CONGRÈS RÉUNION Carrefour Pathologie 2009 : Compte-rendu du symposium “Mutation EGFR : vers un traitement à la carte dans le cancer du poumon ?”1 Paris, 16-20 novembre 2009 N. Charbonnier* D’après les communications de J. Cadranel, J. Bennouna, F. Penault-Llorca Rôle et importance du statut du récepteur à l’EGF dans les tumeurs bronchiques J. Cadranel (Paris) Le récepteur HER1/EGFR, codé par le gène ErBB1 situé sur une partie du chromosome 7, est constitué d’un domaine extracellulaire, d’une partie transmembranaire et d’une partie intracellulaire douée d’activité tyrosine kinase. L’activation de ce récepteur nécessite au préalable sa dimérisation avec un autre récepteur de la famille HER2, qui permet ensuite la fixation du ligand, et, selon le type de dimérisation et le ligand, différentes voies de signalisation intracellulaire sont activées. L’activité des récepteurs EGFR est modulée par différents facteurs : les ligands eux-mêmes et leur niveau d’expression (surexpression de l’EGF et/ou du TGF), le niveau d’expression du récepteur à l’EGF (polymorphisme intronique, amplification génique), la transactivation indépendante du ligand, la modulation de l’activité du récepteur (hétérodimérisation, mutation activatrice) et/ou l’activation parallèle de voies de transduction intracellulaire. ➤➤ Surexpression de l’EGFR : une méta-analyse menée par Nakamura et al. (Thorax 2006;61:140-5), ayant repris les données de 18 études de phase III (2 972 patients), montre que la surexpression de l’EGFR est variable selon le type histologique de cancer bronchique (39 % dans les adénocarcinomes, 38 % dans les tumeurs à grandes cellules, 58 % dans les cancers épidermoïdes et 0 % dans les cancers à petites cellules). En revanche, son impact pronostique à long terme n’est pas clairement démontré. ➤➤ Différents types de mutations oncogènes de l’EGFR concentrées sur les 4 exons, 18, 19, 20 et 21, sont observés dans les cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC). Leur incidence varie selon le type histologique de la tumeur et d’autres critères cliniques tels que le sexe, le tabagisme et l’existence ou non d’une mutation de K-Ras (tableaux I et II). 1 © La Lettre du Cancérologue 2010;2: 52-4. * Paris. Tableau I. Fréquence des mutations oncogènes de l’EGFR en fonction des types histologiques. Séries Adénocarcinomes Huang SF, Clin Cancer Res 2004 Paez JG, Science 2004;304:1497 Marchetti A, J Clin Oncol 2005;23:857 Lynch TJ, N Engl J Med 2004 Pao W, PNAS 2004;101:13307 38/69 (52 %) Adénocarcinomes Cancers broncho-alvéolaires épidermoïdes – 1/24 (4 %) Autres types de CBNPC 0/8 (0 %) 15/70 (21 %) – – 1/49 (2 %) 17/289 (6 %) 22/86 (26 %) 0/454 (0 %) 0/31 (0 %) – 2/15 (13 %) – 0/10 (0 %) 3/4 8/15 (53 %) – – Tableau II. Autres facteurs cliniques associés ou non à une mutation de l’EGFR (Marchetti A, J Clin Oncol 2005 ; Sharma SV, Nat Rev Cancer 2007 ; Rosell R, N Engl J Med 2009). Variable Risque relatif IC95 p Adénocarcinome versus autres formes histologiques 4,542 2,132-9,678 0,0009 Non-fumeur versus fumeur 3,632 1,603-8,230 0,002 Femme versus homme 2,895 1,259-6,658 0,012 – – NS* K-Ras sauvage versus K-ras Rut * Aucune mutation de K-Ras chez les mutés pour EGFR, p < 0,000001 en analyse univariée. La Lettre du Pneumologue • Vol. XIII - n° 1 - janvier-février 2010 | 37 CONGRÈS RÉUNION Différents mécanismes de résistance aux inhibiteurs de tyrosine kinase (géfitinib ou erlotinib) indiqués dans le cancer bronchique peuvent se développer secondairement, parmi lesquels les mutations secondaires T790, une amplification de MET et/ou une amplification de HER3. Mutation de l’EGFR et utilisation du géfitinib en pratique clinique J. Bennouna (Nantes) Après les premières études cliniques qui avaient démontré un bénéfice particulièrement net du traitement par géfitinib dans le CBNPC avancé au sein de populations particulières (non-fumeurs, patients asiatiques, adénocarcinome et patients présentant une mutation de l’EGFR), de nouveaux essais ont été initiés, auprès de populations ciblées. ➤➤ Étape majeure dans la prise en charge des CBNPC, la première étude menée avec le géfitinib (Inoué et al., 2009) auprès de 30 patients présentant une mutation de l’EGFR : alors qu’un certain nombre de patients inclus dans l’étude présentaient déjà une maladie très avancée (22/30 patients présentaient un indice fonctionnel de 3 ou 4 et 11 patients avaient des métastases cérébrales), 66 % 0,2 0,0 8 12 16 20 0 4 Nombre de patients à risque Mois depuis la randomisation Géfitinib 609 363 212 76 24 5 Carboplatine 608 412 118 22 3 1 + paclitaxel 24 0 0 C. EGFR-mutation-négative Probabilité de survie sans progression Probabilité de survie sans progression 1,0 0,8 0,6 0,4 B. EGFR-mutation positive Hazard-ratio : 0,74 (IC95 : 0,65-0,85) p < 0,001 Événements : géfitinib : 453 (74,4 %) ; carboplatine + paclitaxel : 497 (81,7 %) 1,0 0,8 0,6 0,4 Hazard-ratio : 0,48 (IC95 : 0,36-0,64) p < 0,001 Événements : géfitinib : 97 (73,5 %) ; carboplatine + paclitaxel : 111 (86,0 %) 0,2 0,0 24 0 0 D. Statut mutationnel de l’EGFR non précisé Hazard-ratio : 2,85 (IC95 : 2,05-3,98) p < 0,001 Événements : géfitinib : 88 (96,7 %) ; carboplatine + paclitaxel : 70 (82,4 %) 0,2 0,0 1,0 0,8 0,6 0,4 8 12 16 20 0 4 Nombre de patients à risque Mois depuis la randomisation Géfitinib 132 108 71 31 11 3 Carboplatine 129 103 37 7 2 1 + paclitaxel 8 12 16 20 0 4 Nombre de patients à risque Mois depuis la randomisation Géfitinib 91 21 4 2 1 0 Carboplatine 85 58 14 1 0 0 + paclitaxel 24 0 0 Probabilité de survie sans progression Probabilité de survie sans progression A. Population totale des patients ont présenté une réponse objective ; la survie sans progression (SSP) a été de 9,3 mois (médiane) et la survie globale (SG) de 17,8 mois (médiane), dépassant les 12 mois. Par ailleurs, le performance status a été amélioré chez plus de 2 patients sur 3 (68 %). ➤➤ L’étude IPASS, étude de phase III menée avec le géfitinib (versus chimiothérapie par carboplatine-paclitaxel), a inclus 1 217 patients asiatiques, non fumeurs ou ex-petits fumeurs, présentant un adénocarcinome bronchique de stade IIIB/IV et un indice ECOG compris entre 0 et 2. L’analyse de l’efficacité a été réalisée sur l’ensemble de la population de l’étude et en fonction du profil mutationnel de l’EGFR (délétion de l’exon 19 et/ou L858R). Les résultats sur l’ensemble de la population de l’étude montrent un bénéfice significatif en faveur du géfitinib sur le temps jusqu’à progression, 25 % des patients traités par géfitinib n’ayant toujours pas, à 12 mois, présenté de progression de la maladie (versus 7 % des patients sous chimiothérapie ; p < 0,0001). Une mutation de l’EGFR a été retrouvée chez environ 60 % des patients, et l’efficacité du géfitinib (versus chimiothérapie) a été particulièrement nette au sein de cette population avec : – une réduction de 50 % du risque de progression chez les patients mutés pour l’EGFR (géfitinib versus chimiothérapie : HR : 0,48 ; p < 0,0001) [figure] ; 1,0 0,8 0,6 0,4 Hazard-ratio : 0,68 (IC95 : 0,58-0,81) p < 0,001 Événements : géfitinib : 268 (69,4 %) ; carboplatine + paclitaxel : 316 (80,2 %) 0,2 0,0 8 12 16 20 0 4 Nombre de patients à risque Mois depuis la randomisation Géfitinib 386 234 137 43 12 2 Carboplatine 394 251 67 14 1 0 + paclitaxel 38 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XIII - n° 1 - janvier-février 2010 24 0 0 Figure. Étude IPASS : impact du statut mutationnel de l’EGFR sur l’efficacité du géfitinib (SSP). CONGRÈS RÉUNION – une augmentation très significative du taux de réponse objective : 71,2 % dans le groupe géfitinib versus 47,3 % dans le groupe chimiothérapie (p = 0,0001) ; – une amélioration significative de la qualité de vie (pour l’exon 19 et L858R) et des symptômes (pour l’exon 19 seulement). ➤➤ L’efficacité du géfitinib (versus chimiothérapie carboplatine-paclitaxel) a aussi été confirmée dans une deuxième étude de phase III (Kobayashi et al., ASCO 2009) menée en première ligne auprès de patients asiatiques avec une mutation de l’EGFR : taux de réponse objective de 74,5 % (versus 29 % sous chimiothérapie) et SSP quasiment doublée (10,4 mois versus 5,4 mois avec la chimiothérapie ; p < 0,001). Globalement, la toxicité du traitement a été plus importante chez les patients “sélectionnés” que chez les autres patients : rash observé chez 66,2 % d’entre eux dans l’étude IPASS versus 37 % dans l’étude ISEL et diarrhées chez 46,6 % dans l’étude IPASS versus 27 % dans l’étude ISEL. En conclusion, l’ensemble des études réalisées auprès de populations sélectionnées indiquent des taux de réponse objective de l’ordre de 70 %, une SSP de 8 à 10 mois (versus 6 mois avec la chimiothérapie ; médianes) et une SG approchant les 20 mois, résultats assez exceptionnels dans cette pathologie. L’ensemble de ces données démontrent l’intérêt de proposer à des patients atteints d’un CBNPC avancé et présentant une mutation de l’EGFR, un traitement de première ligne par géfitinib. Rôle du pathologiste dans la prise en charge des CBNPC : évolution et perspectives F. Penault-Llorca (Clermont-Ferrand) La recherche des mutations de l’EGFR vise à mettre en évidence au sein du tissu tumoral la présence d’une altération génétique du chromosome 7 impliquant les exons 18 à 21. Elle s’effectue après extraction de l’ADN tumoral à partir de biopsies ou d’une pièce opératoire validées par le pathologiste. La recherche d’une mutation de l’EGFR est devenue, en 2010, une étape incontournable pour définir la stratégie thérapeutique des CBNPC en traitement de première ligne métastatique. L’établissement du statut mutationnel de l’EGFR dans les CBNPC nécessite un travail d’équipe multidisciplinaire réalisable dans des délais compatibles avec les impératifs cliniques : prélèvement par le clinicien, diagnostic histologique du cancer par l’anatomopathologiste et recherche de mutations par le biologiste moléculaire. La prescription de la recherche de mutations de l’EGFR est actuellement faite par l’oncologue, mais elle peut aussi être suggérée par le pathologiste après analyse histologique de la pièce opératoire, en cas d’adénocarcinome par exemple. Des recommandations devraient bientôt être élaborées de façon à standardiser la préparation des prélèvements et la méthodologie de recherche de mutations de l’EGFR. Il existe encore peu d’études ayant comparé le statut mutationnel de l’EGFR sur la tumeur primitive et dans les métastases, une hétérogénéité ayant été démontrée en revanche pour l’expression protéique de l’EGFR et l’amplification du gène codant pour l’EGFR (IHC et FISH). L’analyse moléculaire consiste à extraire de l’ADN du tissu tumoral, à identifier des mutations de l’EGFR par différentes techniques (pas de technique standard) et à établir le résultat : – EGFR non muté, en précisant la cellularité du prélèvement ; – EGFR muté, avec une identification précise de la mutation. Mais cette recherche de mutations de l’EGFR est confrontée à un certain nombre de limites des méthodes de détection des variants EGFR, liées à : – des problèmes “techniques” : prélèvement insuffisant, en particulier chez les patients non opérés et quantité extraite d’ADN faible, surfixation des biopsies rendant parfois l’amplification de l’ADN impossible ; – des problèmes liés à la tumeur et aux mutations : hétérogénéité intratumorale en termes de cellules mutées, existence d’une amplification génique qui concerne l’allèle sauvage et diminue le pourcentage d’allèles mutés au sein du prélèvement analysé, identification de mutants dont l’impact clinique est inconnu si l’on a fait le choix d’un typage exhaustif. Le recours à la biologie moléculaire, de plus en plus fréquent en cancérologie, nécessite une organisation multidisciplinaire associant le clinicien, le pathologiste et le biologiste moléculaire. L’élaboration prochaine de recommandations pour la recherche de ces mutations devrait permettre de définir des critères de qualité et d’homogénéiser les pratiques. ■ La Lettre du Pneumologue • Vol. XIII - n° 1 - janvier-février 2010 | 39