Carrefour Pathologie 2009 Compte-rendu du symposium “Mutation EGFR :

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CONGRÈS
RÉUNION
Carrefour Pathologie 2009
Compte-rendu du symposium
“Mutation EGFR :
vers un traitement à la carte
dans le cancer du poumon ?” Paris, 16-20 novembre 2009
N. Charbonnier1
D’après les communications de J. Cadranel, J. Bennouna, F. Penault-Llorca
Rôle et importance du statut
du récepteur à l’EGF
dans les tumeurs bronchiques
J. Cadranel (Paris)
Le récepteur HER1/EGFR, codé par le gène ErBB1
situé sur une partie du chromosome 7, est constitué
d’un domaine extracellulaire, d’une partie trans-
1 Paris.
Tableau I. Fréquence des mutations oncogènes de l’EGFR en fonction des types histologiques.
Séries
Adénocarcinomes
Huang SF, Clin
Cancer Res 2004
Paez JG, Science
2004;304:1497
Marchetti A, J Clin
Oncol 2005;23:857
Lynch TJ, N Engl
J Med 2004
Pao W, PNAS
2004;101:13307
38/69 (52 %)
Adénocarcinomes
Cancers
broncho-alvéolaires épidermoïdes
–
1/24 (4 %)
Autres types
de CBNPC
0/8 (0 %)
15/70 (21 %)
–
–
1/49 (2 %)
17/289 (6 %)
22/86 (26 %)
0/454 (0 %)
0/31 (0 %)
–
2/15 (13 %)
–
0/10 (0 %)
3/4
8/15 (53 %)
–
–
Tableau II. Autres facteurs cliniques associés ou non à une mutation de l’EGFR (Marchetti A,
J Clin Oncol 2005 ; Sharma SV, Nat Rev Cancer 2007 ; Rosell R, N Engl J Med 2009).
Variable
Risque relatif
IC95
p
Adénocarcinome versus autres formes
histologiques
4,542
2,132-9,678
0,0009
Non-fumeur versus fumeur
3,632
1,603-8,230
0,002
Femme versus homme
2,895
1,259-6,658
0,012
–
–
NS*
K-Ras sauvage versus K-Ras mut
* Aucune mutation de K-Ras chez les mutés pour EGFR p < 0,000001 en analyse univariée.
148 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 2 - février 2010
membranaire et d’une partie intracellulaire douée
d’activité tyrosine kinase. L’activation de ce récepteur
nécessite au préalable sa dimérisation avec un autre
récepteur de la famille HER2, qui permet ensuite la
fixation du ligand, et, selon le type de dimérisation
et le ligand, différentes voies de signalisation intracellulaire sont activées.
L’activité des récepteurs EGFR est modulée par
différents facteurs : les ligands eux-mêmes et leur
niveau d’expression (surexpression de l’EGF et/ou
du TGF), le niveau d’expression du récepteur à l’EGF
(polymorphisme intronique, amplification génique),
la transactivation indépendante du ligand, la modulation de l’activité du récepteur (hétérodimérisation,
mutation activatrice) et/ou l’activation parallèle de
voies de transduction intracellulaire.
➤➤ Surexpression de l’EGFR : une méta-analyse
menée par Nakamura et al. (Thorax 2006;61:140-5),
ayant repris les données de 18 études de phase III
(2 972 patients), montre que la surexpression de
l’EGFR est variable selon le type histologique de
cancer bronchique (39 % dans les adénocarcinomes,
38 % dans les tumeurs à grandes cellules, 58 % dans
les cancers épidermoïdes et 0 % dans les cancers à
petites cellules). En revanche, son impact pronostique à long terme n’est pas clairement démontré.
➤➤ Différents types de mutations oncogènes de
l’EGFR concentrées sur les 4 exons, 18, 19, 20 et 21,
sont observés dans les cancers bronchiques non à
petites cellules (CBNPC). Leur incidence varie selon
le type histologique de la tumeur et d’autres critères
cliniques tels que le sexe, le tabagisme et l’existence
ou non d’une mutation de K-Ras (tableaux I et II).
CONGRÈS
RÉUNION
Différents mécanismes de résistance aux inhibiteurs
de tyrosine kinase (géfitinib ou erlotinib) indiqués
dans le cancer bronchique peuvent se développer
secondairement, parmi lesquels les mutations secondaires T790, une amplification de MET et/ou une
amplification de HER3.
présenté une réponse objective ; la survie sans
progression (SSP) a été de 9,3 mois (médiane) et
la survie globale (SG) de 17,8 mois (médiane), dépassant les 12 mois. Par ailleurs, le performance status
a été amélioré chez plus de 2 patients sur 3 (68 %).
➤➤ L’étude IPASS, étude de phase III menée avec
le géfitinib (versus chimiothérapie par carboplatine-paclitaxel), a inclus 1 217 patients asiatiques,
non fumeurs ou ex-petits fumeurs, présentant un
adénocarcinome bronchique de stade IIIB/IV et un
indice ECOG compris entre 0 et 2. L’analyse de l’efficacité a été réalisée sur l’ensemble de la population
de l’étude et en fonction du profil mutationnel de
l’EGFR (délétion de l’exon 19 et/ou L858R).
Les résultats sur l’ensemble de la population de
l’étude montrent un bénéfice significatif en faveur
du géfitinib sur le temps jusqu’à progression, 25 %
des patients traités par géfitinib n’ayant toujours
pas, à 12 mois, présenté de progression de la maladie
(versus 7 % des patients sous chimiothérapie ;
p < 0,0001).
Une mutation de l’EGFR a été retrouvée chez environ
60 % des patients, et l’efficacité du géfitinib (versus
chimiothérapie) a été particulièrement nette au sein
de cette population avec :
– une réduction de 50 % du risque de progression
chez les patients mutés pour l’EGFR (géfitinib
versus chimiothérapie : HR : 0,48 ; p < 0,0001)
[figure] ;
Mutation de l’EGFR
et utilisation du géfitinib
en pratique clinique
J. Bennouna (Nantes)
Après les premières études cliniques qui avaient
démontré un bénéfice particulièrement net du traitement par géfitinib dans le CBNPC avancé au sein
de populations particulières (non-fumeurs, patients
asiatiques, adénocarcinome et patients présentant
une mutation de l’EGFR), de nouveaux essais ont été
initiés, auprès de populations ciblées.
➤➤ Étape majeure dans la prise en charge des CBNPC,
la première étude menée avec le géfitinib (Inoué
et al., 2009) auprès de 30 patients présentant une
mutation de l’EGFR : alors qu’un certain nombre de
patients inclus dans l’étude présentaient déjà une
maladie très avancée (22/30 patients présentaient
un indice fonctionnel de 3 ou 4 et 11 patients avaient
des métastases cérébrales), 66 % des patients ont
0,2
0,0
8
12
16
20
0
4
Nombre de patients à risque Mois depuis la randomisation
Géfitinib
609 363 212
76
24
5
Carboplatine 608 412 118
22
3
1
+ paclitaxel
24
0
0
Probabilité
de survie sans progression
C. EGFR-mutation-négative
1,0
0,8
0,6
0,4
1,0
0,8
0,6
0,4
Hazard-ratio : 0,48 (IC95 : 0,36-0,64)
p < 0,001
Événements : géfitinib : 97 (73,5 %) ;
carboplatine + paclitaxel : 111 (86,0 %)
0,2
0,0
8
12
16
20
0
4
Nombre de patients à risque Mois depuis la randomisation
Géfitinib
132 108
71
31
11
3
Carboplatine 129 103
37
7
2
1
+ paclitaxel
24
0
0
D. Statut mutationnel de l’EGFR non précisé
Hazard-ratio : 2,85 (IC95 : 2,05-3,98)
p < 0,001
Événements : géfitinib : 88 (96,7 %) ;
carboplatine + paclitaxel : 70 (82,4 %)
0,2
0,0
Probabilité
de survie sans progression
1,0
0,8
0,6
0,4
B. EGFR-mutation positive
Hazard-ratio : 0,74 (IC95 : 0,65-0,85)
p < 0,001
Événements : géfitinib : 453 (74,4 %) ;
carboplatine + paclitaxel : 497 (81,7 %)
8
12
16
20
0
4
Nombre de patients à risque Mois depuis la randomisation
Géfitinib
91
21
4
2
1
0
Carboplatine 85
58
14
1
0
0
+ paclitaxel
24
0
0
Probabilité
de survie sans progression
Probabilité
de survie sans progression
A. Population totale
1,0
0,8
0,6
0,4
Hazard-ratio : 0,68 (IC95 : 0,58-0,81)
p < 0,001
Événements : géfitinib : 268 (69,4 %) ;
carboplatine + paclitaxel : 316 (80,2 %)
0,2
0,0
8
12
16
20
0
4
Nombre de patients à risque Mois depuis la randomisation
Géfitinib
386 234 137
43
12
2
Carboplatine 394 251
67
14
1
0
+ paclitaxel
24
0
0
Figure. Étude IPASS :
impact du statut mutationnel de l’EGFR sur
l’efficacité du géfitinib
(SSP).
La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 2 - février 2010 | 149
CONGRÈS
RÉUNION
– une augmentation très significative du taux de
réponse objective : 71,2 % dans le groupe géfitinib
versus 47,3 % dans le groupe chimiothérapie
(p = 0,0001) ;
– une amélioration significative de la qualité de vie
(pour l’exon 19 et L858R) et des symptômes (pour
l’exon 19 seulement).
➤➤ L’efficacité du géfitinib (versus chimiothérapie
carboplatine-paclitaxel) a aussi été confirmée dans
une deuxième étude de phase III (Kobayashi et al.,
ASCO 2009) menée en première ligne auprès de
patients asiatiques avec une mutation de l’EGFR :
taux de réponse objective de 74,5 % (versus 29 %
sous chimiothérapie) et SSP quasiment doublée
(10,4 mois versus 5,4 mois avec la chimiothérapie ;
p < 0,001).
Globalement, la toxicité du traitement a été plus
importante chez les patients “sélectionnés” que chez
les autres patients : rash observé chez 66,2 % d’entre
eux dans l’étude IPASS versus 37 % dans l’étude ISEL
et diarrhées chez 46,6 % dans l’étude IPASS versus
27 % dans l’étude ISEL.
En conclusion, l’ensemble des études réalisées auprès
de populations sélectionnées indiquent des taux
de réponse objective de l’ordre de 70 %, une SSP
de 8 à 10 mois (versus 6 mois avec la chimiothérapie ; médianes) et une SG approchant les 20 mois,
résultats assez exceptionnels dans cette pathologie.
L’ensemble de ces données démontrent l’intérêt de
proposer à des patients atteints d’un CBNPC avancé
et présentant une mutation de l’EGFR, un traitement
de première ligne par géfitinib.
Rôle du pathologiste dans
la prise en charge des CBNPC :
évolution et perspectives
F. Penault-Llorca (Clermont-Ferrand)
La recherche des mutations de l’EGFR vise à mettre
en évidence au sein du tissu tumoral la présence
d’une altération génétique du chromosome 7
impliquant les exons 18 à 21. Elle s’effectue après
extraction de l’ADN tumoral à partir de biopsies ou
d’une pièce opératoire validées par le pathologiste.
La recherche d’une mutation de l’EGFR est devenue,
en 2010, une étape incontournable pour définir la
stratégie thérapeutique des CBNPC en traitement
de première ligne métastatique. L’établissement
150 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 2 - février 2010
du statut mutationnel de l’EGFR dans les CBNPC nécessite un travail d’équipe multidisciplinaire réalisable dans des délais compatibles avec les impératifs
cliniques : prélèvement par le clinicien, diagnostic
histologique du cancer par l’anatomopathologiste et
recherche de mutations par le biologiste moléculaire.
La prescription de la recherche de mutations de
l’EGFR est actuellement faite par l’oncologue, mais
elle peut aussi être suggérée par le pathologiste
après analyse histologique de la pièce opératoire,
en cas d’adénocarcinome par exemple.
Des recommandations devraient bientôt être élaborées de façon à standardiser la préparation des
prélèvements et la méthodologie de recherche de
mutations de l’EGFR. Il existe encore peu d’études
ayant comparé le statut mutationnel de l’EGFR sur la
tumeur primitive et dans les métastases, une hétérogénéité ayant été démontrée en revanche pour
l’expression protéique de l’EGFR et l’amplification
du gène codant pour l’EGFR (IHC et FISH).
L’analyse moléculaire consiste à extraire de l’ADN du
tissu tumoral, à identifier des mutations de l’EGFR
par différentes techniques (pas de technique standard) et à établir le résultat :
– EGFR non muté, en précisant la cellularité du
prélèvement ;
– EGFR muté, avec une identification précise de la
mutation.
Mais cette recherche de mutations de l’EGFR est
confrontée à un certain nombre de limites des
méthodes de détection des variants EGFR, liées à :
– des problèmes “techniques” : prélèvement insuffisant, en particulier chez les patients non opérés
et quantité extraite d’ADN faible, surfixation des
biopsies rendant parfois l’amplification de l’ADN
impossible ;
– des problèmes liés à la tumeur et aux mutations :
hétérogénéité intratumorale en termes de cellules
mutées, existence d’une amplification génique qui
concerne l’allèle sauvage et diminue le pourcentage d’allèles mutés au sein du prélèvement analysé,
identification de mutants dont l’impact clinique est
inconnu si l’on a fait le choix d’un typage exhaustif.
Le recours à la biologie moléculaire, de plus en plus
fréquent en cancérologie, nécessite une organisation
multidisciplinaire associant le clinicien, le pathologiste et le biologiste moléculaire. L’élaboration
prochaine de recommandations pour la recherche
de ces mutations devrait permettre de définir des
critères de qualité et d’homogénéiser les pratiques. ■
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