Effi cacité, effi cience au long cours T. Bougerol

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l’objectif principal des prises en charge, et permet désor-
mais une nouvelle ré exion sur la recherche de la rémission
des symptômes et de ses conséquences notamment sur le
fonctionnement, les relations sociales et familiales des
patients.
Ef cacité et ef cience : dé nitions
La dé nition de l’ef cacité repose sur des critères sympto-
matiques (disparition des symptômes présents en début de
prise en charge), conduisant à la notion de rémission fonc-
tionnelle.
L’ef cience (« effectiveness ») est un concept plus
large et plus ambitieux, qui cherche à approcher les condi-
tions de la « vraie » vie, par une approche multivariée ;
l’objectif nouveau est désormais celui de rétablissement
(« recovery »).
Études d’ef cacité
L’ef cacité des traitements peut être mesurée par un grand
nombre d’outils. Les plus souvent retenus sont la Brief
Psychiatric Rating Scale [11], la Scale for the Assessment of
Negative Symptoms [3], la Scale for the Assessment of
Positive Symptoms [3], et la Positive And Negative Syndrome
Scale [8]. La PANSS a par exemple été utilisée dans l’étude
d’ef cience CATIE.
Ef cacité, ef cience au long cours
T. Bougerol
CHU Hôpital Sud, BP 185, 38042 Grenoble
Les résultats des études portant sur l’analyse des données
d’ef cacité et d’effets indésirables doivent être mis en
perspective avec les modalités globales de prise en charge
des patients.
Une optimisation de l’utilisation des moyens thérapeu-
tiques disponibles pourrait permettre d’atténuer les stig-
mates liés aux troubles schizophréniques, stigmates décrits
dès les premières descriptions de la démence précoce,
comme par exemple chez Kraepelin : « dans la grande
majorité des cas, les périodes d’amélioration ne durent
pas plus de 3 ans… Parmi les cas qui se révèlent ultérieure-
ment comme conduisant à la démence précoce, la propor-
tion des périodes d’amélioration ressemblant à la guérison
ne représentent qu’environ 2,6 %… après une amélioration
initiale survient une dégradation progressive de l’état
mental » (E. Kraepelin, 1919).
L’avènement des neuroleptiques conventionnels dans
les années 1950 a eu un impact très net sur la prise en
charge des patients, en particulier par la possibilité de
faire sortir les patients schizophrènes des institutions psy-
chiatriques.
Au l des décennies, les objectifs du traitement ont
évolué : des années 50 aux années 80, l’obtention, grâce
au traitement, d’un contrôle des symptômes psychotiques,
était liée à la recherche prioritaire d’une amélioration à
court terme ; dans les années 1980 à 2000, la prise en
compte de la qualité de vie a mis l’accent sur l’importance
de l’amélioration fonctionnelle ; en n, à partir des années
2000, l’amélioration durable du fonctionnement est devenu
* Auteur correspondant.
L’auteur n’a pas signalé de con its d’intérêts.
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Critères de rémission
Ce premier niveau d’analyse, reposant sur la notion d’ef -
cacité, constitue toutefois une façon insuf sante et restric-
tive d’approcher l’effet des prises en charge. Plusieurs
études ont tenté de préciser l’objectif de la rémission dans
les troubles schizophréniques.
À partir de ces études, ont été proposés des critères de
nition de la rémission, s’appuyant sur des dimensions
cliniques pouvant correspondre à des scores d’évaluation
aux échelles, ou à des paramètres plus pragmatiques,
comme l’absence d’hospitalisation.
La contribution la plus connue à la dé nition des critè-
res de rémission dans les schizophrénies est celle d’An-
dreasen et al. [2]. La rémission symptomatique y est ainsi
nie selon trois dimensions : la dimension psychotique
ou distorsion de la réalité, la dimension de désorganisation,
et la dimension négative. Le seuil de sévérité des symptô-
mes retenu au travers d’un nombre limité d’items est, pour
la PANSS, un score inférieur ou égal à 3, pour la SAPS et la
SANS des scores inférieurs ou égaux à 2, et pour la BPRS un
score inférieur ou égal à 3 pour les items 1 à 7. Par ailleurs,
la stabilité symptomatique doit être d’au moins 6 mois.
Plus récemment, plusieurs auteurs ont proposé de
considérer une dé nition plus opérationnelle de la rémis-
sion, plus proche de la situation réelle des patients, en
élargissant la notion de rémission symptomatique à la prise
en compte de l’amélioration du fonctionnement opération-
nel, de l’autonomie, et de l’amélioration des relations
sociales.
Études d’ef cience (« EFFECTIVENESS »)
Les études portant sur l’ef cience se heurtent au fait qu’il
n’existe pas, ou très peu, de critères réellement opération-
nels de dé nition de cette notion. Un consensus d’experts
réunis en 2002 (Towards Identifying Criteria for Clinical
Effectiveness) a tenté de préciser les mesures de l’ef -
cience en les différenciant de l’ef cacité, et de repérer les
domaines cliniques participant de l’évaluation de l’ef -
cience [10]. Le but était de proposer des outils de mesure
utilisables en pratique.
Pour ces experts, un traitement ef cient ne se limite pas
au contrôle, même sur le long terme des symptômes de la
maladie : il se caractérise également par l’adhésion durable
du patient aux soins, la maîtrise sur le long terme des symp-
tômes de la maladie et des effets secondaires, mais égale-
ment par l’impact de la maladie sur le patient et son
entourage, et en n par l’amélioration au long cours de la
santé globale du patient et la restauration de son bien-être.
Il faut donc évaluer ces différents domaines que sont
les symptômes de la maladie, l’impact des traitements,
l’impact de la maladie, et la santé et le bien-être.
Il peut néanmoins exister des facteurs confondants pour
ces mesures : le point de vue de l’évaluateur est essentiel,
et les attentes sont différentes vis-à-vis des effets du trai-
tement pour le malade, sa famille ou les soignants. La com-
pliance au traitement médicamenteux est également une
donnée critique pour évaluer l’ef cience d’un traitement :
le taux d’observance correcte sur une durée d’un an ne
dépasserait pas ainsi 10 à 20 % des patients psychotiques.
Les symptômes de la maladie
Parmi les composantes qu’il faut prendre en compte dans
l’évaluation de l’ef cience, la symptomatologie est au pre-
mier rang. Les symptômes positifs et négatifs sont ici le
« cœur de cible » des traitements.
Les symptômes cognitifs constituent également une
dimension « nucléaire » de la pathologie, de survenue pré-
coce. Ils sont responsables de symptômes résiduels tels que
les troubles de l’attention, de l’apprentissage, les troubles
de la mémoire verbale ou des fonctions exécutives ; ils sont
une cause majeure de handicap social et occupationnel, et
un important facteur de rechute et de réhospitalisation.
Les symptômes dépressifs et anxieux concernent entre
20 et 75 % des patients lors du premier épisode psychoti-
que ; ils sont présents dans plus de 50 % des cas lors des
épisodes aigus [9]. La dépression est un symptôme persis-
tant, c’est aussi un facteur de rechute, de handicap social
et de suicide.
L’impact du traitement
La prise en compte de l’impact du traitement concerne
d’abord les effets latéraux des traitements : effets extra-
pyramidaux en particulier, qui sont des facteurs de mau-
vaise observance, de rechute, de chronicité et de handicap
fonctionnel, et donnent de ce fait un avantage important
aux antipsychotiques atypiques ; mais aussi les autres
effets secondaires : prise de poids, effets sexuels, hyper-
prolactinémie, effets anticholinergiques, sédation, trou-
bles du sommeil, risques de santé (syndrome métabolique,
risque de diabète, risques cardiovasculaires).
L’impact de la maladie
L’impact de la maladie est une notion plus large, qui
concerne le patient, son entourage (famille, « caregivers »,
amis…), les systèmes de santé, et la société, en particulier
au travers des coûts de la maladie, en grande partie liés
aux réhospitalisations.
La santé et le bien-être
Le domaine de la santé et du bien-être concerne surtout
l’amélioration de la qualité de vie, portant sur la santé
physique, sur l’autonomie, sur la capacité à avoir un loge-
ment indépendant, sur les occupations (travail, éducation),
sur les relations sociales, et sur les compétences instru-
mentales.
Mesure de l’ef cience
La détermination de l’ef cience d’un traitement des trou-
bles schizophréniques devra donc explorer chacun de ces
domaines, avec une dif culté particulière liée à leur ciné-
tique différente d’amélioration : l’amélioration symptoma-
tique est la plus précoce, et donc la plus facile à évaluer.
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Durant les premiers mois, la réduction des symptômes et la
maîtrise des effets secondaires sont au premier plan ; après
3 à 12 mois, c’est la prévention de la rechute, l’adhésion
au traitement, la réduction des risques de santé et la réin-
sertion sociale qui sont à considérer ; et en n au-delà d’un
an, les objectifs à long terme sont le rétablissement com-
plet, l’acquisition de l’indépendance, l’amélioration de la
qualité de vie et le retour à la santé.
Les instruments de mesure de l’ef cience peuvent être
des instruments généraux : l’échelle de fonctionnement
global du DSM (EGF), ou l’échelle CGI dans ses deux dimen-
sions de sévérité et d’amélioration.
On peut aussi utiliser des outils spéci ques pour évaluer
chacun des domaines. Pour les symptômes de la maladie,
par exemple, la Brief Psychiatric Rating Scale (BPRS), la
Positive And Negative Syndrome Scale (PANSS), ou encore la
Calgary Depression Scale for Schizophrenia [1].
Pour l’impact des traitements, on peut utiliser l’Abnor-
mal Involuntary Movement Scale (AIMS) [5], la Barnes
Akathisia Rating Scale [4], la Simpson Angus Extrapyramidal
Rating Scale [12].
L’impact de la maladie repose sur les évaluations
médico-économiques ou des entretiens avec l’entourage,
selon une méthodologie à préciser. En n, la santé globale
et le bien-être peuvent être évalués par des échelles de
Qualité de Vie (ex. : QLS – 7), voire des évaluations biologi-
ques et somatiques.
Il serait néanmoins souhaitable de dé nir de nouveaux
outils, qui permettent de mesurer l’ef cience thérapeuti-
que de façon plus spéci que. Le Global Outcome Assessment
of Life in Schizophrenia (GOALS) en est un exemple déve-
loppé dans le cadre du modèle à quatre domaines proposé
par Nasrallah et al. (symptômes de la maladie, impact des
traitements, impact de la maladie, santé et bien-être),
évalués chacun sur une échelle allant de 1 (très amélioré)
à 7 (très dégradé) [10].
L’Investigator’s Assessment Questionnaire (IAQ) a été
développé plus récemment [13]. Il s’agit d’un hétéro-ques-
tionnaire de 10 items évaluant l’ef cacité et les effets
secondaires (symptômes positifs, symptômes négatifs,
cognition, énergie, humeur, somnolence, prise de poids,
signes d’hyperprolactinémie, akathisie, symptômes extra-
pyramidaux) cotés chacun sur une échelle de type Lickert
en 5 points. L’évaluation consiste en une comparaison du
traitement actuel avec le traitement antérieur, le score
allant de 1 (beaucoup mieux) à 5 (beaucoup moins bien).
Ce questionnaire IAQ a été validé [13]. La validation de
contenu a impliqué 6 groupes réunissant 300 psychiatres (en
France, Allemagne, Italie, Espagne, UK, USA), et a montré
que les 10 items retenus pouvaient être considérés comme
d’importance similaire (0,87 – 1,18), avec une consistance
interne satisfaisante (α de Cronbach : 0,79 – 0,83), et une
structure unidimensionnelle lors de l’analyse factorielle.
La validation de construction a reposé sur l’étude amé-
ricaine BETA (Broad Effectiveness Trial with Aripiprazole),
avec une corrélation négative avec le délai de sortie d’es-
sai, et une corrélation positive avec la CGI-I et la POM
(Preference Of Medication).
Un exemple d’application de l’IAQ peut être trouvé
dans une publication de 2006 sur l’étude STAR [6], portant
sur l’ef cience à 26 semaines de l’aripiprazole comparée à
d’autres antipsychotiques atypiques.
Conclusion
L’évolution de ces concepts nous conduira probablement à
passer, dans les années futures, des études d’ef cacité,
portant sur les différentes dimensions symptomatiques et
de tolérance, à des études d’ef cience, qui élargissent la
perspective. Pour ces dernières, le maintien de la rémis-
sion symptomatique sera important, mais elles devront
prendre en compte également les autres domaines, comme
le fonctionnement au quotidien, les relations sociales, les
relations familiales, les occupations (professionnelles ou
sociales), l’autonomie et la capacité de vie indépendante,
et en n la satisfaction globale des patients, avec la possi-
bilité de réalisation des objectifs personnels.
Références
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