Introduction à la théorie ergodique
Cours de licence 3, ENS Lyon
Cours de Cyril Houdayer
Printemps 2014
Ces notes sont celles d’un cours de première année donné en 2014 à l’ENS Lyon par Cyril Houdayer.
Elles ont été tapées par Matthieu Dussaule. Ce cours a été donné dans le cadre d’un prémaster, c’est-
à-dire un cours de niveau master adressé à des étudiants en licence pendant un demi-semestre. Il s’agit
d’une introduction à la théorie ergodique. Il existe autant de façon d’enseigner la théorie ergodique que
d’enseignants (selon les mots de l’enseignant) et ce texte est donc imprégné du point de vue de Cyril
Houdayer. On présentera d’abord les systèmes dynamiques mesurés et topologiques puis on abordera les
grands théorèmes ergodiques. La dernière partie est un exemple d’utilisation de la théorie ergodique, on
y étudie les marches aléatoires dans SLd(R).
Il existe de nombreuses références en théorie ergodique. On conseille par exemple la lecture de [Wal82],
livre très complet et qui couvre très largement les trois premiers chapitres de ce cours. On conseille
également de lire [Par04] dans la même optique.
Table des matières
1 Systèmes dynamiques mesurables 2
1.1 Rotations du cercle et décalages de Bernoulli . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1.2 Notionsdergodicité ....................................... 2
1.3 Autourdelarécurrence ..................................... 5
2 Systèmes dynamiques topologiques 8
2.1 Quelques rappels en analyse fonctionnelle et en théorie de la mesure . . . . . . . . . . . . 8
2.2 Uniqueergodicité......................................... 11
3 Les théorèmes ergodiques 14
3.1 LethéorèmedevonNeumann.................................. 14
3.2 LethéorèmedeBirkho..................................... 15
3.3 LethéorèmedeKingman .................................... 18
4 Marches aléatoires dans SLd(R)21
4.1 Le groupe SLd(R)........................................ 21
4.2 Premier exposant de Lyapounov . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
1
1 Systèmes dynamiques mesurables
1.1 Rotations du cercle et décalages de Bernoulli
Soit (X, X, µ)un espace de probabilité, c’est-à-dire que Xest une tribu sur Xet µune mesure de
probabilité pour la tribu X. Considérons une transformation mesurable T: (X, X)(X, X). On peut
alors définir la mesure poussée en avant Tµpar Tµ(U) = µ(T1U)pour Uune partie mesurable de
X. C’est encore une mesure de probabilité.
Définition 1.1.1. On dit qu’une telle transformation Tpréserve la mesure si Tµ=µ. Dans ce cas,
on dit que (X, X, µ, T )est un système dynamique qui préserve la mesure, abrégé dorénavant en système
dynamique qpm.
Remarque 1.1.1.Il suffit de vérifier que µ(T1U) = µ(U)pour Udans une sous-partie Cde Xstable
par intersection finie et telle que σ(C) = X.
Lemme 1.1.2. Soit Tune transformation mesurable. Alors Tpréserve la mesure µsi et seulement si
pour toute fonction fL1(X, X, µ),
ZX
fT dµ =ZX
fdµ.
Les deux premiers exemples de systèmes dynamiques qpm sont les rotations du cercle et les décalages
de Bernoulli.
1. Rotations sur le cercle On note S1=T1=R/Z. C’est un groupe compact. On le munit de la
mesure de Lebesgue régularisée pour que la masse totale soit 1. Cette mesure est invariante par
rotation. Soit αR, on pose
Tα:T1T1
x7→ e2αx
Alors Tαpréserve la mesure de Lebesgue.
En fait, plus généralement, si Gest un groupe compact, on peut le munir d’une mesure de
probabilité invariante par translation à gauche et à droite et de masse finie. De plus, si on impose
que la mesure soit une mesure de probabilité, alors elle est unique. On l’appelle mesure de Haar.
Alors, la translation Tg:xG7→ gx Gpréserve la mesure de Haar par définition.
2. calage de Bernoulli Soit (X, X, µ)un espace de probabilité. On pose Y=XN(l’ensemble des
suites de X, qu’on interprète aussi comme l’ensemble des mots infinis écrits avec l’alphabet X),
Y=XNet ν=µNles tribus et mesures produits. On considère alors
T:XNXN
(xn)7→ (xn+1)
Alors Tpréserve la mesure. On l’appelle décalage de Bernoulli, ou bien shift dans la littérature
anglaise. On rappelle à ce propos que la tribu XNest engendrée par les cylindres, c’est-à-dire
les ensembles de la forme {xk1=ω1, ..., xkm=ωm}, où mN,k1, ..., kmZ,ω1, ..., ωmX.
Pour tout  > 0et pour toute partie mesurable U X N, on peut trouver une réunion finie de
cylindres V X Ntelle que µ(UV). Autrement dit, on peut approximer de manière aussi
fine que l’on veut toute partie mesurable par une réunion finie de cylindres.
Si C={xk1=ω1, ..., xkm=ωm}est un cylindre, l’ensemble {ω1, ..., ωm}est appelé support de
C. On dit que deux cylindres sont indépendants si leurs supports sont disjoints. Cette appellation
est justifiée puisque la mesure d’une intersection de deux cylindres indépendants est le produit
des mesures des deux cylindres.
1.2 Notions d’ergodicité
On considère maintenant un système dynamique qpm (X, X, µ, T ). On dit que Test ergodique pour
µou bien que µest ergodique pour T(selon le point de vue) si pour toute partie mesurable Ude X
telle que T1U=U,µ(U)∈ {0,1}. Autrement dit, toute partie invariante par Test soit pleine soit
négligeable. On définit l’opérateur de Koopman
UT:L2(X, X, µ)L2(X, X, µ)
ξ7→ ξT
2
C’est un opérateur unitaire. En effet,
hUT(ξ), UT(η)i=ZX
(ξT)(ηT)=ZX
(ξη)T dµ =ZX
ξη=hξ, ηi.
Cet opérateur a toujours 1 pour valeur propre, puisque UT(1X) = 1X. Il est relié à la notion d’ergodicité
par le théorème suivant.
Théorème 1.2.1. Soit (X, X, µ)un système dynamique qpm, alors les conditions suivantes sont équi-
valentes :
1. Test ergodique,
2. pour toute partie mesurable Ude X, si µ(T1UU)=0, alors µ(U)∈ {0,1},
3. pour toute partie mesurable Ude Xtelle que µ(U)>0,µ(S
nN
TnU)=1,
4. pour toutes parties mesurables Uet Vde Xtelles que µ(U), µ(V)>0, il existe un entier ntel
que µ(TnUV)>0,
5. toute fonction mesurable f:XCtelle que fT=fest constante µ-p.p.,
6. 1 est valeur propre simple de UT.
Démonstration. On va montrer deux chaînes d’implications : 12341 et 3561.
Supposons donc que Test ergodique. Soit U∈ X tel que µ(T1UU)=0. On note
Vn:= [
kn
TkU, V := \
n
Vn.
C’est-à-dire que Vest la limite supérieure des ensembles TnU. Puisque T1Vn=Vn+1, on a T1V=V,
donc par ergodicité, µ(V)∈ {0,1}. Considérons à présent UVn. Par définition, cet ensemble est inclus
dans l’union [
kn
(UTkU).
Or, UTkUest lui-même inclus dans l’union
k1
[
j=0
TjUT(j+1)U.
Enfin,
µ(TjUT(j+1)U) = µ(Tj(UT1U)) = µ(UT1U)=0.
Finalement, µ(UVn)=0, donc µ(UV)=0. On a donc µ(V) = µ(UV)∈ {0,1}, et par conséquent,
µ(U)∈ {0,1}.
Supposons à présent la propriété 2 vérifiée :
pour toute partie mesurable Ude X, si µ(T1UU)=0, alors µ(U)∈ {0,1}.
Soit U∈ X de mesure strictement positive. On pose V=SnTnU. Alors T1VVet µ(T1V) =
µ(V), donc µ(V\T1V)=0. Puisque T1VV, on a V\T1V=VT1V, donc en appliquant la
propriété 2, µ(V)∈ {0,1}. Enfin, UVet µ(U)>0, donc µ(V)=1.
Supposons maintenant la propriété 3 vérifiée :
pour toute partie mesurable Ude Xtelle que µ(U)>0,µ(SnNTnU)=1.
Soient U, V ∈ X de mesures strictement positives. En appliquant la propriété 3, µ(SnTnU)=1, donc
µ(V) = µ(VSnTnU). Puisque Vest de mesure strictement positive, il en va de même de l’un des
membres de cette union.
Supposons enfin la propriété 4 vérifiée :
pour toutes parties mesurables Uet Vde Xtelles que µ(U), µ(V)>0, il existe un entier ntel que
µ(TnUV)>0.
Montrons que Test ergodique. Soit U∈ X tel que T1U=U. Alors µ(U(X\U)) = 0, ce qu’on récrit
µ(TnU(X\U)) = 0, pour tout nN, de sorte que soit µ(U) = 0 soit µ(X\U) = 0, puisqu’on a
supposé la propriété 4 vérifiée. Ainsi, µ(U)=0ou µ(U)=1.
3
On a donc montré 12341.
Supposons maintenant la propriété 3 vérifiée. Soit f:XCune fonction borélienne. On suppose
que f=fT µ-presque partout. Quitte à raisonner sur parties réelles et parties imaginaires, on peut
supposer que fest à valeur réelle. On note Ut:= {xX, f (x)t}. C’est un ensemble mesurable et
t7→ µ(Ut)est une fonction décroissante. Puisque f=fTpresque partout, µ(UtT1Ut) = 0, donc
µ(Ut)∈ {0,1}. Ainsi, il existe tRtel que pour s<t,µ(Us)=1et pour s>t,µ(Us)=0. On en
conclut que f=t µ-p.p.
Supposons que la propriété 5 est vérifiée :
toute fonction mesurable f:XCtelle que fT=fest constante µ-p.p.
Par définition, un vecteur propre de UTpour la valeur propre 1 est une fonction qui vérifie f=fT
µ-p.p., donc tout vecteur propre pour la valeur propre 1 est proportionnel à 1Xdans L2(X, X, µ).
Supposons enfin que 1 est valeur propre simple de UT. On montre que Test ergodique. Soit U∈ X
tel que T1U=U. Considérons la fonction 1U. Alors c’est par définition un vecteur propre de UTpour
la valeur propre 1, de sorte que 1Uest proportionnelle à 1X. On en déduit que µ(U)∈ {0,1}.
On a donc montré 3561, ce qui achève la preuve.
Remarque 1.2.1.Il est utile d’interpréter la propriété 3 ainsi : on ne peut pas casser le système dynamique
mesuré en deux sous-systèmes non triviaux.
Remarque 1.2.2.Les propriétés 5 et 6 énoncent la même chose, l’une pour les fonctions mesurables,
l’autre pour les fonctions L2. En pratique, il suffit donc de vérifier que la propriété f=fTfest
constante pour les fonctions fqui sont L2.
Revenons aux exemples dont on a déjà discuté, les rotations du cercle et les décalages de Bernoulli.
Proposition 1.2.2. Une rotation du cercle Tα:T1T1est ergodique pour la mesure de Lebesgue
(mesure de Haar) si et seulement si αest irrationnel.
Démonstration. On donne une preuve, particulièrement efficace, qui fait appel aux séries de Fourier. On
considère les fonctions ek:xT17→ xkC, pour kZ. Les (ek)forment une base orthonormée de
L2(T1,B, λT1)(d’après la théorie de Fourier).
Supposons que αest irrationnel. Soit f:T1Cune fonction L2telle que f=fTα. Alors en
notant ckle k-ième coefficient de Fourier de f(kZ), on a
kfk2
2=X
kZ
|ck|2
et puisque f=fTα,
ck= e2iπkαck.
Pour k6= 0, on a donc ck= 0. Enfin f=PkZckekdans L2, de sorte que fest constante presque
partout. On a donc prouvé que Test ergodique.
Réciproquement, si α=p
qQ, on a eqTα=eqet eqn’est pas presque partout constante, donc T
n’est pas ergodique.
Proposition 1.2.3. Le décalage de Bernoulli T: (XN,XN, µN)(XN,XN, µN)est ergodique.
Démonstration. Soit U X Ntel que T1U=Uet soit  > 0. Il existe une réunion finie de cylindres
Vtelle que µ(UV). Il existe un entier nN, tel que TnVet Vaient des supports disjoints. En
particulier, TnVet XN\Vsont indépendants, donc
µN(TnV(XN\V)) = µN(TnV)µN(XN\V)
et puisque Tpréserve la mesure,
µN(TnV(XN\V)) = µN(V)µN(XN\V).
D’autre part, en revenant à U, on a
µN(U)µN(XN\U)(µN(V) + )(µN(XN\V) + )µN(V)µN(XN\V)+2+2.
4
Enfin,
µN(TnV(XN\V)) µN(TnVV)µN(TnVU) +
et en utilisant que T1U=U,
µN(TnV(XN\V)) µN(Tn(VU)) + µN(VU) + 2.
Finalement, pour tout  > 0,
µN(U)µN(XN\U)4+2
et donc
µN(U)∈ {0,1}.
Ainsi, Test ergodique.
1.3 Autour de la récurrence
Le principe de la récurrence au sens dynamique est de formaliser l’idée qu’avec une transformation
chaotique, on repasse une infinité de fois par le même endroit. On va donner une version qualitative et
une version quantitative de ce principe.
Soit (X, X, µ, T )un système dynamique qui préserve la mesure et soient UXet xU. On dit
que xest récurrent si T(x)repasse une infinité de fois dans U.
Théorème 1.3.1 (Récurrence de Poincaré).Soit U X . Presque tout point de Uest récurrent. For-
mellement, il existe VUmesurable tel que µ(U) = µ(V)et tel que pour tout xV, on peut trouver
une suite strictement croissante nkde Ntelle que pour tout k,Tnk(x)U.
Ce théorème a été publié par Henri Poincaré dans le très célèbre mémoire [Poi90].
Remarque 1.3.1.Dans le cas où Uest de mesure nulle, ce théorème ne dit rien. En effet, on peut choisir
V=et obtenir la même conclusion. Par contre, dès que Uest suffisamment gros (de mesure strictement
positive), le théorème s’applique et a une véritable signification.
Démonstration. Soit nN. On pose Wn=SknTkU. Par définition, Wn=TnW0et (Wn)est une
suite décroissante. Puisque Tµ=µ, on a µ(Wn) = µ(W0). Ainsi, µ(TnNWn) = µ(W0)(car µest
finie). Posons alors
V=Ulim supTnU=U \
nN
Wn!.
Alors µ(U) = µ(V)et Vconvient.
Cette propriété de récurrence est particulièrement intéressante lorsque le système dynamique est
inversible. On dit qu’un système dynamique qui préserve la mesure (X, X, µ, T )est inversible lorsque T
est une application bi-mesurable, i.e. mesurable, bijective et d’inverse mesurable. On a alors par définition
que T1préserve aussi la mesure. Pour un tel système, si UXest mesurable, de mesure strictement
positive et si xU, on pose U(x) = inf{n1, T n(x)U}. D’après le théorème de récurrence de
Poincaré, pour presque tout point xde U,U(x)est fini. On définit alors TU:xU7→ TU(x)(x)U.
On appelle TUl’application de premier retour en U, ou application induite par Tsur U. On observe
que U:UN∪ {∞} est mesurable. En effet, pour nN, on pose Un={xU, U(x) = n}. Alors
Un=TnU\Sn1
j=1 Uj, donc par récurrence, pour tout n,Unest mesurable. D’autre part, le lieu
infini de Uest U\SjNUj, donc c’est également un ensemble mesurable. Ainsi, TUest bien une
application mesurable.
Remarque 1.3.2.On n’a en fait pas besoin de l’inversibilité du système dynamique pour définir Uet
TU, mais ce sera le cas pour toutes les propriétés qu’on va énoncer maintenant.
On rappelle qu’on note Un={xU, U(x) = n}. On note également U={xU, U(x) = ∞},
Xn={xX, U(x) = n}et X={xX, U(x) = ∞}. On a ainsi Un=XnU. Puisque le système
dynamique est inversible, Tnest une application mesurable, donc Tn(Un)est mesurable. On peut ainsi
presque partout décomposer l’application TUen une somme disjointe d’applications
TU:UU=
µp.p.G
n1
Tn:UnTn(Un).
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