Voie de l’EGFR et cancer bronchique

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CONGRÈS
RÉUNION
Voie de l’EGFR et cancer bronchique
non à petites cellules : actualités
sur le géfitinib dans le traitement
du cancer métastatique à l’ICACT 2010
(Paris, 1-5 février 2010)
N. Charbonnier*
Alors que l’incidence du cancer bronchique semble se stabiliser chez les hommes,
elle ne cesse d’augmenter chez les femmes. Le cancer bronchique est aujourd’hui la
première cause de décès par cancer dans le monde (données de l’Institut de veille
sanitaire 2005 [InVS]) ; il s’agit dans plus de 80 % des cas d’un cancer bronchique non
à petites cellules (CBNPC).
D’un point de vue thérapeutique, de nombreux progrès ont été réalisés au cours des
15 dernières années : doublets de chimiothérapie, association de cétuximab ou de
bévacizumab à un doublet de chimiothérapie, et, maintenant, résultats très intéressants
obtenus avec le géfitinib auprès de populations ciblées présentant une mutation de
l’EGFR, avec des taux de réponse et des taux de survie jamais observés auparavant
avec les autres thérapeutiques.
La voie de l’EGFR,
un rôle prédominant
dans le cancer bronchique non
à petites cellules
* Paris.
Les progrès réalisés dans la connaissance de la voie
de l’EGFR constituent actuellement une des plus
grandes avancées dans le CBNPC.
En effet, comme l’a rappelé J. Mazières (Toulouse),
le récepteur à l’EGF (EGFR ou HER1) et son ligand,
l’EGF, jouent un rôle majeur dans l’oncogenèse
bronchique, en activant les voies de signalisation
cellulaire AKT-PI3K et ERK impliquées dans des
phénomènes essentiels tels que la survie et la prolifération cellulaire ainsi que les processus d’invasion,
de dissémination métastatique et d’angiogenèse
tumorale.
Autre fait important, des mutations activatrices du
gène codant pour l’EGFR identifiées chez certains
284 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 4 - avril 2010
patients sont à l’origine d’une augmentation conséquente de l’affinité des inhibiteurs de tyrosine kinase
anti-EGFR tels que le géfitinib (Lynch NEJM 2004).
Ces mutations sont à prendre en compte car elles
conduisent à un principe d’addiction oncogénique,
c’est-à-dire que les cellules présentant des mutations de l’EGFR se développent prioritairement et
vont progressivement prédominer au sein de la
tumeur (1, 2).
Le géfitinib, première thérapie
ciblée avec un biomarqueur
dans le cancer bronchique non
à petites cellules
Le géfitinib est une petite molécule orale qui agit
au niveau du domaine intracellulaire du récepteur à
l’EGF en inhibant les mécanismes de phosphorylation et la cascade enzymatique en aval (3). Son développement dans le CBNPC a débuté il y a environ
10 ans ; des premières études de phase I avaient
montré quelques réponses très spectaculaires.
Le géfitinib en traitement de première
ligne métastatique dans le cancer
bronchique non à petites cellules
(F. Shepherd, Toronto)
Le développement du géfitinib en première ligne
métastatique s’est effectué en plusieurs étapes :
une première série d’études de phase III a été menée
auprès de populations non sélectionnées, portant
sur l’association géfitinib-chimiothérapie et sur la
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monothérapie, suivie d’une deuxième série ­d’essais,
avec le géfitinib en monothérapie, ayant inclus
uniquement des patients sélectionnés selon des
critères cliniques ou moléculaires.
◆◆ Populations non sélectionnées
Les résultats des premières études de phase III,
INTACT 1 et 2, initiées avec le géfitinib associé à la
chimiothérapie (versus chimiothérapie seule) ont été
négatifs (taux de réponse, survie globale et survie
sans progression) [4, 5].
Deux études ont ensuite évalué l’intérêt du géfitinib
en monothérapie chez des patients âgés de plus de
70 ans (étude INVITE) ou avec un mauvais performance status (étude INSTEP), et n’ont pas non plus
mis en évidence de différence d’efficacité avec la
chimiothérapie (6, 7).
◆◆ Populations sélectionnées
➤➤ Sélection sur des critères cliniques
Des taux de réponse objective plus élevés ayant
été observés avec les inhibiteurs de tyrosine kinase
anti-EGFR chez les femmes, les patients porteurs
d’un adénocarcinome, les patients asiatiques et les
patients non fumeurs, 2 études de phase III, IPASS et
FIRST SIGNAL, ont recruté des patients présentant
un certain nombre de ces caractéristiques cliniques.
L’étude IPASS qui a inclus des patients asiatiques,
des patients porteurs d’un adénocarcinome et des
patients non fumeurs ou fumeurs légers, a comparé
l’efficacité et la tolérance du géfitinib (250 mg/j) à
celles d’une chimiothérapie associant carboplatine et
paclitaxel (8). Dans cette étude, un meilleur taux de
réponse objective a été observé dans le bras géfitinib
(43 % versus 32,2 % ; p = 0,0001), mais les résultats
en termes de survie sans progression et de survie
globale ont été décevants.
Dans l’étude coréenne FIRST SIGNAL, qui a recruté
des patients non fumeurs atteints d’un adénocarcinome, aucune différence significative d’efficacité
(taux de réponse objective, survie sans progression et
survie globale) n’a été observée entre les 2 groupes
de traitement, géfitinib 250 mg et chimiothérapie
(gemcitabine-cisplatine).
➤➤ Sélection à partir de biomarqueurs moléculaires
Alors que les études ISEL, Br.21, puis INSTEP, avaient
mis en évidence un bénéfice significatif du traitement par inhibiteur de tyrosine kinase anti-EGFR
chez les patients présentant une amplification du
gène de l’EGFR (détectée par la méthode FISH),
l’étude INVITE, menée spécifiquement chez des
patients FISH-positifs pour l’EGFR, avait montré,
au contraire, de meilleurs résultats (survie globale
et survie sans progression) avec la chimiothérapie
qu’avec le géfitinib.
L’étude IPASS est l’essai princeps qui a ensuite
permis de comprendre le rôle joué par les différents
facteurs moléculaires liés à l’EGFR dans l’efficacité
du géfitinib (figure 1).
Patients
• Pas de chimiothérapie antérieure
• Âge ≥ 18 ans
• Adénocarcinome
• Non-fumeurs
ou ex-petits fumeurs
(ex-fumeurs ou fumeurs légers)
• Espérance
de vie > 12 semaines
• PS 0-2
• Maladie “mesurable”
• Stade IIIB/IV (6 TNM)
IPASS
n = 1 217
Géfitinib
(250 mg/j)
1:1 randomisation
Carboplatine
(ASC 5 ou 6)/
paclitaxel (200 mg/m2)
21 jours
Non-fumeurs : < 100 cigarettes dans la vie
Ex-petits fumeurs (ex-fumeurs ou fumeurs légers) : moins de 10 paquetsannée, arrêt datant de plus de 15 ans
* Maximum 6 cycles
Carboplatine/paclitaxel possible dans le bras géfitinib après progression
ASC : aire sous la courbe
Objectifs
Principal
• Survie sans progression
(non-infériorité)
Secondaires
• Réponse objective
• Survie globale
• Qualité de vie
• Symptômes liés à la maladie
• Toxicité et tolérance
Exploratoires
• Biomarqueurs
EGFR : mutation
EGFR : nombre de copies du gène
EGFR : expression de protéines
Figure 1. Schéma de l’étude IPASS.
L’analyse des résultats au sein de la population
FISH-positive montre une réduction du risque de
progression chez les patients traités par géfitinib
(versus chimiothérapie) tandis que le phénomène
inverse est observé chez les patients FISH-négatifs,
avec un bénéfice en faveur de la chimiothérapie (9).
Mais le facteur prédictif le plus puissant de l’efficacité du géfitinib est clairement la présence d’une
mutation de l’EGFR. Dans l’étude IPASS, les patients
porteurs d’une mutation de l’EGFR et traités par
géfitinib ont présenté (versus chimiothérapie) une
diminution de 52 % du risque de progression, ce qui
n’a pas été le cas des patients non porteurs d’une
mutation (figure 2, p. 286) [9] ; ce bénéfice est
apparu comparable, qu’il s’agisse d’une mutation
de l’exon 19 ou de l’exon 21. Bien que les données
de survie ne soient pas encore complètement
matures, les premières analyses montrent aussi,
dans le groupe traité par géfitinib, un allongement
de la survie globale, la médiane de survie atteignant
actuellement 18,6 mois.
En fait, il s’avère que les patients ayant une mutation de l’EGFR présentent presque toujours aussi
La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 4 - avril 2010 | 285
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Mutation positive de l’EGFR
0,8
0,6
Géfitinib
0,4
Carboplatine/paclitaxel
0,2
0,0
0
À risque
Géfitinib 132
Carboplatine/paclitaxel 129
4
108
103
8
71
37
12 16
Mois
31
7
11
2
20
3
1
24
À risque
Géfitinib
Carboplatine/paclitaxel
0
0
HR (IC95) = 2,85 (2,05-3,98)
p < 0,0001
Nombre d’événements géfitinib : 88 (96,7%)
Nombre d’événements carboplatine/paclitaxel : 70 (82,4 %)
1,0
Survie sans progression
(probabilité)
HR (IC95) = 0,48 (0,36-0,64)
p < 0,0001
Nombre d’événements géfitinib : 97 (73,5%)
Nombre d’événements carboplatine/paclitaxel : 111 (86,0 %)
1,0
Survie sans progression
(probabilité)
Mutation négative de l’EGFR
0,8
0,6
0,4
0,2
0,0
0
4
8
91
85
21
58
4
14
12 16
Mois
2
1
1
0
20
24
0
0
0
0
Traitement selon les sous-groupes, test d’interaction, p < 0,0001
Figure 2. IPASS : efficacité du géfitinib en fonction du statut mutationnel EGFR.
une amplification du gène de l’EGFR, mais c’est la
mutation qui constitue le caractère le plus important pour prédire l’efficacité du géfitinib (par
exemple, HR = 3,85 chez les patients FISH-positifs
et non mutés [10]). L’intérêt hautement prédictif
de la mutation de l’EGFR vis-à-vis de l’efficacité
du géfitinib a été confirmé dans l’étude FIRST
SIGNAL (11).
Tableau. Efficacité du géfitinib versus chimiothérapie chez des patients mutés pour l’EGFR.
Étude WJTOG 3405
Étude NEJ-002
Géfitinib
Chimiothérapie
Géfitinib
Chimiothérapie
n = 71 (cisplatine-docétaxel) n = 98 (carboplatine-paclitaxel)
n = 79
n = 100
Taux de réponse
objective (%)
56,3
25,3
74
29
Survie sans progression
(mois)
[médianes ; p < 0,001
pour les 2 études)
9,2
6,3
10,5
5,5
Deux études japonaises plus récentes, WJTOG 3405
(12) et NEJ-002 (13), ayant inclus uniquement des
patients porteurs d’une mutation de l’EGFR, ont
confirmé que le géfitinib est particulièrement efficace dans ce cas, avec des résultats très significatifs
versus chimiothérapie (tableau).
Conclusion
Toutes ces données suggèrent qu’en première ligne
de traitement par inhibiteur de tyrosine kinase les
patients ne devraient pas être sélectionnés sur des
critères cliniques mais sur la présence d’une mutation du gène de l’EGFR, facteur prédictif d’efficacité
identifié comme étant le plus robuste.
Les études réalisées à ce jour suggèrent que le
géfitinib constitue un traitement de choix pour les
patients porteurs d’une mutation activatrice de
l’EGFR. ■
Références bibliographiques
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harboring activating mutation of the epidermal growth
factor receptor gene: a preliminary results of WJTOG 3405.
EJC 2009;7(2), abstract 9002.
13. Inoue et al. Proc ESMO 2009.
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