Numéro best of biblio Réanimation L’hypothermie thérapeutique au cours des méningites bactériennes graves n’améliore pas le pronostic F. Bruneel (Service de réanimation médicochirurgicale, centre hospitalier de Versailles, Le Chesnay) Contexte La mortalité et la morbidité (séquelles neurologiques) des méningites bactériennes (MB) restent élevées, particulièrement au cours des méningites à pneumocoque. Dans ce contexte, il n’y a pas actuellement de progrès notable attendu au niveau du traitement antibiotique des MB ; une corticothérapie précoce sur 4 jours a montré son efficacité, surtout au cours des MB à pneumocoque et dans les pays développés. Parmi les traitements adjuvants des MB, l’hypothermie thérapeutique (HT) pourrait s’avérer séduisante, comme le suggèrent les modèles animaux de MB, quelques cas d’utilisation ponctuelle au cours de MB chez l’homme et, surtout, les grands essais en post-arrêt cardiaque (rythmes choquables), où l’HT modérée (32-34 °C) a montré son efficacité. En revanche, au cours du traumatisme crânien grave, l’effet de l’HT est plus controversé. L’ensemble de ces données suggère que l’HT pourrait être un traitement adjuvant intéressant au cours des MB graves, prises en charge en réanimation. Cet essai se propose donc d’évaluer l’intérêt de l’HT au cours des MB graves de l’adulte (diapositive 1). Méthode Il s’agit d’un essai multicentrique randomisé ouvert mené dans 49 unités de réanimation en France, chez des adultes présentant une MB communautaire grave (coma défini par un score de Glasgow Coma Scale ≤ 8 depuis moins de 12 heures) et traités par une antibiothérapie adéquate. Après randomisation, les patients étaient inclus soit dans le groupe HT, où ils étaient maintenus en HT entre 32 et 34 °C durant les 48 heures suivant l’inclusion, soit dans le groupe contrôle, où la prise en charge habituelle (sans HT) était appliquée. Le critère principal était le score du Glasgow Outcome Scale (GOS) à 3 mois (5 correspond à une évolution favorable ; alors qu’un score de 4 à 1 correspond à une évolution défavorable où le score de 1 correspond au décès) [diapositive 2]. L’analyse statistique, fondée sur un taux attendu d’évolution défavorable de 35 % dans le bras contrôle et sur l’hypothèse d’une réduction du risque absolu de 15 %, avec un risque α de 5 % et une puissance de 80 %, avait conclu à la nécessité d’inclure 276 patients au total. Trois analyses intermédiaires étaient prévues, et un groupe de surveillance de la sécurité des données (DSMB) des effets indésirables et de la mortalité se réunissait tous les 50 patients inclus. Commentaire Même si cet essai a été interrompu prématurément dans le contexte imparable d’une mortalité significativement plus élevée, la réponse à l’hypothèse initiale – l’HT modérée améliore-t-elle le pronostic à 3 mois des MB graves de l’adulte ? – semble acquise : c’est non ! Ainsi, les effets bénéfiques de l’HT montrés au cours de l’arrêt cardiaque en fibrillation ventriculaire ne sont pas confirmés au cours des MB graves. Il est probable que la physiopathogénie de la souffrance cérébrale est différente au cours de ces 2 pathologies. De même, cet essai clinique ne confirme pas les données retrouvées dans les modèles de MB chez l’animal. Cela confirme que l’homme n’est pas une souris clonée ! Plus sérieusement, les auteurs soulignent de nombreuses hétérogénéités dans le timing de l’infection et dans les modalités de la prise en charge, inhérentes à la plupart des essais cliniques réalisés dans la vraie vie. On peut ensuite se demander pourquoi la mortalité est plus élevée dans le groupe HT. Les 2 groupes ne sont pas différents à l’admission, même s’il y a un peu plus de patients en choc septique dans le groupe HT. Dans ce dernier, l’hypothermie est obtenue (techniques hétérogènes) assez rapidement, et est correctement maintenue pendant 48 heures. On peut s’interroger sur cette durée choisie, puisque, durant l’arrêt cardiaque, le protocole le plus étudié inclut une durée de 24 heures seulement. Les complications en cours d’hospitalisation ainsi que les traitements ne diffèrent pas dans les 2 groupes. Le groupe HT a probablement reçu plus d’expansion volémique initialement, puisque l’hypothermie est instaurée par un remplissage vasculaire par serum salé à 0,9 % froid. Dès lors, on peut s’interroger sur les conséquences (hémodynamiques et métaboliques) potentiellement délétères de ce remplissage. Les auteurs abordent la partie métabolique en discutant le rôle d’une discrète augmentation de la natrémie dans le groupe HT. Enfin, l’absence de neuro-monitoring continu a pu être plus défavorable aux patients en HT, puisque l’examen neurologique de ces patients (curarisés durant les 48 heures de l’HT) est peu informatif. Référence bibliographique Principaux résultats Mourvillier B, Tubach F, van de Beek D et al. Induced hypothermia in severe bacterial meningitis. JAMA 2013; 310(20):2174-83. Après l’inclusion des 98 premiers patients, le DSMB a demandé l’arrêt de l’essai (diapositive 3), car la mortalité à 3 mois était significativement plus élevée dans le groupe HT (51 %) que dans le groupe contrôle (31 %) [RR = 1,99 ; IC95 : 1,05-3,77 ; p = 0,04]. Chez ces 98 patients, un score de GOS défavorable à 3 mois (critère principal) était retrouvé chez 86 % des patients dans le groupe HT versus 74 % dans le groupe contrôle [RR = 2,17 ; IC95 : 0,78-6,01 ; p = 0,13]. La majorité des patients (77 %) présentait une MB à pneumocoque, et l’analyse de ce sous-groupe allait dans le même sens. Enfin, l’analyse post hoc des résultats des 98 premiers patients suggérait qu’il était très peu probable (2,3 %) que l’HT soit associée à une meilleure évolution à l’issue de la totalité de l’étude. Pour en savoir plus 36 | La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIX - n° 1 - janvier-février 2014 ▸ Van de Beek D, Brouwer MC, Thwaites GE, Tunkel AR. Advances in treatment of bacterial meningitis. Lancet 2012;380(9854):1693-702. ▸ Brouwer MC, McIntyre P, Prasad K, van de Beek D. Cortico­steroids for acute bacterial meningitis. Cochrane Database Syst Rev 2013;6:CD004405. ▸ Bernard SA, Gray TW, Buist MD et al. Treatment of comatose survivors of out-of-hospital cardiac arrest with induced hypothermia. N Engl J Med 2002;346(8):557-63. ▸ Hypothermia After Cardiac Arrest Study Group. Mild therapeutic hypothermia to improve the neurologic outcome after cardiac arrest. N Engl J Med 2002;346(8): 549-56. Numéro best of biblio À retrouver sur le site www.edimark.fr L’hypothermie thérapeutique au cours des méningites bactériennes graves n’améliore pas le pronostic Diapositive 2. Diapositive 1. Diapositive 4. Diapositive 3. Conclusion Une HT modérée pendant 48 heures telle qu’elle a été appliquée dans cet essai n’améliore pas le pronostic à 3 mois des patients atteints d’une MB grave imposant une prise en charge en réanimation (diapositive 4). II L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec Astellas, Fresenius Kabi, MSD, Pfizer. La Lettre de l’Infectiologue • Tome XXIX - n° 1 - janvier-février 2014 | 37