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L’Encéphale (2007) Supplément 1, S2-S4
j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p
Clinique du déficit dans la schizophrénie
J.-M. Azorin*, M. Cermolacce
Hôpital Sainte Marguerite, Service de Psychiatrie Adulte, 270, boulevard Sainte Marguerite, 13274 Marseille Cedex 9
Historique
Depuis les années 1970, plusieurs auteurs américains, en particulier autour de Carpenter, ont étudié les aspects cliniques
de la schizophrénie, en se centrant initialement sur la dichotomie symptômes positifs/symptômes négatifs. Le déficit fait
référence aux symptômes négatifs, qui, pour Carpenter et al.
[4], doivent avoir comme caractéristique évolutive d’être
stables dans le temps et primaires dans leur origine.
Le concept de symptômes négatifs est antérieur à celui de
schizophrénie : ainsi, le neurologue britannique Jackson
employait en 1875 le terme de symptômes négatifs pour
décrire des pertes relativement pures, des déficits d’une fonction. Auparavant, en 1857, Reynolds avait évoqué, de façon
moins précise, la négation des propriétés vitales [in, 2].
Tatossian [14] distingue deux grandes activités du clinicien. La première, activité dominante, consiste à agir par
inférence, en recueillant des symptômes pour les intégrer
dans un modèle syndromique. Le second modèle est un
modèle structural, consistant en une activité perceptive du
clinicien pour tenter d’approcher l’expérience de ses symptômes vécue par le patient.
Évaluation de la symptomatologie
négative
Les symptômes négatifs décrits par N. Franck [5], à Lyon,
comme étant les plus pertinents sont les troubles de l’affectivité et des émotions, des troubles de la capacité à
agir, les troubles conatifs (troubles motivationnels, fondés
sur l’estime de soi, l’engagement et l’implication dans des
situations quotidiennes), les troubles cognitifs, les troubles
du langage, et, surtout, les troubles des relations interpersonnelles et de la vie sociale.
Nancy Andreasen [1] avait, en 1982, élaboré l’échelle
SANS d’évaluation du déficit dans les schizophrénies ; elle
mettait l’accent d’une part sur le retrait ou la pauvreté
affective (expression figée du visage, diminution des mouvements spontanés, pauvreté de l’expression gestuelle,
pauvreté du contact visuel, absence de réponses affectives, affect inapproprié, monotonie de la voix) et d’autre
part sur l’alogie (pauvreté du discours et de son contenu,
barrages, augmentation de la latence des réponses).
D’autres symptômes contribuent également à l’échelle
SANS : l’avolition-apathie (avec pour conséquence une
hygiène défectueuse, un manque d’assiduité au travail ou à
l’école, une anergie physique), l’anhédonie-retrait social
(avec restriction des intérêts et des activités de loisirs et
sexuels, incapacité à vivre des relations étroites ou intimes, restriction des relations avec collègues et amis) et
enfin des troubles de l’attention, dans les activités sociales
et durant la cotation.
Cinq ans plus tard, Kay et al. [7] décrivent, pour
l’échelle PANSS, les symptômes négatifs, avec l’émoussement de l’expression des affects (diminution des réponses
émotionnelles, au niveau de l’expression faciale, de la
modulation des affects, des attitudes communicatives), le
retrait affectif (manque d’intérêt, d’implication et d’enga-
* Auteur correspondant.
E-mail : [email protected]
Les auteurs n’ont pas signalé de conflits d’intérêts.
© L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés.
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Clinique du déficit dans la schizophrénie
gement dans les événements de la vie), la mauvaise qualité
du contact (avec un manque d’empathie interpersonnelle,
d’ouverture dans la conversation, un défaut de proximité
et d’engagement avec le clinicien).
Dans la PANSS, l’accent est également porté sur l’importance du repli social, avec des éléments de passivité, un
aspect apathique, une diminution de l’intérêt et de l’initiative dans les interactions sociales liée à cette passivité, à
l’apathie, à l’anergie ou à l’avolition (engagements interpersonnels limités, négligences des activités quotidiennes).
Kay et al. [7] décrivent également dans la PANSS des
difficultés d’abstraction, avec un trouble de la pensée abstraite (symbolique), une difficulté à classer, à généraliser
et à dépasser la pensée concrète, égocentrique, dans la
résolution de problèmes. On retrouve également une
absence de spontanéité et de fluidité dans la conversation,
une réduction du flux conversationnel normal avec apathie,
avolition, réticence ou déficit cognitif, une pensée stéréotypée avec diminution de la fluidité, de la spontanéité et
de la flexibilité de la pensée (contenu de pensée rigide,
répétitif, stérile).
Une quatrième approche pour décrire les symptômes
négatifs qui constituent le syndrome déficitaire est proposée par Kirkpatrick et al. [8], qui mettent l’accent sur l’appauvrissement des affects, sur une gamme émotionnelle
réduite, sur une pauvreté du discours, une restriction des
intérêts, une intentionnalité réduite, et enfin une diminution de l’élan social. Ces critères, proches des critères du
DSM pour la schizophrénie, prennent en compte des symptômes considérés comme primaires ; il s’agit de symptômes
ayant une sévérité suffisante, et stables, pendant les périodes de rémission relative, depuis un an au moins.
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propos de la même patiente : « Que me manque-t-il vraiment ?… Quelque chose de petit, mais sans quoi on ne peut
pas vivre… À la maison, humainement, je n’y étais pas. Je
n’étais pas à la hauteur. J’étais simplement là, mais sans
être présente… l’impression d’avoir encore besoin de l’appui dans les choses quotidiennes les plus simples… C’est
sans doute l’évidence naturelle qui me manque ».
D’autres approches phénoménologiques du déficit ont
été proposées, comme celle de Tatossian, évoquant la
perte de l’aptitude à la quotidienneté [13], ou celle de
Kraus [9] portant sur l’identité sociale de rôle et ses rapports avec le déficit schizophrénique.
Conclusion
Les symptômes négatifs sont le plus souvent décrits en clinique comme un pur déficit ou un défaut de fonctions,
avec, sur le plan sémantique, une large utilisation du préfixe « a- » privatif. Dans une perspective phénoménologique, la description cherche à traduire une expérience
vécue à la première personne. Des travaux récents, d’inspiration moins philosophique et plus expérimentale, sont
menés, travaillant par exemple sur les ponts possibles entre
symptômes déficitaires observés à un niveau comportemental (en troisième personne) et l’expérience vécue du
patient [11, 15].
Les citations de deux auteurs très importants dans l’histoire de la psychiatrie illustrent pareille approche du déficit : « Le symptôme déficitaire n’est pas comparable à un
cube défectueux au sein d’une mosaïque par ailleurs
intacte » [12] ; « La maladie mentale ne se réduit pas à une
somme de négativités » [6].
Le déficit comme structure
Références
Parmi les auteurs qui ont utilisé l’approche phénoménologique, Minkowski [10] décrit les liens avec le monde quotidien
et avec autrui (intersubjectivité) et la conscience de soi. Il
décrit trois aspects du déficit, non comme un recueil de symptômes isolés, mais comme des aspects complémentaires : la
perte du contact vital avec la réalité, la perte de l’élan vital
et une asyntonie dans les rapports intersubjectifs.
Blankenburg décrit la perte de l’évidence naturelle
dans des termes proches de ceux de Minkowski. Dans le
rapport au monde, il s’agit de la perte de l’ancrage ; dans
le rapport à soi, il décrit l’asthénie transcendantale ; dans
le rapport aux autres, la perte du sens commun ; et enfin
dans le rapport au temps, il parle de perte de la continuité
de l’expérience [3].
Dans son ouvrage sur la perte de l’évidence naturelle,
Blankenburg reprend les propos d’une de ses patientes :
« Quand on démarre avec le déficit, on ne peut prétendre
à rien ». Pour Blankenburg, il ne s’agit manifestement pas
d’un bilan, comme pourrait le faire un sujet sain, dans un
regard en arrière sur un échec dans la vie ; ce n’est pas le
produit des opérations, pas même le caractère de l’opération, mais le point de départ transcendantal pour tout rapport au monde qui est ainsi caractérisé. Il rapporte les
[1] Andreasen NC. Negative symptoms in schizophrenia. Definition and reliability. Arch Gen Psychiatry 1982 ; 39 : 784-8.
[2] Berrios GE. Positive and negative symptoms and Jackson. A
conceptual history. Arch Gen Psychiatry 1985 ; 42 : 95-7.
[3] Blankenburg W. La perte de l’évidence naturelle. Paris : PUF ;
1991.
[4] Carpenter WTJr, Heinrichs DW, Wagman AMI. Deficit and nondeficit forms of schizophrenia : the concept. Am J Psychiatry
1988 ; 145 : 578-83.
[5] Franck N. La schizophrenie. La reconnaître et la soigner.
Paris : Odile Jacob : 2006.
[6] Jaspers K. Psychopathologie Générale. Paris : Alcan ; 1933.
[7] Kay SR, Fiszbein A, Opler LA. The positive and negative syndrome scale (PANSS) for schizophrenia. Schizophr Bull 1987 ;
13 : 251-75.
[8] Kirkpatrick B, Buchanan RW, Mc Kenney PD et al. The Schedule for the Deficit Syndrome : an instrument for research in
schizophrenia. Psychiatry Res 1989 ; 30 : 119-23.
[9] Kraus A. Schizophrénie et rôle social. In : D. Pringuey et
F. Kohl eds. Phénoménologie de l’identité humaine et
schizophrénie. Paris : Le Cercle Herméneutique. 2001 ; 63-9.
[10] Minkowski E. La schizophrénie. Psychopathologie des
schizoïdes et des schizophrènes (1927). Nouvelle édition
revue et augmentée. Paris : Desclée de Brouwer ; 1953.
[11] Parnas J, Handest P. Phenomenology of anomalous self-experience in early schizophrenia. Comprehensive Psychiatry
2003 ; 44 : 121-134.
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L.-M. Azorin, M. Cermolacce
[12] Schneider K. Psychopathologie Clinique. Louvain : Nauwelaerts ; 1970.
[13] Tatossian A. Pour une psychopathologie de la quotidienneté.
Psyché 1984 ; 11 : 385-91.
[14] Tatossian A. Qu’est ce que la clinique ? Confront Psychiatr
1989 ; 30 : 55-61.
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[15] Weiser M, Reichenberg A, Rabinowitz J et al. Association
between nonpsychotic psychiatric diagnoses in adolescent
males and subsequent onset of schizophrenia. Archives of
General Psychiatry 2001 ; 58 : 959-64.
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