Réforme fi scale enjeux politiques ? :

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Dossie
Réforme fiscale :
les enjeux politiques
ENTRETIEN AVEC ELIE COHEN (1),
économiste et directeur de recherche au CNRS
?
Question
Pourquoi le thème d’une réforme fiscale revient-il
actuellement sur le devant de la scène politique ?
Réponse J’évoquerai trois raisons pour expliquer cette situation.
 Tout d’abord, la crise actuelle casse la croissance, détruit des emplois et
fait stagner ou reculer le pouvoir d’achat. Ce qui en temps normal est
masqué, à savoir le contraste entre l’enrichissement des plus riches et la
stagnation des revenus de la majorité, refait surface en temps de crise.
En même temps, l’État, légitimement, est intervenu massivement pour
venir en aide aux entreprises en difficulté et sauver le système bancaire.
Dans un tel contexte, le sentiment que les efforts consentis par les différentes catégories sociales de la société étaient inégaux a pu prendre
corps. De plus, la perception d’un alourdissement des prélèvements
fiscaux et sociaux du fait de la crise de l’État providence et de la montée
en puissance de la fiscalité locale a laissé s’installer le sentiment d’une
profonde injustice fiscale. Cette dernière devient un élément politique
majeur, d’autant plus que l’État doit trouver les ressources financières
et fiscales nouvelles pour faire face à la résorption des déficits. En effet,
la crise économique a conduit à des politiques de rigueur en France et
en Europe qui se traduisent par des augmentations nouvelles des prélèvements. En période de forte croissance économique, les ajustements
fiscaux sont davantage tolérés car les fruits de la croissance semblent
1. Entretien réalisé le 17 septembre 2010.
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pouvoir être « partagés ». En revanche, quand il s’agit de partager les
restrictions, le sentiment d’injustice fiscale se fait plus aigu.
La deuxième raison réside dans l’évolution de notre système fiscal qui
devient de moins en moins redistributif. En effet, depuis environ dix ans,
les réformes fiscales menées ont eu pour effet de diminuer le poids des
prélèvements progressifs. La création d’impôts proportionnels tels que
la contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), en même temps que les baisses des
taux marginaux de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP)
on rendu notre système de plus en plus proportionnel. Le retour à un
impôt plus progressif et de meilleur rendement est réclamé au nom des
exigences de solidarité.
Enfin, un niveau de prélèvement global élevé dans un contexte de concurrence fiscale au niveau européen a conduit à multiplier les exemptions
et exonérations fiscales qui ont obscurci l’impôt. La multiplication des
niches fiscales a aggravé l’illisibilité de notre système fiscal.
La crise, l’évolution des dix dernières années, le contexte de concurrence fiscale, la nécessité de prendre des mesures ad hoc en permanence
ont ainsi nui à la clarté et à l’acceptabilité de notre système fiscal. Or, il
n’y aura pas d’adhésion du public à des mesures réelles et durables de
consolidation financière et fiscale – c’est-à-dire en bon français d’austérité et de rigueur – sans une réforme fiscale qui puisse donner le
sentiment d’une justice fiscale plus grande.
?
S’il y a un sentiment d’injustice fiscale, pourquoi
s’attaque-t-on d’abord aux niches fiscales et non au bouclier
fiscal ?
 L’année 2011 sera la première année de la stratégie de consolidation
financière et fiscale puisque le Gouvernement a décidé de réduire de 7,7 à
6 % le déficit des finances publiques au sens des critères de Maastricht (2).
Or, cela revient à trouver 35 milliards d’euros. Augmenter de deux tiers
l’impôt sur le revenu permettrait certes d’obtenir cette somme mais une
telle mesure est inenvisageable. La stratégie du Gouvernement consiste
à procéder en trois temps. Il espère tout d’abord un retour à une croissance forte et significative (il table désormais sur une croissance de
2 % qui permettrait de récupérer, si tel est le cas, environ 6 milliards
d’euros via les prélèvements fiscaux induits). La seconde source de
financement consisterait à supprimer les mesures de soutien à l’économie et à baisser la dépense récurrente de l’État (à hauteur de 5 % sur
ses dépenses d’intervention et de fonctionnement). Le ralentissement
2. Les critères de convergence des politiques économiques et monétaires européennes établis par le traité de Maastricht en 1992
fixaient, entre autres, à 3 % le déficit public. (NDLR)
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induit des dépenses de toutes les administrations et ministères, l’échenillage budgétaire, devrait apporter des ressources supplémentaires (3).
Néanmoins, 10 milliards restent à trouver selon le Gouvernement, c’est
pourquoi le troisième élément de sa stratégie consiste à s’attaquer aux
niches fiscales.
Quelles seront les niches concernées ? On pourrait estimer que, dans
un contexte de crise, il faudrait remettre à plat toutes celles qui n’ont
pas un rendement évident en termes d’emplois et de croissance. Deux
niches en particulier sont concernées. La première, celle sur les heures
supplémentaires, issue de la loi dite « Tepa » (4), n’a pas induit les résultats escomptés puisqu’elle était adaptée à un contexte de tension sur
le marché de l’emploi. En effet, le recours aux heures supplémentaires
devait être facilité par leur défiscalisation, face à un surcroît d’activité
dans les secteurs connaissant une pénurie de main-d’œuvre. Mais, dans
le contexte actuel de chômage, cette niche est à l’origine d’une perte
d’efficacité économique. Le Gouvernement n’a toutefois pas voulu
s’y attaquer car cela aurait décrédibilisé la stratégie économique du
président de la République, Nicolas Sarkozy.
La seconde est la réduction du montant de la taxe sur la valeur ajoutée
(TVA) pour la restauration et l’hôtellerie. Des études ont montré la
contre-productivité de cette mesure. En effet, son efficacité en termes
de création d’emplois est ridicule et le coût des emplois créés ou sauvegardés est astronomique. Cette niche n’a pas non plus été modifiée
car l’actuel président de la République ne voulait pas désavouer cette
mesure venant de son prédécesseur, Jacques Chirac. En fait, elle a seulement servi à améliorer la rentabilité de l’activité de restauration. C’est
une incohérence économique, fiscale et de santé publique. D’ailleurs,
paradoxalement, on a aligné la taxation de la restauration sur les fast food
alors qu’il aurait fallu élever la taxation de ces dernières étant donné
leur responsabilité en matière d’obésité. Supprimer cette mesure aurait
permis d’épargner trois milliards d’euros à l’État tandis que l’exonération
fiscale des heures supplémentaires lui coûte près de 4 milliards d’euros
tous les ans. Avec ces 7 milliards, le problème aurait pu être en grande
partie résolu.
Le Gouvernement aurait pu également revenir sur le bouclier fiscal
mais l’enjeu financier était moins important. En effet son coût, de l’ordre
de 680 millions d’euros par an, est loin des 3 et 4 milliards des niches
citées précédemment. D’autres niches fiscales onéreuses à l’efficacité
économique douteuse, telles les niches fiscales « Dom Tom », auraient
également pu être concernées. Ainsi, la loi Girardin (5) qui permet
aux ménages très aisés d’investir avec de fort rendement dans du
3. Selon le projet de loi de finances pour 2011 annoncé le 29 septembre 2010, les dépenses de fonctionnement et d’intervention
devraient être diminuées de 5 %, 7 milliards d’euros d’économie devraient en résulter.
4. La loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat.
5. Loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l’Outre-mer.
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matériel de travaux publics, ou encore les lois Pons (6), auraient pu être
radicalement revisitées. Certes un coup de rabot est donné mais on
aurait pu aller plus loin. Un gisement économique important réside dans
ces niches mais, issues d’une longue tradition française, elles ne seront
pas remises en question. Elles font partie de la « politique des confettis
de l’empire », selon laquelle l’assistance à ces territoires passe par des
exonérations fiscales.
Ces arbitrages-là, raisonnables d’un point de vue d’efficacité économique
et d’équité sociale, n’ayant pas été faits, d’autres niches fiscales ont été
choisies. La stratégie adoptée consiste d’abord à raboter une série de
niches, telle la niche Scellier ou encore la mesure d’exonération d’intérêts sur emprunt. La stratégie du Gouvernement vise à trouver l’équivalent de 10 milliards d’euros dans une pluralité des niches pour participer
à la réduction du déficit public (7), le Parlement améliorera sans doute
le dispositif.
6. Le dispositif appelé « Loi Paul » issu de l’article 19 de la loi de finances pour 2001 du 30 décembre 2000 remplace l’ancienne
Loi Pons, qui avait été mise en place en 1986.
7. Pour connaître les mesures prévues selon le projet de loi de finances pour 2011, cf. encadrés du premier article du dossier
intitulé « Le coup de rabot sur les niches fiscales et sociales » (NDLR).
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