans une cohorte de 192 patients avec RCH et sans cholangite sclérosante (12). Ce risque était associé à une localisation proximale
plus fréquente, un stade plus avancé et une mortalité plus importante. Un rôle protecteur des folates était suggéré dans cette même
étude, mais aussi du 5-ASA dans un autre travail (4).
Enfin, un antécédent familial de cancer sporadique du côlon multiplie par deux le risque de cancer colique en cas de RCH (13).
Ce risque était indépendant de celui relatif à la RCH en analyse
multivariée (13).
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Maladie de Crohn
Le risque de cancer digestif au cours de la MC a probablement
été longtemps sous-estimé en raison de la difficulté de surveillance
endoscopique de la muqueuse colique, comme le prouve la quasiabsence d’étude de surveillance du côlon au cours de la MC (2).
Toutefois deux études récentes ont montré que le risque de cancer colique était identique dans la MC et la RCH (3, 4). Le risque
de cancer digestif est multiplié par un facteur de 2,6 à 3,4 (3, 14,
15). Il semble très différent selon que l’on considère le risque de
cancer du grêle ou du côlon. Ainsi, le risque de cancer du grêle
varie de 15,6 à 50 au cours de la MC (3, 14, 15).
Les facteurs de risque de cancer colique en cas de MC sont plus
diversement appréciés que ceux mis en évidence au cours de la
RCH. Il est donc plus difficile d’établir un groupe à risque et de
définir une stratégie de surveillance. La durée d’évolution ne semblait pas être un facteur de risque dans deux travaux récents (2,
15). Un âge de début inférieur à 25 ans ou 30 ans augmentait le
risque et un âge inférieur à 45 ans était associé à une augmentation du taux de cancer dépisté dans une autre étude, indépendamment de la durée d’évolution de la MC (2, 15). Pourtant, les
premières études suggéraient un risque de cancer accru en cas de
longue durée d’évolution ou d’une atteinte colique extensive.
QUELS SONT LES RÉSULTATS DES ÉTUDES
DE SURVEILLANCE ENDOSCOPIQUE ?
Les résultats des études sont difficiles à interpréter en l’absence
de randomisation, de périodes standardisées de surveillance, de
nombre de biopsies réalisées (1). La principale controverse
concerne le taux de coloscopies qui permettent le diagnostic de
“cancer utile”, c’est-à-dire confirmé après exérèse colique et à un
stade précoce, curable. Cette proportion varie entre 0,2 et 1,5 %
(16, 17). Ainsi, dans le cadre d’un programme de surveillance,
il faudrait réaliser 476 coloscopies selon l’équipe d’Axon, ou
66 selon celle de Connell pour dépister de façon utile un cancer
colorectal (16, 17). Dans la revue d’Axon et al., reprenant, en
1993, les douze études précédentes, qui comportaient suffisamment de renseignements pour être analysables, 92 cancers colorectaux ont été diagnostiqués chez 1 916 patients inclus dans
ces différents programmes de surveillance par colosocopie (17).
Toutefois, si l’on excluait les stades C de Dukes, les cancers
diagnostiqués sur pièce opératoire sans dysplasie préalablement
diagnostiquée ou ceux diagnostiqués au cours d’examens non
programmés, comme un lavement baryté ou une sigmoïdoscopie,
les cancers diagnostiqués au cours de la première coloscopie, le
nombre de “cancers utiles” diagnostiqués grâce au programme
de surveillance était finalement de 11 (12 % du total), ce qui portait le nombre de coloscopie “utile” à une tous les 476 examens.
La discussion porte donc, non pas sur le risque de cancer, mais
sur la capacité d’un programme de surveillance par coloscopie à
diminuer ce risque. Dans un autre travail, rétrospectif, 332 patients
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qui avaient une rectocolite hémorragique évoluant depuis plus de
10 ans, subissaient 1 316 coloscopies, une biopsie étant effectuée
tous les 10 cm (17). Le nombre de cancers diagnostiqués était
de 20 (durée d’évolution moyenne 21 ans), 11 l’étant à un stade
précoce ; 12 dysplasies étaient également mises en évidence. La
rentabilité de la coloscopie dans cette série était donc meilleure,
avec une coloscopie “utile” tous les 66 examens (16). Dans cette
série, comme dans celles colligées par Axon et al., le nombre de
cancers évolués n’est pas négligeable, ce qui montre que les performances du programme de surveillance par coloscopie doivent
être améliorées (16, 17). Il semble cependant que la surveillance
endoscopique de la RCH soit capable d’augmenter le nombre de
cancers dépistés à un stade précoce et de réduire la mortalité par
cancer colo-rectal. Choi et al. ont analysé les caractéristiques de
41 cancers colorectaux survenus parmi 2 050 patients atteints
de RCH (18). Dix-neuf cancers avaient été mis en évidence dans
le cadre d’un programme de surveillance. Le nombre de stades
précoces (stades A et B de Dukes) était significativement plus
important en cas de surveillance endoscopique (78 versus 27 %)
et l’espérance de vie à 5 ans était significativement supérieure (77
versus 36 %). Enfin, plus récemment, Karlen et al. ont étudié l’impact sur la mortalité par cancer colo-rectal d’un programme de
surveillance endoscopique dans une cohorte de 4 664 patients
(19). Le risque relatif était diminué à 0,29 (0,06-1,31) si au moins
une coloscopie était effectuée, et à 0,22 (0,03-1,74) si plus de
deux coloscopies étaient réalisées (19).
Jusqu’à présent, la discussion de la surveillance endoscopique
des MICI ne concernait que la RCH (1). Un travail a récemment
été publié, étudiant la surveillance de la MC colique (2) :
663 coloscopies, avec des biopsies tous les 10 cm et un intervalle
médian de 2 ans, ont été effectuées chez 259 patients. Le programme de surveillance a permis de dépister 16 % de dysplasies
dont 4 de haut grade et 5 cancers. La probabilité de dépister une
dysplasie ou un cancer était de 22 % à la quatrième endoscopie
de surveillance. Cette étude, la première du genre, est donc encourageante puisqu’elle a permis de dépister des états dysplasiques
ou des cancers à des stades relativement précoces (deux stades A
et deux stades B2). D’autres doivent être effectuées pour démontrer une réduction de la mortalité par cancer et un rapport coût/
efficacité convenable.
QUELLES SONT LES LIMITES
DES ÉTUDES DE SURVEILLANCE ENDOSCOPIQUE ?
Le nombre de biopsies et leur localisation demeurent un sujet de
controverse. La plupart des auteurs s’accordent à dire que plus les
biopsies sont nombreuses, plus la probabilité d’obtenir un diagnostic de dysplasie augmente (1, 17). Toutefois, il avait été calculé que la réalisation d’une à deux biopsies tous les 10 cm ne permettait d’explorer que 5 à 10 mm2 de muqueuse colique pour une
surface totale de 1 m2. Le nombre de biopsies doit augmenter au
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niveau du côlon gauche, le risque de transformation en cancer invasif d’une lésion dysplasique du côlon gauche dépassant 50 % dans
certaines études. La dysplasie de bas grade est rencontrée de façon
variable dans les biopsies de surveillance, allant de 17 % à plus de
80 % après 40 ans d’évolution (16, 17). Le risque de transformation est également diversement apprécié, allant de 10 % dans une
série de 121 patients à une probabilité de 54 % de dysplasie de
haut grade ou de cancer à 5 ans d’évolution (16). Enfin, la reproductibilité interobservateur du diagnostic de dysplasie de bas grade
de malignité est discutable, un taux de 17 % de concordance ayant
été noté après relecture dans la série de Connell et al. (16). La dysplasie de haut grade est associée de façon plus claire à un risque
de malignité dans 35 à 44 % des cas (16, 17). La reproductibilité
interobservateur est également meilleure, atteignant 57 % (16). Il
est conseillé, en cas de diagnostic de dysplasie, d’obtenir une
confirmation par un deuxième anatomopathologiste, spécialisé
dans ce domaine (1).
Enfin, les masses ou lésions surélevées du côlon (DALM : dysplasia associated lesion or mass) associées à une dysplasie présentent un risque de cancer élevé, dépassant une probabilité de
33 % (16). Ces DALM nécessitent une surveillance attentive de
la part des endoscopistes afin de réaliser de nombreuses biopsies
dirigées.
Le problème des adénomes nécessite de faire la différence entre
les adénomes sporadiques, qui ne sont pas propres aux MICI, et
les DALM, qui sont des lésions polypoïdes, ou en léger relief, adénomateuses ou adénovilleuses, dont l’apparition est liée à l’évolution de la MICI. La différence est parfois artificielle, mais elle est
importante, car les polypes sporadiques peuvent être traités par
polypectomie endoscopique, alors que les DALM devraient
conduire à une colectomie totale. Les DALM semblent se différencier des adénomes sporadiques par leur survenue chez un sujet
plus jeune, avec une maladie plus active et une durée d’évolution
plus importante. Sur un plan endoscopique, la différence est pratiquement impossible à faire, en dehors des zones saines où l’on peut
considérer que les polypes sont de type sporadique. La prise en
charge endoscopique des polypes coliques, qu’ils soient sporadiques ou dans le cadre de DALM, est possible dans le cadre d’une
surveillance endoscopique, en l’absence de dysplasie associée, mais
le risque de récidive concernant les DALM est important (> 30%).
QUEL EST LE RAPPORT COÛT/EFFICACITÉ
DE LA SURVEILLANCE ENDOSCOPIQUE
AU COURS DES MICI ?
Les études de rapport coût/efficacité sont d’origine américaine et,
par là même, difficilement applicables au système de soin français. Le taux annuel de transformation maligne est faible, et plusieurs stratégies selon la fréquence de surveillance et le rendement
de cette surveillance sont à envisager. Delco et al. ont envisagé la
rentabilité de la surveillance biannuelle en comparant, à l’aide du
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modèle de Markov, le nombre de vies sauvées avec le coût de la
colonoscopie et de la coloproctectomie totale, étape ultime de la
surveillance endoscopique (20). L’absence de surveillance et la
surveillance endoscopique aboutissaient à un rapport coût/efficacité identique en considérant un taux cumulé de cancer colo-rectal de 27 % à 30 ans d’évolution. Toutefois, si le taux de cancer
colo-rectal dépassait la valeur de 27 % à 30 ans, la surveillance
endoscopique avait le meilleur rapport coût/efficacité. Les auteurs
concluaient que le taux étant proche de 30 % à 30 ans, il était difficile de démontrer le rapport coût/efficacité de la surveillance
biannuelle. De plus, une variation du coût de la coloscopie de
200 $, 500 $ et 1 500 $ modifiait le seuil “de rentabilité” du taux
cumulé de cancer colorectal à 18, 21 et 35 % respectivement. Il en
allait de même pour le coût de la coloproctectomie. Il est donc difficile de tirer des conclusions certaines, mais on peut remarquer
que le coût de coloscopie retenu dans le modèle (911 $) est largement supérieur à celui appliqué en France, ce qui permet de penser qu’en France, une telle stratégie est probablement rentable.
Une autre étude a évalué le rapport coût/efficacité avec un coût de
la coloscopie fixé à 1 100 $, en faisant varier la fréquence de la
surveillance entre un et cinq ans (21). Toutes les modalités de surveillance entre une et cinq années de période de surveillance étaient
rentables comparativement à l’absence de surveillance. Mais le
coût par année de vie gagnée croissait considérablement. Ainsi, le
coût de la surveillance par année de vie gagnée était respectivement, pour une surveillance à quatre ans, trois ans, un an, de 83
700 $ par LY, 111 600 $ par LY, 247 200$ par LY (LY : life year).
Si la surveillance annuelle est celle qui permet théoriquement le
meilleur gain de vie, son coût est multiplié par plus de deux par
rapport à une surveillance triannuelle (21). Le choix de la période
de surveillance est donc en partie politique, dépendant du coût
estimé des vies supplémentaires gagnées…
PEUT-ON RECOMMANDER UNE SURVEILLANCE
ENDOSCOPIQUE AU COURS DES MICI ?
Deux enquêtes de pratique médicale ont été réalisées aux ÉtatsUnis et en Grande-Bretagne (22, 23). Elles montrent toutes deux
qu’en l’absence de recommandations claires, les pratiques médicales sont très variables. Dans l’enquête menée en Grande-Bretagne, 24 % seulement des médecins surveillaient les colites
gauches, et chez 50 % pratiquaient moins de 10 biopsies au cours
de la surveillance (23). Une colectomie était proposée chez 4 %
des patients avec une dysplasie de bas grade, chez 30 % des
patients avec DALM et chez 50 % seulement en cas de dysplasie
de haut grade. Enfin, 27 % des praticiens seulement réalisaient
une coloscopie de contrôle annuelle après 30 ans d’évolution
d’une RCH. Dans l’enquête menée en 1995 aux États-Unis, les
pratiques semblaient plus conformes aux données de la littérature puisque, en moyenne, trois biopsies étaient réalisées sur huit
sites différents (22). Une colectomie était proposée chez 16 % des
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patients avec une dysplasie de bas grade, chez 98 % de ceux avec
DALM et chez 69 % seulement en cas de dysplasie de haut grade.
Quatre-vingt-cinq pour cent des praticiens demandaient une confirmation histologique supplémentaire. Enfin, 56 % des praticiens
proposaient une surveillance annuelle après 10 ans d’évolution, et
33 % une surveillance biannuelle, même si 26 % recommandaient
une colectomie prophylactique après 20 ans d’évolution.
Les récentes recommandations de la Société américaine de gastroentérologie (AGA) proposent, de façon assez vague, une surveillance endoscopique après 8 ans d’évolution en cas de pancolite et 15 ans en cas de colite gauche avec une période de un an
à 3 ans. Mais ces recommandations ne prennent pas position sur
le problème du traitement endoscopique des DALM et polypes
sporadiques. Les recommandations proposées récemment par
Eaden et Mayberry, établies selon les données de la littérature,
pourraient éventuellement servir de base à une recommandation
de la Société française d’endoscopie digestive (23). Elles proposent aussi une coloscopie à partir de 8 ans d’évolution pour une
pancolite et de 15 ans pour une colite gauche, mais avec une période
variable: tous les 3 ans entre 10 et 20 ans, tous les 2 ans entre 20 et
30 ans, et tous les ans au-delà de 30 ans d’évolution. Le rythme de
surveillance doit être accru en cas d’association à une cholangite
sclérosante ou d’âge de début jeune. Les coloscopies doivent être
effectuées en période de rémission, avec deux à quatre biopsies
tous les 10 cm, en augmentant le nombre de biopsies sur les zones
surélevées, sténosées ou ulcérées et dans le côlon gauche. En
cas de dysplasie de haut grade ou de DALM, une colectomie est
recommandée. En cas de dysplasie de bas grade, une confirmation
histologique doit être effectuée en cas d’ambiguïté, et la décision
d’une colectomie doit être discutée avec le patient. Ce dernier
doit être informé que, en cas de colectomie, un cancer peut ne
pas être trouvé sur la pièce opératoire ; de même, en cas d’endoscopie de contrôle, la dysplasie peut ne pas être retrouvée.
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CONCLUSION
La surveillance endoscopique des MICI est une nécessité en
termes de gain de vie, probablement rentable sur un plan économique, en France tout au moins. L’absence de réelle recommandation officielle et d’étude randomisée entraîne la pratique
de schémas de surveillance et de prise en charge très variables,
agressives ou négligentes pour le patient, mais toujours coûteuses pour la santé publique. Les données de la littérature semblent pourtant suffisamment abondantes et convergentes pour
servir de base à la mise au point de recommandations françaises
ou européennes.
■
Mots clés. Maladie de Crohn - Rectocolite hémorragique Cancer colique - Surveillance endoscopique.
Crohn’s disease - Ulcerative colitis - Colonic cancer - Endoscopic surveillance.
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La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 4 - vol. VI - juillet-août 2003
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